Chapitre 9 - Imposteur (part 2)
Les couloirs de l'école sont étrangement familiers, comme si tout avait changé et rien à la fois. À l'époque, c'était moi qui arpentais ces corridors, des étoiles plein les yeux, rempli d'ambition. Aujourd'hui, je dois incarner l'autorité et transmettre un savoir que je doute parfois posséder...
Comme si j'avais été programmé, mes pieds me guident jusqu'au quatrième étage du bâtiment A, tout au fond du couloir. Je m'arrête devant la bonne porte, sans avoir à vérifier son numéro. Je suis venu ici tant de fois, mon esprit a parfaitement enregistré le nombre de pas nécessaire pour arriver à cet endroit précis.
Je réajuste une dernière fois le col de ma veste, m'éclaircis la gorge et pénètre dans la salle 424 qui fourmille déjà de mes futurs étudiants.
- Bonjour.
Je fais en sorte que ma voix grave ne trahisse aucun doute. Il ne faut surtout rien laisser paraître, et encore moins maintenant. La première impression est très importante, encore plus dans les milieux d'apparences.
Je sens les regards se braquer sur moi, suivis de quelques "bonjours" timides qui se perdent dans l'atmosphère euphorique de la salle.
Évidemment, ils ne savent pas encore que je suis leur professeur. Il leur reste quelques secondes d'illusions. Tout le monde s'impatiente de rencontrer Guenièvre de Beaumont, ce monument de la haute-couture française. Ils ne s'attendent pas à tomber sur un jeune styliste d'origine italienne, qui n'a jamais mis les pieds dans une salle de classe pour enseigner.
Ils vont tomber du dixième étage, se moque ma voix intérieure.
Il faut qu'elle se la ferme et qu'elle me laisse me concentrer. Je prends une grande inspiration et me dirige, la tête haute, vers l'estrade. Chaque pas doit être maîtrisé, chaque geste calculé.
Je sens les regards peser lourdement sur mes épaules, mais je ne bronche pas. C'est mon terrain, désormais. Je pose mon attaché-case Maxwell Scott au pied du bureau qui domine tous les autres et me tourne vers le bureau blanc pour y inscrire mon nom d'une écriture assurée.
Lorsque je me retourne enfin pour faire face à la classe, je rencontre un mélange de confusion dans les yeux des étudiants. Je pourrais presque entendre leurs pensées se bousculer : "Qui est-il ? Où est Madame de Beaumont ?" Mes poings se referment autour du dossier de ma chaise, tandis que je scrute les derniers étudiants faire leur première entrée dans la salle 424.
S'ils sont là aujourd'hui, c'est aussi parce que je l'ai décidé. J'ai siégé au comité de sélection qui leur a accordé une place dans ce cours. J'ai épluché leurs dossiers, analysé leurs portfolios, étudié leurs créations avec une minutie impitoyable, les comparant à des centaines d'autres candidats. Pour certains, j'ai même dû me battre pour qu'ils soient admis, persuadé qu'ils avaient un potentiel supérieur à d'autres. S'ils savaient, ils seraient reconnaissants, au lieu de me regarder avec des yeux de merlan fris.
Je jette un coup d'œil à ma montre Cartier Santos : il est 9h01. Le cours peut officiellement débuter. Je vais fermer la porte de la salle et retourne sur l'estrade, me positionnant devant mon bureau, au plus proche des étudiants.
- Bonjour à toutes et à tous, commencé-je. Je vous souhaite une bonne rentrée ainsi que la bienvenue dans cet atelier Vision et Création.
Mon regard balaye la salle. Une trentaine d'étudiants, la plupart en première année, me fixent avec la plus grande attention. Leurs regards sont remplis de curiosité et d'enthousiasme, mais aussi d'une certaine nervosité. Ils savent que ce cours est déterminant. Pas seulement pour valider leur année, mais aussi pour leur avenir.
- Vous avez tous travaillé dur pour être ici. Si vous êtes là aujourd'hui, c'est parce que vous avez su démontrer un certain potentiel. Du talent, certes, mais surtout une détermination que l'on recherche dans ce métier.
Je laisse mes mots planer quelques secondes dans l'air, pour instaurer une forme de pression d'entrée de jeu. Guenièvre avait tenu un discours à peu près similaire le jour où j'avais moi-même pénétré dans la salle 424 pour la première fois.
