7
Le vent soufflait, glacial et impitoyable, arrachant des larmes involontaires à mes yeux. Chaque bourrasque semblait vouloir me repousser en arrière, mais je continuais à marcher, comme si avancer était ma seule façon de défier le monde. En vérité, je n'avais nulle part où aller. Mon cœur était lourd, encombré de souvenirs qui refusaient de rester enfouis.
Je ne savais pas pourquoi je pensais à elle, ce soir. Peut-être parce que tout semblait sombre, comme la fin d'un long cauchemar sans réveil. Ma mère. Elle avait été tout ce que j'avais perdu avant même de pouvoir m'en souvenir.
On me disait souvent que j'avais ses traits, que je lui ressemblais beaucoup. Mais je ne me rappelais pas son visage, seulement des histoires que d'autres racontaient. Des murmures, le plus souvent, accompagnés de regards froids ou compatissants, selon la personne.
Elle avait été exécutée peu après ma naissance. C'était la loi, car toute sorcière ayant un enfant illégitime devait payer de sa vie. Ce que personne n'expliquait, c'était pourquoi on m'avait laissée vivre, moi.
Peut-être que le fait d'avoir grandi sous cette menace silencieuse expliquait ce vide constant en moi. Peut-être que c'était pour ça que j'avais toujours ressenti cette colère sourde, cette sensation de ne jamais appartenir pleinement à ce monde.
Ma mère avait tout sacrifié pour moi, et qu'avais-je fait en retour ? Rien. Je n'avais fait que survivre, et parfois, cela semblait déjà trop difficile.
Mais tout n'avait pas toujours été sombre.
Je repensais à ma rencontre avec Ryan. Il était arrivé dans ma vie comme un rayon de lumière inattendu, perçant l'obscurité.
C'était un jour banal, ou du moins, il avait commencé comme tel. J'étais à la bibliothèque, un lieu où je me réfugiais souvent, non pas pour les livres – bien que je les aimais –, mais pour le silence. Ce silence, personne ne venait le troubler, pas même ceux qui se moquaient habituellement de moi dans les couloirs.
Je feuilletais un grimoire ancien, concentrée sur les pages jaunies par le temps. Absorbée, je n'avais pas remarqué que ma manche avait heurté un autre livre, le faisant tomber avec un bruit sourd.
« Laisse-moi t'aider.
Sa voix m'avait fait sursauter.
Je m'étais retournée, prête à m'excuser ou à me justifier, mais les mots étaient restés coincés dans ma gorge. Ses yeux dorés m'observaient avec une intensité surprenante. Il souriait, mais pas de cette façon condescendante à laquelle j'étais habituée. Son sourire était sincère, presque chaleureux.
« C'est un excellent choix, dit-il en ramassant le livre tombé. Tu lis souvent ce genre d'ouvrages ?
Je m'étais contentée de hocher la tête, encore méfiante. Les autres ne s'approchaient de moi que pour se moquer ou se moquer subtilement. Mais lui... il était différent.
Ryan était patient. Il ne m'avait pas brusquée, ne s'était pas moqué de mon silence ou de ma maladresse. Au fil des jours, il avait commencé à me parler davantage, et moi, j'avais fini par répondre.
Au début, c'était des échanges timides, presque hésitants, mais petit à petit, il avait réussi à m'arracher des sourires, puis des rires. Il avait une façon de voir le monde qui me fascinait.
« Tu sais, disait-il souvent, ce n'est pas ce que les autres pensent de toi qui compte. Ce qui compte, c'est ce que toi, tu veux devenir.
Je l'avais cru. Ou du moins, j'avais voulu le croire.
Mais maintenant, alors que je marchais dans ces rues désertes, cette lueur d'espoir semblait bien loin.
Soudain, un frisson me parcourut, plus glacial que le vent qui hurlait autour de moi. Je m'arrêtai, le souffle court, sentant une présence.
Un homme se tenait là, dans l'ombre d'un bâtiment.
Je ne pouvais pas voir son visage clairement, mais je savais qu'il me regardait. Son regard transperçait la nuit comme une lame. Avant que je puisse réagir, il s'approcha, rapide comme un éclair.
La douleur fut fulgurante.
Ses dents percèrent la peau de mon cou, et un feu glacial se propagea dans mes veines.
Je voulais crier, mais aucun son ne sortit de ma bouche. Mon corps se paralysa, et mes jambes cédèrent sous moi.
Alors que je m'effondrais, des images floues envahirent mon esprit.
Ryan.
Je revoyais son sourire, sa main tendue pour m'aider ce jour-là à la bibliothèque. Je revoyais les instants où il m'écoutait parler, où il me rassurait.
Mais une autre image s'imposa à moi : celle d'un inconnu.
