Mourante

— Je veux m'habiller, supplie Kiara.

Je comprends que malgré sa douleur elle est gênée de sa nudité, surtout devant autant d'homme. Esteban attrape un grand teeshirt blanc et aide Kiara à l'enfiler. Elle gémit au moindre mouvement. Elle se relève du sol avec l'aide d'Estéban en haletant et se met à tousser avec insistance.

— Tu veux que j'appelle le médecin de la famille ? demandé-je.

En réponse, elle s'agrippe à Esteban en retenant un hoquet de douleur. Elle est courbée tant la douleur la ravage de l'intérieur.

— Ton amie a bu le même cocktail que toi ? questionné-je en essayant de comprendre ce qui se passe.

Elle hoche la tête et je quitte la pièce rapidement. Je gagne ma chambre pour enfiler un jean ainsi qu'une chemise que je ne prends même pas la peine de boutonner. Je m'empresse alors de rejoindre Marie. Elle est au lit avec Bastien.

Putain mais j'ai loupé un épisode moi ou quoi ?

Bastien se lève aussitôt en voyant ma dégaine et mon angoisse. Marie rajuste ses vêtements et se lève également en fixant Bastien sans comprendre. Je la vois le reluquer. Certes Bastien n'est pas vilain garçon. Il a des cheveux roux,  courts ramenés en arrière par du gel, des yeux d'une étonnante couleur, mélange de marron clair et de vert et un contour de barbe naissante encadre son visage... mais de là à sortir avec mon garde du corps vampire alors qu'il y a quelques heures encore elle ne soupçonnait pas notre existence, ça me fait bizarre. Marie contrairement à Kiara ne semble pas le moins du monde malade. J'explique la situation brièvement à Bastien et Marie et on gagne la chambre d'Estéban en trottinant. Marie se précipite sur Kiara en s'agenouillant à ses pieds.

— Qu'est-ce que tu as ? Luke m'as dit que tu n'allais pas bien du tout, s'inquiète-t-elle.

— Je ne sais pas, murmure Kiara en ayant du mal à garder les yeux ouverts.

— Je vais appeler le SAMU, indique Marie en dégainant son portable de sa poche arrière.

Il n'est pas question que des secours humains viennent dans un repaire de vampire.

— Non, je me suis chargé de prévenir le médecin de la famille. Il viendra dès que possible, la coupé-je.

— Dès que possible, ça veut dire quoi ? On ne va pas la laisser comme ça ? insiste Marie.

Mais qu'elle est insupportable cette fille, encore pire que ma chieuse.

— Il fait au plus vite. On ne peut pas faire venir n'importe qui ici !

Je lui réponds sèchement devant son insistance.

Kiara s'agrippe au rebord du lit en serrant les dents et elle a de plus en plus de mal à reprendre son souffle. À peine dix minutes s'écoule quand le médecin de famille, Jace, fait son entrée, une grosse mallette à son bras.

— Je vous demanderais de bien vouloir libérer la pièce ! ordonne le médecin en se rapprochant de Kiara.

Marie, Esteban, Alban et Bastien s'exécutent en revanche, moi, je ne bouge pas. Le médecin ausculte Kiara attentivement avant de lui placer un masque à oxygène sur le visage. Elle est comme dans les vapes et Jace enfonce une aiguille avec un antibiotique dans le pli du coude de Kiara. Au contact de la seringue, elle hurle à s'en décrocher les poumons, comme si on la brûlait vive. Jace, le médecin, recule impuissant. La respiration de Kiara est de plus en plus saccadée et le médecin prend sa tension et écoute sa respiration à l'aide d'un stéthoscope. Kiara hurle à nouveau et on peut voir apparaître sur son corps des traces rougeâtres là où Jace pose son stéthoscope. Une quinte de toux s'empare d'elle et elle crache du sang rouge vif.

— Bordel, mais qu'est-ce qu'elle a ? demandé-je en m'asseyant aux côtés de Kiara.

— Je n'en ai aucune idée. Ça ne ressemble pas à une intoxication quelconque. Il faut qu'elle aille aux urgences... ou elle va mourir, Luke.

J'écarquille les yeux de surprise.

Mourir ?

J'enfonce mes crocs dans mon poignet et verse quelques gouttes de mon sang dans la bouche de Kiara. Elle convulse en continuant de cracher du sang. Mon sang n'y fait rien. Au même moment mon père entre dans la pièce.

— Qu'est-ce qui se passe ici ? On entend hurler dans tout le château !

