Talia

Grrr. OK. Cette fille me met sur les nerfs. Elle pose littéralement une tonne de questions et ça a le don de m'énerver. On dirait une vieille radio complétement rouillée. « Vous pouvez m'expliquer ? », « Tu peux me dire ce qu'il se passe ? ». Déjà, elle passe du tutoiement au vouvoiement en trente secondes, comme si elle oscillait entre le respect et la tentative de montrer qu'elle est grande et peut se débrouiller seule. Je lui ai pourtant dit que je lui expliquerais plus tard, mais elle n'en fait qu'à sa tête !

Bon en même temps je peux comprendre qu'elle désire des explications, c'est vrai que je l'ai fait me suivre partout en lui demandant simplement de me faire confiance et je suis une inconnue donc elle n'est pas rassurée. Mais nous n'avons pas le temps pour le moment, je pense qu'elle n'a toujours pas compris les enjeux, pourtant les trois hommes de tout à l'heure étaient assez explicites quant à leur intention de ne pas prendre un petit café avec nous. Et puis accessoirement je lui ai sauvé la vie à plusieurs reprises, elle devrait me remercier ! Bon je l'ai aussi fait sauter d'une tour mais elle s'en est sortie, non ?

Bon, malgré tout, je suis quand même heureuse de voir qu'elle ne se laisse pas marcher sur les pieds non plus. Son caractère commence à me plaire, malgré sa capacité à me tendre. Par contre, il va falloir remédier à son instinct de survie carrément foireux. Je pensais devoir prendre des heures à la convaincre de sauter mais elle n'a hésité qu'à peine trente secondes. Je ne sais pas si c'était la fatigue qui jouait mais, en tout cas, elle va avoir bien besoin de plus d'intuition parce que là, c'est mal parti pour la suite.

Un simple « plus tard » que je lui adresse négligemment pour aiguiser son irritation, peut-être serait-ce une bonne idée que j'arrête cette mauvaise habitude de forcer les gens à s'énerver, et je reprends tranquillement ma route. Le plus important pour le moment c'est de trouver un endroit sécurisé pour passer la nuit. Il est impossible que nous marchions jusqu'à l'aube, le bois du Nawire est trop dangereux et je sens que ma protégée va réellement péter un câble si je continue mes cachotteries. Je la sens bouillonner de colère derrière moi et je me dis que cela ne peut que lui faire du bien, il faut qu'elle soit prête pour la suite et c'est une bonne chose qu'elle évacue ses émotions maintenant, même si cela a tendance à m'agacer à mon tour. Et puis, de toute manière, je ne suis pas sûre qu'elle ai réellement eu une nuit de sommeil complète depuis l'incendie chez elle donc il est impératif de lui trouver un lit.

Un trop grand nombre de personnes ont disparues au sein de ces arbres et c'est évidemment une information dont je ne fais pas part à Ambre. Elle risque d'être trop effrayée et je pense qu'elle serait capable de me fausser compagnie. Ce qui serait une pulsion complétement stupide étant donné qu'elle aurait plus peur seule qu'avec moi, mais, quand on est dans sa situation, on n'a plus beaucoup de considération pour ces choses-là. Je serais obligée de la chercher et cela nous ferait perdre un temps précieux, il nous faut rejoindre les autres au plus vite et, surtout, j'ai un bon paquet d'informations à lui donner avant.

La petite bagarre avec les trois hommes de tout à l'heure m'a détendue, même si Ambre participe beaucoup à raviver mon agacement, et j'en sens les bienfaits dans tous mon corps. Mes muscles sont déliés et prêts si une nouvelle menace apparaît. Une endorphine a envahi mon cerveau et je me sens bien, mes épées bien au chaud contre mes cuisses, au fin fond de mes poches.

Tout à coup, un vent agressif me fouette le visage et projette mes cheveux de part et d'autre de ma tête. L'air frais s'insinue dans mes membres et fait vibrer tout mon corps. Je sais ce que cela signifie, merde ! J'accélère et je me mets à courir à toute vitesse. Ambre me crie de l'attendre, tant pis elle me rattrapera, pour le moment il y a urgence. Je détale, zigzagant entre les ronces et les branches qui jonchent le chemin que j'emprunte. Plus j'avance, plus la trace est visible et plus je cours vite. J'espère tout de même qu'Ambre a vu où je me dirigeais et qu'elle n'est pas perdue. Je passerais un temps fou à la retrouver et là ce n'est vraiment pas le moment opportun.

