Il était un cottage...




Dans la verte campagne du Buckinghamshire, au milieu des champs et des bosquets, fumait l'adorable cheminée du cottage Lecter. La modeste maison foisonnait d'hortensias pastel et de roses odorantes. A l'arrière de la bâtisse se cachaient une grange entretenue, un poulailler bruyant et Jeffrey, le gros cochon tout rose.

La propriétaire, une vieille dame de quatre-vingts ans et encore vive, maintenait son petit havre de paix avec passion. Quelques mois auparavant, sur les bancs de sa minuscule église anglicane, elle s'était laissée convaincre par Margareth, sa voisine, de louer ses chambres vides aux nombreux randonneurs venus prendre l'air de la vallée d'Aleybury. Elle avait suivi la messe de façon distraite, et ce fut sur le chemin du retour qu'elle se décida pour de bon. Sa propriété n'était qu'à quelques minutes à pieds du centre du village et jouissait d'un cadre isolé et reposant. Tout au long de l'année, la petite route de campagne qui passait devant chez elle apportait un nombre raisonnable de touristes, et ce dernier explosait de mi-printemps à début automne. En effet, affluaient quotidiennement vélocyclistes, randonneurs et curieux en vacances.

Madame Lecter, de son prénom Rosemary, fut étonnée de la rapide réussite de son gîte et de sa table d'hôte. Elle mettait toute sa fierté et son amour de la ferme dans les plats mijotés pour ses résidants comme dans la décoration désuète et un peu kitsch des chambrées. Elle adorait chouchouter ses convives et remerciait le Seigneur et Margareth d'une telle aubaine. Veuve depuis quelques mois, elle trouvait dans cette nouvelle activité une occasion de faire revivre sa maison, si désolée depuis son deuil et qui lui fournissait un revenu supplémentaire à sa maigre pension de retraité.

En cet après-midi d'été, elle recevait un jeune homme à l'allure dégingandé, mais à la politesse étonnante.

— Bienvenue, je suis Rosemary. J'espère que votre nuitée vous plaira.

— Merci. Je me présente, je suis Peter Nice. Heureux de faire votre connaissance. J'ai vu les avis sur votre profil internet et suis persuadé d'y trouver mon bonheur.

Il rangea son vélo sous le porche et complimenta la vieille dame sur son jardin. Cette dernière gloussa comme une poule naine et s'empressa de le faire rentrer.

À l'étage, elle lui montra son lit. Encore une fois, le jeune homme s'émerveilla du charme so british de la pièce. Il déposa son gros paquetage bariolé et tata l'édredon moelleux recouvert d'un plaid cousu main. Les murs portaient des tableaux de nature morte et quelques vieux portraits. Dans un coin, un guéridon supportait un vase en cristal où des marguerites fraîches puisaient une eau limpide.

— Quelle superbe maisonnée ! Vous êtes seule à l'entretenir ? demanda-t-il.

— Mon époux n'est plus depuis des mois. Je tente chaque jour de faire vivre notre foyer comme de son vivant. Il aurait apprécié vos compliments, répondit-elle le sourire aux lèvres.

Elle s'éclipsa et laissa Peter s'installer. Rosemary descendit dans sa cuisine et prépara un encas. Sur le lit, comme à son habitude, elle avait laissé une note enjoignant à son hôte de la rejoindre dans le salon pour le thé. Elle remua son marmiton en fonte, goûta sa cuillère en bois et la reposa sur le plan de travail. Elle entendit l'escalier grincer. Peter était prêt. Elle attrapa son plateau avec hâte et s'engouffra dans le boudoir réservé aux invités.

Le jeune homme se tenait debout et contemplait la bibliothèque pleine à craquer. Des décennies de lectures, des années de poésies et une odeur de papier vieilli. Il se retourna surpris par Rosemary.

— Vous aimez lire ? l'interrogea-t-elle.

Peter se dandina sur place, gêné d'être pris en flagrant délit d'espionnage livresque. Les yeux de la vieille dame s'étirèrent avec son sourire.

— Je... Oui, j'adore la littérature et j'ai vu que vous avez presque l'intégralité de l'œuvre de Keats, s'empressa-t-il de dire, comme pour trouver une excuse.

