La brise entre en tourbillonnant dans la pièce, faisant trembler les tissus et s'envoler les feuilles.
Les arbres au dehors sont agités par ce coup de fouet venteux qui semble presque vouloir leur voler leurs feuillages.

Seule la silhouette attablée à son bureau ne cille pas.
Le calme, l'apaisement reste visible dans les mouvements lents et précis de sa main et les douces courbes de son écriture.

Belle journée de printemps où le soleil éclaire, sans retenu, le monde.

Le ciel vaste est limpide. Pas une seule ombre blanche ne vient le masquer.

Au dehors, le silence est sans cesse brisé par les bruits de la vie mais dans son esprit, il est roi. Son oreille est sourde au monde autour.

Le tracé des mots sur le papier se fait sans un bruit, la méditation les enveloppant.

Même le vent lunatique ne peut déranger cette paix.

Le pinceau ne se suspend que lorsqu'un bruit d'une autre nature se fait connaître.

Le froissement des vêtements et le souffle d'une respiration derrière la paroi de papier sont ce qu'il faut pour que l'instrument retourne se reposer sur son encrier.

-《 Que veux tu, Taehyung ?》

Le jeune homme agenouillé incline la tête. Son ombre visible à travers la fine paroi se courbe avec respect avant qu'il ne parle.

-《 Le Maître vous demande.》

Un oiseau chantonne et se pose sur l'arbre en face de la fenêtre. Le calligraphe le regarde tourner vivement son bec dans trois directions différentes avant de s'envoler de nouveau.

-《 Que veut il ?
- Il n'a pas précisé.》

Comme toujours.
Il réclame sa présence mais ne se justifie pas.

-《 Dis lui que j'arrive.》

Le disciple acquiesce avant de se mettre debout et de s'en retourner d'où il vient.

L'homme, resté seul, pose les yeux sur son œuvre interrompue.

Les mots sèchent déjà, s'imprimant définitivement.
Il n'aura pas fini ce projet avant un long moment, plusieurs saisons devront encore passer avant qu'il n'en trace le dernier caractère.
Il se doit d'être patient.

L'encrier est fermé et le pinceau est rangé dans son étui.

Les bas de ses vêtements, amassés en tas autour de lui quand il est assis, viennent cacher tels des rideaux, ses jambes lorsqu'elles se déploient pour le relever.

Il se dirige vers sa commode en bois brun et tire à lui un des tiroirs. Il en sort un petit miroir rond, décoré de grues et de chrysanthèmes peints.

Il le lève devant lui pour voir ses traits s'y refléter.

Ses cheveux noirs, coupés court au dessus de sa nuque, tombent devant ses yeux et les cachent au grès de leurs mouvements.

Son teint s'est éclairci à cause de ces nombreuses journées à rester enfermer, empêchant les rayons du soleil de l'atteindre.

Ses joues portent encore les souvenirs de leurs rondeurs enfantines d'il y a quelques printemps.

Ses lèvres charnues et tendrement roses luisent à la lumière. Les reflets les illuminent et les mettent en valeur à chaque inclinaison de sa tête.

Ses yeux minces sont noirs et obscurs ayant perdu leur éclat innocent, il y a des années.
Éclat remplacé depuis peu par une ligne sombre et esthétique sur ses paupières.

Il a le visage innocent, enfantin.
Bien qu'il n'ait jamais eu le temps d'être un enfant quand il en avait l'âge.

Ironique, mais on ne change pas un visage même si il ne correspond pas à ce que l'on a vécu.

Il range le miroir et referme le tiroir. Brièvement, il rajuste sa tenue défaite, remontant les pans sur ses épaules et lissant ses manches.
Son regard se tourne une dernière fois vers sa fenêtre, l'oreille tendue et demandeuse.

Le monde grouille, siffle, appelle, et il l'entend. Il recommence à l'écouter.

Il sort de sa chambre, refermant la mince porte derrière lui.

