Chapitre 17 - Confessions (part 1/2)

Gabriel

- Georgia Hayes !

Au moment où je réalise que Lavergne parle de Gemma, une chaleur brûlante me traverse des orteils jusqu'au sommet du crâne.

Tu ne l'as pas vu venir, celle-là, raille ma petite voix intérieure, toujours prompte à me rappeler mes échecs.

Non, en effet, je ne l'ai pas vu venir. Et cela n'annonce rien de bon. Lavergne est pire qu'un pitbull : une fois qu'il a une prise, il ne la lâche plus avant d'obtenir exactement ce qu'il veut.

- Vous voulez dire... Gemma Hayes ? demandé-je, juste pour m'assurer que la situation est vraiment aussi chaotique que je l'imagine.

Lavergne esquisse un sourire narquois, qui me confirme que je suis en train de perdre le contrôle. Merde. J'avais pourtant tenté d'étancher sa soif en lui présentant Blanche Evrard et en essayant de la vendre comme un prodige pour Chanel. J'avais misé sur elle, espérant que cela suffirait à calmer ses ardeurs. Mais visiblement, ce n'est pas le cas.

Lavergne n'est pas dupe.

Merde. Merde. Merde.

Guenièvre a été très clair : je dois protéger les meilleurs éléments du cours à tout prix. Ne jamais laisser quelqu'un comme Lavergne s'en approcher. Et là, il est directement en train de cibler Gemma. Dans cette industrie, tout le monde joue le même jeu : on ne met jamais nos talents en vitrine. On les protège, on les cultive en silence.

Qu'est-ce que tu peux être naïf..., siffle ma conscience, encore une fois.

Je n'arrive pas à écouter Lavergne, qui m'explique en détails comment il a entendu parler de Gemma. Ça m'est égal. Qu'il l'ait découverte sur la lune ou au fond de l'océan, le résultat reste le même.

- Vous auriez dû m'en parler, Gabriel.

Sa voix, glaciale et pleine de reproches, me ramène à moi. Ses mots résonnent comme un bourdonnement assourdissant dans ma boîte crânienne. Je dois trouver un moyen de détourner son attention de Gemma, le convaincre qu'elle n'est pas celle qu'il faut pour Chanel.

- Je... balbutié-je, le cœur battant à tout rompre. Allons, trouve quelque chose à dire. - Je voulais être certain qu'elle avait encore... une marge de progression avant de vous en parler. Je ne voulais pas que vous soyez déçu par un talent encore... brut.

Mes mots sonnent creux, même à mes oreilles. Lavergne ne se laissera pas berner aussi facilement. Son regard perçant est fixé sur moi, comme un prédateur jaugeant sa proie. Il sait que je suis fait, que je n'ai aucune chance de m'en sortir, et pourtant, il me regarde me débattre avec une certaine satisfaction. Il savoure le moment, scrutant chaque inflexion de ma voix, chaque hésitation dans mes paroles.

- Que pensez-vous de son travail, alors ? demande-t-il.

Mes mains deviennent moites, mais je m'efforce de garder une certaine contenance. Je cherche une échappatoire, mais la seule solution qui me vient à l'esprit est de rester fidèle à ma stratégie : minimiser, contrôler. Si je ne suis pas suffisamment nuancé, Lavergne sentira que je ne suis pas sincère.

- Son travail est... correct, dis-je finalement, pesant mes mots avec précaution. Mais Gemma Hayes a encore beaucoup à apprendre. Elle est loin d'avoir l'étoffe pour rejoindre Chanel.

Je déteste parler d'elle de cette manière. Mais que puis-je faire d'autre ? Mon rôle est de protéger nos talents, de les garder hors de portée des vautours comme Lavergne, toujours à l'affût du prochain prodige à dévorer.

Mais je sais que mon ton trahit ma véritable pensée. Gemma a quelque chose, une étincelle que d'autres n'ont pas. Et Lavergne l'a senti. C'est ce qui me terrifie. Si jamais il devine que je tente de la garder à distance, comme un enfant capricieux, il deviendra impossible de lui faire oublier Gemma.

Le bruit éclatant d'un verre qui se brise me sort de ma bulle. D'instinct, je tourne la tête vers l'origine du bruit et découvre avec stupeur Gemma, à seulement quelques mètres de nous. Mes yeux passent de son visage à sa main ensanglantée qui tremble, des éclats de verre enfoncés dans sa peau.

Son visage est figé dans une expression de douleur et de rage et je comprends très vite que ce ne sont pas les coupures qui lui font mal. C'est ce que je viens de dire.

Elle a tout entendu.

Avant que je n'aie le temps de réagir, Gemma prend une nouvelle fois la fuite. Je reste figé une seconde, essayant de réaliser ce qu'il se passe. Puis l'instinct prend le dessus. Sans réfléchir, je me lance à sa poursuite. Je ne peux pas la laisser partir ainsi, pas dans cet état, et surtout pas après ce que je viens de lui dire.