Pour autant, elle devait être bien plus impressionnante que moi avec son regard bleu glacé, sa voix ferme et catégorique, son charisme froid naturel, et surtout son palmarès dans le milieu de la mode... Elle avait tout pour imposer le respect, et je me sentais d'autant plus chanceux qu'elle ait voulu que j'intègre son cours à tout prix.
- Le talent ne suffit pas, repris-je, en brisant le silence. Il ne suffira jamais. Le métier de styliste est bien plus exigeant et multi-casquettes que vous ne pouvez l'imaginer. Ce qu'on attend de vous, c'est de la persévérance. De l'audace. De l'innovation. Ce cours ne sera pas facile. Il n'est pas censé l'être. L'industrie de la mode est impitoyable et mon rôle est de vous y préparer au mieux.
Certains étudiants baissent la tête, d'autres ont des étoiles plein les yeux. Leur tolérance au stress pourra faire la différence, et en un coup d'œil, je suis capable de voir pour qui ce sera un avantage.
- Nous allons travailler ensemble pendant plusieurs mois, et je vous assure que ce que vous allez apprendre ici ne se trouve pas dans les manuels. Il va falloir sortir de votre zone de confort et...
Ma phrase reste en suspens, stoppée net par l'arrivée brutale de quelqu'un dans la salle. Mon attention se porte instinctivement sur le boulet de canon humain — une étudiante, en réalité — qui vient de faire son entrée tout en finesse dans la 424.
Devant moi, se dresse une jeune femme qui a l'air complètement catastrophé. Ses grands yeux de biche, écarquillés, captent la lumière de la pièce et semblent crier son embarras. Ses cheveux bruns, légèrement ébouriffés, encadrent son visage fin rougi par l'effort. Elle respire rapidement, pas encore remise de sa course effrénée, comme si elle avait tout donné pour arriver à l'heure.
Ce qui me frappe, c'est la simplicité de sa tenue. Un jean bleu, un débardeur gris en laine et une veste noire. Pas de maquillage, ou très peu, pas de coiffure sophistiquée. En clair, elle n'arbore rien de remarquable, et pourtant, il y a quelque chose chez elle qui retient mon attention.
Peut-être est-ce cette absence totale de prétention, ce contraste saisissant avec les autres étudiants, impeccablement apprêtés pour cette journée si spéciale. Ou peut-être est-ce la manière dont elle se tient, droite malgré sa panique visible, tout en dégageant une détermination féroce, presque insouciante.
Intérieurement, un sourire se dessine. J'étais moi-même arrivé en retard le jour de la rentrée. De deux minutes, pas plus. Mais cela avait suffi pour que Guenièvre me passe un savon "pour la forme", comme elle l'avait avoué avec un sourire complice quelques mois plus tard.
La jeune femme, toujours figée devant moi, hésite, visiblement mal à l'aise.
- Hum, excusez-moi, j'ai dû me tromper de salle, dit-elle enfin, lâchant ces mots dans une grimace qui trahit son envie de s'évaporer sur-le-champ.
Le timbre doux de sa voix me surprend. Il est empreint d'une gêne palpable et d'une précipitation évidente, mais ce qui me frappe surtout, c'est son accent américain prononcé. Ce détail inattendu éveille en moi une curiosité inattendue, presque dérangeante.
- Laissez-moi vous éclairer. À quel cours êtes-vous censée assister, mademoiselle ?
Je capte un éclat de panique dans son regard, alors que son attention glisse sur la classe plongée dans un silence pesant. Elle vient de comprendre qu'elle est au centre de toutes les attentions et l'idée ne semble pas la ravir.
Mais derrière cette peur manifeste, il y a autre chose qui brille dans ses iris. Une intensité troublante, difficile à cerner, qui éveille quelque chose en moi sans que je puisse l'expliquer.
- Hum... Au cours Vision et Création, avec Guenièvre de Beaumont, bredouille-t-elle. J'étais sûre d'être au bon endroit, je vous prie de m'excuser...
Elle va être tellement déçue quand elle va apprendre que c'est toi, le professeur ! rit ma voix intérieure, toujours aussi cruelle.
