Camélia
L'après midi s'écoule et lui déambule.
Il avance, peiné.
Sa main a tremblé près du papier. L'encre a failli se répendre. Le pinceau a manqué de déraper.
Il s'est perdu.
Et son esprit se perd encore tandis qu'il marche.
Les bruits sont amplifiés. Ils envahissent sa tête, étouffent ses pensées, l'affaiblissent dès l'âme.
La paix s'est évaporée et la noirceur s'est engouffrée dans la brèche. Dans la blessure.
Il n'y a plus le vide apaisé, juste le néant qui se faufile.
Dès qu'il entre dans cette pièce, le vent tombe.
Les corolles dodelinent puis s'immobilisent sur leurs tiges et leurs branches.
Le soleil fait ressortir les couleurs qui envahissent sa vision.
Rouge si rouge.
Fort, intense, conquérant.
Il porte la main à ses yeux. Pourquoi d'ailleurs ? Pour protéger quoi ?
Sa vue, son cœur ?
Quel triste réflexe.
On dit que les yeux sont la porte de l'âme et lui il espère que ces portes se referment.
Que son âme devienne inatteignable.
Si la cécité les lui voler, serait il soulagé ? Serait-il libéré ?
Voir est parfois si difficile à vivre.
Voir peut détruire un homme.
C'est un cadeau ambiguë qui offre la connaissance et détruit l'innocence.
Il aurait voulu ne jamais voir.
Un ombre passe dans le ciel, un nuage solitaire qui masque les rayons.
Un faux répit.
Le rouge s'assombrit, les fleurs couvertes d'ombre s'agitent et le bruit du vent levé est étouffé par le tintement des fers qui se croisent.
Jimin abaisse sa main.
Les cris féroces, les bottes qui frottent le sable, les lames qui s'affrontent.
Des bruits familiers, presque réconfortants.
Il entend et écoute. Il se concentre et oublie ses divagations.
Le monde redevient ce qu'il est.
Le jeune homme suit la mélodie de l'entraînement, il se laisse attirer par elle. Il suit comme on suit la voix d'une sœur qui nous appelle.
Puis il s'asseoit, les paupières fermées et il écoute chanter.
Chanter le fer. Chanter la terre. Chanter les âmes.
Ces sons qu'il a entendu toute sa vie, qui sont devenus sa raison de vivre.
Il ne regarde pas. Il se laisse bercer par la lutte entre le soldat et le disciple.
🍁*🍁*🍁
La nuit couvre le monde et la maison brille dans l'air épais et noir.
Les invités ont défilé devant le portail les uns après les autres, tous engoncés dans des tenues d'apparat pour l'occasion.
Il ne manque qu'une personne.
Lui.
Et il aimerait que la fête démarre sans sa présence.
Il aimerait être oublié.
Mais la lâcheté est quelque chose qu'on ne lui a jamais tolérée. Alors il ne la tolère pas, à son tour.
Il se tient droit et nu face à lui même.
Le psyché lui renvoie l'image de son corps.
Un corps beau et laid.
Un corps sculpté par la nature, le combat et la survie. Et par les cicatrices.
Elles ornent sa peau comme des décorations. Elles sont ses trophées et sa misère à la fois.
Sans se focaliser sur ce que ce corps lui rappelle, il échange les robes glissées au sol par des nouvelles.
Plus lourdes, plus fastes, plus colorées.
Des paysages sont cousus. Des collines, des cascades sont représentées tout en dégradé de couleurs chaudes.
Du Blanc pur au Rouge attirant.
Que ces couleurs sont biens sur lui. Elles complimentent son teint, font ressortir ses cheveux, s'accordent à sa bouche et à la broche qu'il porte encore.
Elles mettent en valeur l'œuvre naturelle qu'il est.
La seule tâche reste et restera ses yeux.
Ses yeux froids dans lesquels nagent les démons.
Démons qui vont quitter ses orbites, cette nuit. Ils vont sortir danser sur sa peau et planter leurs fourches dans sa poitrine. Ils vont le faire saigner sans lui ouvrir les veines.
Lui rappeler qu'il est plus proche du monstre que de l'homme.
Ils vont le torturer.
Ses paupières se font habiller de noir avant qu'il quitte la sécurité de l'aveugle et du sourd.
