Chapitre 1

Gwenaël

Après l'épisode des paillettes hier soir, j'ai fait l'effort de manger une part du gâteau avant d'embarquer le reste des cadeaux encore emballés et de me réfugier dans ma chambre. Les triplés se sont excusés un million de fois mais je les ai à peine regardé, ils me connaissent depuis longtemps, ils savent parfaitement que je déteste les blagues à répétition, surtout devant tout le monde. De temps à autre, okay, je peux comprendre, mais tout le temps, ça passe moins, je ne supporte pas vraiment tout ce genre d'attention dirigée vers moi.

Mes parents n'ont pas tenté de me retenir, et je les en remercie pour ça. Anne a bien essayé de me faire changer d'avis, mais Vilem a su la calmer et j'ai pu m'enfuir lâchement. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé après ça, ma chambre est au troisième étage et j'avais verrouillé la porte. Malgré ma porte-fenêtre grande ouverte, je ne me souviens pas avoir entendu les Rosen partir.

Tant pis, j'aurai bien l'occasion de les revoir assez tôt. Pour le moment, je reprends mes esprits en sentant Lali - ma jument, gigoter sous mes caresses ; elle a envie de sortir, et je suis arrivé assez en retard pour notre balade matinale quotidienne, alors je me dépêche de me mettre en selle pour faire un petit tour avant de devoir m'occuper des autres - en prenant garde à rester aussi loin que possible d'Anne.

J'avoue que mes réactions peuvent parfois être exagérées, mais je n'y peux rien. Je ne réagis pas normalement à certaines choses comme tout le monde, c'est soit trop, soit rien du tout ; aucune réaction, et dans ces cas-là, j'ai peur de blesser la personne qui me parle parce que je ne sais pas comment réagir. Alors j'évite au maximum de me retrouver dans des situations... inattendues, on va dire.

Mais bien sûr, avec la chance que j'ai, je n'ai pu profiter de ma solitude et du calme environnant que pendant vingt minutes à peu près. Car j'entends les martèlements des sabots d'un autre cheval pas loin derrière moi et je n'arrive pas à deviner qui c'est. Après tout, ça peut être n'importe qui et j'espère de tout cœur que ce n'est pas ma sœur. Pitié, faites que ça ne soit pas elle.

- Gwenaël ! Ralentis !

Merci mon Dieu, ce n'est pas ma sœur.

Mais je ne sais pas si c'est mieux ou pire que ça soit quelqu'un d'autre ; la seule personne qui s'acharne à m'appeler "Gwenaël" quand tout le monde a opté pour "Gwen" depuis toujours.

Malgré moi, j'intime à Lali de ralentir un peu la cadence et j'avoue que ça me fait du bien d'avancer plus lentement pendant quelques instants. Jusqu'à ce que Vilem débarque à côté de moi et qu'il ralentisse à son tour pour rester à ma hauteur.

Je prends le temps de le regarder un peu plus longtemps que nécessaire avant de me détourner. Il a l'air franchement plus frais que moi, il a sûrement bien dormi et n'a pas dû tourner en rond parce que quelqu'un l'aurait mis de mauvaise humeur. Je réprime un grognement frustré de justesse.

- Hey ! Tu allais vachement vite ! T'as un truc à faire ?

- Non, j'me baladais juste, réponds-je platement sans le regarder. J'avais besoin de prendre l'air avant de faire quoi que ce soit d'autre.

- Je vois...

Non, tu vois rien du tout. Ai-je envie de dire, mais je ferme ma gueule et je me concentre plutôt sur Lali qui avance à présent à une allure moyenne. Vilem fait en sorte d'avancer au même rythme que moi et ça me fait chier autant que ça me fait plaisir, même si je ne comprends pas pourquoi je ressens cela.

Trop contradictoire. Encore et toujours.

- Je voulais m'excuser pour ce qu'ont fait les triplés.

- Ce n'est pas ta place de t'excuser, mais merci.

Dire que je suis surpris serait un euphémisme, Vilem n'a jamais pris la peine de vraiment s'excuser ainsi pour les conneries des triplés. Et évidemment, ma surprise ne passe pas inaperçue et il enchaîne directement, sûrement pour m'empêcher de protester encore plus.

- Je sais, mais je sais aussi à quel point ils peuvent être chiants et à quel point leurs blagues peuvent devenir relou et lourdes à force de les subir. Je leur ai parlé hier et ce matin, ils s'en veulent vraiment d'avoir ruiné ta soirée d'anniversaire.

Le pire, c'est que je m'en fiche de ma soirée d'anniversaire, je voulais juste passer une soirée calme en compagnie de mes proches. C'est ça qui a été ruiné. Pas une quelconque célébration qu'on doit subir.

