Surprise
Un ramassis de conneries. Des déjections sociales. Voilà ce que c'est. Je rejette rageusement le journal sur la table, fixant mon assiette avec une moue écœurée. Voilà des semaines que je suis sans nouvelles d'Emma. Je l'évite bien volontiers autant qu'elle m'esquive à chaque coin de l'hôtel. Et pourtant, les torchons parlent encore de nous et du petit incident. Saloperie de torchons, je pensais que ça se calmerait !
« - I' ten eu' 'ap, commence Antoine avant de mâcher sa bouchée goulument. Si t'en veux pas, je veux me sacrifier, reprend-t-il d'une voix plus claire.
Je le fixe un moment, clignant des yeux et me redressant légèrement.
- Ta bidoche ! s'exclame mon ami en pointant mon plat avec sa fourchette. Tu manges rien, j'peux me dévouer si tu veux.
Je baisse mes opales sur mon assiette, avant de lâcher un soupire. Je suis vraiment un imbécile, de quoi d'autre pourrait-il parler ? J'ai les idées en vrac. Depuis les événements, St Claire m'a à l'œil. D'une manière tout à fait extraordinaire. Extraordinairement hypocrite. Tel un sportif à qui on passe la pommade, mon patron m'avait pardonné à la vitesse de l'éclair mon 'petit méfait'. Par ailleurs, je n'ai toujours aucuns souvenirs concrets de cette soirée. Et au fond, je me demande ce qui s'est vraiment passé. Comment ai-je pu boire autant ? Une chose est sûre, depuis ça, je ne touche plus à une seule bouteille d'alcool. Et ce, malgré les protestations d'Antoine.
- Hm ... Vas-y, je fais finalement en soupirant, passant mon index droit sous mes lèvres. J'ai pas faim, je vais faire un tour.
J'arrête ses protestations d'un geste, déposant plusieurs billets sur la table avant de choper ma veste. J'ignore les quelques regards qui vont et viennent d'Antoine à moi, sans même m'inquiéter des rumeurs de voix au fond de la terrasse. Le soleil brille de plein fouet et j'ai besoin de me dégourdir les guibolles. L'autre goinfre hausse les épaules en se frottant les mains, se léchant les lèvres rien qu'à l'idée de s'en mettre encore plein la pense. Heureusement que son agent n'est pas dans le coin. En parlant d' 'agent', celui que je snobe depuis des semaines fait encore vibrer mon portable. C'est à peine si je sais me servir de cette saloperie. Je glisse ma veste par-dessus mon épaule, plongeant la main dans le pli de mon pantalon pour agripper l'appareil. Bingo, c'est encore cette tête de veau. Comme je m'y attendais.
Mon pouce glisse sur l'écran pour déverrouiller l'appel, et je me contente de soupirer dans le combiné.
- Tu pourrais faire un effort, Peter. Ca fait à peine quelques mois qu'on bosse ensemble.
- Je voulais pas de toi, tu te souviens ? Je grommelle en traversant la route pour me diriger droit vers le champ de Mars.
- Tu ne voulais pas d'agent, nuance, corrige-t-il avec son petit accent typiquement de la région.
Ma tête pivote à gauche, puis à droite, tandis que mes pieds me dirigent vers le pont.
- T'es pas trapéziste, aux dernières nouvelle. Donc, monsieur l'agent, que me vaut le déshonneur ? je raille d'un ton narquois.
- Tu peux vraiment être un odieux connard, quand t'as tes règles.
- Va te faire foutre, aboule la mauvaise nouvelle, je soupire en m'adossant au bord du pont.
Parce que je ne vois pas ce que Timoty peut m'annoncer d'autres. Je n'avais jamais évoqué ce bon vieux Tim ? Autant pour moi, j'avais presque oublié son existence depuis qu'une certaine tornade était arrivée dans ma vie. Plusieurs personnes passent à vélo, d'autres à pieds. La plupart semblent pressés, d'autres font leur petite marche de l'après-midi. Qu'ils soient jeunes ou vieux. J'adore la diversité de cette ville. Toutes les ethnies défilent devant mes rétines.
- Y en a pas, tu vas au Sri Lanka dans deux semaines.
Je manque de faire un bond en avant en entendant la nouvelle. J'y suis déjà allé une fois pour raisons personnelles, mais jamais pour le boulot.
