Isabelle
Je me réveille en sursaut, en sueur, haletante. J'ai fait un cauchemar, Ambre en faisait partie et je frissonne rien que d'y repenser, j'espère que ce que j'ai vu n'arrivera pas de sitôt. Je reprends mon souffle doucement. J'ai besoin d'aller aux toilettes. Il fait une chaleur étouffante dans ma grande chambre illuminée par le clair de lune. Je me dirige vers la grande fenêtre qui donne sur le jardin, à l'arrière de notre grande maison. J'ouvre la vitre en grand et inspire l'air frais à pleins poumons. Je regarde l'heure sur mon radio-réveil d'un œil distrait, il est quatre heures cinquante-huit. Je descends aux toilettes qui se trouvent au rez-de-chaussée. Après avoir fini mes affaires je vais à la cuisine pour me servir un verre d'eau fraîche. Le four annonce cinq heures trois, je ne pense pas que j'arriverais à me rendormir avant d'aller au travail, je dois normalement me réveiller dans une heure.
Je me décide donc à lire un livre en attendant qu'Ambre se lève pour aller au lycée. Elle arrivera comme d'habitude, la tête encore endormie, et tant qu'elle n'aura pas bu son jus de fruits impossible de lui faire décrocher plus de deux mots.
Je feuillette distraitement les pages de mon livre et c'est à ce moment que je les aperçois. De longues flammes dévalant les escaliers à toute allure, comme poursuivies. Je me relève brusquement, faisant basculer ma chaise derrière moi, qui s'écrase violemment au sol. Je me précipite dans le salon ou le feu à commencer à se propager, comment ai-je pu ne pas le remarquer plus tôt ? Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions que mon cerveau pense aux priorités :
— Ambre ! je crie vers les escaliers.
Je panique. Sa chambre se trouve au dernier étage de la maison, j'espère qu'elle s'est rendue compte de qu'il se passe.
Je me précipite vers les marches dans l'espoir de pouvoir monter mais la fumée s'insinue déjà dans mes poumons, me faisant tousser. Les flammes sont trop hautes, trop brûlantes pour que je puisse avancer. Je cours dans la cuisine afin d'attraper une carafe d'eau, avec le mince espoir de pouvoir éteindre quelques flammes, pour me permettre de monter, mais c'est peine perdue. Je hurle de plus en plus fort pour m'assurer qu'Ambre va bien.
— AMBRE ! je crie à pleins poumons.
Je ne la vois toujours pas apparaître en haut des escaliers. Mais je me rends compte qu'elle ne va pas pouvoir descendre, les flammes sont trop hautes. Non, non, non ! Je me prends la tête dans les mains, affolée. Pas Ambre, pas elle. Au bout de quelques secondes elle déboule, son sac sur l'épaule. Elle est incorrigible. Son sac est vraiment la seule chose à laquelle elle a pensé en voyant un incendie se déclarer ? Comment s'est-il déclaré d'ailleurs ? J'ai ma petite idée mais je ne peux pas y croire.
— Ambre ! Fais demi-tour, descend de ta fenêtre, c'est trop dangereux ici ! Je lui crie, me rendant compte en même temps que je la propose que c'est effectivement la meilleure idée, il faut qu'elle sorte par sa fenêtre.
Je la vois observer les alentours pour évaluer le danger et je comprends son idée au regard vif qu'elle me lance :
— Maman ! Je vais sauter.
— Non ! Tu vas te blesser !
Mais elle a déjà sauté et atterri lourdement au sol, s'égratignant la jambe au passage, mais se relevant tout de même, malgré sa grimace qu'elle tente de cacher. Elle court vers moi et je tends les bras pour l'enlacer, soulagée. Mon cerveau marche à vive allure, j'ai eu si peur pour elle mais je suis tellement heureuse qu'elle aille bien. Je me rends compte que je pleure. Mais ce n'est pas encore fini, il nous faut absolument sortir d'ici tout de suite.
J'attrape la main de ma fille et l'entraine vers la porte. Nous courons à travers les débris de meubles cramés. En voyant brûler toutes ces heures de travail pour décorer tant bien que mal cette maison familiale, je ressens un pincement au cœur. Tout part en fumée. J'ai une impression de déjà-vu... Mais le plus important c'est de sortir d'ici le plus vite possible. La fumée me pique les yeux et des cendres se déposent sur mon pyjama en dentelles.