La vieille dame lui indiqua le sofa de son menton et déposa sur la charmante table basse son fardeau. Elle servit l'Earl Grey fumant dans une porcelaine datée et présenta des scones tout chauds à son jeune vacancier.

— Mon époux appréciait sa poésie, explique-t-elle avec nostalgie. Si vous désirez, nous avons tous les genres possibles, nous avons aussi tous les Conan Doyle et les Higgins Clark. Mon préféré restera Roald Dahl...

Son regard était lointain, elle se perdit un peu plus dans les souvenirs et elle revint à elle comme sortie précipitamment d'une rêverie coquine.

— Allez-y, mangez-les tant qu'ils sont chauds, proposa-t-elle en lui tendant une petite assiette pleine de gâteaux.

Peter explosa de ravissement. Ses papilles frétillaient, les scones étaient divins. Il but une gorgée de sa tasse fumante, la température parfaite du breuvage réchauffa son gosier sans le brûler et déploya une palette d'aromes de bergamote, de thé noir, et du lait frais. Il inspira profondément et se relâcha de tout son long dans le sofa.

— Ce Tea-Time est une merveille, s'extasia-t-il.

— Merci encore, s'empourpra Rosemary. Que comptez-vous faire avant ce soir ?

— Oh, je vais visiter le village. Sur mon guide de voyage, j'ai lu que vous possédiez un musée sur Roald Dahl. Je vais y faire un tour.

— Oh, quelle bonne idée ! Au fait, sans vouloir abuser de votre gentillesse, sur votre chemin, auriez-vous l'amabilité de déposer un panier d'œufs frais à ma voisine ? demanda la vieille dame.

— Avec plaisir.

— C'est le cottage aux fleurs roses avant d'arriver ici. Comment vous remercier, mon brave ?

— Ce n'est rien, madame.

— Rosemary, voulez-vous ? Ce soir, je vous invite à ma table. Ce sera ma façon de vous dire merci.

— Vous m'enchantez, d'après vos critiques sur le site internet, vos plats sont une expérience incontournable de la région.

Rosemary rougit. Elle se leva avec entrain, épousseta son tablier et sortit d'un pas dynamique. Avant de quitter le salon, elle lui adressa avec bonhomie :

— Je ferai en sorte que ce repas soit inoubliable...

*

Peter rangea son vélo sous le porche comme il l'avait fait quelques heures plus tôt. Il revenait satisfait de sa visite et ramenait avec lui du cidre que Margaret avait offert en échange des œufs. Cette femme célibataire de cinquante ans lui avait répété au moins cinq fois que la table d'hôte de Rosemary était son idée. Elle lui avait aussi raconté la troublante disparition de Monsieur Lecter lors d'une triste journée de chasse quelques mois auparavant, et que son corps demeurait introuvable, ce qui avait plongé la veuve dans une mélancolie profonde, désemparée de ne pouvoir enterrer son époux.

Le jeune homme rejoignit sa chambre et prit une douche méritée. Il s'habilla convenablement et déjà son estomac grognait sous les effluves gourmands du dîner que préparait son hôte. Il repensait à sa grand-mère et se demandait si elle ferait preuve d'autant de détermination et d'autonomie si son grand-père venait à décéder. En tout cas, il lui souhaitait une telle prise en main.

Il déboula l'escalier d'un trot enjoué et entra dans la salle à manger. Encore une fois, il fut saisi par l'effort de la petite dame. Il se croyait dans un roman d'Agatha Christie ; il imaginait Jane Eyre assise sur une chaise, les yeux vers la fenêtre, la plume en l'air et un carnet parfumé sur les genoux. Des pots de fleurs s'étalaient le long des murs, sur des buffets, des tables d'appoint, dans des étagères et même à terre. Toutes fraîches, toutes délicatement odorantes. La nappe blanche sur la table à manger brillait et apportait la lumière juste comme désirée. Des napperons de dentelles servaient de dessous de plats pour la vaisselle en porcelaine Wedgwood.

