Chapitre 19 - Retouches
Mon cœur bat la chamade, comme s'il s'apprêtait à se briser sous la pression de la surprise. La phrase de Luccini résonne encore dans l'air, suspendue dans le temps. Mon regard vacille entre ma création et son visage, alors que j'essaye d'assimiler ce qui se passe. Je répète, la gorge sèche :
- Sur... moi ?
Luccini hoche doucement la tête, son visage empreint d'une sérénité déconcertante, tandis que son regard reste profondément ancré dans le mien.
- Oui, sur toi. C'est comme ça que je travaille. Je dois voir comment le tissu se place, comment il bouge avec ton corps. C'est le meilleur moyen de comprendre les ajustements nécessaires, de visualiser la transformation en temps réel.
Ses mots sont clairs et son explication est cohérente. Pourtant, je ne peux m'empêcher de ressentir une étrange tension dans l'air. L'idée qu'il travaille directement sur moi, qu'il manipule le tissu tandis que je le porte, rend l'instant trop intime. Trop réel. J'imagine déjà ses doigts frôlant ma peau, ajustant les plis, ressentant la chaleur de sa présence tout près de moi. Cela me trouble plus que de raison. Une sorte de frisson me parcourt l'échine, et je peine à masquer ma gêne.
- Si tu préfères qu'on utilise le mannequin, c'est aussi une option, ajoute Luccini, avec une voix plus douce, comme s'il pouvait lire en moi.
À cette distance, je perçois chaque détail de son expression, chaque mouvement subtil de ses lèvres. Et son parfum... un mélange discret, boisé, qui me fait tourner la tête. J'essaie de me concentrer, de me rappeler que tout ceci est purement professionnel. C'est un cours particulier, après tout. En couture, on travaille sur les corps, sur la manière. On regarde comment les vêtements se placent, bougent, s'adaptent à la personne qui les porte. Il n'y a rien d'inapproprié dans sa demande.
Mais malgré mes tentatives pour me raisonner, mon cœur s'emballe, mes pensées deviennent chaotiques. L'idée de sentir ses mains sur moi, ajustant délicatement le tissu... Non, stop.
- D'accord, soufflé-je, ma voix presque inaudible. Faisons-le.
Un léger sourire effleure ses lèvres charnues. Il recule de quelques pas, et je sens la tension de sa présence se dissiper, juste pour un moment.
- Très bien, dit-il calmement. Je te laisse enfiler le top. Je vais me chercher un café en attendant.
- Je... ok, balbutié-je.
Avant que je n'ai le temps de reprendre mes esprits, la porte de la salle 424 se referme sur Luccini. Je me retrouve seule, et c'est comme si un poids m'avait été retiré des épaules. J'expire enfin, l'air me manquait presque.
Merde, qu'est-ce qui m'arrive ? Quelques minutes plus tôt, j'étais prête à affronter Luccini, à lui demander pourquoi il m'avait ignorée ce matin. J'étais arrivée sur la défensive, prête à riposter à ses critiques acerbes. Et maintenant, je m'apprête à le laisser faire des retouches sur ma création directement sur moi.
Il y a forcément quelque chose qui ne tourne pas rond chez moi.
Je secoue la tête, pour retrouver mes esprits. Il faut que je me dépêche d'enfiler ce top avant que Luccini ne revienne. Je contourne le mannequin et tire doucement sur la fermeture éclair pour libérer le top. Le tissu glisse entre mes doigts, fragile et précieux, et je le pose avec la plus grande délicatesse sur la table en bois.
J'enlève ma blouse rapidement, mais je m'arrête net, soudain frappée par une réalité embarrassante : je dois aussi retirer mon soutien-gorge. Mon dieu que c'est gênant.
Je ferme les yeux un instant, essayant une nouvelle fois de rationaliser. Ce n'est qu'un cours, rien de plus. Des retouches sur la pièce, c'est tout.
Mais l'idée que Luccini puisse être si près de moi, rend la situation beaucoup trop intense... Un mélange de nervosité et d'excitation monte en moi...
Je dois chasser ces pensées inappropriées. Tout de suite.
Je prends une grande inspiration et finis par dégrafer l'attache de mon soutien-gorge, me répétant encore et encore les raisons pour lesquelles je m'inflige ça. Je cache mon sous-vêtement sous mon haut et les pose sur la table en bois, ne sachant pas quoi en faire d'autre. Enfin, j'enfile le top à toute vitesse, le tissu froid rencontre ma peau nue. Comme prévu, il s'ajuste parfaitement et épouse mes formes. Je me souviens de la dernière fois où je l'ai porté, seule dans ma chambre à six heures du matin, épuisée mais satisfaite du résultat. Cela semble s'être déroulé il y a une éternité tant les derniers jours ont été intenses...