Nous arrivons enfin à la porte et nous précipitons dehors en même temps qu'une poutre manque nous tomber dessus. Ambre s'écroule au sol et je tente de la relever mais une femme en uniforme s'approche de moi avec une couverture et un homme prend ma fille dans ses bras pour la déposer dans un brancard un peu plus loin, un masque posé sur le nez. Les pompiers. Ils sont là, probablement alertés par les voisins en voyant l'incendie. Tout à coup, la maison qui crame me paraît secondaire, ma fille est en sécurité, saine et sauve. La pression qui me compressait les épaules se relâche doucement et je respire mieux dans le masque que la femme en face de moi vient de me poser sur le nez. Après quelques secondes passées à m'observer, la pompière me demande si elle peut me poser quelques questions :
— Nous avons quelques questions à vous poser madame, acceptez-vous d'y répondre ? Vous n'êtes pas obligée évidemment, nous sommes conscients que ce que vous venez de vivre n'est pas facile mais une enquête va être ouverte et cela nous faciliterais la tâche.
— Ma fille, je...
— Vous pouvez aller la voir tout de suite si vous le souhaitez, mon collègue s'occupe de la rassurer, ou répondre et ensuite y aller. Comme vous le sentez, madame.
Je hoche la tête, je suis prête à répondre, plus vite elle me pose ses questions plus vite ce sera terminé, Ambre est en sécurité. Elle me pose tout d'abord quelques questions pour avoir des renseignements sur ce qu'il s'est passé, me demandant de raconter tout ce que j'ai vu, dans les moindres détails, jusqu'à ce moment précis. S'en suivent des questions sur mon état de santé et celui d'Ambre et des renseignements sur la maison et les personnes que l'on pourrait appeler. Je leur demande de prévenir ma mère, Éléonore saura comment gérer la situation, enfin si elle est ici. J'ai du mal à croire que tout ceci est un accident, mais, bien sûr, je ne fais pas part de cette dernière réflexion aux pompiers.
L'homme qui s'occupait de ma fille s'approche de moi pour me parler :
— Nous pensons savoir d'où est parti le feu. Il semblerait que la source de l'incendie soit le dernier étage. Y'a-t-il une cheminée à cet étage ? Cela expliquerait qu'il se soit propagé à partir de cet endroit.
Je n'ai pas le temps de répondre que non il n'y a pas de cheminée au dernier étage que je vois ma fille sauter du brancard qui la retenait et courir vers la maison, éteinte par les professionnels du feu. Ceux-ci tentent de la retenir mais je sais qu'ils n'y parviendront pas. Je commence à la suivre, non pas pour essayer de la rattraper mais pour m'assurer qu'elle va bien. Mes convictions se renforcent de plus en plus, l'incendie a démarré dans sa chambre, et la raison m'en paraît évidente. Mais tout à coup une main puissante me retient le bras :
— Vous ne pouvez pas entrer madame, dit le pompier d'une voix rauque., celui-là même qui est venu nous dire que la source se trouvait au dernier étage, il y a quelques minutes.
— C'est ma fille, et ma maison, je proteste en essayant de garder mon sang-froid et de ne pas céder à mes impulsions.
— Je sais, je comprends madame mais il faut laisser les professionnels s'en occuper. Nous allons la chercher.
— Monsieur, je pense être en droit de décider de si je dois aller voir ma fille qui est danger ou non. Vous avez des enfants ?
— Je...Oui mais..., commence-t-il.
Mais je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase :
— Alors, en tant que père vous devriez comprendre que je souhaite être auprès de ma fille après toutes ces épreuves traumatisantes que nous venons de vivre.
Il ne trouve rien à redire. Je savais que mon argument était imparable, il faut dire que j'ai étudié à bonne école et que j'ai l'expérience des cas récalcitrants.
Le pompier me demande tout de même de rester derrière pour ne pas les gêner. J'accepte à contrecœur, je veux simplement voir Ambre et m'assurer qu'elle va bien. J'ai peur, mais j'ai confiance en elle, elle ne prendra pas de risques inconsidérés. Enfin comment en être sûre après qu'elle ait sauté de l'escalier tout à l'heure ?
Nous nous précipitons donc vers l'intérieur et montons les marches à toute allure, enfin à l'allure la plus rapide qu'il est possible d'aller dans un escalier à moitié détruit. Mais je le vois. Le feu. L'incendie s'est rallumé à l'étage.
—Ambre ! je crie en me précipitant vers sa chambre, verrouillée.
— Ambre ! Réponds-moi !
Les flammes s'éteignent d'un coup et les pompiers me rattrapent. Personne ne pose de questions sur la rapidité qu'a mis le feu pour s'éteindre. Je tente d'actionner la poignée de la porte mais elle est coincée. Je tambourine à la porte en criant à Ambre de me répondre si elle m'entend. Les pompiers s'adressent à ma fille à travers la porte pour savoir si elle est là, mais je ne parviens pas à les écouter, je comprends ce qu'il se passe de l'autre côté. Les professionnels décident d'enfoncer la porte et l'un commence un décompte :
— Allez les gars, à trois !
— Un !
— Deux !