Et marche, silencieux comme toujours.
Il n'y a d'abord que le silence puis des sons étouffés qui deviennent de plus en plus audibles. Plus il approche, plus les voix, la musique et les lumières lui parviennent.
Plus il approche, plus il se fait happer par le monde matériel.
Et la réalité revient, il entre.
Les invités sont assis dans la pièce, répartis en deux rangées face à face tout en laissant assez de place entre pour les représentations à venir.
Chacun est devant son plateau où repose son alcool.
Pour le moment, ils conversent encore soi disant sagement. Ils gardent des airs respectables.
Et Il est là.
Au bout des deux rangées, présidant et accomplissant son devoir d'hôte de la soirée, buvant et discutant avec le jeune Jeon assis à sa gauche.
Jimin détache ses yeux de sa forme pour aller s'assoir.
Ne pas voir.
Ses voisins s'agitent devant sa présence. Il les remarque à peine.
Il voudrait s'isoler mais tout est trop bruyant. Il n'arrive pas à contrôler ses émotions, à éloigner sa tête du moment présent.
Il ne pourra pas fuir.
Et les femmes entrent.
Belles habillées et maquillées qui se glissent dans la fête.
Les gisaeng. Les courtisanes.
Le temps ralentit et accélère tout en même temps.
Les hommes finissent ivres. Elles dansent, elles rient, elles boivent avec eux.
Et elles L'entourent.
L'alcool tourne au vinaigre sur sa langue quand il voit ces femmes se poser près de Lui.
Elles y restent tout le temps.
Parfois certaines s'en vont et d'autres prennent leurs places.
Mais Il est toujours près de trois ou quatre d'entre elles.
Elles lui parlent joyeusement, babillant comme des enfants. Leurs rires résonnent à ses oreilles.
Elles Le touchent aussi.
Leurs mains glissent sur ses épaules dans des gestes intimes.
Elles L'embrassent parfois.
Il accepte tout.
Jimin repose son verre. Le vin le rend plus vulnérable encore face à ce spectacle.
Son regard est vissé sur Lui.
Il Le voit sourire, accepter avec patience toute les histoires futiles qu'elles racontent. Il Le voit prendre leurs caresses et baisers, sans rechigner.
Il Le voit. Cela le tue.
Jimin ne peut Lui offrir la même chose qu'elles.
Elles sont si innocentes.
Dans leurs dires, dans leurs manières, dans leurs façon de voir le monde. Même entreprenantes, elles restent si pures.
Leurs yeux sont clairs, insouciants. Leurs esprits sont libres des vraies tortures.
Même la souffrance de leurs vies est innocente.
Elles ont encore l'espoir.
Elles sont ce que Jimin n'a jamais été et ne sera jamais.
Ignorantes.
Et c'est ce qui L'attire.
Ce qu'Il recherche de plus en plus souvent.
Ce que son amant ne lui donnera jamais et ce qui blesse ce dernier.
Alors il boit durant cette fête sans fin, il voit sans pouvoir fuir et il encaisse la blessure.
Mais comme à chaque fois, plus le temps passe, plus il agonise. Il a déjà dépassé ses limites et pourtant il regarde toujours.
Jusqu'à ne plus pouvoir.
Les sons se font de plus en plus irritants.
Trop fort. Tout est trop fort.
Il est fatigué. La noirceur revient et il n'arrive plus à la combattre. Tout est si répugnant, soudainement.
Ses pieds finissent par l'emmener. Il quitte la salle, inconsciemment.
Les invités sont tous trop imbibés pour se préoccuper de quoique ce soit.
Il sort, laissant l'obscurité l'accueillir, les bras grands ouverts.
Toute trace de rouge est maintenant violet foncé. Il sillonne entre les arbres vêtus de cette couleur de nuit.
Une fois que les lumières et les bruits artificiels sont hors de portée, il s'arrête.
La nuit l'enveloppe de son atmosphère fraîche. Il se laisse glisser contre un tronc, sa tenue s'étalant sur le tapis de pétales au sol.
Même éloigné, le noir le retrouve. Il reprend sa place dans ses pensées, reprend son envahissement.
