Chapitre 2
Aiden
Le temps pluvieux de l'Écosse n'est pas d'actualité ici, au Colorado. Je m'étais habitué aux gouttelettes à la fenêtre, aux nuages gris et aux très rares éclaircies. Ici, le soleil ne semble pas décidé à partir et éclaire l'Etat de toute sa lumière de 7h à 20h, sans pause. J'ai été obligé de troquer mes vêtements chauds contre des t-shirts et des shorts.
Je crois que je n'aime pas cet endroit.
Je ne m'y sens pas chez moi. J'entre en terre inconnue et ça me perturbe. J'ai toujours eu besoin d'un cadre et voilà que, subitement, il disparaît, laissant place à un paysage qui ne signifie rien à mes yeux. « Tu t'y habitueras » m'a-t-on répété encore et encore.
Et ce nouveau lycée rempli de petits bourgeois prétentieux dans lequel je dois poursuivre ma scolarité désormais... Je serre les dents et les poings et saisis un t-shirt gris simple. Je l'enfile maladroitement lorsque la porte de la pièce grince. Je me retourne et découvre mon père accoudé à l'embrasure de la porte.
— Alors, premier jour hein ? me demande-t-il avec un sourire.
Mais je sais qu'il est faux. Il n'est jamais sincère. Il se contente de sourire à tout bout de champs et il dupe tout le monde. Tout le monde sauf moi.
— Je suis plus un gamin, laisse-moi tranquille.
S'il est vexé par mon ton sec, il ne le montre pas mais se redresse, les bras croisés sur son torse. Il est habillé d'un jean et d'une chemise à carreau horrible, mais je me garde bien de le lui dire. Il a essayé de se coiffer mais le résultat n'est pas très concluant. Son rasage lui aussi est loin d'être parfait. Il a l'air d'un guignol. Le genre de père qui veut être cool mais dont tout le monde se moque derrière son dos.
— C'était simplement pour te dire que le petit déjeuner est servi.
— 'Pas faim, répliqué-je en saisissant mon sac de cours.
Il scrute chacun de mes mouvements. Compliqué est un euphémisme pour décrire nos conversations. Désastreuses serait plus approprié. Il essaye de parler mais j'ai créé un mur antibruit. Je passe à côté de lui sans un mot et dévale les escaliers. Sur haut de la rambarde, il me lance :
— Aiden... Tout va bien ?
Je déteste quand il fait ça. Quand il me parle comme si tout allait parfaitement bien, comme si la vie pouvait continuer normalement après ce qu'il s'est passé. Mon père est le genre de personne qui préfère oublier le passé et se concentrer sur le présent.
Pas moi.
Jamais je ne pourrai oublier ce qu'il s'est passé. Mais on dirait que mon interlocuteur a fait une croix sur tout ce qui le liait à son « ancienne vie ». Son attitude m'insupporte et me met en rogne.
— Aiden ?
Je relève la tête alors que j'ai atteint le bas des marches. Mon géniteur a posé ses avant-bras sur la rambarde et attend. Il veut une réponse.
— Oui, je vais très bien papa chéri, j'ai hâte d'entamer ma nouvelle vie dans le meilleur des mondes !
Ça, c'est que j'aurais voulu lui répondre pour lui fermer le clapet mais, à la place, j'opte pour un :
— Ça va.
Je mets mes baskets sans prendre le temps de nouer les lacets.
— Bonne journée, Aiden, répond-il d'un ton neutre.
Il m'a suivi dans les escaliers et se dirige vers la cuisine, probablement pour se servir son éternel café.
— Ne m'attends pas pour dîner ce soir, je rentre tard, déclaré-je la mâchoire serrée.
Il s'arrête net et se retourne, les sourcils froncés. Mon ton n'admettait aucune réplique mais, évidemment, ça, il ne l'a pas saisi.
— Tu vas où ? me demande-t-il.
Je hausse un sourcil étonné. Il est sérieux là ? Il croit sérieusement que son petit numéro du père inquiet pour son fils va m'avoir ? Il se trompe lourdement s'il pense que je vais tomber dans le panneau.
— 'Pas tes affaires.
— Aiden, je suis ton père.
Faux. Tu es l'homme censé l'être mais qui fait semblant de se soucier de moi. Cette fois, j'hésite réellement à lui exposer le fond de ma pensée. Mais je n'en fais rien et l'ignore royalement en sortant de la villa. Une fois dehors, je mets mon masque. Celui qui ne me quitte jamais. Un regard froid, les lèvres serrées et une expression neutre. Cela dissuade les gens de me parler... ou du moins de me provoquer.
