two seasons before *.*


« L'amour a des dents et ses morsures ne guérissent jamais » Stephen King

Deux saisons plutôt :

La douce chaleur estivale se faufilait sous le léger t-shirt en coton de la jeune fille, lui caressant aventureusement la peau. Elle soupira avant de jeter un coup d'œil à la rue asphyxiée de passants pressés. Elle espérait de tout son cœur le repérer au milieu de cette marée humaine. Vu les heures qu'elle a passé à le contempler au lieu de débarrasser les tables de la cafétéria où elle travaille depuis des siècles environ, elle n'aura pas vraiment du mal à l'identifier, même un capuchon rabattit sur le crâne.

Son petit déjeuner déposé sur le bureau ne lui donnait pas vraiment envi. Le seul souvenir de la veille lui coupa spontanément l'appétit. Qu'est-ce qu'il lui avait bien pu passer à l'esprit pour lui avoir envoyé ce bout de papier ? C'était un geste totalement irrationnel. Elle ne s'était jamais connue impulsive. Elle se regarda dans la glace avant de lancer une moue, insatisfaite du résultat de ses deux heures de préparation. Pourquoi déjà faisait-elle des efforts alors que tout ce dont elle rêvait était radicalement interdit ? Elle effaça son rouge à lèvres d'un revers de main, aspergea son visage d'eau tiède puis s'apprêta à quitter la demeure familiale. Elle marcha près du mur pour ne pas être écrasée par n'importe quelle voiture. Les codes de la route n'étaient pas tout à fait respecter. Or, le nombre de véhicules avait autant réduit, vu les impôts que le gouvernement avait imposé.

Leur monde était entrain de couler à une drôle de vitesse et ses habitants gardaient le silence, beaucoup trop accablés par les embûches de l'existence.

La jeune fille poussa la porte de la cafétéria et salua du regard les habitués. Un café noir sans sucre, pour le monsieur en cravate à pois. Le chocolat chaud et un croissant, pour l'universitaire à sa droite. Un cappuccino et une viennoiserie, pour la femme d'affaire. Au beau milieu de sa récitation improvisée, une voix pétillante la fit sursauter:

- Voilà, ton jus d'orange fraîchement pressé, ainsi que ta tartine Nutella.

La patronne déposa le menu du jour à un nouveau client, avant d'exécuter un saut périlleux. Elle a beau avoir cinquante ans, quand on est médaillé en danse classique, ce truc ne quitte plus les veines. La jeune femme sourit de plus belle, face à la souplesse époustouflante de sa supérieure, et essaya d'esquisser son invitation en fixant le tablier blanc sur la taille, d'un geste qui se veut agile.

- On ne travaille jamais le ventre vide, c'est la règle ma fille ! Ajouta-t-elle en pointant du doigt le siège vide, en cuir rouge sang. Et ne me dis pas que tu as pris le temps d'avaler quelque chose avant de venir ici, parce que ça sera du mensonge. Et si tu veux savoir où il est, tu n'as qu'à tourner la tête d'environ 30 degré. Il est derrière le comptoir, entrain de servir quelqu'un. Et pour titre d'information, c'est lui qui t'a tout préparé. N'oublie pas de le remercier.

La cinquantenaire marmonna à elle-même qu'elle n'aurait jamais dû les aider à se jeter dans les bras de l'autre : comme ça causera leurs pertes. Cependant, c'était mieux que de les laisser volontairement se noyer dans leurs sentiments, chacun de son côté.

A deux, tout peut se diluer, même une charte aux maudites conséquences.

Elle s'installa et avala les premières bouchées de son pain grillé, un sourire béat sur les lèvres. Une joie de petite fille, qui a reçu son cadeau de Noel, s'était amplifiée en elle. Il la regardât faire, en se remémorant le message. Un « Toi aussi ?» était creusé au fond d'une serviette en papier ; où le nom de la cafétéria était suspendu à l'en-tête. Il l'enfonça encore plus dans la poche de son jean délavé, sentant des picotements suspicieux dans son ventre. Il aurait aimé posséder le courage de cette fille, trois sièges plus loin de lui. Il aurait adoré lui répondre à l'affirmative. Hors, les caméras ont aussi réussi à se faufiler jusqu'à ce café.

