Chapitre 16 - Explosion
La voix de Luccini s'élève, et ses mots me frappent avec une brutalité inattendue, me perforant comme des balles meurtrières :
- Elle a un potentiel exceptionnel, dit-il, en désignant Blanche d'un petit signe de tête. Elle pourrait vraiment faire sensation chez Chanel.
Mes muscles sont tendus comme des arcs prêts à décocher. Potentiel exceptionnel ? Qu'a-t'elle fait pour que Luccini cherche à la placer, déjà, une semaine seulement après le début des cours ? A-t-elle gagné ce fichu concours avec sa dernière pièce ? Ou pire, était-elle déjà dans les petits papiers de Luccini avant même la rentrée ?
Des suppositions toutes plus toxiques les unes que les autres se bousculent dans ma tête, formant un bourdonnement infernal et abrutissant : Petite protégée. Favoritisme. Complicité.
Lavergne pose ses petits yeux de serpent sur Blanche.
- Je serai curieux de découvrir vos créations, alors, mademoiselle Evrard, dit-il d'une voix mielleuse.
- Je vous présenterai mon portfolio avec plaisir, assure-t-elle, un sourire triomphant sur les lèvres.
Elle sait déjà qu'elle a gagné. Elle n'a même pas l'humilité d'attendre le retour de Lavergne, elle est déjà persuadée d'avoir une place chez Chanel. Elle papillonne des yeux, rayonnante dans sa robe pailletée, comme si tout cela lui était naturellement dû.
Mon poing se serre autour de mon verre, toujours plein, excédée par son comportement de petite privilégiée.
Lavergne hoche la tête, boit une gorgée de son whisky, avant de reporter son attention sur Luccini.
- D'autres étudiants mériteraient-ils que je m'intéresse à leur travail ?
Et maintenant ? Que va-t-il dire ? Toute mon attention se focalise sur les lèvres de Luccini, prête à capter le moindre mot. Je n'entends plus la musique, ni les rires des invités autour de nous. Il n'y a plus que cette scène figée : Luccini, face à Lavergne et Blanche, dont l'attention se cristallise sur lui.
Luccini tressaille à peine, mais je discerne la tension dans ses épaules.
Et finalement, la sentence tombe, brutale, destructrice :
- Aucun autre étudiant n'est plus prometteur que Blanche, affirme Luccini, d'une voix grave. Elle a un talent évident, une personnalité créative affirmée. Si elle intègre Chanel, elle peut devenir une force inarrêtable dans l'industrie.
Mes jambes vacillent légèrement sous moi et j'ai du mal à rester debout. Je dois me cramponner à la colonne du cloître derrière laquelle je me cache pour ne pas m'étaler sur le sol.
- Vraiment personne d'autre ? insiste Lavergne, visiblement agacé de n'avoir qu'un nom à se mettre sous la dent.
Malgré la faible luminosité, j'arrive à voir la paume d'adam de Luccini tressauter dans sa gorge, comme si... Il était mal à l'aise ? Ou comme s'il devait mesurer chacun de ses mots avant de les prononcer ?
- Les autres étudiants ne sont pas encore assez matures pour qu'ils vaillent la peine d'être mentionnés ce soir, finit-il par répondre. Mais nous pourrons refaire un point dans quelques temps, bien entendu.
Irrité, Lavergne tapote son verre de whisky avec son index, où brille une lourde chevalière en or. Le silence s'installe un instant, pesant, jusqu'à ce que le chasseur de têtes lâche, sur un ton plus tranchant :
- J'ai pourtant eu de bons échos concernant une autre de vos étudiantes. Elle a l'air très prometteuse. C'est une certaine...
Il laisse sa phrase en suspens, comme s'il faisait durer le suspense volontairement. Il plisse les yeux, cherchant un prénom dans les méandres de sa mémoire, tandis que je reste figée, le souffle court.
- Georgia Hayes ! dévoile-t-il enfin.
Mon cœur rate un battement.
Moi.