Il analyse rapidement la situation. Jace quant à lui prépare une nouvelle injection et mon père se précipite sur Kiara. Il lui déchire le haut du tee-shirt d'un seul mouvement.

— Éloignez-vous d'elle, ordonne-t-il en se reculant également à son tour. Ne l'approchez surtout pas vous êtes en train de la tuer.

— On ne va pas la laisser comme ça ! grondé-je en plaçant mes mains sur ma nuque dans un geste de panique.

Mon père se tourne vers moi.

— On ne doit plus la toucher...personne ! insiste-t-il.

— Mais qu'est-ce qu'elle a ? Tu le sais ? demandé-je en regardant Kiara agoniser sur le lit.

— Kiara, ne bougez pas du lit et ne touchez à rien. Luke, Jace, je vous demanderais de sortir.

Mon père quitte la pièce et Jace et moi le suivont à l'extérieur. Il congédie le médecin qui quitte le château aussitôt.

— Père, qu'est-ce qu'elle a ? On ne peut pas la laisser mourir, je ne veux pas la perdre elle aussi.

J'ai déjà perdue Laila, je ne veux pas perdre Kiara aussi... même si elle ne veut pas de moi.

Il se tourne vers moi et me saisit les poignets.

— Calme-toi Luke. Je sais comment l'aider, fais-moi confiance.

— Comment ?

Les cris de douleurs de Kiara résonnent en écho dans le château. Mon père s'approche si près de moi qu'on est à présent corps à corps.

— Va dans ton bureau, sous la quatrième latte du parquet en partant de ta commode, tu trouveras une petite fiole, ramène-la sans en parler à qui que ce soit, murmure mon père dans un souffle.

Je ne pose aucune question et regagne en trombe mon bureau. La latte en question n'est pas fixée aux autres. Elle se soulève facilement et je découvre un petit pochon bordeaux. Je défais la ficelle du pochon et fait glisser la petite fiole au creux de ma main. Le minuscule flacon est transparent et contient un liquide rougeâtre, ressemblant fortement à du sang. Il y a aussi une photo, celle d'un bel homme aux cheveux grisonnants. Je la glisse dans ma poche et descend rapidement les marches pour regagner la chambre d'Estéban. Mon père m'y attend seul dans la chambre. Kiara ne hurle plus et à vrai dire ne bouge plus non plus, les yeux clos. Je glisse la fiole dans la main de mon père et me précipite vers Kiara.

— Ne la touche surtout pas, Luke !

Je m'arrête aussitôt et mon père se contorsionne sur le lit afin de faire glisser le contenu du liquide dans la bouche de Kiara, sans la toucher. Au bout de longues minutes qui paraissent des heures, Kiara ouvre les yeux doucement.

— Bon sang Kiara, ça va ? demandé-je soulagé.

Elle se redresse péniblement sur le lit en grimaçant.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? croasse-t-elle d'une voix rocailleuse.

— Tu hurlais, tu vomissais, tu tremblais, et tout d'un coup, tu étais comme... mo...rte, soufflé-je en amorçant un geste pour la serrer dans mes bras.

— Non, gronde mon père en me retenant par le bras. Ne la touche pas !

— Pourquoi est-ce qu'il ne peut pas me toucher ? Je suis contagieuse ? demande Kiara en s'alarmant.

— Kiara, je dois passer un appel téléphonique. Vous devez rester dans le lit et ne toucher à rien, ni à personne. Je dis bien à rien, Kiara.

— Samuel, je vous en prie, dites-moi ce qui se passe ? Je vais mourir ? sanglote Kiara.

Mon père ne lui répond pas et se tourne vers moi.

— Tu ne laisses personne entrer ici, sous aucun prétexte Luke. Et tu ne dois absolument pas la toucher. Je reviens.

Il quitte la pièce et je m'assois sur le bord du lit. Elle sanglote.

— Hé bébé, je suis là, ça va aller. Mon père va te guérir, calme-toi.

— Qu'est-ce que j'ai Luke ? Dis-le-moi je t'en supplie.

— Kiara, je te jure que je n'en sais rien. Mon père m'a envoyé récupérer une fiole sous une latte du plancher de mon bureau et il te l'a donnée à boire. Grâce à ça, tu t'es réveillée, mais je ne sais pas pourquoi je ne peux pas te toucher.

— Je ne veux pas mourir, Luke.

Mais moi non plus je ne veux pas qu'elle meurt !