La porte claque doucement derrière moi, m'arrachant un sursaut. Luccini est déjà revenu, son café à la main. Ses yeux se posent immédiatement sur moi et sur le top que je porte. Il s'arrête un instant et je perçois que son expression change subtilement. Ses lèvres se pressent l'une contre l'autre comme s'il retenait un commentaire. Puis, après un moment de silence, il fait un pas vers moi, la distance entre nous fondant à nouveau.
- Bien, murmure-t-il, ses yeux ne me quittant pas une seconde. Voyons ce que nous pouvons améliorer.
Il s'approche de la grande table en bois et pose son gobelet de café fumant avec soin, sans jamais détacher ses yeux de ma silhouette. Il observe la pièce que je porte avec une attention quasi chirurgicale, passant de mon visage au tissu comme pour analyser chaque détail.
Même si j'essaye de ne rien laisser paraître, mes mains sont recouvertes d'un voile humide et mon cœur cogne tellement fort qu'on dirait qu'il essaye de sortir de ma poitrine. Je n'ai jamais été aussi consciente de mon propre corps qu'à cet instant, sous le regard scrutateur et attentif de Luccini.
- Tiens-toi droite, dit-il doucement.
Je m'exécute, gênée de ne pas l'avoir fait naturellement. Mais Luccini n'a pas l'air de se soucier un seul instant de ce détail, il reste parfaitement concentré sur le tissu, observant le tombé en silence. Ses doigts attrapent délicatement une épingle sur la table, puis il s'approche doucement de moi.
- Le tombé sur la poitrine pourrait être amélioré, murmure-t-il en pointant une couture légèrement distendue. La ligne n'est pas tout à fait parallèle à celle de tes épaules, et le tissu tire un peu. Il faut relâcher légèrement la pince poitrine pour permettre au tissu de mieux vivre sur ton corps.
Luccini tire un tabouret d'un geste sec pour le placer devant moi. Il s'assoit dessus avec aisance et plante doucement l'épingle dans le tissu, juste au niveau de la pince. Je déglutis, essayant de rester concentrée sur la couture et d'observer la technique qu'il adopte.
Ses doigts n'entrent pas en contact avec ma peau, mais mon corps réagit de manière incontrôlable à cette proximité. Ses yeux sont au niveau de ma poitrine, parfaitement concentrés sur son travail, mais je sens mes tétons durcir sous le tissu.
Merde. Merde. Merde.
Je n'ose plus respirer, plus bouger et prie intérieurement pour qu'il ne s'aperçoive de rien. Heureusement, après quelques secondes à peine, Luccini se relève.
- C'est déjà mieux.
Sans attendre, il poursuit son analyse, me tournant autour doucement.
- Il faudrait également revoir la jonction entre le buste et la taille, continue-t-il, son ton toujours calme et professionnel. Le cintrage est bon, mais un léger ajustement permettrait un tombé plus fluide. Tu as utilisé une technique de fronces ici, non ?
Je hoche la tête en silence, incapable de formuler une réponse. C'était un choix délibéré pour donner de la texture et du volume à la pièce, mais sous son regard d'expert, je me demande si c'était la bonne décision.
- Je pense que si on réduit légèrement la profondeur des fronces, on obtiendra un effet plus naturel. Le volume sera mieux réparti, et la fluidité du tissu sera meilleure.
Il recule un peu pour avoir une vue d'ensemble, ses yeux glissant sur la longueur de la pièce jusqu'à mes hanches.
- Le bas aussi a besoin d'une retouche, assure-t-il. Le tissu a un beau drapé, mais la longueur à l'arrière est légèrement irrégulière. Si tu regardes, la ligne de l'ourlet remonte un peu à droite.
Il attrape à nouveau le tissu et met à exécution son conseil. S'en suit une valse du tabouret autour de moi, au gré des modifications que Luccini apporte à ma pièce.
Je le regarde travailler, impressionnée par sa précision et sa maîtrise. Chaque commentaire qu'il fait est juste, chaque correction proposée, aussi infime soit-elle, permet à la pièce de s'épanouir un peu plus.
- Tu vois, ici, au niveau de la couture latérale ? ajoute-t-il. Il faut resserrer légèrement la couture pour épouser davantage la forme de ton corps. Rien de trop serré, mais juste assez pour que le vêtement bouge avec toi, pas contre toi.
