- Gemma ? C'est bien vous ?

Mon cœur rate un battement quand la voix de Luccini résonne près de mon oreille. Je vois Lily lever les yeux derrière moi, juste à la hauteur où doit se trouver le visage de celui-ci, et ses lèvres s'entrouvrent, trahissant sa stupeur.

Je ferme les paupières un instant, tentant de rester calme. Comment a-t-il pu me voir parmi tout ce monde ? Et pourquoi ressent-il le besoin de venir saluer son Casse-tête préféré ?

Je croise mes bras sur ma poitrine comme si ça allait avoir le pouvoir de me cacher du regard de Luccini, prends une grande inspiration avant de me tourner pour lui faire face.

Mon souffle se coupe un instant. L'odeur enivrante de son eau de Cologne m'enveloppe, et ses traits masculins, accentués par la lumière tamisée de fin de journée, me paraissent presque irréels. Ses yeux perçants brillent différemment sous les lumières artificielles alors qu'ils détaillent mon visage sans la moindre gêne.

J'essaye de rassembler tout mon courage pour lui répondre enfin :

- On dirait bien que c'est moi, oui.

- Je ne m'attendais pas à vous voir ce soir.

Une petite pointe amer me traverse le cœur. Pourquoi croyait-il cela ? C'est le cocktail de rentrée, tout le monde y participe. Pense-t-il que je suis trop coincée, trop « casse-tête » pour assister à ce genre d'événement ?

Je sens une boule se former dans ma gorge, pesante et désagréable, mais je m'efforce de garder la tête haute et de ne rien laisser paraître.

- J'avoue que je ne m'attendais pas à tomber sur vous non plus.

Nous nous défions un instant du regard, mais contrairement à moi, Luccini n'a pas l'air piqué. Au contraire, je perçois ses lèvres tressaillir.

Alors que je sens le silence s'alourdir entre nous, Lily se place à côté de moi et tend la main vers Luccini :

- Bonsoir, je suis Lily Benett, la coloc' de Gemma. Je suis ravie de faire votre connaissance.

Luccini observe un instant la paume tendue de Lily, légèrement pris au dépourvu, mais il finit par la saisir. Un sourire, cette fois-ci réel, apparait sur ses lèvres.

- Bonsoir, Gabriel Luccini, se présente-t-il en retour.

- C'est dingue, j'ai déjà l'impression de vous connaître, s'exclame Lily, avec bien trop d'enthousiasme à mon goût. J'ai tellement entendu parler de vous... Aïe !

Avant qu'elle ne puisse en dire plus, je lui adresse un coup de coude discret, espérant qu'elle capte le message. Mais c'est trop tard, la bombe est lâchée. Lily me jette un regard interrogatif, ses sourcils haussés en signe d'incompréhension, avant que ses lèvres ne se pincent dans une moue embarrassée, lorsqu'elle réalise l'ampleur de sa gaffe. Et bien sûr, sa remarque n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd...

Luccini me fixe, un sourcil légèrement arqué, l'air amusé mais aussi intrigué, comme pour dire : « Ah, vraiment ? »

Depuis mon arrivée à l'IELC, je collectionne les moments embarrassants, mais celui-ci décroche la palme d'or. Mes mains deviennent moites en un instant et mon cœur atteint un rythme qu'il n'a pas connu depuis ma dernière participation au cross du collège...

Je me sens prise au piège, exposée et vulnérable sous le regard scrutateur de Luccini. Il serait facile de fuir, de tourner les talons et de disparaître dans la foule, mais je sais que ce serait admettre une faiblesse que je ne peux pas me permettre de montrer, surtout pas devant lui.

- Vraiment ? demande-t-il alors, avec un ton faussement léger. J'ignorais que j'étais au centre de tant de conversations.

Je sens mes joues s'empourprer, la chaleur montant jusqu'à mes tempes. Je force un sourire, espérant qu'il paraisse plus confiant qu'il ne l'est en réalité.

- Oh, juste... des discussions de routine, sur le cours et les projets en cours. Rien de centré sur vous spécifiquement...

Je cherche mes mots, et Lily, visiblement désireuse de réparer sa gaffe, intervient :

- Gemma admire votre travail, c'est tout, ajoute-t-elle précipitamment. Elle a été bluffée par vos croquis et...

- Lily, murmuré-je entre mes dents, le rouge aux joues.

Je suis au paroxysme de la gène et j'évalue les options qui s'offrent à moi pour mettre un terme à ce désastre : m'enfuir en courant ? Déjà envisagé, et impossible pour mon estime personnelle. Feindre de m'évanouir ? Ce serait sûrement un petit peu trop dramatique. Prétexter un rendez-vous ultra important dont je viens de me souvenir pour m'éclipser ? Vraiment pas crédible.

Avant que je ne puisse mettre en œuvre l'une de ces idées absurdes, Luccini laisse échapper un léger rire. Ce son, surprenant et inattendu, calme instantanément la tempête dans ma tête. Il pose un regard amusé sur Lily, puis sur moi, et je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'il pense vraiment de cette situation.

- Je dois reconnaître que c'est flatteur, souffle-t-il, plantant son regard dans le mien.

Il ne m'a jamais regardé avec une telle intensité et je peine à soutenir cet échange. Ses iris bruns percent mon âme de part en part, comme s'ils parvenaient à lire clairement dans mon jeu.