J'appréhende plus que tout cette première journée de cours dans ce nouveau lycée empli de filles et de fils à papa. Sur le chemin, seuls le bruit de mes pas sur le trottoir brise le silence. Je ne croise personne et heureusement, je déteste dire bonjour et ne faire ne serait-ce qu'un sourire. Au moins les trois quarts des gens que vous croisez et qui vous sourient simulent. J'ai appris au fil du temps que les gens sont faux. Je préfère être vrai et ne pas adresser la parole aux inconnus.
Une vibration provenant de ma poche de jean me signale une notification de mon téléphone. Sans m'arrêter, je le sors et découvre un message de mon meilleur ami, Danny.
Danny : Alors ce lycée ? Ils sont comment les Américains ? J'ai toujours voulu aller aux Etats-Unis ! Franchement je voudrais trop être à ta place, mec !
Ce qu'il ne sait pas, c'est que je préfèrerais mille fois mieux être avec lui en cet instant, sous la pluie écossaise que dans le Colorado. Je ne tarde pas et lui réponds.
Aiden : Pas encore arrivé au lycée et pas encore rencontré de gens. Mieux comme ça.
Son message me parvient dans la minute qui suit.
Danny : Allez boude pas, pense à moi et à mon charme irrésistible et ça ira mieux !
Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire, sincère. Je sais qu'il dit ça autant pour me faire rire que pour se rassurer lui-même car son ex vient de le quitter. Même s'il ne l'aimait pas vraiment, il a commencé à douter de ses valeurs.
Aiden : Anna finira bien par revenir t'inquiète.
Danny : Trop tard, j'ai quelqu'un mec !
Il n'aura pas mis longtemps celui-là !
Aiden : Ah ouais qui ?
Danny : Coralie, la fille du flic, tu sais celui qui nous avait arrêté en août.
Je commence sérieusement à douter de l'intelligence de mon meilleur ami.
Aiden : Une fille de flic vraiment ?
Danny : J'ai pas pu m'en empêcher, ça va lui mettre la rage au vieux de me voir débarquer !
Je ris intérieurement. Ce mec est complétement débile. Mais c'est pour ça que je l'aime. Il me manque. Ses blagues nulles, nos bourrades amicales et même les bagarres pour rire me manquent.
Aiden : Nos virées me paraissent loin.
Je repense à nos soirées dans les bars à boire avant d'avoir l'âge. À nos courses de rues interdites dans les rues. Aux nuits dans les clubs à se taper des dizaines de filles. Et même au moment où on s'est fait tatouer sans autorisation. Je jette alors un coup d'œil à l'aigle sur mon bras. L'encre brille sous le soleil chaud du matin. Plongé dans ma réflexion, je manque presque le nouveau message de mon humain préféré.
Danny : un jour, je fuguerai et je viendrai te voir dans ce bon vieux Colorado. On fera des choses hors la loi et on se saoulera jusqu'à plus pouvoir marcher droit. Promis mec, je ne t'oublierai pas. Et t'as pas intérêt à m'oublier toi non plus !
Punaise, j'adore ce mec. Je réagis avec un émoji bière puis fourre mon téléphone dans ma poche. Je me dépêche de rejoindre le centre-ville. Denver est baignée d'une lumière matinale et les maisons identiques les unes à côté des autres me font grimacer. Je repense à notre manoir en Ecosse et mon humeur morne s'aggrave petit à petit.
J'arrive devant le lycée et mon cœur se serre. Tout ici pue le pognon et le mépris. J'ai terriblement envie de faire demi-tour en courant pour échapper au calvaire que représente la journée qui s'apprête à commencer. Je pourrai. Je suis loin d'être un élève modèle. Mauvaises notes, comportement exécrable. J'ai conscience d'être chiant mais je ne changerai pas pour autant.
C'est décidé, je n'irai pas dans ce lycée pour gosses de riches. Je me retourne et m'apprête à faire demi-tour quand je rentre dans quelqu'un. Sonné, titube. Le contenu de mon sac s'étale sur le béton.
— Fait chier, je marmonne tandis que je m'accroupis pour ramasser mes affaires.
— Content de te rencontrer aussi ! lance l'inconnu.
