Ambre

Une ombre s'étend au-dessus de ma tête et se répand autour de moi. Le noir m'engloutit tandis que de longues lianes apparaissent tout à coup pour venir enserrer mes poignets, mes chevilles, mes hanches et mon cou. Je suis soulevée du sol, paniquée. Je me débats dans tous les sens avant que mes liens se resserrent et bloquent chacun de mes mouvements. Immobilisée, je n'ai d'autre choix que d'observer ce qui se passe devant moi.

Une femme apparaît tout à coup et approche ses longs doigts crochus de ma nuque. Elle m'étrangle avec une force inouïe qui empêche ma respiration de fonctionner normalement. Puis, étrangement, je parviens à inspirer malgré l'étau qui me compresse le cou. Mon bourreau relève la tête et je croise son regard sombre, si sombre que j'ai l'impression d'y être aspirée...ce qui est en fait le cas car je me retrouve propulsée en avant et fonce droit sur son visage.

Je me retrouve dans une forêt obscure aux arbres qui dépérissent. Une forme étrange se dessine sur le sol brumeux, libérant un éclat argenté. Une voix rauque retentit dans la nuit :

— June.

Je m'approche doucement de la sorte de poupon devant mes yeux et ce que je vois m'horrifie. Une masse gluante de chair repose dans un berceau d'enfant et une couleur rougeâtre en émane brusquement avant de fondre droit sur mes mains.

Celles-ci se mettent à me brûler si intensément que je hurle. Tout à coup, le sol s'ouvre sous mes pieds et je tombe dans une chute infinie. Je me retrouve dans les profondeurs de l'océan, une eau verdâtre me gelant les os. Je coule de plus en plus loin avant d'apercevoir une ancre mousseuse au fond de l'eau. A l'instant où je m'en approche, mon dos heurte le sable et une vive douleur se propage dans mon corps.

Je me réveille en sursaut, haletante. Ma main se porte automatiquement sur mon dos, encore un cauchemar. Je suis dans le grand lit à baldaquin dans lequel je me suis couchée hier soir après tous les évènements qui se sont produits dans la journée.

Je suis en position assise, adossée contre le bois du lit qui me permet de me maintenir en place tandis que je tente de reprendre mes esprits. Je transpire à grosses gouttes et je repense à ce cauchemar horrifiant qui m'a paru si réel. Je me souviens de tous les détails sans exception et le souvenir est si clair dans mon esprit que j'ai l'impression de revivre les trois scènes comme si j'y étais encore. D'habitude, mes rêves sont toujours très flous à mon réveil, et, la majorité du temps, je n'en ai aucun souvenir, mais celui-ci me paraît presque vivant. Je régule ma respiration avant de me décider à bouger, je ne me rendormirais pas cette nuit, pas après cette petite épreuve.

Je repousse les couvertures et sort du lit en cherchant des yeux des vêtements décents que je pourrais porter. Je jette un coup d'œil à la chambre dans laquelle je me situe. Le lit dans lequel je viens de dormir se dresse au centre de la pièce, imposant, et, au bout de celui-ci, se trouve le coffre que j'ai ouvert la veille. Un large miroir aux contour dorés est positionné contre le mur qui se situe en face du couchage ce qui produit un effet d'agrandissement de la pièce pourtant déjà très large.

En voyant la cabane hier soir je n'aurais pas pensé qu'elle pouvait abriter d'aussi grandes pièces et je me demande si Talia se trouve également dans une chambre aussi grande ou si elle m'a laissé la plus vaste. À ma droite, une grande armoire en bois massif et aux motifs dessinés trône contre un mur, et, sur le mur en face, une large fenêtre commence à diffuser les premiers rayons de soleil de la journée.

Je m'approche et ouvre les portes de l'armoire pour tenter de trouver des vêtements et je souris lorsque je découvre toutes sortes de tissus. Je prends le temps de m'habiller pour me changer les idées après ce cauchemar affreux. Lorsque je vivais avec ma mère, j'aimais beaucoup passer du temps à choisir mes tenues, me maquiller, m'apprêter. Retrouver ce sentiment de normalité me fait du bien et je ne cherche donc pas à me presser. J'enfile un pantalon noir et un débardeur vert pastel pour ajouter un petit peu de couleur et je tresse mes cheveux en une natte qui descend le long de mon cou.