Ses doigts effleurent mon flanc tandis qu'il ajuste le tissu, et je me raidis involontairement. Luccini s'arrête un instant, levant les yeux pour me regarder.
- Tout va bien ? demande-t-il, sa voix plus douce qu'auparavant.
Je hoche la tête, incapable de formuler une réponse, une chaleur étrange montant en moi, brûlante et incontrôlable.
- Ces retouches sont minimes, Gemma, affirme-t-il, son regard perçant me rappelant la nature professionnelle de l'exercice. Elles n'enlèvent en rien la qualité de ton travail. Fais-moi confiance.
Oh. Luccini pense que je suis troublée par toutes les modifications qu'il apporte à ma tenue, mais il est loin du compte. Ce n'est pas pour cette raison que mon corps se raidit... Même si je dois avouer que cela m'arrange bien qu'il s'en tienne à cette explication.
- Tu as froid ? demande-t-il, soudain.
Je tourne un instant la tête pour capter son regard. Ses yeux sombres sont évidemment fixés sur moi, l'air de chercher quelque chose qu'il ne parvient pas à saisir.
- Je... Non, pourquoi ?
- Tu as la chair de poule.
Mes yeux se posent avec effroi sur les petits points blancs qui s'étalent sur la peau de mes bras. Bordel. Je frissonne. Mais pas à cause du froid. Pas du tout. Au contraire, j'ai même chaud.
Qu'est-ce qui m'arrive à la fin ?
- Tu veux faire une pause ? demande Luccini, la voix douce.
- Non, tout va bien, affirmé-je. Ça va passer.
- Comme tu veux.
Mais tandis qu'il retourne à son travail, s'attaquant à une retouche au niveau de mon dos, je ne peux empêcher mon corps de réagir à nouveau. Je peine à respirer, à ne pas me crisper, et malgré moi, je n'arrive pas à détourner l'attention de ses mains qui travaillent sur mon corps et qui provoquent de multiples frictions du tissu contre ma peau. Qu'est-ce qui se passerait s'il réalisait que ce n'est pas l'exercice qui me trouble... mais lui ?
Soudain, les doigts frais de Luccini touchent plus franchement la peau de mon dos et un nouveau frisson me parcourt de part en part. Je sursaute presque, et Luccini s'en aperçoit évidemment.
- Ne t'inquiète pas, je manipule des aiguilles depuis des années. Il n'y a aucun risque que je te fasse mal.
Oh, je ne m'en faisais pas pour ça...
Il faut que ça cesse et que je détourne l'attention. Aussi bien pour que Luccini ne se rende compte de rien que pour me sortir de ma bulle de tension qui pourrait éclater à tout instant.
- Vous... Enfin, tu as toujours voulu travailler dans la mode ? je lâche alors, me rappelant la séance d'espionnage de Lily qui avait révélé que Luccini avait commencé à coudre enfant, dans l'atelier de sa mère.
Ses mains continuent de manipuler le tissu, mais je sens un léger ralentissement dans ses gestes. Il prend plusieurs secondes avant de répondre :
- Si on veut. J'ai toujours connu le milieu, je baigne dedans depuis gamin alors... oui. Mais pour être honnête, je ne pensais pas que ça serait dans la haute couture.
Je m'attendais à cette réponse mais je dois avouer que je suis déçue. J'aurais voulu qu'il m'en dise plus. Alors, je tourne un instant la tête pour capter quelque chose dans son regard, mais Luccini pose immédiatement une main sur mon épaule pour me faire pivoter.
- Reste droite, s'il te plaît.
- Pardon... Hum, alors à quel moment c'est devenu une évidence de faire de la haute couture ?
Il prend une grande inspiration :
- Eh bien, ça s'est fait progressivement. Mais l'élément déclencheur si on veut, ça a été une vente aux enchères. J'avais confectionné une collection complète pour une association qui... hum... Pour une association. Et j'ai récolté bien plus d'argent que prévu. J'ai compris que mes pièces plaisaient et que certaines personnes étaient prêtes à payer cher pour les obtenir.
Je sens le trouble dans sa voix. Et quelque chose me dit qu'il ne m'en dira pas davantage. Il a pratiquement arrêté ses retouches.
- Travailler avec Madame de Beaumont doit être exceptionnel, dis-je, alors. Je suis tellement admirative de son travail.
- Oui, j'ai de la chance de travailler à ses côtés.
