Prologue
À tous ceux qui avancent malgré ce que
le destin leur réserve
Upper East Side — 6 mai 2023 — 2h06
Mon pouls bat si fort dans mes oreilles que le bruit de mon flingue ne me fait plus rien. Aucune douleur. Aucun sentiment. Juste la douce mélodie de la détonation.
L'homme aux allures de Peaky Blinders ouvre la bouche dans une dernière inspiration, avant que ses jambes ne cèdent sous le poids de la mort qui lui ouvre ses bras. Je ne loupe pas une miette du spectacle qui se déroule sous mes yeux, fière de voir le trou parfait de la balle qui vient de lui transpercer le front.
Je respire, contrôlant ce pouls qui affole mon cœur, et me penche pour observer cette triste épave et le léger filet de sang qui dégouline sur ses yeux. En quelques secondes, une marre poisseuse s'agrandit en auréole autour de son crâne, si bien que je ne prends même pas le temps de vérifier s'il respire.
Je suis à deux doigts de prendre une photo tellement j'ai bien visé.
Reprenant rapidement mes esprits, je range l'arme dans mon porte-jarretelles dissimulé sous la fine robe en soie noire que je porte, et recoiffe ma perruque blonde qui a dû souffrir de ce début de film porno. Faire semblant de séduire quelqu'un pour mieux l'abattre peut s'avérer éprouvant, surtout quand il trouve trop rapidement l'arme qui est censée mettre fin à son existence.
J'entends quelques pas pressés et des cris de plaisirs étouffés s'approcher de nous, signe qu'il est temps que je disparaisse. Grâce à une petite analyse des lieux avant coup, j'ai remarqué une trappe qui donne sur le toit. Ça m'évitera de repasser devant tous ces snobs de riches qui se croient supérieurs au monde entier. Ça aussi, ça devient éprouvant.
J'attrape le petit sac à main que je trimballais à mes côtés, vérifie une dernière fois la scène du crime pour être sûre de ne rien oublier, puis monte sur le meuble en décoration dans ce couloir. Je me redresse, faisant attention à ne pas glisser sur le bois vernis du mobilier à cause de mes talons de quinze centimètres aussi inconfortables que la vue de mon visage un lendemain de cuite. La sorte de trappe en bois se trouve à un petit mètre de moi, si bien qu'en sautant légèrement, je pense pouvoir l'atteindre.
Les voix se font de plus en plus proche, je peux presque entendre les conversations de ces messieurs avec mesdames les prostituées qui n'attendent qu'à avoir leur pognon.
Ni une, ni deux, je m'élance dans les airs pour attraper une barre en fer, vestige d'un ancien escalier de fortune, et m'empresse d'ouvrir cette trappe plus lourde qu'on ne pourrait croire. À mon grand soulagement, rien ne la verrouille tellement il faut être fou pour essayer de l'atteindre.
Suis-je folle ? Je n'en suis pas si sûre.
Pieds dans le vide, me tenant à la seule force d'un bras, la trappe se soulève quand je pousse avec l'autre. Rien ne me permet de m'agripper pour m'extraire de cet endroit de malheur, alors je me hisse grâce à mes restes d'escalade datant du collège, pour sentir la fraîcheur de la nuit sur ma peau. Les étoiles cachées par la pollution me narguent, se foutant de ma gueule quand j'arrive enfin à extraire mon corps en entier à l'extérieur. Je m'allonge comme une masse sur le toit, les bras engourdis, mais refermant quand même cette fichue issue sans un bruit. Les voix des hommes s'étouffent, et j'entends au dernier instant le cri strident d'une femme qui a dû trouver le corps en passant.
Je souffle une seconde, et me redresse pour observer les toits de New York autour de moi. Les beaux quartiers illuminés la nuit, le bruit des voitures et les quelques rires de passants rentrant tardivement chez eux.
Par chance, l'hôtel particulier sur lequel je me trouve n'est pas le plus haut du quartier, si bien que je peux espérer descendre de là par l'arrière, et rejoindre mine de rien la rue mouvementée.
Ce soir, me fondre dans la masse ne sera pas un souci.
Je sors le téléphone prépayé de mon sac — le seul objet qu'il contenait en plus de mon rouge à lèvre, en fait — et envoie un message à mon employeur d'un soir. Un simple pouce en l'air, un vu de sa part, et je reçois une notification de virement sur mon compte bancaire.
Je grimace en voyant la somme, consciente qu'elle ne réglera pas toutes les dettes financières que j'ai hérité de mes parents. Mais après tout, ça reste correct.
Je range le portable, me dirige vers l'autre côté de l'appartement qui donne sur une petite ruelle, et entreprends une descente de trois étages, plutôt facile quand on voit la taille des rebords de fenêtre.
En bas, je me risque à jeter un coup d'œil dans la rue qui est assez calme hormis les quelques taxis qui fusent à travers la route goudronnée, et les quelques personnes qui quittent la fête en même temps que moi.
Je retourne dans l'ombre, retire mes talons, avant de partir en courant dans la rue pour longer Central Park et ainsi me dissimuler des regards. Les néons et lampadaires éclairent ma peau, le vent balaye mes cheveux, et j'ai l'impression de ressentir le monde entier sur mon corps tant ma liberté me tend les bras.
Sur la route, tout en courant, je retire mes faux cils qui me démangent tout comme ma perruque, qui finit dans ma main avec ma paire de chaussure, et profite de la nuit qui s'étire à l'infini et de la sueur qui commence à perler sur mon front en de fines gouttes.
Mon téléphone vibre doucement ce qui m'oblige à ralentir, et le pseudonyme de mon employeur apparaît à l'écran. Il a sûrement eu des nouvelles quant au meurtre qui vient de se passer, car il me dit :
« Bon travail, Rosalie. Je tâcherai de laisser un bon commentaire sur votre site. »
Ça me fait sourire, lui qui avait des doutes quant à mes capacités au début... Un client de plus.
Je me promets de jeter un coup d'œil à mon site d'esthéticienne, qui est en fait un faux site permettant à mes employeurs de me contacter, et de vérifier l'avis qu'il m'aura laissé. Parfois, on peut être étonné de l'imagination que peuvent avoir ce type de personnes. Les moins inspirés adorent me parler de cette soi-disante épilation du maillot des plus plaisante. Comme si se faire charcuter le trou de balle pouvait être plaisant. Sans mauvais jeu de mot pour ce pauvre homme que je viens d'abattre.
Enfin bon. Mes pieds nus glissent doucement sur le sol tandis que je rentre chez moi, le cœur léger, la tête vidée, mais surtout, mon compte en banque un peu plus garni.
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