Je descends les escaliers à pas de loup pour éviter de réveiller Talia qui doit sûrement dormir. Arrivée dans la cuisine, je prépare un petit-déjeuner pour deux, attrape une tasse et de l'eau chaude et me prépare un thé avant d'aller m'installer à la fenêtre. J'observe la forêt à travers la vitre tout en me remémorant la journée de la veille. Je tente de prendre du recul sur la situation mais ne comprend pas réellement ce que Talia attend de moi. Que veut-elle que je fasse ? Que je sauve le monde ? Que j'utilise le feu pour cela ?

Ces questions tournent en boucle dans ma tête et je tente de me calmer en observant le soleil monter dans le ciel. Ses doux rayons du matin viennent caresser mon visage et sa chaleur me fait du bien. Au sein des bois, un mulot court à toute vitesse entre les brins d'herbes tandis qu'un aigle plane quelques mètres au-dessus de lui, attendant le moment opportun pour attaquer. Si j'avais quelques années de moins, je me serais précipitée auprès du rongeur pour le protéger des serres de son prédateur. Mais aujourd'hui, mon esprit est si chamboulé que je ne parviens qu'à fixer l'oiseau fondre sur sa proie et s'envoler au loin.

Mon ventre émet un gargouillis sonore et je bois une gorgée d'eau chaude. Ce que je souhaiterais le plus en cet instant c'est un bol rempli de fraises. Je suis encore en train de penser à des fraises rouges et juteuses lorsque j'entends un bruit derrière moi. Je me retourne et découvre Talia, adossée nonchalamment contre la porte de la cuisine, un bol de fraises à la main.

— Une fraise ? me demande-t-elle.

Je ne me fais pas prier et me précipite vers la table du salon, Talia m'emboîtant le pas, pour me poser sur une chaise avec le petit-déjeuner. Je me délecte de mes fruits, le regard de la jeune brune posé sur moi alors qu'elle mange une quantité insignifiante de nourriture.

— Tu ne manges pas ? je l'interroge.

— Ne t'inquiète pas pour moi Ambre, j'ai ce qu'il faut. Mange. Je ne sais pas depuis combien de temps tu n'as pas avalé un petit déjeuner décent.

Je ne pose pas de questions pour le moment et englouti ma part de repas. En temps normal je n'aurais jamais laissé une personne en face de moi ne pas se nourrir alors que je suis en train de manger mais j'ai tellement faim que je me précipite sur ce qu'il me reste. Quand je relève la tête, le ventre gonflé par toute la nourriture que je viens d'ingurgiter, je crois le regard de Talia et je comprends que c'est l'heure des dernières questions après lesquelles je n'aurais dans doute plus de réponses claires.

— Qu'attends-tu de moi ? je lui demande.

Je vais droit au but, je crois que je veux savoir de quoi il retourne, j'aimerais comprendre comme ma vie en est arrivée là en si peu de temps. Je me souviens de mon cauchemar de cette nuit, j'ai le pressentiment qu'il ne vient pas de nulle part, j'ai eu peur sur le moment mais j'ai maintenant pris une résolution. Je vais suivre Talia, ce rêve à attisé ma curiosité, ce n'est pas la première fois que j'entends ce mois prononcé en anglais, « June ». Pourquoi est-ce qu'il revient sans arrêt dans mes songes ? Je ne l'avais pas remarqué auparavant mais, cette nuit, cela m'a mis la puce à l'oreille.

Talia m'observe avec ses grands yeux bleus qui contrastent avec sa peau mate et ouvre la bouche pour dire quelque chose, puis, elle l'a referme, l'air de se retenir. Je ne rebondis pas sur cette occasion de lui soutirer des informations, je pense que je saurais ce qu'il en est dans peu de temps.

— J'aimerais que tu me suives. Je dois te présenter quelques personnes qui auront d'autres réponses pour toi et je pense que tu comprendras de nouveaux éléments, m'annonce Talia.

— Je te suis, je souhaite comprendre. Où allons-nous ?

— Nous allons dans la partie du bois de Nawire qui appartient à la contrée d'Aspeau. Pour aller là-bas, il nous faudra plusieurs heures de marche. Essaie de trouver des vêtements chauds et des chaussures qui te permettront de marcher sans être dérangée.