Je débouche dans une clairière semblable à celle où je me suis battue quelques minutes plus tôt. A la différence qu'ici, un cours d'eau sépare l'étendue verte parsemée de fleurs en deux, enfin séparait, vu à quoi ressemble la prairie actuellement. Et merde.

Des vagues immenses s'élèvent de part et d'autre de la rivière, s'abattant avec force sur les arbres qui nous entourent, manquant de les déraciner. Des mottes de terre sont arrachées par cette houle et s'emmêlent dans les vagues pour former une masse sombre, se mouvant dans l'eau claire devenue boueuse. Les fleurs sont déracinées et malmenées par la violence des flots. L'eau vient s'écraser contre le sol, pour repartir dans l'autre sens puis revenir dans un cycle infini. Le vent me fouette de toute part, anéantissant le brushing que j'ai tenté de créer sur ma tête, je ne suis pas douée pour ce genre de chose.

Je résiste face à cet air qui m'agresse, serrant les dents et contractant tous les muscles pour ne pas être projetée contre les rochers qui se trouvent quelques mètres dans mon dos. Le vent souffle fort pendant encore plusieurs longues secondes avant de se rendre compte de ma présence, ce devrait être plus rapide normalement. Je pense savoir qui est passé par ici, à mon plus grand désarroi. Il devient de plus en plus pressant de mener Ambre à bon port. Après s'être rendu compte que j'étais là, les vagues s'arrête d'un seul coup, comme honteuses d'avoir été prises sur le fait. Elles s'abattent une dernière fois devant nos pieds, nous éclaboussant de son écume au passage, avec une violence moindre. Puis lentement, l'eau se retire pour ne laisser devant nos yeux qu'un sol boueux et désordonné.

Tout est dévasté et je souffle, en colère. Je n'avais pas prévu de faire voir ça à Ambre tout de suite. D'ailleurs, celle-ci est arrivée, essoufflée, peu avant la dernière vague. Elle se tient droite, raide comme un piquet à ma gauche, les yeux gros comme des soucoupes. Je ne lui laisse pas le temps de poser une énième question à laquelle elle n'aura pour l'instant pas de réponse :

— Cela fait partie des choses que je vais devoir t'expliquer plus tard, marmonnai-je.

Elle est tellement abasourdie par ce qu'elle vient de voir qu'elle ne répond pas et me regarde la bouche ouverte.

— Arrête avec ta tête de poisson asmathique et suis moi, assénai-je.

Je repars, déterminée, d'un pas vif et elle me suis sans commentaires. Je pense qu'elle a enfin compris, c'est bien. Cela va me faire du bien, tant à mes oreilles qu'à mon cerveau.

Une brise légère se fait ressentir due à la nuit qui s'installe, et j'en apprécie la douce caresse en fermant brièvement les yeux. Il fait de plus en plus frais autour de nous et les ombres des arbres semblent bouger au rythme du vent, ondulant comme des danseurs. Ils sont les rois ici, ils surpassent tout être vivant de par leur sage vieillesse et leurs hauteurs impressionnantes. Il est quasiment impossible d'apercevoir la cime des arbres, à moins de grimper pendant des heures à travers leurs branches. Ils sont l'essence même du bois du Nawire, sans eux, il n'existerait pas.

Les bruits de la forêt deviennent de plus en plus présent à mesure que l'on s'enfonce tranquillement dans la nuit noire. Un long hululement fait sursauter Ambre derrière moi, ce n'est qu'un hibou mais dans la nuit ce n'est, en effet, pas très rassurant. Malgré le fait que je n'ai pas peur, je me rends compte que j'ai instinctivement posée ma main sur le pommeau de mon épée et je la retire rapidement, d'un geste furtif, pour qu'Ambre ne le voie pas et ne panique pas.

