Rouge comme une vie en Novembre


Tout commence à l'aube, quand le ciel prend des teintes fantasques, quand notre toit céleste devient un spectacle si beau, si pur, qu'aucune toile de maître, aucun poème écrit en langage terrestre ne peu rendre fidèlement le sentiment qu'il fait naître en nous. C'est ce moment ou, sous forme de couleurs, nos dieux s'éveillent et se baladent lestement au dessus de nos têtes. Le ciel à cet instant s'ouvre sur un monde féerique, il en devient presque magique, on pourrait pratiquement y voir des licornes cachées derrière les nuages, un phœnix traversant silencieusement les étendues dorées, tandis que les pourpres du ciel habilleraient de leur teinte, de légendaires dragons de glace. Le dégradé de couleur, le mélange de lumière apaise nos sens, les couleurs pastels peu à peu noyées par l'éclat du soleil délivrent un message à la nature et nous permettent de croire, ne serait-ce que pendant une fraction de seconde, que tout va bien...

Toujours est-il que cette histoire commence à l'aube, dans les circonstances les plus horribles qui puissent être. Malgré toute la beauté du ciel, toute la grâce de ce moment divin, cet instant ou la faune et la flore s'éveillent à l'unissons avec mère nature, en dépit de tous cela, ce récit conte l'évasion d'une victime de nos temps moderne.

L'histoire de notre fugueuse est simple, et pourtant si compliqué. Ce n'est pas vraiment une fugue en fait, car ce matin là, elle ne fuyait pas pour vivre ailleurs, mais pour mourir loin des horreurs de sa vie. Novembre n'aimait plus rien ni personne. A à peine 17 ans elle avait passé la moitié de sa vie à craindre tout, jusqu'à sa propre existence. Elle craignait la moindre chose venant sous le couvert des ombres, pourtant elle vivait dans le noir depuis si longtemps, qu'elle avait finit par oublier toutes les couleurs du monde... Toutes sauf une, une couleur récurrente dans sa vie de martyre : le rouge.

Elle n'avait pas vue la couleur du ciel ou respiré de l'air frais depuis ses cinq ans. Elle ne parlait à personne, ne savait même pas si elle le pouvait encore, elle ne voyait que ses bourreaux... Voir c'est beaucoup dire, elle les sentait surtout. Leur odeur putride de sueur et de sexe, n'était qu'un témoignage de plus de l'aspect animal de ces tortionnaires.

L'adorable petite fille que Novembre avait été, s'était transformée en un animal craintif et débordant de haine. Elle ne savait ni rire, ni sourire et elle n'avait plus les larmes pour pleurer. Ses rêves se cantonnaient au néant, elle priait pour en finir, elle n'avait pas le goût de la vie. Dans les moments ou ils la laissait seule, la voix de sa conscience était éteinte, seul régnait le son de son souffle et les battements affaiblit de son cœur accablé.

Son corps avait perdu son innocence, ne faisant d'elle que l'esclave des désirs des autres et son esprit, prit au piège lui aussi par cette enveloppe de chair, la laissait au même niveau qu'une tigresse maltraité en captivité. Elle haïssait son corps de femme si souvent abusé, mais qui continuait à attirer la convoitise des hommes ; elle détestait sa poitrine si opulente malgré les nombreuses palpation qui l'avaient meurtrit. Par moment, Novembre avait espéré que lors d'un de ces assauts l'un des hommes finisse par faire éclater ce si encombrant atour, mais ils y laissaient juste des égratignures, des traces de morsure, des bleues...

Novembre haïssait ses cheveux qu'ils avaient si souvent caressé puis tirés tour à tour. Ils la coiffait parfois, comme une poupée, veillant à sa bonne présentation comme une marchandise prête à être vendu.

Au-delà de tout, ce qu'elle détestait le plus, c'était sa voix, qui était seulement capable de faire entendre sons informes. Cette voix insuffisante pour exprimer toute sa peine, sa honte, sa colère... Elle se trouvait privé de mots, il aurait mieux valut qu'elle soit muette. Elle avait crié tant de fois pour n'avoir en résultat que cette excitation animale que créait cette situation de proie tentant d'échapper à son prédateur. Elle tentait à chaque fois de fuir l'horreur de son existence en déconnectant son esprit, mais le peu d'humanité qui lui restait se révoltait invariablement.

Jamais il n'y aurait de fin, elle ne pourrait jamais ravoir ce que chaque soir ils lui avaient tous prit, voilà les seules pensés qui l'accompagnaient depuis bien longtemps. L'espoir était juste un chien écrasé sur l'autoroute de sa vie misérable.

L'histoire de Novembre est ordinaire, elle avait vécu seule avec sa mère, son père ayant perdu la vie juste avant sa naissance et elle avait écoulé des jours heureux, sans savoir que sa vie sombrait déjà dans l'enfer.