De nouvelles personnes s'étaient engouffrées dans la cafétéria. Et leur journée demeura sans répit. Les derniers rayons de soleil quittèrent le ciel hostile, partirent ainsi chercher un coin de paix, loin de leur ville ensorcelée.

Elle passa un coup de chiffon sur les tables rondes et arrangea les chaises. Il l'aida à placer les sièges restants et elle profita de cette occasion en or pour le remercier du petit déjeuner. Il ne laissa transpercer aucune émotion, et se contenta de hocher la tête. Elle lui rattrapa le coude quand celui-ci s'apprêta à tourner le dos. Le regard de la jeune fille fusilla le sien, espérant y trouver la réponse qu'elle aspirait. Hormis les premiers signes de fatigue, elle n'y découvrit rien. Elle le lâcha brusquement, comme si sa peau venait de la brûler, comme si en retirant sa main, elle avait laissé une part d'elle sur ce bras frôlé.

La quinquagénaire était cachée derrière la porte, cachant de sa main le bout de la caméra. La patronne maudit la gente masculine pour leur folle manie de camoufler leur émotion. Elle était toujours là, lorsque sa serveuse détacha son tablier et s'enfuit en courant. Elle était encore là, quand il frappa de son poing le mur, une tristesse brouillant ses calots. Et elle resta également là, pendant qu'il sortit le bout de papier soigneusement plié de sa poche, pour le lire, et ceci pour la bonne énième fois.

La jeune femme s'est noyée dans la foule. Elle décida de laisser tomber ses espoirs.

Et de commencer à manger chez elle avant d'aller travailler.

***

Une semaine après :

Une pluie, aussi légère que de la soie, l'accompagna alors qu'elle se dirigeait vers son travail. Elle ne savait pas pourquoi elle persistait à bosser dans cette cafétéria. Ses allées n'avaient pas de but précis. Ses retours se faisaient plus rapides. Ses retards plus consécutifs. L'humiliation qu'elle ressentait plus pesante, plus écrasante.

Tout est devenu étrangement plus mortel...

Sa patronne, elle, n'avait pas quitté son sourire rayonnant, même si ses serveurs étaient à froid. Son rôle était invincible. Elle remontait le morale aux clients, demandait de leurs nouvelles ; continuait à les surprendre avec sa souplesse séduisante ; leurs félicitait pour leur ponctualité ; leurs faisait des remarques véristes sur leurs efforts vestimentaires...

Elle souriait tout simplement, leur apprenant à cohabiter avec leur nouveau mode de vie. C'est vrai que la charte l'a éloigné de son époux, elle espérait mieux pour la rousse qui s'activait à noter les commandes sur son carnet, un sourire crispé sur les lèvres, mieux pour le jeune homme qui peinait à préparer toutes ses commandes dans un temps record. Au fond ses deux-là étaient depuis toujours complémentaires. Mortellement complémentaire...

La jeune femme se remit à ses habitudes, dès que la salle s'était tue ; vide comme la mort. Et son chuchotement lui arriva à l'oreille, ayant sur elle l'effet d'une décharge électrique. Il lui avait susurré combien ça lui manquait d'admirer son sourire. Combien il détestait qu'elle ne lui offrit pas le même depuis sept jours déjà. Combien parler de ce qu'il ressentait était difficile pour lui.

Puis, il lui tendit un toast où avec du Nutella, il écrivit : « moi aussi ».

Et encore, une fois, la patronne avait caché, de sa main, la caméra.

***

« Si tout a commencé là, tout se terminera dans quelques mois. Pour dire, que la joie n'est pas éternelle. Vaux mieux profiter de la vie.

Un ami m'avait avoué une fois que, l'existence est trop courte pour la laisser filée. Et je vois une partie de lui arroser cette nouvelle. Son visage transperçant chaque ligne. » Note de l'auteur

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