Cela fait déjà une bonne vingtaine de minutes que l'on marche quand j'aperçois enfin une Cache. Ambre n'a pas dit un seul mot du trajet, a-t-elle compris qu'il fallait se taire ? Non, je pense qu'elle réfléchis, ce qui serait l'explication la plus logique étant donné que cette fille est un vrai moulin à parole. A un moment donné, j'ai cru qu'elle m'avait faussé compagnie et je me suis retournée, un peu paniquée. Mais non, elle me suivait bien sagement, le regard se promenant sur le décor autour de nous. Peut-être commence-t-elle à s'habituer, ce qui serait une excellente chose vu les probables événements qu'elle va vivre dans les prochaines semaines.

Je me tourne vers Ambre pour lui annoncer que nous allons dormir ici, dans la Cache.

—Ici ? Mais il n'y a rien ! Simplement de l'herbe et des arbres, comme dans tout le reste de la forêt qui nous entoure, dit-elle en me regardant comme si j'étais en train de lui annoncer quelque chose de complétement stupide.

Elle ne la voit pas ? Me serais-je trompée ? Non. Je ne me trompe jamais.

— Tu ne vois rien ?

— Non.

— Rien du tout ? j'insiste.

— Non ! s'énerve-t-elle avant de reprendre plus calmement, légèrement inquiète, Non...Je ne vois rien. Pourquoi ? Que suis-je censée voir ? C'est un test pour me faire peur ?

Je prends les choses en main, voyant qu'elle commence à paniquer.

— Calme toi. Essaie de te concentrer le plus possible et de focaliser ton regard sur le rocher là-bas, lui dis-je en pointant du doigt une grosse pierre grise à quelques mètres de nous.

Elle s'exécute, non sans m'avoir lancer un regard interrogatif au préalable. Elle observe le caillou d'un air sceptique et je vois qu'elle n'est pas du tout concentrée mais sur les nerfs. C'est son défaut, on dirait que quelqu'un a bloqué le bouton « On » de son cerveau et qu'on ne peut plus appuyer sur « Off ».

J'ai eu l'impression qu'elle s'était un peu calmée tout à l'heure mais je pense qu'elle est juste complétement fatiguée. Il va être nécessaire que je lui apprenne à faire plus attention à son environnement, que ferait-elle si un ennemi surgissait tout à coup de nulle part ? Si elle est vraiment celle que tout le monde pense, ce dont je commence à douter étant donné qu'elle ne voit toujours pas la Cache, elle en aura grandement besoin pour la suite des événements. Il faut réussir à prendre conscience de tout ce qui nous entoure, du plus petit insecte au plus gros animal de la forêt, c'est primordial pour survivre à Esnia. J'ai déjà baissé ma garde, et je le regrette toujours, ce fut la pire erreur de ma vie.

Je secoue la tête pour chasser ces mauvais pensées et reporte mon attention sur Ambre qui me fixe attentivement, comme si elle lisait en moi.

— Je t'ai demandé de te concentrer ! Pas de me regarder comme si j'avais mangé ta famille ! je crie.

— C'est ce que je tente de faire mais je n'y arrive pas, et puis tu avais l'air de souffrir.

Elle l'a remarqué ? Je frissonne rien qu'à penser qu'elle ai pu percer mes défenses. Moi aussi il va falloir que je renforce mes barrières, je ne peux pas me permettre d'être aussi vulnérable.

— Tu dois mettre plus de concentration dans ce que tu entreprends. Tout ton esprit ne doit être focalisé que sur un seul point, ce rocher. Fais abstraction de toutes les idées qui te trotte dans la tête, de toutes tes pensées, fais le vide dans ton esprit. Ne pense qu'à une seule chose : Voir.

—Voir ? Mais voir quoi ? Il n'y a rien à voir, à part un stupide rocher que tu me demandes de fixer comme si c'était un dieu !

—Fais-moi confiance. Je sais que je te le demande depuis que nous nous sommes rencontrées, et que je te sauve au passage, mais je t'assure que c'est la dernière fois et que c'est vraiment important.

Elle m'observe avec un tête de grenouille et je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel.