Je réajuste ma chemise, ne pouvant réprimer ce pincement désagréable qui se faufile dans ma poitrine. La déception... J'en ai marre d'inspirer ça aux autres.
Si l'arrivée maladroite de l'étudiante m'avait adouci, sa dernière remarque m'a piqué. Je dois affirmer qui je suis dans cette classe immédiatement, comme l'aurait fait Guenièvre. Il n'y a pas de place pour le laxisme ici. Alors, lorsqu'ils sortent de mes lèvres, ma voix est sèche et tranchante :
- Alors inutile de vous échapper, vous êtes au bon endroit.
Ses pupilles se dilatent l'espace d'un instant, comme si elle venait de plonger en plein cauchemar.
- Excusez-moi, Monsieur...
- Monsieur Luccini, je précise, m'efforçant d'entrer de plus en plus dans mon rôle.
- Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Luccini, je ne crois pas être...
- Si, vous êtes au bon endroit. Maintenant, veuillez vous asseoir, vous êtes en retard et j'aimerais reprendre mon cours.
Elle reste immonile un instant, comme si elle peinait à assimiler ce que je viens de dire. Puis, elle se précipite soudain au dernier rang, où elle s'installe en catastrophe à la dernière place libre.
Tandis qu'elle sort ses affaires, j'en profite pour regarder le trombinoscope. Je repère rapidement sa photo et lis le nom inscrit en dessous « Gemma Hayes ».
Tiens, son prénom me dit quelque chose... J'ai probablement travaillé sur son dossier au comité.
- Mademoiselle Hayes, je présume, lancé-je en relevant la tête pour capter son regard.
Je contourne mon bureau et descends de l'estrade pour m'approcher d'elle. Je peux déceler l'irritation dans son regard, comme si elle m'en voulait de maintenir l'attention sur elle.
Mais elle se contente de dire :
- Oui, c'est bien moi.
- Comme vos camarades ici présents, vous nourrissez sans doute de grands espoirs pour ce cours. Mais soyez consciente que les exigences sont élevées.
Je marque une pause, cherchant à retrouver les mots exacts que Guenièvre m'avait assénés le jour où j'étais arrivé en retard, afin de les répéter avec le même ton catégorique :
- Les retards, ajouté-je en insistant sur chaque syllabe, ne sauraient donc être tolérés.
Elle reste figée, visiblement prise de court avant de bredouiller :
- Je... Oui, bien sûr. Ça n'arrivera plus.
L'atmosphère dans la classe a changé. Je peux sentir les autres étudiants retenir leur souffle, comme s'ils avaient peur que je ne change soudain de cible.
C'est parfait. C'est exactement ce que tu dois leur inspirer. Continue à imposer le respect, me félicite ma petite voix, pour une fois de mon côté.
Je poursuis donc sur ma lancée :
- Je l'espère bien, oui. Nous verrons si vous êtes à la hauteur.
Des petits plis se forment sur le front de Gemma Hayes, et elle me lance un regard noir. Le genre de regard qu'aucun étudiant n'oserait normalement lancer à un enseignant à l'IELC. Sa mâchoire se crispe, et d'une voix qui ne tremble pas, elle rétorque :
- J'ai ma place ici. Et je le prouverai.
Un sourire effleure mes lèvres, imperceptible. J'aime cette mentalité. C'est étrange, je me retrouve en elle. Et je sais que ce genre de profil a besoin d'être poussé dans ses retranchements pour dévoiler son plein potentiel... Alors, je décide d'enfoncer le clou, un dernier coup, pour que toute la classe comprenne :
- Nous verrons bien. Mais sachez que Paris n'est pas tendre avec les rêveurs. Et moi non plus...
Je ne saurais expliquer pourquoi, mais une vague de déception m'envahira lorsque, à la fin de l'heure, elle m'annoncera son intention de quitter ce cours...
Hello les Amours ! Alors, que pensez-vous de cette première rencontre entre nos deux protagonistes, vue par Gabriel ? J'attends vos retours avec tellement d'impatience !!
À l'heure actuelle, qui est votre personnage favori ? 🙈
La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 90 likes ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕
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Si tu as lu cette note jusqu'au bout, tu es une petite danseuse de flamenco ! Commente💃🏼 pour que je sache que tu as tout lu 👀
Morgane 🧡
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