- C'est pas comme si c'était la première fois, marmonné-je à la place, haussant les épaules.

Je ne peux pas voir clairement la réaction de Vilem mais j'entends très bien le soupir qu'il lâche. Si ça le fait chier, il n'avait qu'à ne pas venir me parler.

- Franchement, soufflé-je en ralentissant l'allure de Lali encore plus pour pouvoir tenir une conversation sans bouger dans tous les sens. Vilem, pourquoi t'es venu t'excuser à leur place ?

- Honnêtement ?

- Oui.

- Ça me fait chier quand tu m'ignores à cause de leurs conneries, tu me comptes dans le lot ou quoi ?

Je comprends à son ton qu'il ne déconne pas et que je lui fais vraiment du mal. Inconsciemment, certes. Et à cause de ses frères et de sa sœur, mais ça n'empêche pas que je lui fasse du mal en l'ignorant ainsi. Je n'ai jamais voulu le blesser, je ne voulais juste pas qu'on dise que je le préfère aux autres.

Ce n'est pas totalement faux pour être honnête, je préfère cent fois Vilem que les autres. Pour plusieurs raisons ; dont sa maturité et son calme à toutes épreuves, tout le contraire des trois diables. Je me tourne vers lui, les sourcils froncés et une confusion sûrement bien visible sur mon visage.

- Bien sûr que non, je te compte pas dans le lot ! protesté-je vivement. Si c'était le cas, je serai pas en train de te parler actuellement.

- Alors pourquoi ? insiste-t-il en m'implorant de ses yeux de lui répondre le plus honnêtement possible.

Le problème, c'est que je ne sais pas comment répondre à cela. Alors je détourne le regard pour me perdre dans les étendues vertes qui nous entourent, et les sons lointains des habitations et des commerces et de tout le reste me parviennent comme un brusque rappel à la réalité. Malgré ça, la voix de Vilem l'emporte sur tout le reste.

- Gwenaël ?

Arrête de m'appeler "Gwenaël" merde. Arrête !

- Mmh ?

- Est-ce que j'ai fais un truc qui fait que tu m'ignores ? Pas forcément récemment ou... je sais pas, y a un truc que j'ai fait ou dit qui te fait chier mais que t'oses pas me le dire ?

- Quoi ? Non ! Pas du tout !

- Alors ?

- Je ne sais pas, dis-je en soufflant de dépit. Je ne sais pas. J'veux pas qu'on dise que je fais du -

- Ne me dis pas "favoritisme" je t'en supplie, me coupe Vilem.

- Mais c'est ce que j'allais dire...

- Hure.

Okay. S'il se met à jurer en Allemand, c'est foutu. Le Vilem calme à toutes épreuves est aux abonnés absents à cet instant-même.

- J'sais pas quoi dire d'autre, ok ? Tu m'as posé une question et j'ai répondu honnêtement, maintenant, je dois repartir.

- Moi aussi je dois repartir, marmonne le blond en faisant demi-tour avec moi.

Sans nous concerter, nous faisons le chemin du retour dans un silence total et il s'arrête quelques secondes quand je m'arrête devant notre écurie. Je ne sais pas à quoi m'attendre alors je triture mes doigts, sûr que Lali ne bougera pas avant mon signal donc aucun risque de me ramasser par terre. J'évite de trop regarder Vilem et attends simplement qu'il prenne la parole, même si je ne suis pas serein à l'idée de parler encore avec lui en ce qui concerne les triplés ou ce que ma réaction engendre chez-lui.

Je ne m'attendais déjà pas à autant d'interactions avec lui. Alors je ne sais pas à quoi m'attendre dans le futur. Il n'a jamais pris la peine de venir me parler aussi directement de la situation que nous font subir les triplés et je n'ai jamais réalisé à quel point ça le touchait, lui aussi.

- Est-ce qu'on pourra en reparler plus tard ? demande-t-il au bout d'un moment.

- Oui, okay, plus tard.

- Tu vas pas te remettre à me fuir pour éviter cette discussion, hein ?

Honnêtement, c'est très tentant mais je crois qu'il mérite une conversation en bonne et due forme. Après tout, il ne m'a rien fait lui-même ; je projette juste ma colère sur lui. Je secoue ma tête et relève mon regard vers le sien.

- Je ne vais pas te fuir, assuré-je. On se voit à quelle heure ?

- Euh, je pourrai me libérer assez tôt je pense s'il n'y a aucun imprévu, je t'envoie un message à ce moment-là.

- T'as mon numéro ? m'étonné-je, les sourcils froncés.

- T'as pas le mien ? J'y crois pas, on a genre grandi ensemble et on a toujours bossé ensemble et... okay, je t'enverrai un message plus tard et tu auras mon numéro.