- Cette pièce est de vous ? demande-t-il soudain, son regard glissant lentement de ma tête jusqu'à mes pieds.

À nouveau, mon cœur bat des records de battements par minutes. Que faire ? Lui dire la vérité et prendre le risque de m'exposer à ses remarques acides ? Ou mentir et m'épargner pour la soirée ?

J'essaye de capter sur le visage de Luccini des indices qui me permettraient de savoir ce qu'il pense de ma création, mais son visage reste impassible.

Et encore une fois, avant que je n'ai le temps de trancher sur la stratégie à adopter, Lily prend les devants, visiblement incapable de supporter cinq secondes de silence :

- Oui, c'est Gemma qui a créé cette robe. Elle est magnifique, n'est-ce pas ? Sérieusement, je suis fière d'avoir une amie aussi talentueuse.

Luccini reste figé, le regard rivé sur ma création comme s'il décortiquait chaque fibre de tissu. Ses yeux s'attardent sur les coutures, explorent chaque pli, chaque jeu de transparence et de texture. J'ai l'impression d'être nue devant lui tant je me sens détaillée jusqu'à la moelle.

Ses lèvres forment une ligne droite - on n'y trouve pas l'ombre d'un sourire. De temps en temps, ses sourcils se froncent légèrement, dessinant une ride sévère entre ses deux yeux.

Mon estomac se noue. Cela ne présage rien de bon. Rien de bon du tout. Je reconnais cette expression - ce mélange de dédain et de jugement - qu'il avait arborée dans le secrétariat, le jour où il avait jeté un œil critique sur l'un de mes croquis inachevés.

Lily me lance un coup d'œil furtif, cherchant probablement à savoir si elle a fait une nouvelle gaffe en me vantant, mais je ne peux lui en vouloir. Elle ne comprend pas ce que Luccini m'inspire et la tension qui existe entre nous.

Après ce qui semble être une éternité, Luccini termine enfin son examen. Il relève les yeux et plante son regard dans le mien et fait encore un peu plus durer l'attente, comme s'il prenait plaisir à me voir mal à l'aise.

Lorsqu'il se décide enfin à parler, son verdict tombe, aussi abrupt qu'une lame tranchant l'air :

- Vous êtes élégante.

Un compliment qui sonne creux, déstabilisant par sa neutralité. Il n'y a ni admiration, ni enthousiasme dans sa voix. Juste une constatation froide, dépourvue de chaleur.

À mes côtés, Lily laisse échapper un soupir de soulagement, interprétant ses mots comme un signe positif. Elle me donne un coup de coude complice, encourageant, mais je sais que ce n'est pas encore la fin du jugement. Luccini n'est pas homme à s'arrêter là, pas avec ce regard encore vissé sur moi, scrutateur et sans pitié.

Lily laisse échapper un sourire de soulagement et s'empresse de me donner un petit coup de coude complice, comme pour m'encourager à savourer cette petite victoire.

Mais contrairement à ma coloc', je commence à connaître Luccini, et je sais que ce n'est pas tout. C'est pourquoi je sens le coup de massue arriver avant même qu'il ait commencé à parler :

- Vous êtes élégante, mais l'exécution n'est pas encore excellente et il manque un petit quelque chose pour que cette pièce vaille vraiment la peine que l'on s'attarde dessus.

Mon monde vacille, mais je m'efforce de garder mon calme. Lily, elle, semble perdue. Ses yeux sont grands ouverts, et pour la première fois depuis que je la connais, son enthousiasme s'est évaporé. Elle se tourne vers moi, l'air de chercher à comprendre si elle a mal entendu. Mais malheureusement non. Luccini, comme toujours, est fidèle à lui-même : direct, sans détour ni fioritures.

- Je vois, dis-je, ne pouvant pas rester muette.

- Ce n'est pas une critique, assure-t-il. Mais un constat. Pour sortir du lot, il ne suffit pas d'être élégant. Il faut marquer les esprits. Ne pas travestir votre style créatif en croyant que cela plaira, au contraire, vous devez vous affirmer. Je ne suis pas certain que ce soit encore le cas.

Il marque une légère pause pour insister sur ces derniers mots :

- Vous devez aller plus loin.

Chacune de ses remarques tranchantes s'enfoncent avec profondeur dans mon ventre. Pourquoi se sent-il obligé de me rabaisser constamment ? Et encore plus ce soir, devant ma coloc', en plein cocktail de rentrée ?

Je dois me faire violence pour ne pas lui rappeler que nous ne sommes pas en salle 424 en ce moment, et que je ne lui ai pas demandé son avis. Je sais que cela ne ferait que jouer un peu plus en ma défaveur.

Alors, docilement, je me contente de répondre :

- Merci pour vos conseils, je les prends en note. Si vous voulez bien m'excuser.

Et avant que Luccini n'ait le temps d'en rajouter une couche, je tourne les talons et disparais dans la foule.

Hello les Amours ! Comment allez-vous ? Que pensez-vous de cet échange entre Gemma et Luccini ?

Il se pourrait que le prochain chapitre soit le pov de Luccini sur cette soirée de cocktail, qui réserve encore quelques petites choses à nos personnages... 🤫

La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 100 likes ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕

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Love,

Morgane 💖