Ses pas souples et sans bruits traversent les couloirs. Il glisse sur les lattes de bois comme si il marchait sur de l'air. Sans craquements, sifflements, crissements. Rien.
Une démarche légère et gracieusement féline qu'il a étoffé jusqu'à ce qu'elle devienne une part entière de lui.

Personne ne l'entend jamais arriver.

À part Lui.
Le Maître de Taehyung.

Il fait coulisser une nouvelle porte pour le trouver là, dans le salon de thé, assis dos à lui, complètement absorbé par le spectacle des jardins.

Le mur extérieur de cette pièce a été retiré sur sa demande.
Tout un mur de la maison abattu, pour créer cet espace hybride où la vie d'intérieur se mêle à la nature.

En cette période printanière, on peut comprendre ce choix.

Le jardin est transformé en un joyau étincelant et éblouissant.

Pourtant, seules deux plantes y poussent: les arbres flamboyants sont des arbres bouteilles à fleur rouges.

Et les parterres de fleurs sont formés de camélias pourpres.

La terre est entièrement couverte de pétales carmins qui se détachent et s'échouent sur elle.

C'est un tableau en feu qui brûle toute une saison avant de s'éteindre.

-《 Pourquoi veux tu me voir ?》

L'homme de dos tourne enfin la tête. Ses yeux veloutés ne portent aucune trace de surprise.

Il tend la main vers le nouveau venu, lui faisant signe d'approcher.
Quand ils sont assez proches pour se toucher, le plus jeune glisse sa main dans celle qui lui est présentée et vient s'assoir sur le coussin à côté de son aimé.

Leurs doigts restent enlacés tandis qu'il admire ce paysage. Il n'a pas eu la chance de le voir plus tôt tant il a été absorbé par ses travaux.

-《 Jimin... 》

Le jeune homme détourne son attention des arbres.

-《 Comment te sens tu ?》

La réponse est une inspiration profonde et un doux soupir. Devant cette réaction, l'homme sourit et porte leurs mains liées à sa bouche pour les embrasser.

-《 Tant mieux alors.》 Il murmure.

Il reste immobile plusieurs secondes, figé dans cette position, profitant de cette sensation avant de décoller ses lèvres de leurs peaux jointes.

-《 Qu'y a-t-il ? L'autre demande, tu m'as bien fait venir pour une raison.
- J'ai deux nouvelles dont je dois te faire part.》

Il dégage sa main pour s'emparer d'un étui laqué qu'il dépose devant le plus jeune.

-《 Voici la première. 》

Jimin prend la boîte pour l'examiner. Elle est en ébène, finement ouvragée, lisse et fraîche au touché, c'est un objet délicat et travaillé.

-《 Qu'est ce qu'elle contient ?》

Un léger rire quitte les lèvres de l'offreur.

-《 C'est un présent. Pour toi.》

Le jeune homme ne montre rien de ces sentiments mais son cœur trébuche un instant dans sa poitrine.

Il repose l'étui et laisse ses doigts le redessiner. En lui-même, cet objet est déjà une œuvre d'art.

Tranquillement, il soulève le couvercle.

À l'intérieur repose une broche.
Toute dorée, elle a la forme d'un papillon en plein vol aux ailes gravées, ornées de fins rubis.

Un cadeau fin et clinquant, un peu trop voyant mais qui a été pensé.

Jimin la soulève dans sa main et l'examine.

-《 Qu'en penses tu ?》

Il sourit doucement face à la question avant de se décider.

-《 C'est riche et extravagant mais je l'aime quand même.》

Un sourire sincère étire sa bouche mais les coins de ses lèvres restent marqués par une pointe de mélancolie.
Une tristesse issue des souvenirs de leurs vies passées, des épreuves qu'ils ont rencontrés et qui marquent à jamais un homme.
Une tristesse qui souille toujours chaque brin de joie qu'il ressent.