— S'il te plaît Ambre, nous n'avons vraiment pas le temps pour ça, j'essaie de dire calmement.

— Mais je ne comprends rien !

— Imagine que tu es dans ta chambre, dans une pièce tranquille, je ne sais pas moi, quel est l'endroit où tu te sens bien ?

— Mon lit.

— Et bien imagine toi sous tes couvertures et concentre toi, s'il te plaît.

Elle souffle et repose ses yeux sur la pierre abimée par le temps. Elle met plus de volonté dans ce qu'elle fait, je le vois à la façon dont son expression faciale change, elle parait plus concentrée. Enfin ! Probablement qu'elle n'a absolument aucune idée de ce qu'elle fait mais au moins elle essaye, c'est déjà une première étape. Je l'observe pendant qu'elle poursuit son effort.

Elle est un peu plus petite que moi, ses longs cheveux noirs tombent au creux de ses reins et voltigent grâce au vent léger qui fait se soulever quelques mèches autour de son nez retroussé. Son visage est fin et long, d'une douce beauté, elle est très belle malgré la fatigue et l'hygiène manquante depuis plusieurs jours. Elle diffuse une aura de bienveillance tout autour d'elle et je vois ses sourcils se froncer doucement sous l'effort de la concentration. Malgré le noir qui nous enveloppe dans un cocon frais, je peux voir ses yeux qui transpercent la nuitée. Ils sont d'un vert étincelant, lumineux. De plus en plus lumineux. Un peu trop lumineux d'ailleurs. Inquiète, je m'approche et me place devant elle :

— Normalement ce devrait être bon, qu'est-ce que tu vois là ?

Elle ne me répond pas et la couleur de ses yeux redouble d'intensité. Elle fixe le rocher que je lui ai désigné quelques instant plus tôt comme si elle voulait l'anéantir à coup de rayons lasers. J'agite la paume de ma main devant ses yeux pour tenter de la faire réagir.

— J...Ambre, je me reprends, Réponds moi !

Plus je parle et plus je tente de la faire revenir à elle, plus ses yeux brillent. Ils sont si lumineux qu'ils en sont aveuglants, comme deux micro-soleils dans des globes oculaires. Je suis forcée de protéger mes propres yeux à l'aide de ma main droite tandis que ma main gauche continue à bouger devant les siens, semblables à des phares dans la nuit. Il y a une telle quantité de lumière qui en émane que je risque de me brûler la rétine, et ce serait irréparable.

— Oh bordel.

Il devient urgent que je la sorte de cet état, elle n'est plus elle-même. Je passe dans son dos pour ne pas me faire cramer par sa lumière éclatante et je pose doucement ma main sur son épaule.

Brusquement, elle se dégage et se retourne, m'exposant à une telle quantité de lumière que je vacille en arrière. L'éclat blanc me vrille le crâne et je tombe au sol, une main plaquée sur les yeux, comme si cela pouvait apaiser ma douleur. Je rouvre douloureusement les paupières après plusieurs secondes, et une tâche blanche floute toujours mon champ de vision. Ambre s'est remise à fixer la pierre avec tant d'insistance que je me demande si des lasers ne vont effectivement pas finir par sortir de ses yeux. Elle va finir par brûler la Cache si elle continue. L'endroit où nous nous trouvons est complétement éclairé, à la fois par Ambre et à la fois par le clair de lune, laissant apparaître les ombres inquiétantes des arbres qui nous encerclent.

Je change de tactique, je ne sais absolument pas ce que je peux faire pour qu'elle redevienne normale mais bon, je peux essayer non ? Je décide de lui attraper fermement les bras et de la plaquer au sol. Peut-être qu'une douleur assez importante suffira à la ramener à son état initial, ça marche d'habitude avec les voyous récalcitrants. Elle fait flipper avec ses projecteurs à la place des yeux, je préfère de loin quand elle parle, au moins là je n'ai pas besoin de m'inquiéter pour sa santé, je sais qu'elle est en pleine forme.