— Trois !
Ils foncent vers la porte mais une vive lumière bleue apparaît et la porte ne bouge pas d'un millimètre. Puis elle s'écroule dans un grand bruit et je me précipite à l'intérieur juste à temps pour voir ma fille sombrer, de la lumière s'éteignant entre les mains. Merde.
— Non ! je crie.
Les pompiers se déploient tout autour de moi, m'entourant, moi et ma fille, dans une sorte de cocon rassurant. Une femme s'approche pour écouter la respiration d'Ambre et s'assurer qu'elle vit toujours. Je sais que oui, je sens sa poitrine se soulever sur mes genoux, sa tête posée sur mon torse. La pompière tente de me retirer ma fille de mes bras mais je la retiens, je veux la garder pour toujours avec moi, mais je sais que ce ne sera pas possible, je sais ce que je dois faire.
— Madame, il faut que vous nous laissiez nous occupez de votre fille, nous ignorons toujours ce qu'il vient de se passer et si elle a été exposée à un autre danger, quel qu'il soit.
Je dois les laisser faire, pour le moment, je le sais, c'est la meilleure solution. Mais je ne peux m'empêcher, en tant que mère, de vouloir garder ma fille tout contre moi. Une civière a été remontée afin de pouvoir, je le devine, y déposer Ambre. Un homme s'approche de moi et je le laisse l'emporter pour allonger ma fille.
Elle est si jolie, ses joues sont douces comme la mousse de forêt, ses paupières fermées ne tremblent pas, elle semble apaisée, telle une princesse endormie à jamais. Son corps a besoin de repos, ce qu'elle vient d'endurer n'est qu'un début, je le sais, je l'ai vécu. J'observe Ambre. Ses longs cheveux bruns sont déployés autour d'elle, formant une masse sombre autour de son visage qui fait ressortir ses lèvres fines et colorées. Ses joues sont pâles ce qui contraste avec le reste de son corps. Son petit nez, rougi par la chaleur des flammes, posé tel une fleur au milieu de son visage, la rend plus belle encore. Elle ressemble tant à sa sœur. Je sais qu'elles tiennent beaucoup de moi, ma mère me l'a si souvent répéter : « Elles te ressemblent tellement Isa ».
Je suis fière de ce qu'est devenue ma fille : une belle jeune femme. J'ai confiance en elle et sa force, quand le jour sera venu, elle saura affronter ce qui l'attend.
Je détourne mon regard d'Ambre pour me concentrer sur les pompiers qui commencent à se diriger vers la porte pour descendre les escaliers. J'attrape la main de ma fille tout du long de la descente, comme si je craignais qu'elle s'envole sans moi et aussi pour la rattraper au cas où les escaliers calcinés se déroberaient sous nos pieds. Arrivés en bas, Ambre remue mais n'ouvre pas les yeux.
Je tente de ne pas trop observer autour de moi pour ne pas m'infliger la vue de notre foyer complétement détruit et irrécupérable. Mais je ne peux m'empêcher de tout de même jeter un coup d'œil sur l'un des meubles de l'entrée. Il ne lui reste qu'un pied et les deux tiroirs ont fondus, il gît à moitié sur le sol mais la photo qui m'intéresse est restée préservée de toute brûlure. Je la ramasse délicatement, comme si j'avais peur qu'elle se réduise en poussière à mon contact. Sur l'image, mes deux filles sourient de toutes leurs dents, la plus jeune sur une balançoire pour enfants et la plus grande la poussant, toujours plus haut. « Vers les étoiles Chloé ! » comme elle disait pour que sa sœur s'imagine s'envoler jusque dans les cieux.
Je souris et fourre la photo dans un coin de mon pyjama, au moins, un souvenir ressortira vivant de ce calvaire.
Les deux pompiers qui portent la civière l'emporte à l'intérieur d'un camion rouge. Je le suis à l'intérieur et personne ne me fait de remarques, ils ont compris que je n'abandonnerais pas ma fille. A l'intérieur du camion se trouve une tonne d'appareils différents, tous métalliques ou rouges.
Une secousse manque de me faire basculer, je comprends que l'engin démarre, déjà, en direction de l'hôpital le plus proche, à deux kilomètres d'ici. Une femme s'approche de moi pour me parler :
— Bonjour, je suppose que vous êtes la mère d'Ambre.
Ce n'est pas une question, elle le sait et n'attend pas réellement de réponse de ma part. Je hoche malgré tout la tête.
— Je m'appelle Laure, dit-elle en me tendant une main que je serre rapidement, nous arrivons bientôt à l'hôpital, ils se chargeront d'elle, ne vous inquiétez pas, tout ira bien. Si cela ne vous dérange pas je vais vous demander de me répéter tout ce qu'il s'est passé chez vous, s'il vous plaît.