L'inconnu que j'avais croisé dans les couloirs du château. Grand, imposant, avec un regard si intense qu'il m'avait donné des frissons. Il n'avait pas dit un mot, mais son regard avait traîné sur moi plus longtemps que nécessaire.
Et maintenant, tout s'embrouillait.
Mais surtout... que m'avait-il fait ?
Je sombrai, incapable de répondre à ces questions.
Lorsque j'ouvris enfin les yeux, tout était flou. Mon corps semblait étrangement lourd, comme si quelque chose en moi avait changé. Mais quoi ?
Je me redressai difficilement, posant une main tremblante sur mon cou. Il n'y avait pas de sang, mais une douleur sourde persistait.
Je m'appuyai contre le tronc rugueux d'un vieux chêne, le souffle court. Mes doigts effleurèrent mon cou, là où la morsure me brûlait encore comme une marque au fer rouge. Une morsure... Cela ne pouvait pas être ce que je pensais. Non, c'était impossible. Je secouai la tête, cherchant une explication rationnelle. Ryan... Ryan m'avait dit que c'était contre nature.
Je fermai les yeux, et les souvenirs revinrent, vifs et insistants.
C'était une journée froide, comme celle-ci. Le ciel était d'un gris uniforme, et le vent s'insinuait dans chaque recoin de la bibliothèque. Je m'étais réfugiée dans un coin reculé, entourée de livres anciens qui sentaient la poussière et l'encre fanée. Un espace où je pouvais enfin échapper aux regards accusateurs et aux murmures.
Ryan m'avait trouvée là, comme toujours.
« Tu passes trop de temps à lire, Crystal, m'avait-il lancé en tirant un livre de l'étagère au-dessus de ma tête.
Je levai les yeux vers lui, un sourire ironique au bord des lèvres.
« Et toi, tu passes trop de temps à surveiller ce que je fais, avais-je rétorqué.
Il s'assit à côté de moi, un éclat rieur dans ses yeux dorés.
« Tu pourrais au moins lire des choses plus utiles. Comme ça, par exemple ».
Il posa un gros livre noir sur la table devant moi. La couverture, usée, portait un titre en lettres dorées : Les lois de la nature vampirique.
Je fronçai les sourcils, curieuse malgré moi.
« Qu'est-ce que c'est ? » demandai-je.
« Une relique des anciens, » expliqua-t-il en tapotant la couverture. « On y trouve des choses fascinantes sur les vampires, leur biologie, leurs faiblesses... et leurs limites ».
Il tourna les pages jusqu'à un chapitre intitulé Femmes et vampirisme.
« C'est là que ça devient intéressant, continua-t-il. Tu savais que les femmes ne peuvent pas devenir vampires ?
Je haussai un sourcil, incrédule.
« Pourquoi ?
Ryan s'appuya contre le dossier de sa chaise, l'air satisfait de tenir mon attention.
« Parce que c'est contre nature. Le venin des vampires détruit leur organisme. Dès qu'il entre en contact avec leur sang, il déclenche une réaction incontrôlable. En quelques minutes, elles... meurent.
Je sentis un frisson me parcourir, mais je tentai de garder une expression neutre.
« Et pourquoi les hommes, eux, survivent ?
« Les hommes n'ont pas le même rôle dans la nature, Crystal, répondit-il, plus sérieux. Les femmes... Elles sont destinées à donner la vie. Leur corps ne peut pas accepter un poison qui tue pour créer autre chose. C'est comme si la nature elle-même les protégeait de cette transformation.
Je baissai les yeux vers le livre, l'estomac noué par une étrange appréhension.
« Et si... quelqu'un essayait quand même ?
Ryan soupira, refermant doucement le volume.
« Alors elle mourrait. Toujours. C'est une loi immuable, écrite dans leur chair.
Le souvenir s'effaça aussi vite qu'il était revenu, me laissant seule avec mes doutes. Je serrai mes bras contre moi, le cœur battant à tout rompre. Alors... pourquoi étais-je encore en vie ?
Peut-être que ce n'était pas un vampire. Peut-être qu'il s'agissait d'autre chose. Une créature différente, quelque chose que je ne connaissais pas. Mais une autre pensée s'insinua dans mon esprit, un murmure insidieux : et si tu n'étais pas comme les autres ?
Je secouai la tête, refusant de laisser cette idée s'implanter. Il devait y avoir une explication logique. Ryan avait raison. Les femmes ne pouvaient pas devenir vampires. Ce que j'avais vécu ne pouvait pas être réel.
Je regardai autour de moi, mais il n'y avait personne.
L'obscurité semblait m'envelopper, et avec elle, un pressentiment grandissant : quelque chose en moi était en train de changer. Et je n'avais aucune idée de ce que cela signifiait.
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