Sa mère, accablé par une vie de labeur et faible face à la tentation de l'oubli, avait sombré dans la drogue, quelque temps après la mort de son époux. En peu de temps, elle était devenue une pure accro à la cocaïne. Au début, elle se contentait de vendre ses appareils électro-ménagés, souvenirs de son mariage, pour obtenir ses doses, puis quand il n'y avait plus rien eu à vendre, elle s'était mise à faire le tapin.

Novembre n'avait que 5 ans à l'époque et s'était à peine rendu compte de l'état de sa mère. La petite fille, adorable, passait son temps à l'école, ou chez les voisins et rayonnait de bonheur. Son univers était celui des enfants, si plein de couleurs, de formes, de naïveté... Tous le monde l'adorait, et elle le leur rendait bien avec ses sourires. On pouvait dire d'elle que c'était une enfant facile, elle ne pleurait jamais pour rien, souriait toujours et avait le calme d'un petit angelot. Son métissage faisait d'elle une petite noire absolument adorable : elle avait la peau caramel, des yeux en amande d'un marron si clair qu'il en paraissaient parfois jaune, des cheveux noir bouclés très difficiles à coiffer, mais si beaux à voir ; sa simple présence pouvait faire fondre les cœurs les plus dur, son sourire innocent ne la quittait pratiquement jamais à l'époque. On lui prédisait déjà qu'elle deviendrait une belle chabine, mais ces atouts devinrent par la suite des défauts.

Dans un premier temps, Novembre n'avait rien su de l'état de sa mère car, cette dernière considérant sa fille comme sa seule fierté, avait tout fait pour qu'elle ait une enfance normale. Les voisins s'occupaient parfois de la petite, car la famille avait fuit aux premiers symptôme d'addiction. Tout aurait put continuer aussi simplement pendant longtemps, cependant, le temps était venu où rien n'aurait plus pu arrêter les effet décadent de la drogue sur la vie de ces deux femmes.

Un soir de décembre, juste après noël, le sort s'était abattu sur Novembre. Peu de temps avant les fêtes, Doris, la mère, avait prit la résolution de rester clean, pour le bien de sa fille, elle était consciente du mal que causait à sa famille sa décadence. Elle avait été diagnostiqué séropositive et ne pouvait donc plus se prostituer pour sa dose, c'était une sorte de punition divine pour elle, ainsi qu'une main tendu vers le droit chemin. Elle s'efforçait de voir du positif dans cette situation , pour sa fille.

Par une ironie du sort Doris, très croyante, pensait que dieu dans sa miséricorde lui offrait une seconde chance : Dieu ne punit pas, il aide et il pardonne. Doris s'était mise à utiliser les aides sociales pour s'en sortir en attendant de trouver un job, tout se passait bien pourtant et ce soir-là, cela faisait presque un mois qu'elle était à jeun. Malheureusement le manque et ses effets s'étaient faits sentir, elle était dans un tel état que son cerveau avait cessé de fonctionner un instant. Guidé par son envie, elle avait habillé sa fille et était sortie dans les rues sombres à la recherche d'un dealer...

Cette nuit-là, fut la dernière nuit de liberté de Novembre. 12 ans après elle se rappelait encore chaque évènements, chaque visages, chaque odeurs ; elle se remémorait les cries, la lutte, mais dans son souvenir, tout était gris, la seule couleur qui lui restait gravé dans l'âme, était le rouge. Ce rouge de sang, accompagné de cette odeur acre de mort, voilà tout ce qui lui restait comme souvenir de sa mère.

Doris avait supplié pour être soulagé, elle avait rampé tel un ver dans les caniveaux devant sa petite fille apeurée qui ne comprenait rien à la situation. Tout avait dégénéré quand Doris avait expliqué au dealer qu'elle était malade et qu'elle n'avait pas d'argent, il l'avait regardé avec dédain, prêt à lui tourner le dos, mais elle s'était accrochée à sa jambe, l'avait encore supplié, s'était encore plus humilié, si cela était possible. Il avait levé une fois son pied chaussé d'énorme bottes de traqueur, pour lui asséner un coup au visage et ça avait suffit. La tête de Doris avait heurté le trottoir avec un bruit mat et sous la lumière de l'unique lampadaire de la rue, elle était restée là, étendue dans son sang, libéré de sa vie de servitude. Novembre s'en souvenait toujours, c'était rouge sombre, le liquide épais coulait hors de sa mère telle une malédiction qui serpentait sur le trottoir pour l'atteindre. Mais avant que le poison écarlate ne touche ses pieds, elle avait été soulevé de terre, loin, de plus en plus loin de cette scène de crime, de plus en plus loin de sa vie d'avant, de plus en plus loin de son enfance.

