Chapitre 30 - Explications


Gabriel

Nous arrivons chez moi, la main de Gemma toujours nichée dans la mienne depuis notre départ discret de l'IELC. Sa présence me rassure autant qu'elle m'oppresse. Je n'ai pas été capable de lui dire un mot sur le trajet jusqu'ici. L'habitacle de ma voiture est resté aussi silencieux qu'une cathédrale abandonnée, où les pensées chuchotent plus fort que les voix.

Je n'ai pas réellement osé la regarder non plus. J'ai pourtant senti ses yeux glisser sur moi à plusieurs reprises, comme si elle cherchait à deviner ce que je m'apprête à lui dire. Mais mes pensées sont dans un tel chaos qu'il m'est difficile de savoir par où commencer.

Devrais-je lui parler de la Signora ? De l'ultimatum qui me tient à la gorge ? De la terrible erreur que j'ai commise et qui me pourrit la vie depuis des mois maintenant ?

Je ne suis pas certain qu'il le faille. Et pourtant... Ai-je le choix ? Gemma mérite la vérité, mais suis-je prêt à lui donner ? Je sais qu'au moment où elle a posé ses beaux yeux sur le mannequin dans mon atelier, elle a compris. Dès le jour où j'ai lu sa fiche de renseignement et où j'ai vu écrit Stella Cadente, j'ai su qu'elle serait un problème. Un problème duquel il me serait impossible de rester loin.

Quand je me gare enfin devant l'entrée, mon angoisse grimpe d'un coup. Je coupe le moteur, mais je reste immobile, les doigts de la main gauche crispés sur le volant. La tension dans ma poitrine est insupportable. Ce n'est que lorsque Gemma serre doucement ma main, comme pour me rappeler sa présence, que je réalise que je la tiens encore. Je déglutis et me force à briser le silence.

- On monte ?

Elle se contente de hocher la tête, m'offrant un faible sourire, comme si elle devinait le courage qu'il me fallait pour affronter la conversation à venir. Toujours en silence, nous descendons de la voiture. L'air frais de la nuit nous enveloppe, et je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil vers elle. Sa silhouette, élégante dans la pénombre, dégage quelque chose de fragile, presque irréel.

Une fois à l'intérieur, je me dirige directement vers la cuisine.

- Tu veux boire quelque chose ?

Ma voix se brise légèrement, mais je fais mine de ne rien remarquer. Proposer quelque chose à boire, c'est tout ce que j'arrive à articuler, comme si ces mots pouvaient combler le silence pesant.

- Une bière ? Du vin ? Autre chose ?

- Ça dépend, de quoi penses-tu qu'on a besoin ? demande-t-elle.

Je l'observe un instant avant de me diriger vers la déserte où réposent les spiritueux. Sans un mot, je dégaine une bouteille de vodka et deux verres, luttant pour que mes gestes restent aussi naturels que possible.

Mais je sens Gemma derrière moi. Immobile. Présente. Son silence me pèse et sa proximité me consume. Mes mains tremblent en versant un fond de liquide transparent dans les verres, quelques gouttes éclaboussant le bord.

Dans mon dos, Gemma fait un pas en avant. Une chaleur inattendue émane d'elle, contrastant avec la froideur de l'alcool que je tiens en main. Et puis, sa voix s'élève, douce, comme si elle craignait de troubler davantage cet équilibre précaire.

- Je suis désolée... pour la dernière fois.

Je pose finalement la bouteille sur le comptoir avant de m'y agripper, comme si j'avais besoin d'un ancrage pour ne pas sombrer.

- Ce n'est pas ta faute.

Je me retourne doucement, m'adossant au comptoir. Ses yeux cherchent les miens, insistant, comme si elle voulait percer à jour ce que je cache. Malgré tout, ils sont bienveillants et prêts à m'écouter.

- Je ne peux pas t'en vouloir... ajouté-je. Au fond, je savais que ce jour finirait par arriver. Je savais que...

Je marque une pause, l'air dans mes poumons semble s'échapper plus vite que d'habitude. Je suis à bout de souffle et j'ai besoin de rassembler tout mon courage pour être capable de prononcer ces mots :

- Je savais que tu comprendrais que mon nom de créateur est Stella Cadente.

Le visage de Gemma ne montre pas une once de surprise, signe qu'elle avait en effet bien percé à jour ma couverture. Je tends un verre de vodka dans sa direction, incapable de soutenir plus longtemps son regard. Je me hâte d'avaler une gorgée du mien, espérant que l'alcool aidera à rendre ce moment moins difficile.

- J'imagine que tu dois te demander pourquoi j'ai décidé d'utiliser un pseudonyme pour signer mes créations... et encore plus un prénom de femme.

Gemma hausse légèrement les épaules.

- C'est vrai que ça m'interroge.

- L'inverse m'aurait surpris, concédé-je en vidant un peu plus mon verre.

Mon regard se perd un instant sur les volutes translucides du liquide que je fais tournoyer sur les parois. Les souvenirs affluent, acides et doux à la fois.