Décidément, Rosemary était une délicieuse personne. Peter adorait sa culture, l'Angleterre et son charme. Il avait choisi de prendre les routes et de découvrir les trésors si proches de lui. Dans sa ville de Londres, il courait après le temps et la vie. Ce jeune journaliste possédait une chronique dans un quotidien en déclin et ne trouvait plus l'inspiration du début. Il avait frôlé le burn-out jusqu'à ce qu'un couple d'amis revienne enchanté d'un mois de vacances dans les campagnes anglaises. Ils avaient pris une photo au milieu d'un jardin fleuri aux côtés d'une mamie aux cheveux blancs et aux yeux rieurs. Ils avaient vanté le petit havre de paix et le rôti de dinde nommé à l'occasion par la propriétaire de l'auberge, Britany's roasted, et ce fut ainsi qu'il décida de terminer ses vacances par le gîte de Rosemary. Ses recherches sur le net confirmèrent son choix. Tous ceux qui passaient par chez elle en revenaient reposés et solaires.

La vieille dame débarqua soupière en main et sourire aux lèvres.

— C'est prêt... Prenez place, mon petit. Je vous présente le potage pois et lards. C'est une recette de ma mère. Je la garde jalousement secrète, ricana-t-elle.

Peter s'installa et laissa Rosemary le servir. Il se revit enfant avec sa grand-mère. Il adorait la sensation, comme une madeleine de Proust. Il plongea avec précision sa cuillère, souffla sur la mixture brûlante et goûta avec l'attention d'un fin critique culinaire. Encore une fois, ses papilles se soulevèrent de plaisir.

— Mmmm, vous êtes une cuisinière hors pair.

— Hihi, trop de compliments, Peter. Cependant, sans vouloir me vanter, attendez le plat principal pour me congratuler. Il est, dit-on, « à tuer », si je dois reprendre l'expression des jeunes.

Ils mangèrent quelques bouchées sans parler. Rosemary finit sa petite portion avant lui. Elle s'essuya le rebord des lèvres et posa sa serviette sur les cuisses.

— Dites-moi, avez-vous apprécié le musée Roal Dahl ? demanda-t-elle.

— Oh, oui. Je l'ai trouvé ludique et bien documenté. Je pense en faire un article pour ma chronique.

— Vous êtes écrivain ?

— Journaliste, en fait. Mais je me demande si je possède encore le feu sacré... Quand je vois la passion avec laquelle vous tenez votre affaire, je me dis que je me suis peut-être planté en choisissant cette voie.

— Oh, vous êtes bien jeune pour de pareilles pensées. Vous savez, vous avez encore le temps avant de vous décider quoi faire. Je n'ai compris qu'à 85 ans que l'on devait suivre son cœur et faire ce qu'il nous plaît. N'attendez pas aussi longtemps que moi.

— J'aime écrire, mais mon patron et son journal me briment. Je n'arrive plus à retrouver la passion du début.

— Écrivez donc ce qu'il vous plaît. Un livre sur votre voyage, peut-être.

— C'est une bonne idée... J'y réfléchirai.

— Pas trop longtemps, lancez-vous et cassez la baraque comme on dit.

Elle se leva et débarrassa la table. Elle disparut derrière la porte de la cuisine. Des bruits de casseroles et de couverts annoncèrent à Peter qu'elle s'affairait à amener la suite.

— Avez-vous besoin d'aide ? lança-t-il au travers de la pièce.

— Non, non. Vous êtes mon invité...

Le jeune quitta sa chaise et entreprit de regarder les vieilles photographies sur le mur. Des photos de familles, en noir et blanc et en couleur. Tous posaient comme à l'école, fiers d'être immortalisés sur papier. Il devina que la femme rousse aux yeux bleus fut Rosemary et que l'homme à sa droite, au visage sévère, devait être feu Monsieur Lecter. Au fil des époques, il remarqua que le regard de son hôte s'éteignait, comme si la joie la quittait. Son époux demeurait dur et strict, jamais jovial et son physique sec perçait le papier glacé. Une seconde femme revenait régulièrement aux côtés des Lecter. Les cheveux clairs, les yeux noirs. Grande et maigre comme une trique en bois, elle souriait sans conviction. Il compara alors Rosemary à cette inconnue, comme le jour et la nuit.

La vieille dame arriva avec la marmite. Elle la posa avec attention au centre de la table et ouvrit le couvercle. Un fumé enivrant s'en échappa et Peter rejoignit sa place avec faim.

— Vous ne m'avez pas menti, ce ragoût semble divin.

— Tutut, vous me complimenterez après avoir goûté.

Elle plongea une grosse louche et remplit une assiette pleine qu'elle tendit à Peter.