Il fait chaud. C'est étouffant. Son cœur bat à un rythme régulier pourtant.
Jimin laisse sa tête reposer contre le bois.
Il n'y a pas un seul courant d'air. Rien.
Tout est silencieux.
Les ombres ondulent et s'étendent. Elles viennent vers lui en rampant. Il voit leurs filaments l'approcher lentement, doucement. Délicatement.
Ses oreilles bourdonnent. Un son parasite les envahit. Il est faible mais présent.
Puis il augmente. Il devient si vicieux que Jimin a envie de se boucher les oreilles.
Les ombres lèchent ses pieds et les images de Yoongi passent en boucle dans son esprit.
Son amour est entrain de le déchirer.
Le mauve autour de lui le rend fou.
Puis tout s'arrête.
Les ombres sont percées par un éclat. Le bourdonnement est dépassé par le bruit des feuilles qui s'agitent.
Jimin redresse la tête.
Un point lumineux approche. Il vient en direction de la maison.
La lampe avance et, petit à petit, on peut voir le bras qui la tient se dessiner, puis le torse, la silhouette et enfin le visage quand la personne vient s' agenouiller juste en face.
-《 Vous allez bien ?》
Les yeux obscures rencontrent les yeux concernés.
Silence.
La lampe est posée avant que le jeune homme ne s'agite encore.
-《 Il fait froid ce soir donc je vous ai apporté une couverture.》
Il tend le bras dans sa direction, espérant qu'il accepte la protection.
Jimin se contente de le fixer.
L'autre est gêné, pensant avoir fait une erreur. Peut être aurait-il mieux fait de rester à la fête finalement...
Un soupir attire son attention. Il lève les yeux et regarde avec émerveillement le guerrier entourer ses épaules avec le drap.
-《 Merci.》
Jungkook en perd sa voix. Jimin lui offre l'esquisse d'un sourire. Le premier. Cela le foudroie.
L'expression est ... triste. Lourde de peine.
Il semble marqué et, pour la première fois, il lui paraît humain.
Accessible.
Il ne ressemble plus à un être divin intouchable et inatteignable. Il ressemble à un homme. Un homme vulnérable et affecté.
Et il le trouve encore plus beau ainsi.
Son respect grandit, montagne immense qui s'élève dans sa poitrine.
Masquant dans l'ombre son désir.
-《 Ne devrais tu pas être à la fête ? Elle a été préparée en ton honneur.
- Oui.» Il souffle.
Si les mots arrêter de se cacher à sa raison, peut être pourrait-il s'exprimer avec plus d'éloquence.
Sauf qu'ils fuient tous, se planquant comme des enfants joueurs.
Au ralenti, la main délicate et crainte du plus âgé s'abaisse et se dépose à sa droite. Il tapote trois coups sur la terre.
-《 Assieds toi.》
Le jeune homme s'exécute, venant à son tour reposer son dos contre l'arbre, s'asseyant là où il a été indiqué.
Jimin reprend sa main et resserre les pans de la couverture autour de son buste.
Le sombre a fui pour le moment.
Pourtant ses pensées sont toujours tournées vers Lui. Le vin en soit maudit.
Il n'arrive même plus à contrôler ses mots.
-《 Comment l'as tu trouvé ?》
La question quitte ses lèvres dans un regret immédiat. Il perd vraiment la tête.
Jungkook est d'abord déboussolé puis comprend.
-《 Il semblait...différent.》Il affirme avec un ton doux.
Jimin pose son regard de chat noir sur lui, attendant qu'il arrange ses idées.
- « J'avais l'impression qu' il était plus...expressif. »
Expressif. Ouvert.
Oui.
Plus vivant. Plus commun.
Il n'y a qu'elles qui peuvent le rendre comme cela.
Elles sont son plus grand ennemi. Le seul ennemi contre lequel Jimin perdra toujours.
Celui qui pourrait prendre sa vie.
La légende perd contre ce qu'il y a de plus humain.
Certains pourraient trouver cela humiliant. Mais pas lui.
Il est mortel. Cela, il n'en a jamais douté.
- « Elles ne te plaisent pas à toi ? Ces femmes...»
Il a posé la question d'une manière qui se veut légère.
Et qui sonne terriblement faux.