Après l'histoire est simple. Elle était passé de dealer en dealer telle une vulgaire marchandise et avait atterrit dans la cave d'un avocat cinquantenaire vivant à la campagne. Il avait été le premier à abuser d'elle, avant de se décider à vendre les faveurs du corps de l'enfant au plus offrant. Un réseau bien rôdé de pédophile lui avait volé ses cinq ans, puis les douze années suivantes, sans que personne ne lui viennent en aide. Elle n'avait rien vu, même pas les visages coupables, tout ce faisait dans le noir. Dès qu'elle entendait le cliquetis de la porte, il s'agissait soit de son repas, soit de sa toilette, soit...

Pourtant ce matin là, quelques minutes avant l'aube, la donne avait changé. Un dicton dit qu' « aucune bonne action ne peut rester impunie », et ce matin là, ce fut le temps des punitions.

Comme d'habitude, un homme avait ouvert la porte de la cave, mais au lieu de directement attaquer sa proie dans le noir, mué par une envie d'être tendre, il avait allumé la lumière. Appuyé contre un mur, il avait chuchoté des mots tendres en tendant les bras vers Novembre pour qu'elle puisse venir se pelotonner dans ses bras. Apeuré telle une biche prise dans des phares, cette dernière s'était accroupie dans un coin de la pièce, aveuglé par cette soudaine lueur, elle découvrait pour la première fois le monde qui l'entourait. Grattant nerveusement le sol, là ou un carreau brisé se soulevait avec de petits crissements, son cerveau enregistrait difficilement les nouvelles données qui lui étaient envoyées. A force de jouer avec le morceau de carreau, il avait finit par se soulever franchement en lui entaillant la paume...

Le sang maudit de Novembre s'était écoulé doucement, chaudement dans sa main. Elle n'avait pas eu mal, non, les mauvais traitements à répétition l'avait rendu insensible à la douleur physique, elle avait juste été fasciné. Tout s'était passé ensuite en un battement de cil. L'homme, inquiet, s'était approché de la jeune fille pour l'aider. Il avait à peine eu le temps de voir l'étincelle dans son regard de chat, elle avait enfoncé sans hésiter le morceau de carreau dans le cou de son sauveur. La carotide avait été tranché, le sang giclait, noyant du même coup les cries de l'homme qui luttait vainement contre les griffes de la mort.

Sur le sol, la flaque de sang s'élargissait et presque gaiement, Novembre souriait, jouant à faire des dessins dans le liquide épais qui la recouvrait désormais. Puis, par instinct, elle s'était levé. Dégoulinante de sang, d'un pas incertain, elle avait enjambé le corps désormais inerte de son agresseur pour se diriger vers la porte. Serrant dans sa main meurtrie, l'arme de son crime, elle s'était mise à erré, glissant de temps en temps, sans savoir exactement ou ses pas la menait. Finalement, dans la pénombre, elle avait réussit à arriver jusque dans la cuisine. Fouillant un peu partout, elle s'était mise à tripoter tout ce qui lui tombait sous la main, comme une enfant qui découvre le monde. Elle avait finit par trouver des allumettes, jouant avec elle en avait fait craquer une. Surprise elle avait lâché la flamme sur un torchon qui s'était tout de suite enflammé. Fasciné par ce spectacle, elle avait regardé le feu se répandre, puis comme si cela commençait à l'ennuyer, elle était sortie de la pièce. Visitant un peu, en craquant des allumette partout, Novembre avait finit par trouver la sortie.

Ses premiers pas au grand air, elle les avaient parcourues à pas prudents. Entouré par la nature, émerveillé par le spectacle qui l'entourait, elle n'avait fait que quelques pas pour s'éloigner de sa prison. Simplement étendu dans l'herbe, elle avait vu le feu lécher les murs et s'agrandir tel un monstre, se nourrissant de tout ce qui l'entourait. Le ciel et la maison en flamme avaient semblé ne faire qu'un, et tandis que des cries d'agonie s'échappaient de la maison, tandis que des hommes en feu sautaient par les fenêtres pour se rouler désespérément sur le sol, Novembre observait apaisé, vidé de l'envie de bouger.

Des heures et des heures passèrent, l'incendie s'étendit aux arbres autours de la maison, personne ne vint pour l'éteindre, mais jamais Novembre ne bougea. Peut-être que son corps fut consumé par les flammes, ou peut-être son esprit s'envola pour rejoindre les martyr aux pays des dieux, mais jamais plus ses yeux ne virent le rouge maudit du sang, jamais plus son corps ne fut abusé, au crépuscule, son histoire était terminée.

***********************************

Ma première publication non fanfiction, écrit en 2007.

N'hésitez pas à donner votre avis !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top