Chapitre 20 - Ultime Espoir


Comme à chaque fois que je reçois un message de la Signora Dell'Ombre, ma poitrine se sert. Je déteste l'effet qu'elle a sur moi, la façon dont elle parvient à m'écraser sous la pression sans même être physiquement présente.

Je pose mon téléphone, écran contre la table, comme si ne plus voir ses mots pouvait me libérer de leur emprise. Mais c'est peine perdue. Ils vont me gâcher la journée, comme à chaque fois.

Je tente de me re-concentrer sur le croquis que je griffonne depuis des heures. Mais comme d'habitude, rien ne vient. Les traits s'emmêlent, les idées se figent. Je gratte, j'efface, je recommence. Chacune de mes tentatives se solde par le même échec : un amas de lignes désordonnées, de courbes maladroites, de détails qui ne riment à rien. Mon esprit est asphyxié par cette pression constante qu'elle me met, par cette injonction à réussir. Et vite.

Je lève les yeux vers le bloc de feuilles blanches devant moi. Elles sont intimidantes, froides, comme un défi que je ne sais plus comment relever. Puis, je jette un coup d'œil à la corbeille, pleine à craquer de mes échecs.

C'est devenu un rituel morbide : je dessine, je jette, je recommence, avec cet espoir absurde qu'à un moment, cela finisse par changer. Mais la vérité est là : ça ne vient pas.

Et pendant ce temps, la Signora attend. Elle attend depuis longtemps, bien plus que je ne le lui ai laissé croire. Mais je sais que sa patience a des limites et que je les approche dangereusement... Et quand cela arrivera, je perdrai ma carrière, ma réputation et ce qu'il me reste d'amour-propre.

Alors, inévitablement, la pression monte un peu plus chaque jour. Et à mesure qu'elle s'intensifie, mes pensées se dispersent. Plus d'une fois, j'ai envisagé de tout laisser derrière moi. Quitter Paris, fuir cette vie qui m'étouffe, repartir de zéro, loin de tout ce qui me lie à la mode. Effacer tout ça comme si ce chapitre n'avait jamais existé. J'étais à deux doigts de franchir ce pas il y a quelques mois. Rien ne me retenait vraiment, si ce n'est un maigre sursaut d'orgueil...

C'est Guenièvre qui m'a empêché de sombrer complètement. Elle a compris que j'étais au bord du gouffre. Pour me sauver de cette spirale infernale, elle m'a poussé à sortir de ma bulle, me forçant à aller donner cours à sa place "La salle 424 te fera du bien, elle t'inspirera. Elle m'a toujours fait cet effet-là. Je suis sûr que ce sera le cas pour toi aussi." Au départ, j'ai résisté, évidemment. Je ne voyais pas comment aller enseigner pouvait m'aider à sortir de cette spirale infernale mais... comme toujours, Guenièvre avait raison.

Aujourd'hui, je dois donc me résoudre à l'avouer : j'ai retrouvé un soupçon d'espoir. Cet espoir... s'apprête à franchir la porte de la salle 424, comme quatre fois par semaine, et se prénomme Gemma Hayes. À vrai dire, je suis le premier surpris. Jamais je n'aurais pensé croiser une étudiante comme elle.

J'ai cette intuition étrange, presque irrationnelle, que travailler avec elle pourrait être ce déclic dont j'ai besoin pour sortir de l'impasse. Elle dégage quelque chose de particulier, une énergie brute, un potentiel créatif en ébullition. Ça se sent dans chaque fibre de son être. Elle a ce regard neuf sur la mode, ce mélange de spontanéité et de finesse qui me fascine et me frustre à la fois. En elle, je vois tout ce que j'ai perdu : la passion, l'envie, l'audace.

Alors oui, aussi fou que cela puisse paraître, Gemma est devenue, en l'espace de quelques jours, le dernier espoir auquel je m'accroche désespérément. Elle est mon dernier pari. Si j'arrive à capter ne serait-ce qu'une fraction de son énergie, alors peut-être que cela permettra de me relancer.

C'est pour cette raison que je lui ai proposé de lui donner des cours particuliers. Elle pense en être l'unique bénéficiaire, mais la vérité est bien différente. J'ai tout autant à gagner qu'elle de ces moments volés au cadre rigide des cours en groupe. C'est là, dans ces face-à-face, que je pourrais peut-être retrouver cette étincelle qui me manque...