C'est pourquoi, plutôt que de voir cette expression de triste gaieté, l'homme préfère se pencher vers l'avant et capturer ses lèvres dans un baiser.

Le plus jeune y répond avec tendresse et laisse sa main caresser du bout des doigts cette mâchoire soulignée qu'il aime tant.

Près d'eux, les fleurs et les branchages sont agités par un nouveau mouvement du vent.

C'est un pétale venu se poser sur la pommette de Jimin qui les fait se détacher lentement l'un de l'autre.
Le plus âgé le lui retire et le laisse s'envoler de nouveau, l'observant rejoindre ses semblables éparpillés.

Lorsqu'il repose les yeux sur le jeune homme, ce dernier est entrain d'épingler la broche à ses vêtement. Elle accroche aussitôt la lumière et scintille. Elle attire, captive, enchante les regards tout comme le garçon qui la porte.

-《 Merci. 》

Ses cils battent une fois, avant que leurs mains ne se rejoignent encore et s'entrelacent.

Le soleil fait paraître orange la cime des arbres et rose, le cœur des fleurs.

Yoongi se laisse envahir par la quiétude, laisse les secondes filer avant de parler.

-《 La guerre a repris.》

Des mots au goût amer et révulsant qui résonnent comme un verre qu'on brise.
Pourtant, ils restent tous deux calmes comme une mer sans vagues, sans troubles.
L'un écoute et l'autre dit.

-《 Le Roi a reconstitué son armée ces derniers mois. La guerre est la suite logique.》

Les prunelles noires restent rêveuses, détachées.

La guerre est la manière d'avancer de l'homme. Il détruit pour reconstruire avant de détruire de nouveau.
Il n'y a rien de nouveau, rien à changer.

Guerre matériel, guerre statique, guerre morale, guerre d'influence, guerre de volonté, guerre mirage, guerre d'esprit...

Il n'a rien pu y faire, il ne peut rien y faire et il ne pourra jamais rien y faire.

Enfoui dans ce tumulte, il n'a pu qu'utiliser une lame, sa lame, au service des idéaux de sa dévotion.
Une épée guidée par son âme et son cœur pour faucher la vie.
Jusqu'à briser.

Jimin soupire et laisse ses yeux voir le monde pour ne pas être emporté par ses démons.

-《 Le Roi veut que l'on forme un de ses soldats.》

Le former aux armes, à la guerre, au sang, à la douleur, à la mort et au meurtre.

Parfois, les gens n'écoutent pas ce qu'ils demandent.

Sinon, ils ne demanderaient pas.

-《 La campagne commence dans dix jours. Le soldat arrive ce soir et part dans sept jours. Taehyung lui enseignera.
- Il peut ? 》

Yoongi hoche la tête, confiant.
Sa figure est pourtant un masque qui camoufle ses pensées.

-《 Cela fait presque cinq ans que je lui enseigne. Il peut lui apprendre l'essentiel en sept jours.》

Un simple bruit de gorge émane du plus jeune comme signe d'acquiescement.

La conversation meurt ainsi et il ne cherche pas à la raviver. Cette discussion le fatigue.

Il préfère poser sa tête sur son épaule robuste pour profiter de cette proximité.

Le temps s'écoule autour d'eux mais ils ne bougent pas, restant près de l'autre et appréciant, savourant.

Il y a quelques temps, ils n'auraient jamais pu envisager une telle idée mais maintenant...

Ils sont seuls et ensembles, il n'y a plus qu'eux et aucun devoir pour les séparer.

Juste cet amour enflammé qui chauffe entre leurs peaux, brille dans leurs regards posés sur l'autre et s'évapore dans leurs soupirs de bien être.

Un lien éperdu, à la fois passionnel et réservé, qui a commencé dans leur prime jeunesse.

Tel un camélia au premier rayon de soleil, il a commencé à pousser dès le premier regard, dès les premières paroles, dès les premiers contacts éphémères et il a éclos comme la plus belle des fleurs.
Sans jamais faner.