Pourquoi tout ce qu'il dit ou fait à toujours cette nuance de gravité, cet accent de solennité, cette triste sagesse ?
Ne peut il donc plus vivre lui aussi ?
Ne peut il donc plus être humain ?
Tout est si morne.
Seul le combat et l'épée stimulent encore son cœur mort. La guerre et le sang, la seule vie qu'il connaît depuis que le soleil a rencontré son visage pour la première fois.
Une vie qui l'a amputé de l'essentiel.
Jusqu'à Yoongi.
Peut être devrait-il dormir. L'alcool attaque ses barrières morales comme jamais auparavant.
Jimin s'apprête à fermer les yeux quand une sensation nouvelle se fait ressentir.
- « Elles me plaisent, Jungkook commence, mais elles ne sont pas ce que je... Je recherche.»
Des yeux brillants, à la fois timides et déterminés.
Une soudaine proximité. Une main qui couvre la sienne dans une poigne chaude et ferme.
Une tension intime qui s'insinue avec ce regard fougueux et jeune.
Ce regard si inattendu.
Si interdit et si apaisant pour un cœur de pierre en souffrance.
Être regardé avec des émotions si instables, imprévisibles et humainement désirables.
Le guerrier s'y perd et s'y retrouve à la fois.
C'est de la chaleur pour le froid.
Un affrontement qui consume et engourdit ses lèvres, tout à la fois, quand Jungkook l'embrasse.
Et son cœur répond avec un battement.
Un jeune homme qui désire si fort... Il ne le repousse pas.
Il l'enlace, accepte sa chaleur. Comment pourrait-il refuser un peu de ce sentiment si chaud et si doux ?
Ses robes sont remplacées par des paumes embrasées, son souffle réchauffé par des lèvres quémandeuses.
Que cela soit faible, déloyal, impulsif, peu importe. Il en a besoin. Comme tout être, il a besoin de tendres sensations.
Comme tout mortel.
Jungkook est à la fois émerveillé, apeuré et fervent. Son touché est lent, précautionneux. Il ne peut s'empêcher de parcourir, caresser cette peau marquée qui le fascine tant.
Même ses mains tremblantes, ses doigts hésitants ne font rien contre.
La complétion de l'homme sous lui contraste sur le sol carmin sombre.
Il est si beau.
Il le rend si nerveux. Fébril. Enfiévré.
Quand ses dents s'enfoncent trop profondément dans la peau blanche, il se relève aussitôt, peureux dans sa manière.
C'est un sourire indulgent qui le calme, un sourire si lourd et étincelant, comme un joyau qu'on admire de loin.
- « Ne sois pas aussi nerveux, enfant.»
Jungkook sent sa figure chauffer d'être appelé avec un tel nom.
Enfant.
Maladroit et impatient comme un innocent.
Son souffle empressé est si honteux un instant.
Puis la nuit couve le tableau de deux corps assemblés, comme une offrande par un acte aussi vivant à un Dieu cruel qui les regarderait.
Permettant aux cœurs trop souvent figés de battre au rythme de ceux plus chaleureux.
* * *
- « Je vous suis sincèrement reconnaissant de m'avoir permis d'apprendre de votre expérience. Je vais maintenant retourner auprès de mon général.»
Le soldat s'incline devant son hôte avec tout le respect qui est dû.
Les yeux du maître des lieux glisse sur lui, étudiant sa forme sans animosité.
- « Je te souhaite bonne route et que le destin te protège.» Il répond, presque mécaniquement.
Yoongi regarde son invité se relever, le regard sûr et droit. Encore si sain dans sa manière de voir les choses.
Jungkook enfourche son cheval avant de faire une dernière fois face à la maison dans laquelle il a été hébergé pendant sept jours.
Dans l'encadrement de la porte se tient le général Min, toujours aussi puissant et charismatique à ses yeux, malgré tout ce temps passé près de lui.
Rencontrer cet homme, c'est comprendre ce qu'est l'autorité en tant que nature.
Le jeune soldat ne pourrait être plus fier d'avoir pu l'approcher.
Et puis, juste derrière le général, sur sa droite, se tient l'homme qui a allumé ce feu dans sa poitrine.