Mais j'ai tout fait foirer hier soir.

Gemma a commencé à poser des questions... des questions auxquelles je n'étais pas prêt à répondre. Sans le savoir, elle a mis le doigt sur un sujet sensible. Et au lieu de gérer la situation avec tact, je me suis braqué. J'étais incapable de formuler des réponses satisfaisantes. Alors, j'ai coupé court à la séance de manière abrupte, évitant soigneusement de croiser son regard.

Chapeau, vraiment, se moque ma petite voix. Tu étais censé la convaincre de continuer ces cours avec toi, pas la chassée à la première contrariété.

Je le sais, j'ai merdé. Et maintenant, je suis coincé. J'ai cette impression tenace que Gemma ne voudra plus jamais remettre les pieds en salle 424 hors des heures de cours traditionnelles. La confiance que j'avais commencé à bâtir avec elle était encore bien trop fragile pour que je puisse me permettre de l'expédier ainsi. Et pourtant, c'est ce que j'ai fait, sans penser aux répercussions.

Maintenant, je ne sais pas comment réparer les dégâts, ni même si c'est possible...

Mes yeux glissent une nouvelle fois sur le désordre qui m'entoure : les feuilles éparpillées, les croquis avortés, les éclats d'idées qui n'ont jamais aboutis. Il ne me reste que quelques minutes avant que les étudiants arrivent pour le cours, et je ne peux pas me permettre de laisser ce chaos à la vue de tous.

Je commence donc à tout ranger, fourrant les feuilles pêle-mêle dans mon carnet, cachant les vestiges de cette séance ratée.

Pendant que je range, mes pensées tournent en boucle : il faut absolument que je trouve un moyen de rattraper Gemma, de la convaincre de poursuivre ces cours avec moi... Mais comment ? Je n'ai même pas les mots pour ça.

La porte de la salle s'ouvre doucement, et je me redresse, le souffle court. Quelques étudiants commencent à entrer, insouciants, bavardant entre eux, sans se douter une seconde de ce qui tourmente leur professeur.

Je prends mon carnet rapidement pour le ranger dans le premier tiroir de mon bureau... là où se trouve le soutien-gorge de Gemma. Celui qu'elle a oublié hier dans la précipitation. Rien qu'en apercevant la dentelle noire soigneusement pliée, mes joues s'échauffent et mon corps se tend.

Je revois la scène, ce moment où je l'ai découvert, abandonné sur la table au fond de la salle. La délicatesse de la dentelle tranchait brutalement avec la rugosité du bois. Mon cœur s'était emballé, et l'incrédulité m'avait submergé : comment avait-elle pu l'oublier ?

J'avais longuement hésité avant de me résoudre à l'attraper du bout des doigts, une gêne indicible m'envahissant au moment où l'évidence m'avait frappé : "ce tissu a frôlé la peau tendre de ses seins." Le simple fait de le toucher constituait une transgression... Une transgression d'une douceur inouïe.

Et maintenant, ce sous-vêtement est caché là, me rappelant sans cesse la scène chaotique d'hier. Cela fait un problème supplémentaire à régler, comme si je n'en avais pas suffisamment...

Comment vais-je trouver le courage de lui rendre ? L'idée de l'aborder avec ce morceau de lingerie en main me paralyse. Comment pourrais-je justifier le fait que je l'ai gardé, que je le lui rende maintenant, alors qu'elle l'a peut-être déjà oublié ?

Ne sois pas stupide, râle ma petite voix. Gemma n'a pas pu oublier, et elle doit être tout aussi gênée que toi par la situation.

Peu importe, je résoudrai ce problème plus tard. En attendant, je referme brutalement le tiroir, une pointe de panique me traversant à l'idée que quelqu'un puisse apercevoir son contenu. Le carnet, quant à lui, reste finalement posé en évidence sur mon bureau.

Lorsque je relève les yeux, la classe s'est remplie. C'est alors que je la vois. Comme les autres étudiants, Gemma vient d'arriver et la première chose que je remarque, c'est qu'elle n'a pas l'air troublée par les événements d'hier. Comme d'habitude, elle est installée au fond de la salle à côté de Maxime Olivier. Ils chuchotent, échangent des sourires complices, comme s'ils étaient heureux de se retrouver après une longue séparation.

Cette scène me dérange.