Il se baisse à son tour et m'aide à tout ranger. Il glisse les cahiers dans mon sac avec aisance et zippe la fermeture éclair avant de se relever. Je me redresse à mon tour et saisis mon sac. Dois-je le remercier ? M'excuser ? Heureusement, c'est lui qui prend la parole, m'évitant d'avoir à le faire.
— Adrien, se présente-t-il en me tendant la main.
Je l'observe vraiment pour la première fois. Ce mec est un véritable géant. Il me dépasse d'une tête et je suis impressionnée par sa musculature. Il possède une chevelure blonde en désordre et des yeux bleus. Sa mâchoire carrée me fait penser à celle de Danny et il me paraît tout de suite plus amical. Je serre sa main mais reste tout de même froid.
— Aiden.
— Tu n'es pas du coin toi, me dit-il tandis que nos mains se séparent. Je t'ai jamais vu et je connais tout le monde.
Je dois m'empêcher de le dépasser dans rien dire mais ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Je ne le connais pas et je n'éprouve pas le besoin de faire connaissance. Ce n'était pas dans mes plans de parler à des gens aujourd'hui.
— Nouveau, dis-je simplement en espérant sincèrement qu'il passe son chemin en voyant à quel point je suis ennuyant.
Mais il ne le fait pas. Il fait même tout le contraire. Il m'adresse un sourire franc et passe un bras au-dessus de mon épaule bien plus mince que la sienne. J'ai l'impression d'être l'enfant et lui le père. Je crois que je n'ai pas le choix, je vais devoir y aller.
— Alors le nouveau, me dit-il alors que nous marchons en direction de l'entrée. Tu viens d'où ?
Je m'autorise alors à être un peu plus ouvert. Je n'ai pas l'intention de me faire des ennemis dès le premier jour.
— Ecosse.
— Sérieux ? J'ai une cousine qui vit là-bas. Elle n'arrête pas de se plaindre qu'il pleut. C'est vrai ?
— Oui.
Je n'aime pas entretenir les stéréotypes en temps normal mais je ne peux pas nier les faits.
— T'aimes le surf ? me demande-t-il alors que nous passons les portes d'entrée.
Le brouhaha des couloirs du lycée de Denver me parvient et je surprends des bribes de conversations tandis que nous sillonnons à travers les élèves. Je déteste être au centre de l'attention. Je me souviens que Danny trouvait toujours le moyen de se donner en spectacle et je haïssais les regards des autres sur moi.
Je veux juste qu'on me fiche la paix.
— Jamais fait, je réponds simplement.
Nous empruntons un nouveau couloir et je me sens tout de suite mieux lorsque je constate le nombre réduit d'élève. Je n'échappe tout de même pas aux « C'est qui lui ? » ou « Il est nouveau on dirait » indiscrets mais c'est déjà mieux.
— Tu sais faire une phrase complète ? me demande mon interlocuteur les sourcils froncés.
Il a toujours son bras autour de mes épaules mais, étrangement, ce contact ne me dérange pas.
— Pas sûr, je réponds en esquissant l'ombre d'un sourire.
— Il sait sourire ! s'exclame Adrien en levant le poing en signe de victoire.
Soudain, je lève les yeux et surprends le regard d'une fille sur moi. Ses yeux sont immenses, on dirait qu'ils pourraient manger son visage. Je déglutis. On ne se quitte pas des yeux mais je peux tout de même l'observer. Elle est brune et porte un petit débardeur qui laisse apparaitre son nombril. Son short en jean légèrement déchiré est court et ses converses écarlates sont de la même teinte que ses joues. Elle tient entre ses bras couverts de taches de rousseur ses cahiers de cours.
L'atmosphère est électrique. Son regard m'attire comme un aimant, je ne peux m'empêcher de la fixer. C'est Adrien qui me ramène à la réalité en me donnant un coup de coude dans les côtes.
— Mec, faut aller en cours.
Je secoue la tête et sors de ma transe. Nous tournons à droite mais je peux apercevoir le regard de cette fille encore sur moi. Il me brûle le dos. Je m'arrête en même temps qu'Adrien qui ouvre son casier.
— C'est qui elle ? je demande en désignant ma partenaire de regard du menton le plus discrètement possible.
Il relève la tête et regarde dans la direction indiquée. Il se retourne vers moi, un léger sourire sur ses lèvres.
— Elle mec, c'est Céline O'Neil.
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