— Bébé stop, tu ne vas pas mourir, regarde, tu vas déjà beaucoup mieux.

— Non, non, non, si je ne peux toucher à rien c'est que je suis contaminée par un virus, et ça doit être grave !

— Kiara, arrête je voudrais te montrer quelque chose.

Elle fronce les sourcils et je sors de ma poche la photographie prise sous le parquet. Je la lui montre et Kiara amorce un geste pour la saisir.

— Non, grondé-je en éloignant celle-ci. Tu la regardes mais mon père m'a explicitement demandé de ne te laisser toucher à rien !

Elle soupire et se rapproche de la photographie. Elle la scrute attentivement et hausse les épaules, perplexe.

— Je ne le connais pas, m'indique Kiara.

— Regarde bien, tu dois certainement le connaître, bébé.

— Luke, je te jure que je ne le connais pas ! Pourquoi ? Est-ce que je devrais ?

Je baisse les yeux et range la photo dans ma poche.

— Quand j'ai récupéré la fiole sous le parquet il y avait cette photo avec. Je trouve juste ça bizarre que ces deux objets aient été ensemble.

— Il y avait quoi déjà dans cette fiole ?

— Je serais incapable de te dire mais ça avait la couleur du sang.

— Tu penses qu'il y avait quelque chose dans mon verre, Luke ?

Je soupire.

— Kiara, j'aimerais t'apporter des réponses mais je ne sais strictement rien de plus.

Des petits coups sont frappés à la porte et je me lève pour ouvrir. C'est Marie.

— Comment-elle va ? me demande-t-elle en faisant un geste pour me signifier de me décaler afin de la laisser entrer.

Quel culot, celle-là ! Me voilà avec une deuxième chieuse !

— Vous ne pouvez pas entrer Marie, il faut rester à distance de Kiara.

— Bougez de là, Luke, je veux voir comment va mon amie.

Bastien, a intérêt de la rendre obéissante ou je vais l'encastrer dans un mur, cette idiote !

Je m'apprête à la faire sortir de force quand Kiara prend la parole :

— Je vais bien Marie, je ne dois juste pas être touchée. Luke, laisse-la entrer s'il te plaît.

Je me décale en soupirant.

— Pourquoi je ne peux pas te toucher ? Qu'est-ce que tu as eu ? demande Marie à Kiara en la rejoignant sur le lit.

— Je ne sais pas trop Marie. Le père de Luke semble avoir des réponses à mes questions mais il n'est pas encore revenu.

— Et il fait quoi ? Il est parti où ? s'impatiente-t-elle.

— Tu as raison, il faut qu'on en ait le cœur net, lance Kiara en se levant du lit pour regagner la porte.

— Kiara tu ne bouges pas de là. Je t'attacherai au lit s'il le faut. J'ai confiance en mon père et s'il t'a dit de ne pas bouger, c'est que tu ne dois pas bouger !

— Je vais mieux Luke et je ne vais pas rester confinée ici éternellement. Je veux des réponses.

— Kiara, allonge-toi sur le lit, je vais voir ce que fait mon père. En attendant, reste ici. Marie, je compte sur vous pour veiller sur elle, je reviens.

Je m'éclipse, traverse le long couloir, le salon royal et grimpe les marches jusqu'à mon bureau. Il n'y a personne. J'aperçois un mouvement au travers de la fenêtre et je me précipite à l'extérieur. Au même moment mon père remonte les marches extérieures pour venir à moi.

— Pourquoi aller dehors pour téléphoner ? demandé-je, soupçonneux, en observant les alentours.

Je n'ai aucun accès aux pensées de mon père.

— Je t'avais dit de rester dans la chambre, Luke ! riposte mon père en avançant vers l'entrée du château.

Je pose une main sur l'épaule de mon père pour le stopper dans son élan.

— Dis-moi ce qu'il se passe ! Maintenant !

— Elle est vulnérable pour le moment, Luke, et au moindre écart elle peut mourir. Je n'avais qu'une fiole en réserve en cas d'urgence et si elle entrait en contact avec une substance allergène, je ne pourrais plus rien faire pour elle, Luke.

— Il faut que tu m'expliques, je ne comprends rien. Elle aurait des allergies à quoi ? Et il y avait quoi dans cette fiole que tu m'as envoyé récupérer ?

— La liste des allergènes est très longue Luke mais pour exemple, les métaux, le citron, le fer et bien d'autres.

Je fronce les sourcils.