Gemma ne doit pas se laisser distraire par qui que ce soit, et encore moins par un garçon. Maxime l'a déjà détournée de ses objectifs une fois, lui faisant risquer de ne pas obtenir le cours particulier. Qui sait ce qu'il pourrait lui faire rater à l'avenir ?

Exaspéré, je me lève d'un bon, faisant crisser les pieds de la chaise sur le sol. Et, sans réfléchir, je frappe dans mes mains, un geste brusque et volontaire pour capter l'attention générale — et, surtout, pour interrompre leur petite conversation.

Tous les regards se tournent instantanément vers moi, et je m'efforce de me glisser dans mon rôle de professeur, un rôle qui, même après deux semaines, continue de me sembler étrangement bancal et peu naturel.

- Bien, bonjour à tous, commencé-je en tâchant d'adopter un ton assuré. J'espère que vous êtes prêts à passer aux choses sérieuses. Jusqu'ici, nous avons passé du temps à réchauffer vos esprits créatifs, à travailler sur quelques exercices techniques pour vous mettre en selle. Maintenant, il est temps de monter en puissance.

Je marque une pause, scannant la salle du regard. Gemma me fixe, ses yeux trahissant une concentration que je commence à connaître. En croisant son regard, je ne peux m'empêcher de me demander si elle nourrit encore une quelconque rancœur après les événements d'hier soir.

- Il est temps de commencer à travailler sur votre collection, dis-je en m'efforçant de décrocher mon regard d'elle. Vous le savez, votre objectif est de créer un ensemble de pièces qui, non seulement reflètent votre identité de designer, mais qui racontent une histoire. Vous ne devez pas créer de simples vêtements, mais tout un univers. Vos créations devront dialoguer entre elles, et surtout, convaincre.

Je fais quelques pas devant mon bureau, essayant de m'ancrer davantage dans mon rôle, même si le malaise s'installe en moi un peu plus à chaque seconde.

- Il faudra penser au processus créatif dans son ensemble : moodboards, choix des matières, croquis, couture et évidemment, la présentation. Le design ne se limite pas à l'apparence. Il vous faudra utiliser les meilleures techniques, pour que chaque ligne créée permette au tissu de tomber et de bouger au mieux.

J'observe les réactions des étudiants. Au premier rang, Blanche me fixe, les bras croisés sous sa poitrine. Ses grands yeux bleus me scrutent avec une intensité dérangeante. Depuis cette rencontre étrange aux toilettes, lors du cocktail de rentrée, elle n'a pas prononcé un seul mot en ma présence.

Et je dois avouer que ce silence commence à me peser car cela ne lui ressemble pas. Blanche est le genre de personne qui aime se mettre en avant, attirer l'attention, occuper l'espace... Son mutisme ne peut que laisser présager quelque chose de mauvais. Je suis intimement convaincu qu'elle a mal interprété l'échange entre Gemma et moi ce soir-là.

Et je redoute qu'elle se mette à colporter des rumeurs auprès de ses camarades et que cela finisse par remonter jusqu'aux oreilles de la direction de l'IELC... D'autant plus maintenant qu'un soutien-gorge se trouve dans le tiroir de mon bureau et pourrait servir de preuve pour attester sa thèse...

Un frisson me parcourt à cette pensée.

Il faut que tu te débarrasses de ce bout de dentelles au plus vite, exige ma petite voix.

Elle a raison, mais je tente de mettre de côté ce malaise qui commence à me ronger. Ce n'est pas le moment de me laisser distraire.

D'une voix que je veux calme et assurée, je reprends mes explications :

- Aujourd'hui, vous consacrerez les deux heures de cours à réaliser votre premier croquis pour votre collection.

Un léger murmure parcourt la salle, signe que les étudiants sont à la fois excités et inquiets par l'annonce de ce nouvel exercice. Et je les comprends. Ce premier croquis est un moment clé, l'occasion de montrer ce qu'ils valent vraiment. Les choses sérieuses commencent vraiment.

Mais pour moi aussi, c'est une épreuve. Serai-je être à la hauteur pour les guider alors que je suis rouillé et incapable, moi-même, de produire des croquis ?

- Alors, qu'est-ce que vous attendez ? lancé-je sur un ton de défi. Vous n'avez pas une seconde à perdre !

Presque instantanément, les étudiants se mettent au travail et très vite, le seul bruit qui règne dans la salle est celui du grattement des crayons sur le papier. Je me rappelle de cette énergie que j'avais lorsque je me trouvais à leur place, il y a quelques années. À l'époque, j'étais rempli d'adrénaline et de rêves...