Je hoche simplement la tête et me relève. Les tonnes de questions que je me pose depuis hier soir rôdent dans mon cerveau mais je me retiens de les poser et les gardent dans un coin de ma tête afin de pouvoir les poser en temps et en heure. Je crois que je n'ai jamais eu autant de résolution face à une situation aussi compliquée que celle-ci. Ma mère m'a toujours dit de ne pas suivre des inconnus, mais je crois que, au vu de ma situation actuelle, je n'ai d'autre choix que de me convaincre que je fais ce qui est bon et normal. Peut-être pourrais-je retrouver ma vie normale lorsque j'aurais aidé Talia.

Je retourne dans ma chambre improvisée et fouille dans l'armoire pour trouver des vêtements chauds et surtout utiles pour marcher durant plusieurs heures. Mon regard est attiré par mon reflet dans la glace alors je m'observe sous tous les angles. Mes longs cheveux bruns sont tressés et mes yeux vert scintillent de manière exagérée. Des billes argentées se propagent dans mon iris lorsque je m'approche de mon reflet. C'est magnifique, le vert éclatant de mes yeux disparaît au fur et à mesure que l'argent prend toute la place dans mon œil. L'éclat semble danser tout seul et je suis comme hypnotisée par ce beau ballet. Je suis absorbée par la vision de mes propres yeux quand j'entends trois coups frappés à la porte avant que celle-ci s'ouvre rapidement. Talia apparaît dans la chambre en m'apostrophant :

— Que fais-tu ? Ça fait vingt minutes que tu es montée Ambre.

— Vingt minutes ?! Je demande en ouvrant la bouche en grand. Je viens tout juste de monter Talia.

— Regarde l'heure, m'ordonne-t-elle.

Je lève les yeux vers la petite horloge fixée au mur et ouvre de grands yeux lorsque je découvre qu'elle a raison. Cela fait vraiment autant de temps que je suis montée et je ne m'en suis même pas rendue compte.

— Mais... je, je bégaie, je ne comprends pas. Je viens de monter, j'ai cherché des vêtements et je me suis juste observée deux secondes dans le miroir ! Je ne comprends pas ! je panique.

— Ambre, tout va bien, ne t'inquiètes pas, je pense que tu as du t'enfermer dans tes propres yeux, tu comprendras mieux lorsqu'on aura retrouvé une personne vers qui je souhaite t'emmener. Elle t'expliquera les choses mille fois mieux que moi.

— Pffff je crois que je n'ai pas le choix ? Je te suis mais je veux des réponses rapides.

— Tu les auras, je te le promets, mais nous ne devons pas traîner.

Au moment où Talia prononce ces mots, je sens mon cœur sauter dans ma cage thoracique. Un grondement sourd fait trembler mes tympans et je sens mes poumons se contracter. J'observe Talia, elle semble ressentir la même chose que moi. Un poids s'abat sur moi avant de disparaitre complètement en peu de temps.

Paniquée, je cherche le regard de la jeune brune qui prend un air déterminé :

— On se dépêche. Le temps presse. Il faut absolument partir au plus vite, m'annonce-t-elle avec une voix pressante et autoritaire.

Talia sort de la chambre à une vitesse folle, un air stressé plaqué sur le visage. Est-ce que ce que nous venons de ressentir est ce qu'elle appelait le Signal ? Ce dont elle parlait pas plus tard qu'hier ? Si c'est le cas, je crois que c'est en effet une situation d'urgence, enfin de ce que j'ai compris. Talia réapparaît trente secondes plus tard, les yeux froncés :

— Qu'est-ce que tu attends ?

Sans réfléchir plus longtemps, je me précipite derrière elle , Talia se retourne rapidement vers moi et m'observe d'un air inquiet. Elle attrape le sac posé sur la table où nous avons dîné la veille et m'entraîne à l'extérieur de notre refuge. J'ouvre de grands yeux quand j'aperçois deux chevaux plus grands que la porte d'entrée.

— Euh ? Je dois monter sur ces monstres ? je demande estomaquée par la hauteur des deux équidés qui se dressent face à moi.

L'un est noir comme la cendre, avec des yeux sombres et pénétrants assortis d'une chevelure plus obscure que la nuit. Le deuxième animal représente son exact opposé avec ses poils blancs, ses globes oculaires tellement bleus qu'ils en sont presque transparents, et sa crinière argentée, je suis sûre qu'elle brille dans le noir tant son éclat est aveuglant.