- Attends, on m'en a pas parlé, je me reprends en fronçant les sourcils.
Machinalement, je change d'oreille avec ton téléphone pour aérer l'autre et me défaire des bourdonnements.
- J'organise mes plannings à l'avance, pourquoi dans deux semaines ?
- Ordre du patron, assure Tim d'une voix faussement navrée. Arrête de baliser, le sujet va te plaire. L'exploitation des animaux. Pile dans tes cordes, t'aimes ça non ? Démontrer la vérité et faire réagir les gens ? Tu vas t'infiltrer en tant qu'éleveur, on a déjà tous les dossiers et les papiers, comme neufs.
- Vous êtes cinglés, je le coupe en me redressant finalement.
Nerveusement, je passe une main dans ma poche gauche, avant de continuer.
- J'ai aucune qualification.
- Mon gars, on est persuadés qu'ils ne traitent pas la moitié des bestioles qu'ils exposent. C'est l'affaire de deux semaines tout au plus. Je pensais que t'aimerais ce genre d'affaire.
Mes yeux se posent sur l'étendue d'herbe. Aimer n'est pas le mot. Je n'aime pas toujours ce que je découvre, surtout lorsque je dois procéder en caméra cachée. J'ai déjà vu de sales trucs. Et c'est pour ça que je fais ce boulot, à force de faire rentrer dans le crânes des auditeurs toutes les saloperies insoupçonnées, quelque chose finira bien par bouger. Ce qui me dérange, c'est le procédé. C'est la première fois en dix ans que St Claire me coince. Je savais qu'il y avait anguille sous roche. Il va me retirer le droit de poser mon véto, et ça risque de durer un sacré moment. Mais j'étais pas assez naïf pour penser que tout irait comme sur des roulettes.
- ... Ok, je fais finalement en réalisant que je n'ai rien dit depuis plusieurs minutes.
Il est déjà en train de jubiler, ce con. Je grimace, tournant les talons en ouvrant la bouche pour poser mes conditions. Mais la petite brune plantée face à moi me coupe en plein élan. Les prunelles chocolat d'Emma m'observent avec inquiétude alors que Tim jacasse à l'autre bout du fil.
- Euh ... Je te rappel plus tard, j'ai une urgence.
C'est à peine si je l'entends protester quand je raccroche.
- ... Je te dérange pas ? demande-t-elle en se tordant les doigts.
De mon côté, j'observe les alentours automatiquement. Surpris qu'elle soit ici au même moment que moi. La ville est immense et même si on 'vit' dans le même hôtel pour le moment, ça m'étonne de la croiser par ' pur hasard'. Mais la jeune femme se rembrunit en m'observant.
- Désolée, c'était pas une bonne idée. Je voudrais pas qu'on te croise en si mauvaise compagnie.
Quoi ?
- Quoi ? Non, Emma ! je me reprends en avançant pour l'attraper par le bras.
Lorsque son regard se pose sur sa chair pale, je retire aussitôt mes doigts.
- Pardon, j'étais surpris de te voir ici.
- Je t'ai aperçu au restaurant tout à l'heure, avoue-t-elle en croisant les bras.
Elle se ferme comme une huître. Elle n'avait pas prévu de me croiser, c'est certain.
- Tu veux qu'on aille ailleurs ? je fais en reculant pour prendre ma veste toujours accrochée au pont.
- Non, ici c'est bien, affirme Emma en approchant pour poser ses doigts sur la pierre. Ca fait un moment que je voulais te parler ...
Je l'observe sans rien dire, scrutant le moindre de ses faits et gestes. Elle n'a de cesse de mordiller l'intérieur de sa joue tout en pianotant sur la pierre. Aujourd'hui encore, elle porte une robe. Cette fois, c'est un tissu léger à fleurs qui lui tombe au-dessus des genoux. On dirait un rideau vintage, je retiens un sourire en fixant ses cheveux sûrement fraîchement coupés. En plusieurs semaines, ils n'ont toujours pas réussi à toucher ses épaules. Emma tourne son petit nez mutin vers moi, réalisant que je l'observe sans rien dire.
- Je suis désolée, articule-t-elle à toute vitesse.
Cette fois, mes prunelles s'écarquillent. J'ai bien entendu ?