Je me relève et me jette aussitôt vers l'avant. J'attrape les deux bras de ma protégée et tire brusquement vers l'arrière. Sous l'effet de la surprise, elle bascule sur le dos et je maintiens son corps au sol, les yeux fermés pour ne pas me prendre ses phares dans la face. Visiblement, cette idée n'était pas la meilleure que j'ai pu avoir, ses yeux se mettent à briller encore plus intensément. Alors, je lui envoie ma main sur la joue et lui assène une grande claque dont elle se souviendra toute sa vie. Heureusement pour moi, ça fonctionne ! Les yeux d'Ambre redeviennent vert et toute la lumière qui les transperçaient disparaît comme si de rien n'était. Rien de tel qu'une bonne claque pour remettre les choses en place, je l'ai toujours dit !

Je lâche ses deux bras après m'être rendue compte que je les tenais encore fermement entre les miens, et je l'aide à se redresser. Elle a l'air fatiguée mais je crois que je commence à comprendre pourquoi. Je l'ai déjà vécu, nous l'avons tous déjà vécu, enfin d'une manière assez différente en fonction de la personne, moi c'était pas aussi violent quand même. Je la relève doucement tout en lui demandant :

— Est-ce que ça va ? Tu peux marcher ?

— Je la vois, dit-elle en occultant mes questions.

Elle est visiblement essoufflée comme si elle venait de courir un marathon, les cernes qui creusent ses joues se sont accentuées et son air est hagard.

— De quoi parles-tu ?

— La maison en bois, la Cache. Tu voulais que je la vois, je la vois maintenant. Je suis désolée.

J'ignore comme elle sait que l'on appelle cela une Cache, peut-être que je l'ai juste dit précédemment, ou la raison pour laquelle elle s'excuse auprès de moi.

— Tu peux marcher ? je réitère.

— Oui, je crois.

— Alors allons-y. Nous devons être à l'intérieur le plus vite possible.

Nous nous dirigeons silencieusement vers la porte, encore sous le choc de la scène que nous venons de vivre, pourtant sous deux points de vue bien différents.

La Cache est une petite maisonnette en bois, construite il y a des années mais qui reste en excellent état. Il y en a six en tout, dans le bois du Nawire. Chacune de ces Caches appartiennent à une des Grandes Familles, en charge de les préserver, elles et leurs locataires, des dangers qui règnent dans la forêt, qu'ils soient animaux, humains ou autres.

Un petit bruit attire mon attention et je me retourne vivement en posant la main sur la garde de mon épée à travers ma poche. Mais ce n'est qu'un mulot qui traverse les buissons, je deviens parano. Je pousse Ambre à l'intérieur et referme précipitamment la porte que je scelle immédiatement. Je me retourne et m'adosse à la porte, soulagée d'être en sécurité.

La maison n'est pas immense mais on peut facilement accueillir huit personnes à l'intérieur. Un canapé en cuir est adossé contre le mur du salon orné de grandes tapisseries représentant la famille royale lors d'un pique-nique dans les jardins, il y a dix ans. Les trois enfants virevoltent gaiement autour de leurs parents qui les observent, attendris. Devant ce canapé, se trouve une petit table, un vieux fauteuil marron et trois petites chaises moelleuses. Derrière cet ensemble, on peut trouver une grande table en bois massive autour de laquelle huit chaises sont installées, attendant d'accueillir des occupants. Une grosse horloge est fixée au mur et un immense meuble rempli de vaisselle est posé juste en face. Une cheminée trône au milieu du salon et je me précipite pour allumer un feu. Malgré la chaleur parfois étouffante de l'été, nous courons vers l'automne et les nuits sont plus fraiches.

— Où sommes-nous ? me demande Ambre à voix basse, intimidée par le logement certes petit mais non moins impressionnant.

J'ignore sa question pour le moment :

— Tu peux prendre une douche et te débarrasser de toute cette saleté si tu le souhaites. Les salles de bain sont à l'étage. Tu trouveras cinq chambres en haut. Elles possèdent chacune leur propre salle de bain. Tu prends celle qui est la plus au fond et je prendrais celle d'à côté. Il y a tout ce qu'il te faut pour une douche ou un bain la haut. S'il te vient l'envie de visiter, fais toi plaisir. Dans une heure je te retrouve en bas, je pense que tu as de nombreuses questions et il sera temps d'y répondre.