— Oui. Monte sur Orion, c'est le cheval de mon frère, m'indique Talia en me désignant le cheval noir, fais attention, si tu ne fais pas en sorte qu'il t'apprécie tu risques de finir par terre. Dépêche-toi, il est plus que temps que nous rejoignons les autres.

Je crois surtout qu'il est temps que je ne pose plus de questions. De toute manière, mon cerveau commence à surchauffer de ce trop-plein d'informations accumulées ces dernières heures. Alors, je m'approche doucement du cheval nommé Orion, une main tendue devant moi. Je n'ai jamais eu peur des chevaux mais c'est la première fois que je me retrouve face à une bête aussi immense avec pour ordre de grimper dessus. Je pose doucement la paume de ma main entre les deux yeux de l'animal et commence à le caresser lentement en lui chuchotant des paroles rassurantes à l'oreille. Lors d'un stage d'équitation quand j'avais dix ans, la monitrice m'a appris à leur parler afin de les mettre en confiance totale. Ce jour-là, j'ai réussi à calmer deux chevaux en proie à la peur, du haut de mes dix petites années.

Tout en continuant à parler tranquillement à Orion je glisse mon pied dans l'étrier et me hisse à califourchon sur son dos. Je lisse sa crinière noire avec mes doigts et me tourne vers Talia, prête à la suivre. Celle-ci s'exclame :

— C'est la première fois que je vois quelqu'un monter Orion du premier coup sans qu'il n'ait une seule réaction négative, à part mon frère bien-sûr !

Je lui adresse un petit sourire fier auquel elle me répond par un haussement de sourcils accompagné d'un roulement de ses beaux yeux bleus. Bon, il semble que Talia a retrouvé son fichu caractère, j'aurais eu un petit aperçu de sa bonne humeur. Elle me fait signe de la suivre tandis qu'elle tapote sur le flanc de sa jument, dont j'ignore le prénom, qui se met aussitôt à trottiner. J'imite ses gestes et Orion suit sa congénère à travers les arbres de la forêt. Je me retourne pour observer la Cache qui disparaît derrière nous au fil de notre avancée.

— Comment s'appelle ta jument ? je demande à Talia pour faire la conversation.

— Gaïa.

D'accord, elle n'a pas l'air de vouloir discuter. C'est étonnant ces changements d'humeur chez elle, il y a dix minutes à peine, elle me parlait d'un ton doux et soudain son cœur à l'air durci. Je risque :

— J'ai une dernière question, puis, promis, je te laisse tranquille jusqu'à ce que nous ayons atteint notre destination.

Mon interlocutrice m'observe et hoche la tête.

— Comment ces chevaux sont-ils arrivés ici ?

— Je les aient appelés.

Elle n'ajoute rien et j'attends la suite. Elle lève les yeux au ciel et m'explique qu'elle dispose d'un objet qui lui permet d'envoyer un signal aux deux chevaux.

— Wow, c'est époustouflant que cela fonctionne a une telle distance.

Comme elle s'arrête de parler je comprends que je n'aurais pas d'autre explications pour le moment. Tant-pis, peut-être que la personne à qui elle souhaite me présenter pourra m'expliquer plus en détails...

Je suis vraiment haut, hissée sur Orion ! pensé-je, je suis impressionnée par la hauteur de ces gigantesques chevaux qui ont l'air de parfaitement savoir où ils nous mènent. Comme s'ils étaient habitués à faire ce trajet et qu'ils l'avaient appris par cœur.

Je laisse mon esprit divaguer au rythme de notre avancée. Toutes les émotions des quarante-huit dernières heures me reviennent d'un coup et je commence à me sentir assaillie par ce déferlement d'informations qui jaillissent dans mon cerveau. Je suis une Fae. Une fille appartenant à une prophétie qui a pour objectif de sauver le monde. Est-ce que maman est au courant ? Non, elle ne peut pas l'être, elle m'aurait parlé de mes...pouvoirs ? bien avant. Mais dans ce cas, comment expliquer cette histoire de descendance ? Peut-être que mes ancêtres l'on caché aux générations suivantes...

Soudain, je sens les émotions bouillonner dans mon crâne et je peine à garder l'équilibre, perchée à plusieurs mètres de haut sur ma monture. Une vive douleur s'empare de ma tête qui semble sur le point d'exploser. Un flash blanc envahi tout à coup ma vision, puis, c'est le trou noir. 

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