Ni la guerre, ni la douleur, ni le temps n'en est venu à bout.

Le soir arrive. Les couleurs passent de rouge vif au orange crépuscule puis au mauve nuit.

Leur paix ne se dissipe que lorsque Taehyung apparaît derrière eux.

-《 Maître, l'invité est à la porte.》

Yoongi rouvre ses paupières fermées et laisse l'air frais balayer sa peau.

-《 Jimin.》

Le jeune homme comprend son appel. Leurs corps s'éloignent pour qu'ils puissent se lever.

Les éclats de la broche ne sont plus dorés mais faiblement argentés, la lumière de la lune ayant remplacé celle de son époux.

Il sent ses doigts parcourir sa joue et va à leur rencontre, plaquant un léger baiser sur leur bout.
La caresse passe sur la courbe de son épaule avant de descendre la cascade de sa manche et de s'emparer de sa main, le tirant à sa suite.

Jimin se laisse emmener en silence, suivant son âme sœur comme on suit un chemin dans la forêt, en toute confiance et sérénité.

🌷*🌷*🌷

Le tout jeune homme s'incline à quatre vingt dix degrés avant de se redresser le dos droit, les jambes écartées en une pose martial, le regard déterminé et sérieux.

-《 Je suis Jeon Jungkook, soldat du premier régiment de combattants placé sous le contrôle direct du général Kim Namjoon.》

Son ton ferme et énergique ne fait pas honneur au respect qu'il éprouve pour ses interlocuteurs.

Il ressent une immense fierté d'avoir été choisi pour suivre un entraînement, même court, dans la maison du Seigneur Min.

Min Yoongi.

Ex premier général de l'armée.

Un stratège de génie qui a mené et gagné un nombre invraisemblable de batailles pour un homme aussi jeune.

Une carrière militaire commencée à seize ans et déjà une lame invincible, jamais égalée jusqu'à présent.

Le libérateur qui, dans les temps troublés, a repoussé les envahisseurs hors des frontières de leur patrie et a permis la naissance d'une nouvelle ère pour la politique du pays.

Un personnage des plus influents, très respecté dans tout les cercles sociales du pays.

Un véritable mythe.

Une légende.

Même si il s'est retiré des affaires militaires, il reste une véritable référence et apporte encore son aide à l'État si besoin.

N'importe quel jeune soldat s'engageant dans l'armée rêve de suivre ses traces.

Et lui, il a réussi à l'approcher.

Son respect est presque étouffant quand il observe cet homme devant lui.

Il semble si simple quand on ne prend que son apparence en compte.

Petit, le teint blanc, des vêtements sans ornements ostentatoires, des cheveux noirs comme tout habitant de la péninsule, rien de bien exceptionnel à part un charme certain dans l'harmonie de ses traits.

Cela n'empêche qu'il se sent si petit, vulnérable, complètement écrasé par la présence de cet homme.

Son charisme et sa prestance sont aussi forts, prenants que l'autorité naturelle qu'il inspire.

Le cours d'eau face à la mer.

Cette différence, il la ressent dans chacune de ces fibres en cet instant.

Ce regard affiné qui l'étudie, le jauge, évalue sa valeur.

Le jeune soldat reste planté bien droit sur ses deux jambes, refusant de faiblir, de céder face à la pression.

Discrètement, son regard dévie sur l'autre personne qui est venue l'accueillir.

La silhouette est debout dans l'encadrement de l'entrée, son côté appuyé contre une poutre en bois.

Un regard rêveur, un aspect nonchalant comme si il était dans les nuages trop souvent, une grâce sensible dans le port de son corps, dans le léger balancement de ses bras. Un visage angélique, des yeux énigmatiques et une bouche sensuelle.

Un doux rêve... pourtant si mortel.

Park Jimin.

L'itinérant.

Le désiré.

Le dévoué.