Je ne sais pas ce qu'il y a de si choquant à ce que je n'ai pas le numéro de téléphone de Vilem. Bon, d'accord, son raisonnement est logique mais je n'en ai jamais vu l'intérêt vu qu'on habite près l'un de l'autre. Alors s'il a besoin d'un truc, il vient directement chez-moi ou il me retrouve dehors, comme la plupart du temps.

Et vice-versa.

- Gwen ! T'es passé où ? Je t'ai cherché partout. Viens m'aider je t'en prie, je suis crevée !

Seigneur. Voilà ce que je voulais absolument éviter, malheureusement, je ne peux pas l'ignorer comme si de rien n'était. Mais je peux bien trouver une excuse pour la laisser seule dans l'écurie et aller faire autre chose ! Je m'arrête devant Anne qui me fixe intensément, cherchant sûrement à deviner où j'étais. Elle a adopté une posture soi-disant menaçante, les poings sur les hanches et les sourcils froncés mais elle ne me fait pas peur ; elle a oublié que ses cheveux partaient dans tous les sens et que ses vêtements étaient mis n'importe comment ? Sûrement.

- Désolé, j'étais allé faire un tour avec Lali, commencé-je en penchant ma tête sur le côté. Mais je vais devoir te la confier et aller dans les serres, je dois donner un coup de main à papa.

- Mais y a maman avec lui ! proteste-t-elle immédiatement en agitant ses mains.

- Changement de programme, nous avons parlé ce matin quand tu dormais encore.

Pas exactement, mais elle n'a pas besoin d'en savoir plus.

- Est-ce un reproche ? lance-t-elle en laissant retomber ses bras le long de son corps.

- Non Anne, je te mets juste à jour, répliqué-je avec un sourire en coin.

- Bref ! Si tu ne m'es d'aucune aide, oust ! Et dis à maman de vite me rejoindre, OK ?

- OK.

****

Je n'aime pas travailler dans les serres autant que j'aime le faire dans l'écurie, mais je passe un bon moment à m'occuper de toutes nos plantations en compagnie de mon père. On ne s'est quasiment rien dit et ça m'a soulagé qu'il n'évoque pas la soirée d'hier, je n'ai aucune envie d'en parler. En plus, la présence d'autres gens empêche bien une quelconque conversation approfondie et ça me va très bien.

Je suis sûr qu'il a remarqué que j'étais préoccupé, toutes mes émotions se lisent sur mon visage. Ce que je n'aime pas particulièrement, surtout quand je ne veux absolument pas en parler.

- Gwen, tu vas bien ?

Je ne vais peut-être pas y échapper, au final. Je hausse les épaules et me tourne vers mon père tout en me débarrassant de mes gants.

- Ouais, pourquoi ?

Des mensonges. Encore et toujours.

- Tu n'en as pas l'air, remarque-t-il en fronçant les sourcils. Tu sais que tu peux me parler au moindre souci, n'est-ce pas ?

- Oui, je le sais papa, ne t'inquiète pas pour moi, ça va.

Faux.

- Si tu le dis, mais n'oublie pas ce que je t'ai dit.

- Mais oui, je -

La sonnerie de mon téléphone m'interrompt et je n'ai pas besoin de regarder pour savoir qui c'est. Je ne reçois que très peu d'appels et de messages et vu ma discussion de ce matin avec Vilem, cela ne peut être que lui.

- Je dois y aller.

- Je t'ai vu revenir avec Vilem ce matin, dit mon père alors que je lui tournais déjà le dos. C'est à propos des triplés ?

- On a juste discuté, marmonné-je. Je dois vraiment y aller. A ce soir.

Je m'enfuis des serres, littéralement. Encore. Je ne fais que fuir. Et je suis extrêmement anxieux quant à Vilem parce que je sais que je ne pourrai pas fuir aussi facilement que ça ; je lui ai assuré ce matin que je n'allais pas l'éviter et qu'il aurait sa discussion tant désirée.

- Allô ?

- C'est moi.

Vilem.

- Oh, salut. T'as déjà fini ta journée ?

- Ouais, je suis devant chez-toi.

Moi qui voulais avoir quelques instants pour me poser, c'est raté.

- Okay, j'arrive.

Je raccroche sans attendre et, après avoir enregistré le numéro de téléphone de Vilem, je le rejoins devant chez-moi en quelques minutes. Pourtant, j'ai marché le plus lentement possible pour retarder le moment où je devrais lui parler. Vraiment parler. Pas m'en sortir avec des répliques évasives comme j'ai l'habitude de faire. Vilem se met debout dès qu'il me voit arriver et ne me laisse même pas le temps de le saluer.

- Tu préfères qu'on aille quelque part ou qu'on reste ici ? demande-t-il.

- Je préfère qu'on reste ici, personne n'est encore rentré donc on peut parler à l'intérieur si ça te va.