— Oublions les manières, je vous traite comme mon petit-fils.

— Ne vous inquiétez pas, j'apprécie cette familiarité. D'ailleurs, avez-vous des enfants ou des petits-enfants, sans vouloir être indiscret ?

— Vous ne l'êtes pas. Malheureusement, nous n'avons jamais eu d'enfant. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais la grâce de dieu ne nous a jamais rendu visite de ce côté-là.

— Oh... désolé.

— Ce n'est rien, la vie est ainsi faite. Vous avez un cœur à choyer ?

— C'est compliqué... J'ai bien quelqu'un qui fait battre mon cœur, mais il ne veut rien de sérieux.

— Il ? s'interrogea Rosemary.

— Euh, oui... Je ne vous choque pas au moins ? se rattrapa Peter.

Il était si à l'aise avec son interlocuteur, qu'il avait partagé sans aucune gêne son orientation sexuelle. Il scruta Rosemary, de peur qu'elle ne se ferme. Contre toute attente, la vieille dame le regardait avec douceur et se précipita de balayer toute incompréhension :

— Oh, non, non... À mon époque, c'était mal vu, mais de nos jours, heureusement que les amoureux peuvent vivre leur amour sans se poser de question. Un homme avec un homme, Dieu a son avis là-dessus. Moi, j'ai le mien. Vivons l'amour et comme nous l'entendons.

Peter sourit péniblement, tiraillé entre la preuve de compassion de Rosemary et la triste réalité de sa relation amoureuse.

— Je ne sais pas s'il m'aime en retour, c'est là mon désarroi.

— Demandez-lui.

— Et s'il me confirme mes craintes ?

Elle fronça les sourcils et le secoua un peu :

— Eh, bien, acceptez et trouvez mieux.

Trouver mieux. Il n'y avait pas pensé. S'il se voyait confronter à pareille situation, il repenserait à cette vieille dame et se mettrait un coup de pied au derrière pour pratiquer son conseil.

— Vous avez trouvé mieux avec Monsieur Lecter ? se renseigna Peter.

Les yeux de Rosemary se voilèrent, elle fixa un cadre face à elle. Une larme au coin de l'œil, elle se confia au jeune homme.

— Oh, mon amour. Mon unique amour... Il était si affectueux et tendre, il ne le montrait pas souvent, mais je le savais. Il m'aimait. Si ce n'avait pas été le cas, je l'aurais dégagé et serais partie voir ailleurs.

Peter avait du mal à croire la vieille femme, l'image de son époux était celle d'un homme dur et fermé. Mais les photographies ne sont pas toujours ce que l'on pense.

Elle se raidit et renchérit :

— Mangez avant que cela refroidisse.

Il planta les dents de fourchettes dans un morceau de viande juteuse et le coupa avec le couteau. Il trempa sa prise dans la sauce couleur d'ambre et la huma avant de la mettre en bouche.

Dieu ! Quelle sensation ! Quelle merveille ! Il mastiqua à peine et les fibres se délitèrent dans une onctuosité mêlée de saveurs fumées, sucrées, poivrées et fabuleuses. Tout ce qu'on disait été vrai, le ragoût de Madame Rosemary Lecter méritait d'être servi sur tables des plus grands restaurants. On le nommerait le Wonderfull Rosmary's stew. Il reprit une bouchée, prenant soin de bien enrober le tout de jus épais et brillant. Il retourna encore plus avide, et encore. La faim s'amenuisait et la gourmandise prit le dessus. Il épongea le fond de son assiette d'un gros bout de pain frais. Face à lui, la grand-mère le contemplait, aimante et rassasiée qu'on eût fait autant honneur à son plat.

— Je peux le dire, je n'ai jamais rien mangé d'aussi bon. N'en dites rien à ma mère, elle serait verte de jalousie, se justifia Peter, embarrassé de se laisser aller à pareille gloutonnerie.

Mamie Rosemary se secoua d'un infime hoquet satisfait.

— Merci, merci, mon petit. Ressers-toi encore, lui proposa-t-elle.

Sans se faire prier, Peter fonça sur la louche, et tapissa son écuelle d'une rasade bien replète. Il dévora, comme il ne l'avait jamais fait. Les bouchées s'enfilaient dans son gosier sans qu'il prenne le temps de réellement respirer. Il voulait tout manger, tout apprécier et ensevelir sa langue et ses papilles d'une overdose culinaire.