Lui aussi est très connu, mais alors que le Seigneur Min est un homme officiel et reconnu, Park Jimin est plus laissé dans l'ombre.

Plus légendaire que la légende.

On dit qu'il a tué sa première victime étant un bambin, que son épée peut créer le vent, qu'il était un esprit divin ayant pris forme humaine et dont la beauté et l'art du sabre ne venaient pas de ce monde.

Et qu'il était un guerrier par contrat avant d'affronter le premier général de l'époque.

Qu'il lui a voué sa loyauté, sa vie, son épée et même son cœur.

Qu'il a été sur tous ses fronts, dans toutes ses stratégies, son combattant le plus aguerri, le plus dévoué et son amant le plus fidèle.

L'As et la Reine du Roi.

Certains doutent même de son existence malgré les témoignages des soldats qui ont connu l'ex général et son compagnon.

Jungkook sort de sa rêverie dès qu'il sent qu'on l'approche.

Yoongi vient se poster juste devant lui, laissant environ deux pas entre eux. Il a une expression assez détendue, étrangement.

-《 Jeune, ambitieux, entraîné... Pourquoi as tu décidé d'entrer dans l'armée ?》

Jungkook masque son étonnement du mieux qu'il peut. Il ne pensait pas être interrogé oralement sur ses motivations.

Les soldats disent toujours que l'épée parle mieux que les mots.

-《 Je voulais servir mon pays, lui être utile.》

L'homme lève un sourcil sceptique. Cette phrase est trop classique pour être la vérité. Le soldat l'a bien compris et continue.

-《 Et puis, je suis fasciné par l'art du maniement des armes, du sabre plus particulièrement. J'ai voulu l'apprendre pour l'exercer à mon tour.》

L'ancien militaire laisse les coins de sa bouche se relever doucement.

Il a eu sa réponse. Était ce celle qu'il aurait voulu ?

-《 Durant ton séjour parmi nous, tu seras entraîné par mon disciple, Taehyung.》

Jungkook lance un coup d'œil vers le garçon qui penche simplement la tête à son attention.

Le soldat répond de la même manière.

-《 Durant vos entraînements, j'observerais et interviendrais si je juge qu'il y a besoin, moi... ou Sir Park.》

Il désigne l'ombre toujours à demi cachée dans la maison.

Lorsque Jimin laisse leurs regards se croiser, la pulsation cardiaque du jeune Jeon se met à accélérer.

Plus il soutient ces yeux captivants, plus le trou en dessous de ses pieds s'élargit, jusqu'à devenir béant.

Il reporte difficilement son attention sur son hôte qui s'est détourné en direction de son logis.

Il se tourne une dernière fois vers le soldat avant de s'enfoncer dans les couloirs en papier de sa demeure.

-《 Soyez le bienvenu, Jeon Jungkook.》

Jungkook ne peut que s'incliner profondément et accepter l'invitation.

🍁*🍁*🍁

Jungkook se lève avec le soleil.
Il est tôt, le ciel est un dégradé de couleurs chaudes, le temps est frais et humide de rosé.

Il s'habille et empoigne son sabre d'une main ferme.
Cette journée promet d'être longue et éprouvante mais il se sent prêt.

Il quitte sa chambre sans bruit. Il désire un peu de temps pour lui avant le début des leçons.

Espérant trouver la solitude qu'il cherche, il sort du bâtiment pour s'enfoncer dans les jardins.

Les arbres carmins l'accueillent entre leurs troncs et les fleurs lui souhaitent la bienvenue avec leurs parfums.

Son sabre à la main, il cherche un emplacement assez espacé pour qu'il puisse s'adonner à son échauffement quotidien.

Finalement les branches commencent à s'incliner et il est pratiquement exaucé quand il arrive près d'une une trouée entre les arbres.

Pratiquement.

Si une personne n'avait déjà pris la place.

Le soldat reste immobile et soudainement très respectueux face au phénomène chimérique.