Il reste laconique. Monsieur Gabriel Luccini n'aime-t-il pas être au centre de l'attention ? Est-ce pour cette raison que l'on ne trouve rien à son sujet sur Internet ?
- Tu as travaillé sur beaucoup de collections avec elle ? insisté-je, cherchant à creuser un peu plus.
Je veux comprendre qui il est, au-delà des maigres informations à son sujet sur le net.
Il s'arrête encore une fois, mais cette fois, je sens ses doigts se cripser légèrement autour du tissu.
- Oui, plusieurs, répond-il, sur un ton plus sec. Mais les collections, ce n'est pas tout dans ce métier.
Sa réponse est évasive. Encore une fois. Je ne peux pas dire que ça m'étonne mais pourquoi reste-t-il si vague ? Il devrait être fier de son travail, non ? Je ressens une petite pointe de curiosité, presque mal placée, qui me pousse à aller plus loin.
- Je dois avouer que je n'ai pas eu l'occasion de voir ce que tu as fait, confessé-je doucement, en espérant ne pas le froisser. J'aimerais beaucoup découvrir tes créations... Il y a une exposition en cours, ou des photos des dernières collections sur lesquelles tu as travaillé quelque part ?
Cette fois, les mains de Luccini lâchent ma création, et j'entends le tabouret racler sur le sol, m'apprenant qu'il s'est levé. J'ose me retourner et le voit s'éloigner vers la table en bois. Il reste appuyer contre celle-ci, dos à moi, pour me répondre :
- Il n'y a rien de récent. Le processus créatif prend du temps, et je préfère me concentrer sur le perfectionnement de mes idées avant de les partager.
- Je... Oui bien sûr.
Ses mains sont fermement accrochées à la table de part et d'autre de son corps et je sens une vague de malaise monter en moi. Ai-je dit quelque chose de mal ? Mon corps se refroidit soudain, et par instinct, je referme les bras autour de moi comme pour me protéger.
- Je pense que nous avons fait le tour pour aujourd'hui, dit finalement Luccini, la voix bien plus sèche qu'au début du cours. Ces ajustements suffiront. Tu peux te changer.
Mon corps se fige. La brutalité de ses mots me prend de court. Je croyais que j'aurais l'opportunité de lui poser des questions, peut-être même de comprendre un peu mieux ses méthodes. Mais non.
« Ces ajustements suffiront ».
Suffiront. Ce mot résonne en moi, et jette un froid glacial dans chaque recoin de mon corps. Je pensais que Luccini voulait m'aider à perfectionner cette création, à la rendre exceptionnelle, pas seulement... suffisante.
Il me tourne toujours le dos, ses mains fermement ancrées sur la table, les muscles de son dos tendus, dessinés sous le tissu fin de sa chemise. J'essaie de comprendre ce revirement soudain.
Je baisse les yeux sur ma pièce qu'il a si méticuleusement manipulée. En effet, chaque ajustement qu'il a opéré fait la différence. C'est comme si le tissu avait été moulé directement sur mon corps.
Je devrais être heureuse mais je me sens vide. Le changement d'attitude de Luccini me cloue sur place et pour une raison inexplicable, cela me retourne l'estomac.
- Merci pour le cours, murmuré-je.
Il ne bouge pas d'un centimètre. Ses doigts restent agrippés à la table alors que je m'approche pour récupérer mes vêtements. Mon corps tremble de frustration. Sa froideur inattendue me désarme.
Je rassemble mes affaires, récupère mon sac, sans prendre le temps de me changer. Je n'ai qu'une envie : quitter cette pièce au plus vite, incapable d'endurer plus longtemps la tension qui grandit ici.
- À demain, soufflé-je.
Toujours aucune réponse. Luccini reste immobile, enfermé dans son mutisme. Je laisse échapper un long soupir et me résigne à quitter la salle 424 avec une nouvelle obsession en tête : découvrir ce que cache Luccini.
Aloooors ce cours particulier ? Vous pensez que Luccini cache quelque chose ) 👀
La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 120 likes et 50 commentaires ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕
Si vous aimez Room 424, n'oubliez pas de LIKER ce chapitre, de le COMMENTER et de le PARTAGER à vos amis ! Ça m'aiderait énormément et ça me ferait vraiment super plaisir ! 💕 Merci d'ores-et-déjà pour tous vos retours adorables.
Si tu as lu cette note jusqu'au bout, tu serais vraiment un petit ange ! Commente 👼 pour que je sache que tu as tout lu 👀
Love,
Morgane 💖
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top