Chapitre 1

Céline


Le monde est tout de même étrange. On se croit important, mais on est minuscule par rapport à l'univers. Même les milliardaires sont insignifiants. Nous sommes de toutes petites choses qui ont encore beaucoup à apprendre.

C'est ce que me répétait ma grand-mère le soir lorsque nous nous installions sur sa terrasse face au ciel étoilé.

— Tu vois ma chérie, chaque étoile représente un être humain.

Je m'étais aperçue qu'il y en avait trop pour que l'on puisse les compter. C'est justement là qu'est la philosophie de cette phrase. On ne pourra jamais compter toutes les étoiles. Petite, j'avais relevé le défi. J'avais installé mon lit à côté de ma fenêtre et, chaque soir, je comptais les astres qui illuminaient le ciel d'un noir d'encre. Mais je m'étais vite rendue à l'évidence : j'avais perdu le fil. Pourtant, même maintenant, je m'installe tous les soirs à ma fenêtre et j'observe les lumières scintillantes. Ça m'aide à m'endormir et à faire le vide dans mon esprit. Je me dis que, parmi elles, ma grand-mère est là et veille sur moi.

— Ho hé ! Céline ? Tu m'écoutes ?

Soudain, je pose les pieds sur terre et mon petit nuage s'envole comme une brise de printemps. Je suis allongée sur mon lit, face à mon plafond orné de posters de mes acteurs préférés. Je me retourne pour découvrir ma meilleure amie Hope, les fesses enfoncées dans mon pouf bleu marine, son cahier de mathématiques posé sur les genoux. Elle m'observe visiblement agacée que je me soie perdue dans mes pensées. Je me demande depuis combien de temps, je ne l'écoute plus. Cela doit faire un petit moment, car je ne me souvenais même pas que nous étions passées aux maths. Dans ma tête, j'en étais toujours à la géographie.

Franchement, quelle est cette manie qu'ont les profs à nous donner des évaluations avant le week-end ? À croire que ces psychopathes n'ont rien de mieux à faire de leur vie que de corriger des dizaines de copies mal présentées au lieu de se planter devant une série télé avec seul objectif de ne rien faire de leur journée.

Visiblement, nous n'avons pas tous la même définition de "profiter de son temps libre".

Je soupire alors et m'empare de mon cahier de leçons pleines de chiffres et barbantes à en mourir avant de m'asseoir en tailleur sur mon lit confortable. Je jette un coup d'œil par la fenêtre. Il fait beaucoup trop beau pour que ce jour soit réservé aux révisions, mais je crois que je n'ai pas le choix. Il me faut beaucoup de motivation pour oser demander :

— Alors ? Où on en est ?

— Les équations différentielles. Tu exagères franchement, à croire que je parlais dans le vide depuis tout à l'heure.

— Excuse-moi, je réponds, vraiment désolée, mais comment tu peux te concentrer quand tu vois autant de... lignes et de nombres alignés. Moi, mon cerveau grille déjà et je n'ai fait qu'ouvrir mon cours !

— Il faut dire que lorsqu'on te menace de te priver de sortie si tu te loupes, ça te motive à travailler, déclare Hope en soupirant profondément.

Je comprends mieux. Mais le travail et moi, ça fait... plus de 3 000 je dirais.

— Tu veux pas plutôt sortir ?

— Quoi ? Mais... et mes devoirs ?

— Allez quoi, c'est mercredi, tu as encore demain pour réviser si tu veux. Allez viens, on va prendre un café.

Elle réfléchit longuement, si bien que je prends ça pour un non et m'apprête à me mettre sérieusement au boulot lorsqu'elle cède enfin :

— Bon, c'est d'accord, mais je n'ai pas d'argent, alors c'est toi qui payes !

Je lève les yeux au ciel et les attrape les mains pour la tirer de son pouf dans lequel elle semble si bien installée.

— J'imagine que je n'ai pas vraiment le choix...

— En effet !

Nous jetons nos cahiers au sol. Libérées ! Je m'empresse de saisir mon gilet. Même si on est en septembre et dans le Colorado, il règne un petit vent et je n'ai pas envie d'attraper froid. On dirait que cela n'effraie pas ma meilleure amie, car elle enfile simplement ses chaussures qui lui ont coûté une belle somme. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle n'a plus un rond. Elle attend son argent de poche du mois avec impatience. Elle ne se couvre pas plus et nous sortons de la maison.


🌹🌹🌹


— La vache ! C'est chaud ! s'exclame Hope en reposant brusquement son café sur la table.

— Je crois que c'est le but, je la taquine en lui faisant un clin d'œil.

Le Café O'Brien est bondé et le brouhaha qui règne est presque insupportable. Des tas de personnes arrivent et se bousculent. Assises à une table en bois vernis, Hope et moi buvons un café latté. Nous nous entendons à peine parler à cause du bruit. Ce n'était peut-être pas une si bonne idée finalement. Les mains serrées autour de mon gobelet rempli de café, je profite de la chaleur de la boisson.

Soudain, une fille qui passe à côté de moi me bouscule légèrement et mon latté manque de peu de se renverser sur moi. Je fronce les sourcils, mécontente et me tourne vers l'auteure de ce qui a failli être un accident.

— Eva ? je demande, surprise.

Elle effectue un demi-tour sur elle-même et esquisse un petit sourire narquois.

— Oh pardon Céline. Je ne t'avais pas vue.

Ses excuses sonnent faux, comme à chaque fois. Eva est le genre de fille qui n'a pas l'air de connaître les formules de politesse. Pas de merci ni s'il te plait. Elle est habillée d'une jupe en jean et d'un simple débardeur noir. Elle porte un petit sac en bandoulière et a dans sa main une paire de lunettes de soleil. Sa chevelure brune coule en cascade sur ses épaules nues.