De toute façon, il n'y a qu'ici que je me sens un minimum à l'aise, alors s'il veut qu'on parle, mieux vaut rester ici.

- Ça me va.

****

Installé en diagonale par rapport à Vilem dans la salle à manger, je l'observe alors qu'il engloutit une part restante du gâteau d'hier ; il n'a apparemment rien mangé depuis des heures, j'ai bien fait de lui proposer un truc. Malheureusement, il n'y a pas de repas à proprement parler alors il se contente de cette pâtisserie.

Vilem n'est plus aussi frais que ce matin, il est clairement fatigué. Son visage qui, d'habitude est toujours jovial et souriant, est à présent fermé. Il a les traits tirés, les sourcils froncés, les lèvres pincées quand il ne mâche ou ne parle pas. Ça me perturbe de le voir ainsi, je l'ai toujours connu de bonne humeur, rarement aussi... aussi je-ne-sais-pas-quoi.

- Pourquoi tu me fixes comme ça ?

La voix de Vilem me fait me détourner le regard et je me rends compte que je le regardais depuis un bon moment, et trop fixement pour que ça ne soit pas dérangeant.

- Désolé, je te regardais pas, j'étais juste perdu dans mes pensées.

- Qui consistaient en ? veut-il savoir en s'accoudant sur la table, appuyant sa tête sur ses mains.

- C'est pas important, marmonné-je platement.

- Je suis sûr que ça l'est, tu as l'air troublé.

- Toi aussi, je t'ai jamais vu aussi troublé.

Il hausse les épaules et m'offre une grimace avant de répondre d'un ton blasé.

- Disons que c'était pas une très bonne journée quoi.

- T'as des soucis au boulot ?

- Non non, tout va bien de ce côté, enfin... pour le moment. Le souci c'est que je me suis engueulé avec Yo, lâche-t-il dans un souffle. Et Pierre. Le seul qui a été un peu raisonnable on va dire, c'était Théo.

- Ne me dis pas que vous vous êtes engueulé à cause d'hier soir !

- Si, précisément. Leurs conneries ne datent pas d'hier et tu le sais très bien Gwenaël.

Ouais, il n'a pas tort. Mais je me sens mal du coup, je sais que Vilem déteste être en mauvais termes avec les triplés, et c'est exactement le cas maintenant ; à cause de moi. Ou plutôt, à cause de ma soirée d'anniversaire.

- Vilem, fallait pas en arriver là, vraiment.

Je me mens à moi-même. Ça allait arriver un jour ou l'autre. Je ne savais juste pas que ça serait Vilem qui allait se disputer avec les triplés, j'ai toujours cru que je finirai par craquer un jour.

- Ils ne pensent pas à mal, dit-il. Mais ils ne comprennent pas que parfois, ils en font trop. On dirait Anne quand on était enfants.

- Anne ? De quoi tu parles ? demandé-je, oubliant momentanément le principal sujet de notre conversation.

- Elle adorait me "martyriser", elle n'arrêtait pas de me foutre par terre dans du crottin de cheval ou de m'enfermer quelque part, explique-t-il en souriant. Tes parents ont fini par le découvrir et l'ont punie.

- J'en savais rien...

- Normal, personne n'en a plus reparlé !

- C'est pour ça qu'elle s'entend aussi bien avec tes frères et sœur, constaté-je.

- Et oui.

Alors que Vilem se lève pour débarrasser son assiette - oui, il fait comme chez-lui, je me rappelle que je dois puer comme un bœuf vu l'état dans lequel je suis.

Misère.

Le climat d'Août, la chaleur étouffante des serres, ajouté à cela le stress qui me tord le ventre depuis ce matin ; c'est une combinaison vraiment explosive. Vilem revient avec un bol de céréales dans les mains et se réinstalle à sa place. Okay, il est vraiment à l'aise lui, limite plus que moi. Dans ma propre maison.

- Bon, on en était où ?

- On parlait d'Anne.

- Tu sais que je ne suis pas là pour parler de ta sœur, Gwenaël.

- Ouais... bon...

Bien sûr que je sais qu'il n'est pas là pour parler de ma sœur. Il est là pour parler de la sienne. Et de ses frères également.

Bon Dieu. Moi qui croyais avoir échappé à la conversation en l'orientant sur n'importe quoi, c'est raté.

✨✨✨

Un chapitre de terminé !
Que pensez-vous de ces premières scènes un peu plus approfondies par rapport au prologue ?

L'attitude de Gwenaël et celle de Vilem ?

La conversation qu'ils sont entrain d'avoir ? (et dont vous aurez la suite dans le chapitre prochain 😉😗)

je vous aime, dites-moi tout en commentaire !! bisousss

Peace Out 💜

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