- Arrête ça, qu'elle grogne en décryptant mes pensées. Je viens te donner de vraies excuses cette fois. Les gens ont mis tellement de temps à arrêter d'en parler ... J'ai pas eu d'ennuis parce qu'on ne me reconnait jamais dans la rue. Mais l'autre jour ... Un type m'a quand même grillée alors que je mangeais en terrasse avec Mathilde.
Elle s'arrête quelques secondes, baissant les yeux avant de marmonner :
- Quand j'étais petite, ça arrivait tout le temps, mais faut croire que j'avais oublié.
La dernière phrase me fait tiquer. Qu'est-ce qui lui arrivait quand elle était petite ? Mais elle reprend aussitôt, sans me laisser le temps de réagir :
- Ca va finir par se tasser, mais si t'as des problèmes à cause de moi, sache que je parlerai à St Claire.
- Hun, je souffle avec amertume. Tu choisis bien ton jour, je viens d'avoir un appel déroutant.
Emma m'observe, sourcils froncés, tout en avançant légèrement.
- Quoi ? Je le savais ... Je vais lui parler, commence-t-elle en s'agitant.
- Non, laisse-tomber, tu veux ? Je vais me charger de ça moi-même. Je pars juste quelques semaines à l'autre bout du monde, y a pire comme punition, je la rassure en souriant un peu.
Sans lui exprimer le véritable enjeu derrière, ce salopard ne me lâchera pas la grappe.
- Ecoute Emma, c'était une connerie, rien de méchant. J'ai fait le con, c'est de ma faute ok ? D'autres en feront de bien pires et tout le monde nous oubliera ensuite. On nous a déjà bien suffisamment mis en garde contre l'alcool, je plaisante en haussant les épaules. Merci de t'inquiéter. T'as peut-être pas un cœur en pierre en fin de compte, je lâche avec un sourire en coin.
Son air offusqué augmente mon hilarité alors que j'en file ma veste. A tel point que je ne vois pas l'affliction dans son regard.
- Je sais, je peux aller me faire foutre, je la devance en lui tapotant l'épaule. C'est à peine si elle m'arrive au torse. Tu sais où me trouver, on se revoit bientôt. »
Je ne sais pas pourquoi, mais je suis soulagé. Cette petite nana m'a toujours intrigué, autant qu'Antoine l'avait fait la première fois que je l'avais vu. Autant que Natasha, toutes ses personnes avec qui j'avais conservé un lien sur la durée. J'aime m'entourer des gens qui m'intriguent, les déchiffrer jusqu'à les connaître sur le bout des doigts. Sans jamais les délaisser une fois chose faite. Mais Emma risque de me rendre la tâche encore plus ardue.
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Deux semaines plus tard, me voilà devant l'avion. Mon sac de voyage en main, mon appareil autour du coup et ma go-pro dans la poche. Je voyage dans un avion classique. Au moins, j'ai encore le droit de choisir mon moyen de transport. St Claire m'attend au quai, mon billet payé en main et ses vieilles lunettes de soleil aux carreaux jaunes sur le nez.
« - J'ai une surprise pour toi, qu'il s'exclame en guise d'accueil.
Quoi encore ? Je m'efforce de sourire, persuadé qu'il va encore m'annoncer une nouvelle abracadabrante qui ne fera rire que lui. Mais au lieu de parler, il se déplace sur le côté, dévoilant une silhouette que je reconnais seulement au bout de quelques secondes. Vêtue de vêtements kakis et d'un sac plus gros qu'elle, Emma me fixe sous la visière de sa casquette aux mêmes teintes.
- Salut, le rosbif.
- Elle vient avec toi, Emma veut finalement apprendre le métier, c'est pas génial ? » s'enthousiasme St Claire alors que je fixe la brune d'un air abasourdi.
Dites-moi que c'est une blague ?
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Le voilà ENFIN.
Pour l'histoire, si vous l'avez pas lu dans les notifications, j'avais paumé le chapitre. L'inspiration s'étant tirée au même moment, ça été très dur de reprendre. Mais me voilà, j'espère que ce chapitre vous plait, qu'il n'est ni trop long, ni trop chiant ! Vous l'avez peut-être vu, mais j'ai aussi changé la couverture. Juste comme ça, j'avais envie. Et une nouvelle tête est ajoutée au casting. Voilà voilà, à la prochaine !
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