- Stella était le prénom de ma mère, lâché-je enfin.

L'aveu plane dans l'air, lourd, dense. Je m'attends presque à ce que Gemma dise quelque chose, mais elle reste silencieuse, m'offrant l'espace dont j'ai besoin pour continuer.

- Son rêve était de devenir une grande styliste. Et elle aurait pu le devenir. Elle avait de l'or dans les doigts, vraiment. C'est elle qui m'a tout appris.

Ces informations ne la surprennent pas. Je sais que Gemma s'est renseignée à mon sujet et que ces éléments de ma vie sont publics. Savoir que n'importe qui peut avoir accès à mon passé m'horripile...

- Malheureusement, elle n'a jamais pu. D'abord parce qu'elle m'élevait seule et devait assurer un salaire minimum pour me nourrir. Ensuite parce que...

Ma gorge se noue. Raviver ces souvenirs me retourne l'estomac.

- Parce qu'elle est tombée malade.

Les lèvres de Gemma s'entrouvrent et ses sourcils se froncent. Elle penche légèrement la tête, comme si elle hésitait à poser la question qui lui brûle les lèvres.

Puis, elle finit par murmurer :

- Quel genre de maladie ?

Je serre les doigts autour de mon verre, tentant d'apaiser la tension qui monte en moi, inéxorable. Les mots semblent peser une tonne tant ils ont du mal à sortir. Pourtant, je finis par y arriver, même si chaque syllable me lacère la gorge :

- Un ostéocarsome. Un foutu cancer des os.

Le silence qui suit est étouffant. Gemma reste immobile, son regard plongé dans le mien, comme si elle cherchait à absorber ma douleur, à la partager. Je détourne les yeux, fixant un point imaginaire sur le comptoir pour ne pas céder à la vague d'émotions qui menace de m'emporter.

- Elle a commencé par avoir mal aux poignets, puis ça a touché ses mains, repris-je d'une voix plus rauque. Ses articulations la faisaient souffrir au point qu'elle ne pouvait plus tenir une aiguille. À la fin, elle pouvait à peine bouger les doigts sans gémir de douleur.

Un frisson me traverse, mais je continue, incapable de m'arrêter :

- J'ai grandi en la regardant se battre. Pas seulement contre la maladie, mais aussi contre l'injustice. Elle était tellement douée, mais le monde ne l'a jamais vue. Elle n'a jamais eu sa chance.

Je lève les yeux vers Gemma, qui me dévisage avec une intensité déconcertante.

- Quand elle est morte, j'ai décidé que je prendrais sa revanche. Que je ferais en sorte que ses créations soient reconnues, même si elles sortaient de mes mains. Alors, quand j'ai gagné le concours de Guenièvre et que j'ai pu signer ma première collection, j'ai choisi son prénom. Stella Cadente. L'étoile filante. C'était son surnom, celui que ses proches lui donnaient. Parce qu'elle illuminait tout sur son passage, même si elle brillait trop peu de temps.

Gemma hoche doucement la tête, comme si elle comprenait enfin tout ce qui m'a poussé à cacher mon identité derrière ce pseudonyme.

- Alors, ce n'est pas seulement une question de passion pour toi, souffle-t-elle. C'est une histoire de famille.

- Exactement. Et c'est aussi pour ça que je suis... comme je suis. Intransigeant. Obstiné. Parfois dur. Quand elle m'a quittée, je n'avais que 16 ans. J'ai passé les années qui ont suivi à créer, dans son atelier, pour me sentir près d'elle. Et quand j'ai eu suffisamment de pièces, je les ai vendues aux enchères pour reverser ce que je touchais à une association de lutte contre l'ostéocarsome.

Le regard de Gemma brille faiblement, alors qu'un petit sourire triste s'esquisse sur ses lèvres.

- Tu sais, je crois que ta mère serait fière de toi.

Ces mots me frappent de plein fouet, d'une manière douce, voiree apaisante. Je baisse la tête pour cacher mon émotion, puis attrape mon verre et le termine d'un trait.

- Peut-être, dis-je enfin. Mais maintenant... Elle n'a plus de raison d'être fière de moi.

- Pourquoi tu dis ça ?

Gemma s'approche alors, posant sa main sur la mienne. Sa chaleur m'apaise, même si je ne suis pas sûr de la mériter.

- Tu as vu des choses récentes concernant Stella Cadente, toi ? je demande, ironique.

Ses lèvres se pincent doucement en guise de réponse.

- Voilà, soupiré-je. Je n'ai pas été foutu de créer quoique ce soit depuis des mois. Je suis au point mort et... Et si je n'y remédie pas dans les prochains jours, ma place chez Guenièvre est menacée.

La bouche de Gemma s'entrouvre de stupeur. Je n'ose imaginer ce qu'elle penserait si elle savait pour le chantage que l'on me fait.

Continuerait-elle de penser que ma mère devrait être fière de moi si elle savait ce que j'ai fait par le passé ?

- Combien de temps te reste-t-il ? chuchote-t-elle, comme si le dire trop fort risquait de rendre tout ça beaucoup trop réel.