Il ne distingue qu'un éclat métallique filant vers le sol en silence, frôlant la terre et emportant les fleurs dans son sillage.

Il voit la lame tracer dans l'air un demi cercle, les pétales flottant à sa suite, portés par le coup de vent silencieux qu'elle creé.

C'est comme une danse où le sabre commande à l'air et à la nature.

Tout en silence, les fleurs sont balayées, s'envolent et planent avant de retomber et d'être capturées une nouvelle fois par la lame.

Au centre de ce tourbillon se trouve un seul individu, immobile comme une statue.

Maniant son arme d'une seule main.

Park Jimin.

Les pétales retombent tous au sol, le calme prenant place.

Le soleil commence à percer la cime et les fleurs deviennent plus rouges au fur et à mesure que les minutes passent.

-《 Que veux tu ?》

Jungkook témoigne de son respect en s'inclinant bas face à un homme bien plus élevé que lui.

-《 Veuilez me pardonner. Je cherchais juste un endroit où m'entraîner. Je ne cherchais pas à être indiscret.》

Il garde la tête baissée, n'osant la relever de peur que son trouble soit démasqué.

Il n'a jamais assisté à un tel déploiement de force et de merveilleux.
Une telle maîtrise... combien d'années cela a-t-il pu demander ?

Jimin range son sabre dans son étui avant de venir vers lui, avançant comme une ombre.

-《 Si tu veux t'entraîner tu peux aller dans les espaces découverts autour de la maison, tu n'as pas besoin de venir jusqu'ici.
- Vous avez tout à fait raison mais je voulais me retrouver seul avec moi même.》

L'homme passe près de lui, le touchant presque et il frissonne rien que de le savoir si proche.

-《 La solitude est une conception de l'esprit. Tu n'as pas besoin d'être physiquement isolé pour cela.》

Le ton n'est pas sévère, ni hautain. Cela ressemble plus à un conseil malgré le manque de sentiments dans les mots.

Sa voix est douce, claire et dénuée de toute hostilité.

Jungkook l'écoute attentivement.

Elle sonne comme une chanson qui vous empoigne le cœur et vous fait tomber à genoux.
Si pure et intense.

Puis il s'en va, sans un regard. Comme si il n'avait jamais été là.

Peut être est ce juste un mirage.
Peut être rêve-t-il encore.

Pourtant, ce à quoi il vient d'assister s'est marqué au fer dans la mémoire du soldat.

🌷*🌷*🌷

Cinq jours passent et il ne quitte pas sa chambre.

Il trace du matin au soir des caractères sans se lasser, toujours avec cette plénitude intérieure profonde.

Cette absence de sons dans son esprit.

Il sait que comme tous les jours Taehyung va entraîner le jeune homme envoyé par le roi, que Yoongi va vaquer à ses affaires, que le monde va continuer de tourner.

Alors il se plonge dans ses travaux et laisse parler l'encre.

Cinq jours sans soleil, sans couleurs resplendissantes qui éblouissent, sans le frais touché de l'air sur sa peau.

Cinq jours reclus, loin de la liberté au nom du travail de l'esprit, de la concentration de l'intellectuel.

Il n'y a que le bruit de son approche pour que le jeune homme ne délaisse son pinceau et cet art.

Il entre dans sa chambre sans se présenter ou demander. Il est le seul à pouvoir y venir.

-《 Tu es donc resté ici tout ce temps.》

Le plus âgé lui offre un regard doux qu'il lui rend sans y penser.

-《 Ton teint est devenu si clair, je pourrais penser que tu es malade.
- Tu es juste trop habitué à me voir me brûler la peau sous le soleil.》

Yoongi rit tout en s'asseyant sur le sol au milieu de la pièce, croisant les jambes et reposant ses coudes sur ses genoux.

Peu importe ce qu'il fait, il a toujours la posture d'un homme d'autorité, d'un dirigeant.