Jimin est droit sur ses jambes mais il ne suit pas la conversation. Il a l'air encore perdu dans un monde trop loin pour être atteint par autre que lui.
Pourtant les yeux noirs touchent les siens, un instant, avec un regard et il se retrouve transporté dans ses souvenirs.
- « Je ne peux pas te donner ce que tu attends de moi.»
Les deux hommes sont allongés sur les linges et fleurs. Leurs corps amants se sont séparés et ont maintenant repris leurs distances respectables.
Pourtant le soldat a cette flamme qui ne s'éteint pas, comme une marque dans sa poitrine.
Une flamme pourtant impossible comme le lui prouve la bouche qu'il a tant embrassé.
- « Je ne peux pas te rendre ce que tu me donnes.»
Il le savait. Il n'attendait rien. Il est peut-être fou mais pas au point de croire que les événements signifiaient plus.
- « Alors prends ceci.»
Il tend la paume et recueille un léger bijou sophistiqué. Une broche en forme de papillon.
- « Gardes la aussi longtemps que tu auras besoin et quand tu m'auras effacer de ton cœur, que tes sentiments seront éteints, rapportes la moi. C'est la seule chose que je peux t'offrir de moi.»
Après cela les lèvres se sont tues, le poids dans sa main étant la seule chose lui prouvant qu'elles avaient parler.
Jungkook tire sur ses rênes et finalement tourne le dos pour partir là où on le veut.
Peu importe où il ira, il sait que ses souvenirs et le bijou, rouge comme les camélias près desquels il s'est entraîné durant sept jours, le suivront.
Et ce, jusqu'à l'extinction de cette flamme; ou de sa vie.
* * *
Le temps a continué sa route.
Les fleurs ont cédé une fois au froid, les arbres se sont endormis.
Avant de renaître plus beaux encore au printemps suivant.
Son œuvre a suivi le même cheminement. Tout les jours, il s'est attelé à écrire mieux que la fois d'avant. À surpasser le passé en tout.
Les mots se sont ainsi embellis, les démons sont restés inertes, la paix a régné sur son être.
Son tracé mesuré est venu orner bien des pages durant les temps froids.
La guerre fait toujours rage. Les hommes meurent tout les jours. Les gens crient et désespèrent, la terre boit leur sang comme une assoiffée.
La guerre.
Quelque chose qui ne l'a affecté que durant ses premiers âges.
Une fois ce temps passé, il était trop mort pour pleurer.
Et bien trop jeune pour tuer.
- « Tu t'amuses bien ?»
Un sourire naît sur son visage. Il l'a entendu arriver. Après tout, il ne cherche même pas à se cacher.
- « Ne me déranges pas.
- Tes écrits te chérissent-ils plus que moi pour que tu les préfères ?»
Le calme est dissipé, l'amusement le supplantant. Il pose le pinceau et referme l'encrier.
Yoongi vient contre son dos, regarder par dessus son épaule l'état des travaux si précieux à son aimé.
Déjà tant de pages parcourues par l'encre et pourtant encore tant d'autres à venir.
Ce n'est que le début du travail d'une vie.
Les bras couverts de soie verte viennent enserrer le plus jeune dans une étreinte.
Jimin en soupire de bien-être. Il recule légèrement pour être plus proche encore, sa main venant se poser sur les manches qui l'embrassent.
Le vent frais vient caresser le rouleau blanc cassé et y imprégner les lettres noires.
Elles ne bougent alors plus, comme si elles devenaient des objets solides, tangibles. Plus imperturbables qu'un mur de pierres.
Pourtant plus mouvante qu'eux en cet instant.
Ils vivent l'un de l'autre, durant ce moment comme durant tous les moments où ils se retrouvent.
Sans bouger.
Sans parler.
Sans voir.
Juste respirer. Respirer l'autre.
Le laisser se glisser dans sa chair, dans son sang pour qu'il nous suffoque, nous appartienne.
Pour qu'il soit nous et que nous soyons lui.
Une sensation, un sentiment dénué de la notion de plaisir charnel pour être plus pur, plus brut, plus élevé et en même temps plus basique que ça.
Si fort est le ressenti.
Calé dans dans cette douce entrave, l'écrivain est dans un autre monde. Un monde qu'il ne peut jamais apercevoir seul.