Je dois la rattraper et lui fournir des explications... Mais que pourrais-je lui dire ? Comment lui faire comprendre que mes mots n'étaient qu'une tentative désespérée de la protéger de Lavergne ? Comment pourrais-je la convaincre que mon but n'était pas de la rabaisser ?

Même si je n'ai aucune idée de comment désamorcer cette situation explosive, je continue à avancer, porté par une force inexplicable.

- Gemma, attends !

Elle ne s'arrête pas. Au contraire, elle accélère la cadence. Je serre les dents et me fraye un chemin à travers la foule, bousculant des convives sans même m'excuser. Il faut que je la rattrape, je ne peux pas la laisser disparaître dans la nuit, rongée par cette rage et cette souffrance desquelles je suis entièrement responsable.

Gemma fonce droit vers l'extrémité du cloître, et avant que je ne puisse l'atteindre, elle s'engouffre dans le bâtiment B. Je me rue sur ses pas, pour qu'elle ne puisse pas me semer et pénètre à mon tour dans les murs de l'école. Ici, tout est plus calme. La musique est étouffée, les bavardages de convives sont moins assourdissants. Le seul bruit sonore est celui des talons de Gemma qui claquent sur le sol à toute vitesse, tandis qu'elle essaye de me semer.

- Gemma ! l'appelé-je à nouveau.

Ses longs cheveux bruns volent derrière elle, flottant au rythme de sa course, alors que de petites gouttes de sang s'écrasent sur le sol dans son sillage. Le contraste est frappant, presque irréel - ce rouge vif sur le marbre froid. Une partie de moi, celle qui cherche à retrouver un semblant de contrôle dans ce chaos, pense distraitement qu'il faudra nettoyer ça plus tard. Mais c'est un détail absurde, déplacé, face à l'urgence de la situation.

Je relève les yeux juste à temps pour voir la porte des toilettes des dames se refermer derrière elle. Je m'arrête un instant, mes yeux fixant bêtement la pancarte qui m'indique que je n'ai rien à faire ici et, après une demie-seconde d'hésitation, je pousse la porte.

À l'intérieur, tout semble figé, comme si le temps était suspendu dans une bulle silencieuse. Loin du bruit et du chaos de la soirée, les seules vibrations dans l'air sont celles de l'eau qui coule et de la fébrilité de Gemma.

Elle sursaute en me voyant entrer, ses yeux brûlant de colère et de panique, une combinaison qui me montre à quel point mes mots l'ont meurtrie.

Elle est penchée au-dessus du lavabo, sa main ensanglantée tremblant sous le jet. Le sang se mêle à l'eau en spirales écarlates, traçant des arabesques avant de disparaître dans le drain.

- Vous n'avez rien à faire là, crache-t-elle, sa voix froide, mais brisée.

Je m'arrête, pris entre l'envie de m'excuser et le besoin de justifier mes actions. Je n'ai pas l'habitude de la voir comme ça. Gemma est toujours si forte, si confiante. Mais là, face à moi, c'est comme si la façade s'effondrait. Ses yeux, habituellement pleins de défi, brillent de larmes contenues.

Et cette vision, aussi brève soit-elle, m'ébranle. Je sais que ce n'est pas seulement la douleur physique qui la détruit à cet instant. C'est moi, c'est ce que j'ai dit. Et la vague de culpabilité qui me submerge m'empêche de respirer.

Regarde dans quel état tu la mises, me gronde ma petite voix. Bon courage pour te rattraper...

- Allez vous-en ! crie soudain Gemma, véritablement à bout de nerfs.

Tout son corps tremble comme une feuille et je dois lutter contre l'envie de la prendre dans mes bras pour lui murmurer que tout ira bien, que je ne pensais pas le moindre mot que j'ai dit à Lavergne. Mais je sais que je ne le peux pas, pas comme ça, alors je me contente de souffler :

- Laisse-moi t'expliquer.

Je me surprends à la tutoyer spontanément, sans calcul. Ce n'est sûrement pas approprié, mais j'imagine qu'il est trop tard pour faire machine arrière.

Ce changement à l'air d'avoir interpellé Gemma. Le temps d'un instant, ses grands yeux de biche me fixent avec curiosité. Car, même si elle est persuadée d'encore très mal parler le français, elle a en réalité compris bien plus de subtilités de ma langue qu'elle ne peut l'imaginer. Elle est tellement impressionnante...

Mais ce moment suspendu est aussi fragile qu'un souffle, et en un battement de cil, je vois la colère réinvestir son regard. Ses traits se durcissent à nouveau, son corps tendu, comme prêt à exploser.

- Je n'ai pas besoin de vos explications, tout est déjà très clair, assure-t-elle.

Son ton est sans appel et cela me broie les entrailles. D'un geste sec, rempli de rage, Gemma coupe l'eau avant de secouer sa main au-dessus de l'évier, alors même que le sang continue à perler sur ses doigts.

Elle arrache un bout de papier du distributeur et poursuit :

- Je n'ai besoin d'aucune explication car je sais pertinemment ce que vous pensez de moi, de mon travail, du fait que je sois une de vos étudiantes. Je sais que vous étiez contre mon admission, que vous trouvez mon travail médiocre et que vous êtes persuadé que je n'ai pas ma place dans cette foutue salle 424.