C'est dans son sang, ancré dans sa chair et il ne pourra jamais le changer.

Fuir la cour, le front, sa maison à la capitale ne sert à rien.

Le caractère de chef est un trait de lui autant que le visage de Jimin est un aspect du garçon.

-《 Peut être bien.》

Yoongi laisse ses pensées vagabonder avec ses yeux.

Il a quelque chose à lui annoncer. Jimin le sent.

-《 Qu'il y a-t-il ? Qu'hésites tu à me dire ?》 Il demande, le ton conciliant.

Le plus vieux pose son regard sur lui.
Son expression reste détachée mais ses lèvres prononcent avec des intonations apaisées.

-《 Le jeune Jeon avance bien, Taehyung lui enseigne avec justesse.》

Le jeune étalon du général Kim est effectivement un bon élève. Travailleur, assidu, passionné, il suit cet apprentissage avec intérêt.

-《 Cela est une bonne chose, donc.》Jimin répond.

Il ne comprend pas la soudaine pesanteur, gravité qu'il entrevoit entre eux.

Il sait que Yoongi va lui dire quelque chose qu'il ne va pas aimer.

Il l'a deviné.

Cette tension prouve que le plus vieux sait qu'il ne va pas aimer ses prochains mots.

Mais c'est assez rare pour que le jeune homme n'arrive pas à prévoir ce qu'il veut lui annoncer.

-《 Jeon Jungkook repart demain pour rejoindre les troupes. Comme il ne va pas pouvoir profiter de la vie pendant un temps, j'ai décidé qu'un banquet sera préparé à son attention, pour lui souhaiter bonne chance.》

Les traits de Jimin se durcissent et se creusent. Son expression s'assombrit après quelques syllabes.
Et son cœur reçoit un coup violent et bas.

-《 Un banquet ? Et tu me l'annonces que maintenant ? Comme par hasard...》

Son ton devient aigre. L'amertume s'installe dans sa bouche et ses mots cherchent à piquer.

Yoongi soupire. Il sait où le sujet va mener et il ne pourra pas l'éviter.

-《 Offrir un repas et une soirée à un hôte, surtout un militaire qui part au combat, est chose commune, traditionnelle même. Je me dois de le faire.》

L'homme plante ses yeux dans les siens, essayant de le raisonner.

-《Je savais que tu allais réagir comme cela, c'est pourquoi je n'ai rien dit jusqu'à maintenant.

- Parce que cela devient de ma faute ? On sait très bien pourquoi tu as organisé cet événement...

- Oui, pour notre jeune hôte qui va risquer sa vie.

- Tu mens !》

L'accusation claque violemment et un silence lourd de reproches s'en suit.

Jimin se lève, le regard triste et embrumé.

Il pointe son doigt vers l'homme de sa vie et parle d'une voix basse, étouffée, comme si il ne voulait que personne n'entende.

-《 Tu le fais pour toi... pour ces femmes... 》

Yoongi en a assez.

Il ne veut pas revenir sur cet affrontement stérile.

C'est un dialogue de sourds qu'ils ont depuis trop longtemps déjà.

Il en est fatigué.

Il se relève et lui tourne le dos, se dirigeant vers la sortie de la chambre.

-《 Je ne vais pas reprendre cette histoire et me battre avec toi. Penses ce que tu veux. Le repas a lieu ce soir, tu y es convié. Fais comme tu veux.》

La porte coulissante se referme après lui.

Jimin reste seul.

Il ne veut pas que cela recommence. Il ne veut pas.

Cela lui fait déjà si mal alors qu'il n'est même pas encore le soir.

Pourquoi cet amour lui procure-t-il autant de douleur parfois ?

N'a-t-il pas déjà assez souffert ?

Alors pourquoi son cœur crie-t-il ?

Pourquoi les camélias rouges sont ils aussi dangereux parfois ?

🍁*🍁*🍁

À suivre...