Un monde qui se regarde à deux.
Les parterres de camélias se sont étendus après le froid. Ils colorent maintenant plus de terrain de leur teinte pourpre.
Les arbres sont en pleine floraison, leurs fleurs s'exposant dans leurs plus belles robes, couronnant les troncs comme des parures.
Les jardins sont un incendie perpétuel et vibrant.
Un tableau qui t'emporte dans une beauté qui te brûle les yeux et la poitrine.
Les enflamme et les réduit en cendre.
Le guerrier ne les voit pas mais derrière ses paupières closes, les traces d'écarlate subsistent.
Il expire quand le moment vient à sa fin.
La paix parfaite finit toujours par se dissiper au son des bruits de pas.
La béatitude s'éloigne avec la voix familière du disciple, l'appel de Taehyung.
- « Sir, vous êtes demandé à la porte.
- Qui ?
- Un soldat qui a un message pour vous.»
Un soldat.
Il donne donc des nouvelles de lui. Il a survécu.
La prise autour de ses épaules se desserre et il se relève.
- « Je vais voir quelle est la situation.»
Yoongi le laisse aller, le regard tourné vers la fenêtre, attendant déjà son retour.
Devant la porte patiente un homme portant l'uniforme de la légion des cavaliers.
La même légion que ce soldat venu chez eux, il y a un an.
- « Sir Park ?»
Un bref mouvement de la main pour acquiescer et le soldat se casse en deux devant lui.
- « Je suis Jung Hoseok de la légion des cavaliers du premier régiment placé sous les ordres du général Kim Namjoon. J'ai été envoyé par mon premier lieutenant, lieutenant Jeon, qui m'a expressément demandé de vous porter un message.»
Il parle avec autant de véhémence que Jungkook lorsqu'il est arrivé dans cette maison.
Il a le regard droit, lui aussi, et cette légère lueur d'admiration étouffée.
- « J'écoute.»
Le soldat tend les mains devant lui, le visage tourné vers le sol, par respect mais aussi par pudeur.
Sur ses paumes usées, un petit paquet enrobé de tissu noir repose.
- « Mon lieutenant a demandé à ce qu'il vous soit rendu en main propre.»
L'épéiste peut déjà sentir la forme des ailes dans le creux de sa main.
Ailes, synonyme de souvenir et de chaleur éphémère.
- « Je vous rends ce que vous m'avez confié comme vous me l'aviez demandé. Cependant, ce geste n'est pas motivé par un changement de mon cœur mais par la volonté que j'ai de vous oublier pour de bon, après tout ce temps. Finalement un souvenir de vous, de par ma faiblesse, ne m'aide pas à avancer, ne m'a fait que reculer et pour changer cela, j'éloigne de mes yeux tout ce que vous représentez. »
Un léger sourire indulgent étire ses lèvres.
Il est toujours aussi enfant. Fidèlement attachant comme un enfant.
Ce constat plaît.
- « Ce sont ses paroles. Il vous remercie aussi d'avoir accepté son sentiment et de l'avoir traité avec considération jusqu'à présent. En échange, il vous offre sa loyauté et son dévouement immuable éternellement, peu importe les choix futurs de son cœur.»
Le tissu est déroulé.
La broche si familière est révélée.
L'or de sa structure capte la lumière et la réverbère avec force.
Ses rubis se contentent de scintiller de façon plus délicate et mesurée.
Un à un, ses doigts se referme sur elle.
Mais son auriculaire arrête sa course avant.
Un souffle.
Un son.
Une présence.
Un regard.
Tant de familiarité.
Fermant les yeux, il expire doucement.
Il a fallu qu'il soit là.
Qu'il le suive.
Qu'il l'aprenne.
Il ne se retourne pas.
Il entend déjà la tempête dans sa respiration cachée à l'ombre d'un pilier.
Il sent la violence dans ses yeux qui vrillent son dos.
Il entend sa fureur dans sa démarche qui s'éloigne.
- « Dis à ton lieutenant que je ne prends que ce qu'il me rend. Si il veut m'offrir sa lame, je la prendrais par égard pour lui. Cependant, je lui conseille de mettre sa loyauté au service de ses convictions et non à celui de ses sentiments. Qu'il le prenne comme un conseil.»