Moi ?
Il doit parler de moi. Mais il a écorché mon prénom. Georgia ? Mon esprit s'emballe, puis s'arrête net, comme figé dans l'incertitude. Ça ne peut être que moi... n'est-ce pas ? Il n'y a pas d'autre Hayes en 424, ni même de Georgia.
Une seconde entière s'étire, une seconde bien trop longue dans cette situation où mon avenir semble jouer à pile ou face. Tout autour de moi s'efface, comme si l'univers retenait son souffle en même temps que moi.
Mais une question me taraude : Comment Lavergne aurait-il pu entendre parler de moi ?
Je ne suis pas la seule surprise. Luccini, lui aussi, est déstabilisé. Son visage, généralement impassible, blêmit soudain, et ses lèvres se pincent subtilement, mais assez pour que je le remarque.
Il se racle la gorge, comme s'il peinait à reprendre contenance et qu'il cherchait à se réapproprier la situation.
- Vous voulez dire... Gemma Hayes ? articule-t-il, sa voix légèrement rauque, comme si mon prénom lui pesait sur la langue.
Sans hésiter, Lavergne pointe son index bagué vers Luccini, hochant la tête avec satisfaction :
- Oui, c'est ça. Gemma Hayes.
Il répète mon prénom avec une lenteur délibérée, presque théâtrale, comme pour s'assurer que cette fois, il ne m'oubliera pas.
- Je suis... bégaye Luccini. Je suis surpris que vous ayez entendu parler d'elle.
Surpris ? Ah oui ? Qu'est-ce que tu sous-entends, exactement ? Que je ne mérite pas d'être remarquée ? Une vague de haine me submerge. Comment ose-t-il me dévaloriser face à Lavergne ? Chaque mot qui sort de sa bouche est une lame plantée dans ma fierté, et je suis prête à exploser. Ma rage envers lui atteint son apogée, une intensité que je n'aurais jamais imaginée possible.
Lavergne, lui, ne se laisse pas troubler. D'un geste calculé, il prend une longue gorgée de whisky, ses yeux toujours fixés sur Luccini. Il repose lentement son verre sur le petit mange debout à côté d'eux, avant d'offrir des explications à Luccini - et à moi aussi, par la même occasion.
- En fait, c'est arrivé un peu par hasard. J'étais en vacances à Londres la semaine dernière. Ma femme et mes filles m'ont traîné dans cet horrible endroit... Camden. Ce marché débordant de boutiques de seconde main... l'enfer sur terre, croyez-moi. Mais apparemment, c'est tendance chez les adolescents.
Il ricane doucement, comme s'il se moquait de la trivialité de la situation.
- On a fini par entrer dans la seule boutique correcte du coin, The Originals, et là, le travail de votre étudiante était exposé.
Il marque une pause, laissant ses mots planer dans l'air, comme s'il savourait l'effet de son anecdote. Mon cœur se met à battre plus fort. The Originals. C'est Valery qui a parlé de moi à Lavergne. Ma Valery. Celle qui m'a toujours soutenue, qui a cru en moi quand j'étais encore dans l'ombre, et qui a tout fait pour que je puisse réaliser mon rêve. J'avais espéré que cette collaboration pourrait m'ouvrir des portes, mais jamais je n'aurais pu imaginer que cela atteindrait quelqu'un d'aussi influent.
Il faut dire que je n'aurais jamais pu soupçonner que Lavergne se retrouverait à faire du lèche-vitrine à Camden...
Le chasseur de tête continue sa petite histoire, ses yeux toujours braqués sur Luccini. Blanche, à côté, est maintenant oubliée, son visage prenant une teinte rosée, trahissant la jalousie qui la ronge.
- J'ai tout de suite voulu savoir qui était derrière ces créations. Le style était audacieux, sans être prétentieux. Ça avait quelque chose de frais, de marquant. Et dans un endroit aussi... disons, éclectique que Camden, ça sortait du lot. Bref, la gérante m'a parlé de Georgia... Enfin je veux dire, Gemma.