Elle a tout déballé d'un coup, sans respirer, et je me prends une claque monumentale. Alors... c'est cette vision qu'elle pense que j'ai d'elle ? Elle pense même que j'étais contre son admission ? C'est bien plus profond, bien plus grave que je l'imaginais...

- Tu te trompes, dis-je en faisant un pas dans sa direction.

Gemma recule aussitôt, comme si ma proximité était mortelle. Son regard noir plonge dans le mien, et je me sens démuni, incapable de trouver les bons mots.

- Au contraire, je crois que j'ai parfaitement raison, réplique-t-elle avec une froideur qui me glace. Chaque jour depuis la rentrée, vous m'avez fait sentir, de façon plus ou moins subtile, que je ne suis pas à la hauteur. Que je suis une rêveuse naïve qui va se faire broyer par l'industrie dès qu'elle mettra un pied dehors. Que je suis un fardeau, un Casse-tête ambulant qui ralentit votre cours.

Chaque mot qu'elle prononce est une lame qui me transperce. Je comprends que j'ai été trop loin. Que je l'ai poussée à bout. Gemma a besoin d'être piquée, j'en suis persuadé, mais là c'est sa confiance en elle que j'ai piétiné. Ce n'était pas le but. Cela ne le sera jamais.

Je cherche à parler, à clarifier la situation, mais la force de ses accusations me cloue sur place.

- Vous ne comprenez pas, continue-t-elle, la voix un peu plus fragile maintenant, comme si elle s'effritait après avoir déversé sa rage. J'ai donné tout ce que j'avais pour arriver ici. Tout. Et chaque fois que je vous regarde, je vois ce doute dans vos yeux, ce doute qui me bouffe de l'intérieur, comme si j'étais déjà condamnée à échouer avant même d'avoir essayé.

De colère, elle attrape soudain le drapé transparent du col de sa robe et tire dessus de toutes ses forces. Dans un bruit aiguë, le tissu se déchire en un lambeau épais qu'elle laisse tomber sur le sol.

- Gemma, mais qu'est-ce que tu fais ?!

Ma voix trahit une panique que je ne peux plus dissimuler, mais Gemma m'ignore complètement, comme si mes mots n'étaient que des murmures dans la tempête qui fait rage dans sa tête. Je fais à nouveau un pas vers elle, espérant l'arrêter avant qu'elle ne se blesse davantage, mais elle m'esquive, rapide, presque sauvage, attrapant un autre pan de la robe, qu'elle arrache avec encore plus de violence.

- J'étouffe là-dedans, gémit-elle. Dans cette robe bien trop banale pour qu'elle vaille vraiment la peine que l'on s'attarde dessus.

Je sais qu'elle reprend mes mots et je m'en veux comme je ne m'en suis jamais voulu dans ma vie. Je la regarde réduire sa robe en morceaux, impuissant. Des larmes de colère s'échappent de ses yeux et s'en est trop. Je ne peux plus supporter de la voir se torturer à cause de moi, à cause de mes mots.

Je m'approche d'elle, et cette fois, je ne la laisse pas s'échapper. J'attrape avec douceur mais fermeté ses poignets et l'oblige à arrêter le massacre.

Nos regards se croisent, et pendant un instant, tout se fige.

Gemma reste là, tremblante sous mes mains, les larmes roulant encore silencieusement sur ses joues. Elle est tellement plus vulnérable que je ne l'avais imaginée. Je devine la douleur derrière ses yeux, mais ce qui me déchire encore plus, c'est cette stupeur dans son regard, comme si ma proximité la tétanisait.

Lui est-ce vraiment si insupportable de me savoir près d'elle ?

- Tu te trompes sur toute la ligne, répondis-je, plus fermement, pour qu'elle m'écoute.

Mon emprise sur ses poignets se fait plus douce, sans pourtant la relâcher.

- Tout ce que tu penses que je ressens à ton égard, tout ce que tu penses que je crois de ton travail, tout est faux.

Gemma reste figée, ses grands yeux embués de larmes plongés dans les miens, cherchant une explication qui n'arrive pas tout de suite.

Je prends une profonde inspiration. Je sais que je dois lui dire la vérité, tout ce que je pense réellement d'elle. Je dois lui dire tout de suite.

C'est maintenant ou jamais...

Aaaaarghhhh... Mais que va dire Luccini à Gemma??? Et comment croyez-vous que Gemma va réagir? 🤫 À votre avis ?

La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 105 likes ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕

Si vous aimez Room 424, n'oubliez pas de LIKER ce chapitre, de le COMMENTER et de le PARTAGER à vos amis ! Ça m'aiderait énormément et ça me ferait vraiment super plaisir ! 💕 Merci d'ores-et-déjà pour tous vos retours adorables.

Si tu as lu cette note jusqu'au bout, tu es un flamant rose flamboyant ! Commente 🦩 pour que je sache que tu as tout lu 👀

Love,

Morgane 💖

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top