Un conseil d'expérience.
Le soldat s'incline bas.
Il ne sait pas. Il n'est pas assez aguerri pour avoir senti la présence du général, masquée derrière des remparts de bois et de papier.
Il est ignorant de la conséquence de ses actes.
Il est innocent.
C'est lui qui est coupable.
Les coupables qui ne sont pas criminel acceptent leur punition.
Les coupables qui ont de l'honneur offrent leurs dos à la torture pour recevoir le pardon.
Il acceptera le fardeau que le goût amer de la colère de l'homme qu'il aime a apporté.
Il souffrira sa punition.
C'est sa responsabilité, par amour.
* * *
Goutte.
Goutte.
L'encre s'écoule doucement.
Goutte.
Elle forme un ruisseau sombre aux rivages blancs qui noircissent à mesure qu'ils s'imbibent.
Goutte.
Le pinceau gît comme l'arme d'un soldat mort sur le front, aux milieux des traces de la bataille.
Les dérapages incontrôlés qui ont précédé sa chute sèchent déjà.
Il est immobile.
Silencieux.
Il regarde les restes d'un affrontement. D'une guerre.
Toujours assi à son bureau, il contemple le champ dévasté.
Par sa main.
Tout, par sa main.
La paix a été arrachée à son esprit. Volée à ses pensées.
Violemment. Impitoyablement. Sadiquement.
Son calme s'est évaporé comme un fantôme qui ne se serait jamais manifesté.
Effondré.
Dès que sa voix a résonné.
Dès qu'il a entendu sa voix obscène.
Sa voix familière mais si inconnue.
Sa voix qui n'appartient qu'à lui.
Il a compris.
Il est puni. C'est sa sentence. Son crime.
Il expie ses fautes.
Pourtant son souffle ne se calme pas.
Son cœur ne ralentit pas.
Et le goût du sang ne quitte pas sa bouche.
Il se relève sans bruit. Ses vêtements démis glissent de sa peau, traînent au sol.
Il ne le remarque pas.
Son pas le mène dans son enfer personnel, il ne le combat pas.
Sa voix atteint ses oreilles comme un requiem pour son âme.
Une voix si grave et désespérée.
Qui L'appelle.
Qui appelle Son nom.
Plus il avance, plus il sait. Il sait mais il avance.
La porte est entrouverte. Juste pour lui.
Juste pour qu'il voit. Pour qu'il entende. Pour qu'il souffre.
Il s'adosse à la porte, essoufflé comme si il avait longuement marché sans s'arrêter. Il est droit, la tête penchée en avant, ses cheveux masquant ses yeux sans fond.
Son esprit va au devant de lui et accepte de comprendre, contre sa volonté.
Il ne peut pas reculer.
- « Maître.»
Sa voix douce est teintée.
Teintée de désir, de plaisir, de volupté, de sensualité.
- « Maître...Yoongi...!»
Ses doigts se courbent et ses ongles s'enfoncent dans l'encadrement en bois.
Telles des griffes, elles tracent des sillons dans la surface.
Sillons de douleur.
Sillons de tristesse.
Sa voix ne s'arrête pas. Il continue de chanter Ses louanges, tel un ange.
Il n'a pas besoin de les voir pour savoir.
Savoir l'expression perdue dans la jouissance du disciple.
Le corps du Maître dans les ardeurs de l'acte.
Chaque recoin de Son dos dénudé parcouru par des mains qui ne devraient pas s'y trouver.
Chaque inspiration, chaque touché, chaque perle de sueur dans cette intimité.
Il connaît.
Tout cela, il le connaît. Par coeur.
Et il aurait dû être le seul à l'apprendre.
Le seul.
Cela entraîne son être dans une chute.
Chute vicieuse et interminable.
Chute fatale.
Il ne bouge pas. Il continue d'écouter, de suffoquer en silence.
Il est une statue jusqu'à ce que sa voix s'éteigne.
Et que la Sienne l'atteigne à la place.
- « Je sais que tu es là.»
Muet, il ne dit rien.
Taehyung s'est assoupi, son souffle calme et régulier empêchant le silence de régner.
Il y a le bruit de draps qu'on froisse lorsque l'homme les quitte.