Je donnerais tout pour ressentir à nouveau cette fièvre couler dans mes veines. Cette poussée créatrice si puissante, cette injonction à créer qui m'habitait presque quotidiennement...

Soudain, une silhouette se dessine dans mon champ de vision. Il ne me faut qu'une fraction de seconde pour savoir qu'il s'agit de Gemma. Elle avance avec une assurance déconcertante, et je sens mon cœur s'emballer alors qu'elle monte sur l'estrade pour s'arrêter juste devant moi, ses yeux brillants d'une détermination tranquille.

- Je suis disponible ce soir, murmure-t-elle, avant même que je n'ai le temps de me poser de question sur la raison de sa présence.

    Sa voix est calme et assurée, comme si les événements d'hier n'avaient jamais eu lieu

- Pour un cours particulier, précise-t-elle en chuchotant, pour ne pas troubler le calme dans lequel la salle est plongée.

Je... vraiment ? Alors, elle veut continuer à suivre des cours avec moi ? Je peine à croire ce que je viens d'entendre, si bien que ma bouche reste entrouverte sans qu'un mot ne parvienne à se frayer un passage entre mes lèvres.

Je suis pris de court. Mes pensées s'embrouillent alors que je jette un bref regard vers le tiroir de mon bureau, où se cache notre secret commun. Puis, je relève les yeux vers elle, perplexe.

- J'ai déjà plusieurs croquis en stock pour ma collection et j'aimerais te les présenter, poursuit-elle, toujours aussi sûre d'elle.

Je la regarde, prêt à lui répondre que, bien sûr, je suis disponible ce soir et que je serai ravi de lui faire un retour sur son travail, mais quelque chose me retient... Je sens le regard glacial de Blanche peser sur nous. Elle reste immobile à son bureau, les bras croisés, et ses grands yeux bleus ne nous quittent pas.

Un frisson me parcourt l'échine. Je ne peux pas laisser la situation dégénérer encore plus. Pas maintenant, pas comme ça. Je ne dois rien laisser paraître qui pourrait alimenter ses soupçons.

Alors, j'attrape une de mes feuilles à croquis vierge qui repose sur mon bureau, griffonne quelque chose dans un coin avant de la tendre à Gemma, avant d'adopter un air sévère.

- Voilà du papier, dis-je tout haut. La prochaine fois, tâchez d'apporter votre matériel.

Gemma s'apprête à rétorquer, mais le regard que je lui lance suffit à la faire taire. Elle accepte donc la feuille sans bruit, mes doigts effleurant un instant les siens. Un frisson incontrôlable me traverse. Je jette un regard furtif vers Blanche qui nous fixe toujours, un sourcil haussé. Elle nous regarde encore quelques instants avant de reporter son attention sur son croquis.

Ouf

Je repose mon regard sur Gemma et finis par lâcher la feuille.

- Envoie-moi un message plus tard, murmuré-je, le plus bas possible, pour être certain que personne n'entende.

Mon petit Casse-tête lit le numéro que j'ai inscrit sur la feuille banche, un léger sourire fleurissant sur ses lèvres. Elle acquiesce doucement avant de retourner à sa place avec une tranquillité qui me désarme. Mon regard la suit, partagé entre admiration et une inquiétude sourde. J'essaie de garder le contrôle, de ne rien laisser transparaître, mais tout en moi vacille.

Je suis partagé entre des émotions contraires. D'un côté, le soulagement que Gemma souhaite poursuivre ces cours particuliers avec moi. De l'autre, l'ombre de Blanche, qui plane au-dessus de ma tête et qui pourrait, à tout instant, semer la zizanie...

À l'avenir, il faudra que je sois plus prudent. Et pour cela, il faut que je m'assure que ces cours particuliers deviennent un autre petit secret commun que Gemma et moi partageons... Il va falloir les déplacer ailleurs, dans un endroit sûr...

L'idée germe dans mon esprit avant même que je puisse la repousser : il faudra que je demande à Gemma de venir chez moi.

Aloooors que pensez-vous de la conclusion de Luccini ??? Je veux vos retours !!! 👀

La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 120 likes et 50 commentaires ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕

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Si tu as lu cette note jusqu'au bout, tu serais vraiment une adorable petite pieuvre ! Commente 🐙 pour que je sache que tu as tout lu 👀

Love,

Morgane 💖

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