Dans une heure il sera déjà vingt-trois-heures mais tant pis, il y a plus important que le sommeil actuellement.

Elle hoche simplement la tête et se dirige vers l'étage. Une fois qu'elle est partie, je monte à mon tour et m'engouffre dans la première salle de bain. Je ne verrouille pas la porte, on ne sait jamais, si une urgence s'annonçait je pourrais ainsi me précipiter à l'extérieur. J'attrape une serviette dans la petite armoire qui se trouve à ma droite quand je pénètre dans la pièce, retire mes vêtements sales et me glisse lentement dans la douche. J'actionne le mécanisme vieux comme le monde qui consiste à tourner le bouton de droite pour une eau chaude et à gauche pour une eau fraiche. J'opte pour la chaleur. Le jet brûlant coule sur mon corps et tous mes muscles se détendent instantanément. Je savonne mon corps et mes cheveux afin d'évacuer toute la saleté accumulée sur mon corps, qui vient se déposer au fond de la douche, formant une masse sombre qui s'évacue peu à peu.

Mon esprit vagabonde à mesure que la pièce s'embue. Les événements se sont enchaînés à une telle vitesse mais cela m'a paru très long. Je jette un coup d'œil à la petite horloge au-dessus du lavabo, ayant dormi toute la journée, je ne me sens plus très fatiguée. L'eau me fait un bien fou et je me sens revigorée. Je pense qu'il en va de même pour la jeune fille au-dessus de moi.

Après une trentaine de minutes passées à me détendre sous la douche, oui c'est long j'avoue, je me décide enfin à sortir. Je me sèche rapidement et enfile des vêtements propres, une tunique blanche et un caleçon noir. Cette Cache contient tout ce qu'il faut pour survivre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dont des vêtements propres et de la nourriture. J'attache mes cheveux en une longue queue de cheval qui mouille tendrement mon dos et quitte la pièce avant de redescendre.

J'entends toujours l'eau couler au-dessus de ma tête, Ambre est toujours sous la douche. Elle doit probablement avoir autant besoin que moi de se retrouver seule. Malgré ses nombreuses questions je pense qu'elle doit avoir aussi besoin de digérer les derniers événements des deux heures, enfin trois jours pour elle, qui viennent de s'écouler.

Je me dirige vers la cuisine et commence à nous préparer un repas chaud, la soirée va être longue et nous avons besoin de reprendre des forces. Au menu ce soir, purée de pomme de terre accompagnée d'un morceau de viande de lapin et du pain. Je chauffe les féculents et l'animal avant de les disposer dans nos deux assiettes blanches dénichées dans un placard. J'amène nos plats dans le salon quand j'ai terminé et voit qu'Ambre est descendue.

Elle s'est installée dans le canapé, emmitouflée dans un gros plaid et les cheveux encore mouillés enroulés en un chignon soyeux dont quelques mèches retombent sur son visage. Elle tient entre les mains un livre probablement trouvé dans la coiffeuse au fond de la pièce. Je vois ses yeux qui parcourent les lignes sans réellement les voir, trop préoccupés par autre chose.

Je m'installe en face d'elle, dans le fauteuil moelleux et accueillant et dépose les assiettes de nourriture devant nous. J'attrape la mienne et commence à manger silence. Nous ne parlons pas mais ce n'est pas nécessaire. Le silence n'est pas gênant, juste agréable à écouter après le vacarme de la forêt. Nos couverts tintent contre le métal froid de nos assiettes. C'est le seul bruit que l'on perçoit avec le tic-tac incessant de l'horloge qui trépigne et égrène ses minutes. Quand j'ai terminé de manger, je dépose mes couverts et vais nous préparer deux tasses de thé aux fruits rouges. Je reviens les mains pleines, cinq minutes plus tard.

Je me rassieds confortablement, attrape ma tasse que je cale entre mon menton et mes mains afin de me réchauffer, et observe fixement Ambre dans les yeux avant de me lancer.

— Prête ? Je pense qu'il est temps que je t'explique tout.

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