Ses vêtements sont laissés ouverts tandis qu'il s'approche de la porte.
Il pose ses mains sur le rebord des parois de papiers laissant juste le bout de ses doigts paraître à travers l'ouverture.
- « As-tu mal ?»
Ses bras tendus devant lui comme un appui, son corps penché vers l'avant, il écoute la respiration tremblante du guerrier.
- « Souffres tu, Jimin ?»
Le jeune homme ne dit rien, ses ongles toujours plantés dans le bois.
- « C'est ce que je veux.»
Une réaction vive.
Le claquement des vêtements qui se détournent brusquement.
La marche empressée et inaudible qui s'en va, quittant ce couloir en espérant abandonner son cœur et sa douleur de la même manière.
Il retourne dans son bureau toujours désordonné où trône son œuvre détruite comme pour pointer sa détresse.
Il regarde les pages gâchées.
L'encre perdue.
Le pinceau brisé.
Debout au milieu de la pièce où régnait avant la sérénité.
Dans un bruit calfeutré, la broche se détache de ses robes et tombe sur le sol, se tordant une de ses précieuses ailes ornées.
Le guerrier, le mercenaire, l'assassin se laisse alors glissé au sol, désemparé.
Le monde se tait.
Les camélias rougissent.
Il ferme les yeux tandis que la larme solitaire dévale sa joue.
La commissure de ses paupière se pincent. Ses sourcils et son nez se froncent. Ses lèvres s'étirent.
Son visage se contorsionne.
Il devient un paysage aride et en souffrance.
Sa bouche s'étire jusqu'à dévoiler ses dents. Ses dents qui s'entrouvent, laissent échapper un hurlement muet.
Les traits de son visage sont creusés jusqu'à faire mal, devenant les cicatrices visibles de son agonie.
Il crie, en silence, sa peine.
Le battement dans sa poitrine qui le tourmente.
La démence qui s'empare de son être.
Il pleure au dessus de l'éclat vif et douloureux d'un papillon dorée.
* * *
Un voile noir vient le couvrir tout entier.
Bandant sa vision.
Aspirant tous les sons.
Faisant tomber le vent.
Il retourne vers lui, fou qu'il est.
Il Le sent juste là, derrière une simple paroi à peine opaque.
Son ombre se découpe sur le fond de lumière.
Doucement, il passe ses doigts sur les contours de ses formes, Le retraçant.
Il entend son attente. Sa présence attentive.
Sa main se pose à plat, s'appuyant contre sa marque.
- « J'ai mal.»
Il ferme les yeux, expirant.
- « J'ai mal, mon Amour.»
Le bruit sec d'une feuille qu'on déchire.
Son hoquet étouffé.
Le métronome de sa respiration qui s'enraille.
- « Il faut qu'on se sépare.»
Le rouge qui envahit le blanc.
Comme le sang sur le papier.
- « Je t'aime. J'ai mal. Alors pars.»
Il se détache du mur, tirant son sabre hors de la cloison et de Son corps.
- « Pars là-haut. Ne renais que lorsque ma vie ici sera éteinte. Épargnes nous la douleur de nos retrouvailles dans la vie suivante.»
Il ne tombe pas. Il reste debout, sa vie le quittant.
Son regard suit son dos qui part, la lame souillée de son épée dans son sillage.
Il regarde l'homme de sa vie avec juste cet amour fou qu'il ressent.
Jimin part et ne se retourne pas.
Pas même lorsque que le cri d'horreur de Taehyung résonne dans la maison.
Il fuit dans les jardins.
Les camélias l'accueillant, fleurs belles et dangereuses tout comme lui-même.
Il se penche en avant, ouvrant sa paume scellée.
La broche cassée s'y trouvant, précautionneusement déposée dans le cœur d'une des coroles vermeilles.
Son souffle rejoint le ciel quand il lève les yeux vers ce dernier.
Le vent vient gonfler ses vêtements et il écoute son monde l'appeler à lui.
Entre les pétales, un papillon rouge se libère et s'envole dans les cimes, ne laissant derrière lui qu'un traînée de poussière dorée.
Et des camélias en fleur qui embrasent les cœurs.
* * *
Rouge Camélia ? [ Rouge Folie ]
Fin
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