— Comment peut-on être allergique aux métaux ? Et c'est le jus de citron qu'il y avait dans son cocktail qui l'a rendue malade comme ça ?

— Je t'expliquerai tout Luke ; le jus de citron a en effet déclenché le processus mais le stéthoscope et la seringue de Jace ont accéléré la dégradation de son état. Si elle hurlait autant c'est parce qu'elle brûlait intérieurement et le métal sur sa peau la brûlait à vif un peu comme les chaînes en argent pour nous vampires.

— Je ne comprends toujours pas, père. Je l'ai déjà vu boire de la citronnade, je l'ai déjà vu toucher du métal et elle n'a jamais eu ça ! Pas une seule fois depuis que je la connais. Comment peut-on devenir allergique subitement ? Surtout qu'elle a l'air de ne rien savoir sur cette allergie. Comment a-t-elle fait jusqu'à présent pour survivre ? Nous sommes tous entourés de métaux divers et variés.

— Tu comprendras mieux quand j'en parlerai à Kiara. Viens avec moi ! me lance mon père en regagnant le couloir du château.

— Dis-moi juste qu'elle ne va pas mourir ! insisté-je.

— Elle peut mourir d'un instant à l'autre, Luke. Il faut que tu y sois préparé.

Non ! Non je ne pourrais pas supporter sa perte !

On regagne la chambre. Marie est toujours assise sur le lit et Kiara a bonne mine.

— Marie, si vous voulez bien nous excuser, j'aimerais m'entretenir quelques minutes avec Kiara.

Elle hoche la tête et quitte la pièce en claquant la porte.

— Samuel, dites-moi ce qu'il en est exactement, demande Kiara précipitamment.

Il met du temps à répondre comme s'il chercher ses mots.

— Tout d'abord, j'aimerais que vous m'expliquiez le déroulement de votre journée. Ce que vous avez fait, avec qui et où.

— Quel rapport avec mes problèmes de santé ? lui demande Kiara.

— Répondez-moi, Kiara !

Elle soupire.

— Je suis allée au bungalow de ma mère avec Esteban, on s'est endormis. Le lendemain on a pris un petit déjeuner et il m'a emmené faire du parachute ascensionnel, puis je suis allée au restaurant mais j'ai été interrompu par l'arrivée de Luke et je suis rentrée avec lui au château. Ensuite j'ai eu une discussion avec vous à la bibliothèque, avec Esteban dans le couloir et ensuite je suis allée au bar chez " Lety " avec Marie. On a bu pas mal de whisky et j'ai regagné mon domicile avec Marie. On a discuté et on a pris un taxi pour venir ici. J'ai eu un échange avec Luke dans la réserve de la bibliothèque puis j'ai bu un verre avec Esteban, Marie et Bastien au bar du château et c'est tout.

— Ok Kiara. On va aller voir dans la bibliothèque avec Luke, vous, vous, restez ici.

Qu'est-ce qu'on est sensé aller voir dans la bibliothèque, au juste ?

Je fronce les sourcils. Je ne comprends pas de quoi parle mon père et Kiara a l'air tout aussi perdu que moi.

— Vous allez voir quoi dans la bibliothèque ? Voir si on a bien rangé les livres ? plaisante Kiara.

Mon père ne relève pas la blague et lui répond :

— Voir si votre collier s'y trouve.

Kiara porte aussitôt sa main à son cou et se lève du lit rapidement.

— Non, non, c'est un cadeau de ma mère, je ne peux pas l'avoir perdu ! Je suis certaine de l'avoir bien eu sur moi ce matin.

Kiara soulève le drap et secoue l'oreiller, mais il n'y a rien.

— Ne touchez à rien Kiara, on revient.

Mon père m'entraîne avec lui en direction de la bibliothèque.

— Quel rapport entre un banal collier et son état de santé ? demandé-je en scrutant le sol à la recherche de celui-ci.

Mon père aussi examine scrupuleusement le sol.

— Parce que ce collier est une sorte de talisman pour elle. Sans celui-ci, elle est vulnérable dans ce monde.

Je stoppe net mes recherches en dévisageant mon père.

— Comment ça dans ce monde ? Tu veux dire qu'elle n'est pas humaine ? demandé-je fébrilement.

A aucun moment je n'ai pu penser que ma petite Kiara insupportable et inobéissante pouvait être autre chose qu'humaine.

— En effet, elle n'est pas totalement humaine, Luke, répond mon père calmement.

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