Je jette un coup d'oeil sur l'horloge murale qui trône dans la cuisine. 00h17. Un jour de plus écoulé sans que je ne produise rien. Ce qui veut dire qu'il me reste...

- Quinze jours.

Gemma ne bouge pas, son regard toujours verrouillé au mien. Elle m'observe quelques secondes en silence et, soudain, ses yeux sont traversés par cette étincelle de détermination qui lui est propre.

- Alors, je vais t'aider, lâche-t-elle.

Ces mots, prononcés avec une simplicité désarmante, me coupent le souffle. Mais je secoue la tête, incrédule.

- Gemma... Ce n'est pas aussi facile que tu le penses.

Elle lâche ma main pour croiser ses bras, un air de défi s'installant sur son si beau visage.

- Peut-être pas. Mais je m'en fiche. Je ne suis pas du genre à aimer la facilité. Et puis, je refuse de te laisser affronter ça, seul.

Un rire amer m'échappe, plus par réflexe que par conviction.

- Pourquoi tu ferais ça ? Tu n'as rien à y gagner.

Gemma hausse les épaules.

- Peut-être parce que je te dois bien ça. Ou peut-être parce que je sais ce que ça fait, d'être paralysée par ses propres peurs.

Je l'observe, déconcerté. Elle ne faiblit pas, ne détourne pas le regard. Quelque chose dans sa présence, dans sa manière de parler, érode lentement cette carapace que j'ai mis des années à ériger. Avec elle, je me sens si vulnérable...

Je lève ma main pour replacer doucement une mèche de ses cheveux bruns derrière son oreille.

- Je le reconnais bien là, mon Casse-tête déterminé.

Les joues de Gemma se teintent de rose. Elle regarde un instant ses pieds avant de relever le menton vers moi.

- Mais je ne sais pas si c'est une bonne idée, soufflé-je enfin, presque pour me convaincre moi-même.

Ses sourcils se froncent à nouveau, cette fois avec plus de dureté.

- Et si tu laissais pour une fois quelqu'un d'autre décider pour toi, Luccini ?

Je reste silencieux. Une part de moi veut lui dire de partir, de ne pas s'en mêler. Mais une autre, plus fragile, plus sincère, murmure que c'est peut-être exactement ce dont j'ai besoin.

Sans me laisser le temps de rétorquer, elle attrape ma main et me traine hors de la cuisine, en direction de l'atelier. Elle s'arrête devant la porte et pose sa main sur la poignée.

- Je peux ? demande-t-elle.

- Je n'ai plus rien à cacher, maintenant.

Un petit sourire s'esquisse sur ses lèvres et elle ne perd pas une seconde pour entrer dans mon sanctuaire.

- Où sont tes croquis ? demande-t-elle, autoritaire.

- Quels croquis ?

- Ceux que tu dessinais quand je venais travailler ici.

Bah oui, idiot, les seuls que tu as été capables de faire au cours des deux dernières années, ricane la donneuse de leçons dans ma tête.

- Ici, dis-je en sortant les feuilles d'un tiroir.

Gemma s'empresse de me les prendre des mains pour les passer en revue.

- Quatre croquis, c'est un bon début, dit-elle en continuant à les observer.

- Il nous en faut au moins le triple pour pouvoir commencer à parler d'une collection, soupiré-je.

- Je suis au courant. Cela ne va pas être facile, mais on peut y arriver. Ce qui est certain, c'est pas que quatre mains ne seront pas de trop.

Je voudrais protester, mais j'en suis incapable. Au fond, je sais qu'elle a raison. Gemma est l'unique chance qu'il me reste pour parvenir à créer une collection en si peu de temps.

- Alors, tu acceptes mon aide, Tête-dure ?

- Tête-dure ? répété-je, un sourcil haussé.

- Eh bien, oui. Je suis peut-être un Casse-Tête, mais toi tu es une Tête-Dure. Je crois que ça peut faire une bonne équipe, qu'en penses-tu ?

Je ne peux empêcher le sourire qui écarte largement mes lèvres. En guise de réponse, je lui tends un crayon et du papier à croquis. Gemma me rend mon sourire et part s'installer sur un tabouret pour se mettre au travail.

Cette fille est parfaite pour toi, Tête-Dure, souffle ma petite voix.

Vous en savez plus sur notre Gabriel chéri ! Qu'en pensez-vous ? Cela vous donne des idées sur le reste de ses secrets ? 

Question du jour : Qui a demandé un de mes romans à Noël ? Dites-moi lequel 🥰

La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 140 likes et 70 commentaires ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕

Si vous aimez Room 424, n'oubliez pas de LIKER ce chapitre, de le COMMENTER et de le PARTAGER à vos amis ! Ça m'aiderait énormément et ça me ferait vraiment super plaisir ! 💕 Merci d'ores-et-déjà pour tous vos retours adorables.

Si tu as lu cette note jusqu'au bout, commente 💫 pour que je sache que tu as tout lu !

Love,

Morgane 💖

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