À l'évocation de mon nom, Lavergne marque une légère pause, laissant le poids de ses paroles flotter dans l'air.
- Et imaginez ma surprise, poursuit-il avec un petit rire méprisant, quand la gérante m'a appris que la créatrice en question venait d'intégrer l'IELC pour étudier avec Guenièvre de Beaumont. Le monde est tellement petit !
Le rire sec de Lavergne s'évanouit pratiquement aussi vite qu'il est né. Ses lèvres, déjà fines, se pincent en une ligne droite et rigide, trahissant un mécontentement palpable.
- Vous auriez dû m'en parler, Gabriel, lâche-t-il, sa voix empreinte de reproches.
Luccini se fige. Ses yeux s'écarquillent et un éclair de panique traverse son visage d'habitude si impassible. Il sait. Il sait que la conversation lui échappe désormais, qu'il ne contrôle plus rien. Je le vois agripper son verre un peu plus fort, et j'imagine ses phalanges blanchir sous la pression. Même à cette distance, je peux sentir son malaise se répandre dans la pièce comme une fumée suffocante.
- Je... balbutie-t-il, cherchant ses mots. Je voulais être certain qu'elle avait encore... une marge de progression avant de vous en parler. Je ne voulais pas que vous soyez déçu par un talent encore... brut.
Brut.
Le mot résonne dans mon esprit comme si on venait de m'asséner une gifle violente. Après tout ce que j'ai accompli, tout le travail acharné que j'ai fourni, c'est comme ça qu'il perçoit mon travail ? Comme une matière première, non polie, pas encore prête à être montrée au monde ?
Ma colère, déjà brûlante, explose en un incendie intérieur. Chaque mot que Luccini prononce creuse un peu plus ma frustration, comme une lame enfoncée dans une plaie.
- Que pensez-vous de son travail, alors ? demande Lavergne, un sourcil haussé, son regard perçant fixant Luccini comme un prédateur jauge sa proie.
Luccini déglutit, ayant du mal à supporter la pression que lui met son interlocuteur. Ses yeux cherchent une échappatoire, une façon de désamorcer la situation. Mais, fidèle à lui-même, il choisit la voie de la condescendance.
- Son travail est... correct, affirme-t-il. Mais Gemma Hayes a encore beaucoup à apprendre. Elle est loin d'avoir l'étoffe pour rejoindre Chanel.
Le monde s'arrête.
Ses mots se fraient un chemin à travers ma peau, comme un venin mortel qui ne me laisserait aucune chance de survie. Ma rage, jusqu'alors contenue, jaillit en moi comme une tempête impossible à réprimer.
Sans même m'en rendre compte, mes doigts se crispent autour de la fine tige de mon verre de cocktail. La tension est trop forte. Le verre explose entre mes mains, un craquement net, suivi d'une pluie de fragments qui s'éparpillent à mes pieds, comme si la réalité elle-même s'effondrait.
La douleur est instantanée, perçante. Les morceaux de verre s'enfoncent dans ma paume, tranchants et froids. Mais ce n'est rien comparé à ce que je ressens à l'intérieur. Mes doigts se teintent de rouge, mais je m'en fiche, je veux continuer à écouter ce qui se passe.
Je relève la tête vers Lavergne et Luccini et découvre avec horreur qu'ils ont cessé de parler et que leurs regards sont braqués sur moi.
Merde.
L'envie de disparaître devient insoutenable et avant même de prendre une décision consciente, mon corps se met en mouvement. Je tourne les talons, avec une seule pensée en tête : fuir - encore. Je dois m'éloigner de ces regards qui me jugent, qui m'écrasent.
Derrière-moi, la voix de Luccini résonne au-dessus du brouhaha de la fête :
- Gemma, attends !
Hello les Amours ! Comment allez-vous ? Que pensez-vous que Gemma va entendre ? 🤫
La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 100 likes ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕
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Love,
Morgane 💖
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