Je connais Eva depuis très longtemps, pourtant, nous ne sommes pas amies. Et je ne crois pas que nous le serons un jour. Nous sommes trop différentes. Elle est une star non seulement des réseaux sociaux, mais aussi du lycée où nous allons. Et puis, ce n'est pas le genre de personne sur qui on peut compter en cas de problèmes. Hope la déteste, même si elle ne lui a rien fait. Et je crois que c'est réciproque.

— C'est pas grave, je me contente de répliquer alors qu'elle s'est déjà éloignée.

Je la vois s'asseoir à une table avec d'autres lycéens et je me tourne vers Hope qui serre les dents.

— Elle l'a fait exprès, marmonne-t-elle.

— Mais non, je lui assure en balayant l'air de la main.

— Je ne l'aime pas cette fille.

— J'avais cru comprendre, oui, j'approuve avec un sourire en coin.

Hope souffle sur sa boisson et porte le gobelet à ses lèvres roses avant d'en boire une gorgée. J'ajuste quant à moi ma casquette sur ma tête et remets une mèche rebelle derrière mon oreille.

— Il est où Adrien ? je demande, curieuse.

— Avec ses potes, je crois.

Ma meilleure amie évite soigneusement mon regard et préfère fixer le contenu de son gobelet.

— Ça va entre vous ?

— Tu veux une réponse franche ou un peu éloignée de la réalité ? me demande-t-elle les lèvres pincées.

— Franche.

— C'est... plat. On se parle presque plus, lâche-t-elle dans un soupir.

— Tu vas casser avec lui ? je m'enquis en fronçant les sourcils.

Hope hausse les épaules et fuit mon regard, sans doute pour fuir aussi la conversation. Adrien et elle sont ensemble depuis maintenant un an, mais, plus on avance dans le temps, moins elle est satisfaite de leur relation. Elle était pourtant très amoureuse au début. Je ne sais pas ce qui a changé. Et à chaque fois que je souhaite en parler avec elle, elle s'empresse de changer de sujet. Comme si un malaise s'installait chaque fois que le nom de son copain était prononcé.

Pour Hope et Adrien, ça a été le coup de foudre. Ils se sont rencontrés en première, l'année dernière. Ils étaient ensemble en cours d'espagnol et c'est lui qui a fait le premier pas. Je ne le connaissais pas beaucoup avant qu'il sorte avec elle, mais j'ai exigé le rencontrer après qu'Hope m'a annoncé qu'ils sortaient ensemble. Et s'il fait du mal à ma meilleure amie, il aura affaire à moi !

Hope termine son latté et lance le gobelet dans la poubelle non loin.

— But ! s'écrie-t-elle, toute fière.

— On dirait plutôt panier, je rectifie avec un sourire.

— Roh, c'est pareil ! répond-elle. But, panier, essai, tout est pareil puisque le résultat est le même.

Mon amie se lève et je l'imite. Je paye à la caisse et nous sortons du Café O'Brien sous un soleil brûlant qui nous coupe le souffle. Il nous faut quelques secondes avant de s'habituer à la chaleur.. Hope, qui n'a rien emmené pour se protéger le dessus de la tête, trépigne.

— Je t'avais dit que ce n'était pas une bonne idée de sortir ! dit-elle en prenant son habituel tête ronchonne.

— Allez, je réponds en passant un bras autour de ses épaules, c'est bientôt l'hiver. Et hiver rime avec...

— Froid, grogne mon amie en fixant le sol avec mécontentement.

— Non ! L'hiver, c'est Noël ! Ce sont les fêtes de fin d'année ! je m'exclame en écartant les bras.

— Youpi ! s'exclame-t-elle sarcastiquement. Mais ça rime quand même avec froid.

— On va pouvoir faire des bonhommes de neige ensemble...

— ... Et se peler les miches dans la neige.

— ... Et se réchauffer au coin du feu !

— ... Et être obligé de mettre écharpe, bonnet, gants et doudoune !

— Est-ce qu'il n'y a pas eu un seul jour où tu ne t'es pas plainte ? je demande en écarquillant les yeux.

— Oui, je crois... C'était un jeudi.

Nous éclatons de rire et bras-dessus, bras-dessous, nous nous éloignons du centre-ville. En réalité, même si c'est bientôt l'hiver, j'ai bien l'intention de profiter de cette fin d'été. Il fait beau et chaud ce week-end et, même si Hope ne veut pas l'admettre, elle en est bien contente. Alors que nous marchons sur un trottoir, j'aperçois un parterre de fleurs à côté d'un magasin.

— Oh regarde ! Des roses ! je m'exclame en désignant les fleurs de mon index.

Mon amie s'approche et jette un coup d'œil. Je peux sentir leur doux parfum alors que je suis à plus d'un mètre. Il s'infiltre dans mes narines. Cela me rappelle le Colorado et les buissons emplis de fleurs qu'entretenait précieusement ma grand-mère.

— Je n'aime pas les roses, déclare Hope en grimaçant. Un jour, quand j'avais quatre ans, je me suis piquée avec une et l'épine est restée dans mon doigt ! On a dû aller à l'hôpital et j'ai eu super mal. Je ne comprends pas pourquoi tu les aimes. D'accord, elles sont jolies, mais elles font mal.

Je souris alors. C'est justement ça. Je trouve ça poétique. Les roses ont deux visages. Leurs épines font mal, mais leur beauté est semblable au coucher du soleil. On dirait une métaphore.


🌹🌹🌹


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top