— Quel goût si unique, cette sauce est fantastique ! Quel est votre secret ?

— Il n'y a point de secret... C'est le cidre de Margareth... répondit-elle simplement.

Le jeune homme écarquilla les yeux, comme s'il comprenait la feinte. Comme s'il partageait l'astuce. Un travail de terroir, un assemblage des produits frais et locaux. Un paroxysme de bons procédés et un label de qualité. Oui. Peter écrirait sur le petit cottage de Madame Lecter. Il ferait une publicité méritée et deviendrait son porte-parole. Il voulait partager les instants goûtus et simples qu'offrait la vieille dame. Il imaginait les amoureux se presser aux portillons de l'auberge, venus en quête de sensations vraies et d'antan.

— Quand j'aurai trouvé l'amour, je l'emmènerai ici, déclara-t-il.

— Ce serait un honneur, rougit Rosemary, un peu gêné.

Peter embrassa la salle à manger, se remplissant de l'ambiance, se gorgeant de l'air so british apporté par la décoration de Madame Lecter. Il devait partager son expérience, pour que, comme lui, on retrouve son enfance, qu'on retrouve le terroir et les racines anglaises. Il en était persuadé, c'était ici, qu'on vivait la vraie Angleterre. On prendrait quelques kilos, mais cela le méritait. Son regard s'arrêta sur la silhouette osseuse de Monsieur Lecter. Lui, rien n'avait semblé le ravir. Était-il passé à côté du bonheur ?

— Comment diable votre époux faisait-il pour ne pas être plus rond que votre cochon ?

— Oh, Norbert, enfin, Monsieur Lecter n'était pas un gourmant. Il aimait les choses simples. Un ascète, répondit-elle avec tristesse.

— Il doit vous manquer ?

— Oui, beaucoup. Mais il est toujours à mes côtés, il le sera encore longtemps.

Le silence s'installa, implacable casseur d'ambiance. Le tic-tac de l'horloge les accompagna un long instant. Rosemary semblait lointaine, habitée par des questions mystérieuses. Alors, Peter décida de briser le calme.

— Qui est la femme à vos côtés, sa sœur ? s'enquit-il.

Elle souffla fort, ses épaules s'affaissèrent. Elle reprit son sourire doux et aimant.

— Non, son amante... Britanny.

Peter s'en voulut. Il se morigéna d'être si indiscret. Foutue déformation professionnelle. Toujours à poser des questions. Pauvre Rosemary, elle avait répondu avec bienveillance et franchise. Elle ne paraissait pas animée d'un quelconque ressenti, d'une quelconque colère, comme résignée par une tromperie irrévocable.

— Oh, je suis sincèrement désolé.

— Ne le soyez pas. Ce n'est pas vous qui avez poussé cette dinde dans ses bras, rétorqua-t-elle, revigorée par un mystérieux élan de combativité.

Elle ricana, mauvaise, sans doute en repensant à cette drôle d'histoire. Elle paraissait presque amusée, finalement. Le jeune homme lui sourit et continua ses questions, qui ne dérangeaient pas son aînée.

— Comment avez-vous réagi ?

— Je me suis battue pour qu'il ne soit plus que tout à moi, s'éclaffa-t-elle en brandissant sa fourchette.

La bonne humeur reprenait ses droits autour de la table. Le jeune homme et la vieille dame devinrent complices.

— Et ça a marché ?

— Oui, en un sens, oui..., expliqua-t-elle pensive.

Ils se regardèrent, entendus. Pour Peter, cette femme est une optimiste, une battante et un ange venu sur Terre. Pour sûr, il ferait en sorte d'apporter à Rosemary tout le bien qu'il pensait d'elle.

Il inspecta le fond de sa vaisselle. Encore un peu. Encore une dernière louche. Il se leva et se resservit une dernière fois se promit-il. Il honorait la cuisinière, jusqu'à faire sauter le bouton de son jean.

— Au fait qu'elle est cette viande si succulente, s'exclama-t-il en fourrant sa fourchette garnie entre ses dents.

Madame Lecter se réinstalla sur son séant, mal à l'aise et absconse. Elle étira ses lèvres dans un drôle de sourire et déclara fièrement :

— Du Norbert.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top