Sa voix est claire et douce, elle ne me parle pas d'un ton professionnel comme les autres pompiers, d'ailleurs je remarque que c'est une infirmière, au vu de la blouse blanche qu'elle porte, mais plutôt comme à une amie. Elle a des cheveux blonds, réhaussés par un chignon qui tombe sur sa tête. Ses traits ne sont pas particulièrement fins mais lui apporte une touche de beauté incroyable. Cette femme illumine l'habitacle. Je remarque d'ailleurs les regards admiratifs de ces collègues présents, ils ont l'air de réellement la respecter.
Je reprends donc toute l'histoire improbable qui vient de nous tomber dessus, à Ambre et moi, sans omettre un seul détail, à part peut-être un seul, crucial, que je ne peux me permettre de dévoiler.
— Merci beaucoup pour votre récit. J'ai maintenant une question que j'aimerais vous poser, puis-je ?
Son regard est vif et je comprends qu'elle souhaite me dire quelque chose de plus important. J'imagine qu'elle va me demander si Ambre à des antécédents médicaux ou non. J'acquiesce.
— Savez-vous si quelqu'un pourrait vouloir du mal à votre fille pour quelque raison ? lance-t-elle en appuyant fortement sur le mot « quelque » et en me lançant un regard sans équivoque.
Mon sang se glace, elle sait. Comment ?
— Qui êtes v... ?
Mais je n'ai pas le temps de finir ma phrase que j'aperçois les murs de l'enceinte de l'hôpital et que l'engin se stabilise laissant entrer deux personnes aussi vêtues de blouse blanches. Laure se détourne rapidement et sort du véhicule en me faisant un petit signe de la main. Mais tout à coup j'entends un cri et me retourne vivement. Un homme affolé prend le pouls de ma fille :
— Elle ne respire plus !
Non ! Je me précipite vers Ambre, oubliant Laure l'espace d'un instant, seulement préoccupée par ma fille. Mais pour la deuxième fois en une heure, un bras me retient. Je me débats de toute mes forces, en proie à une colère sourde, tandis qu'un homme s'applique vivement à faire un massage cardiaque à Ambre. Des larmes dévalent mes joues, voyant qu'elle ne respire toujours pas. Je pourrais la sauver, je pourrais agir maintenant, mais je ne peux pas, ce serait trop dangereux. Au bout de quelques secondes je vois enfin sa poitrine se soulever. Je souffle, fatiguée, mais rassurée. Ambre va bien.
Les pompiers se précipitent vers ma fille pour la sortir du camion et je les suis rapidement. En entrant dans l'environnement complétement aseptisé de l'hôpital je suis saisie par le silence environnant qui contraste fortement avec la multitude d'émotions qui grondent en moi en ce moment et qui ne demandent qu'à être évacués. Des hommes et des femmes sont assis un peu partout dans la salle d'attente. Des enfants, des personnes d'âge mûr, une grande mixité générationnelle règne ici. La plupart des plus jeunes gambadent autour de leurs parents, certains ont un bras dans le plâtre, d'autres gardent le silence autour de leurs parents qui se tiennent la tête entre les mains, probablement assaillis par une migraine affreuse ou par je ne sais quelle urgence qui les a amenés ici. Une vieille dame très pâle nous observe d'un œil distrait tout en regardant la télé accrochée au-dessus du bureau d'accueil où un homme décroche le téléphone vibrant.
Nous nous dirigeons vers les portes automatiques des urgences en courant, tous les regards maintenant braqués sur nous. Un homme me retient :
— Si vous voulez entrer vous devez enfiler ceci, annonce-t-il en me tendant une blouse et une charlotte que je m'empresse d'enfiler par-dessus mes cheveux sales, et mes vêtements couverts de suie.
Après avoir enfiler l'uniforme verdâtre, j'entre dans une chambre à la suite des pompiers. La pièce est blanche, complétement blanche. Quatre murs blancs, un lit blanc posé au centre de la pièce, une table blanche avec tout un tas d'ustensiles blancs posés dessus. Ma fille a été allongée sur le grand lit, elle paraît si fragile.
Une femme, s'approche de moi et me demande gentiment de sortir :
— Madame, je vais vous demander de sortir de la pièce, nous avons besoin de calme et de ne pas avoir de présence autour des médecins. C'est pour le bien de votre fille.
Je vais pour protester mais je croise le regard de Laure. Ses yeux me transpercent et m'en dissuadent. Je sais qu'elle sait et elle aussi. Je suis maintenant quasiment certaine de l'avoir déjà vue et j'ai ma petite idée du lieu. C'est une alliée. Elle protégera Ambre. Je sors donc à contrecœur de la chambre immaculée après avoir déposé un dernier baiser sur le front de ma fille.
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