- Tu as un deuxième prénom ?

Assise par terre, Lily relève la tête vers moi, l'air très concentré, comme si elle était en train de mener à bien une mission de la plus haute importance. Elle fait cliqueter son stylo contre la table basse, prête à noter chaque mot qui sortira de ma bouche.

À peine réveillée de ma sieste, elle m'a littéralement sauté dessus pour remplir cette satanée fiche de renseignements que Luccini exige pour son cours. Je me demande pourquoi elle tient tant à le faire avec moi. Enfin, au fond, je sais pourquoi...

Ma coloc' est bien trop curieuse pour son propre bien. Il ne m'a fallu qu'une semaine pour comprendre que Lily est du genre à vouloir tout savoir, et qu'elle n'abandonne jamais tant qu'elle n'a pas obtenu ce qu'elle veut. J'ai eu l'occasion de le constater lorsqu'elle s'est transformée en véritable enquêtrice du FBI pour en découvrir plus sur Luccini...

Je dois admettre que, dans ce cas précis, son côté obstiné m'arrange bien. Après avoir passé la nuit entière à coudre de minuscules fleurs pour parfaire ma nouvelle création, mes doigts sont bien trop engourdis pour tenir un stylo sans trembler.

- Mae, répondis-je alors, résignée.

- Gemma Mae Hayes ? répète Lily pour être certaine de ne pas se tromper.

J'acquiesce, et elle s'empresse d'ajouter l'information avec un sourire satisfait.

- Enchantée madame Gemma Mae Hayes, s'exclame-t-elle avec un ton théâtral.

Je la regarde, amusée par son jeu, et me demande où elle puise toute cette énergie. Elle a pourtant bien fait son entrée à l'IELC elle aussi, pas vrai ?

- Bon, je te préviens, cette question était facile. Pour les autres, il va falloir te creuser un peu la cervelle, l'Américaine.

Avachie sur le canapé à côté de Lily, je serre un coussin contre mon cœur. Je n'ai aucune idée du contenu de l'interrogatoire silencieux que Luccini nous impose. J'étais tellement HS suite à la nuit intense de travail que je viens de passer que je n'ai même pas eu le courage de jeter un œil aux questions.

- Ouais, je vais faire au mieux, répondis-je sans entrain, mes mots à moitié étouffés derrière le coussin.

Je ne vois pas à quoi cette fiche de renseignement peut bien servir. Luccini a fait partie du comité de sélection, il en sait déjà un rayon sur chacun de ses étudiants. Notre art en dit bien plus sur qui nous sommes que quelques réponses à des questions bateaux.

En tout cas, Lily n'a pas l'air de voir les choses du même œil, vu le regard assassin qu'elle m'adresse. Elle semble prendre très au sérieux la mission "remplir la fiche de renseignement", ce qu'elle me confirme en me disant :

- T'as intérêt, oui ! C'est l'occasion d'attirer l'attention de Luccini ! Tu es dans une compétition, je te rappelle, chaque détail compte ! Et puis, il est toujours bon d'être bien vue par ses profs... surtout quand ils sont aussi sexys !

- Lily ! m'écrié-je. Ça va pas, non ?

- Mais quoi ? Il n'a que 25 ans, il pourrait être sur les bancs de l'école avec nous, je ne vois pas en quoi c'est si grave !

Je lève les yeux au ciel. Avant de chercher à être bien vue par Luccini, je devrais déjà essayer de ne pas m'attirer ses foudres chaque fois que j'en ai l'occasion...

- Bref, balance la question suivante ! soupiré-je, déjà exténuée par cette mission fiche de renseignement.

- T'es pas drôle... Bon alors... Quelle est ta plus grande inspiration ? lit-elle, avant de relever le menton vers moi.

- Sérieusement ? pouffé-je. C'est ça que Luccini veut savoir ?

La bouche de ma coloc' s'entrouvre, choquée par mon sarcasme. Elle se redresse pour m'arracher le coussin qui me servait de rempart et le balance à l'autre bout de la pièce.

- Gemma Mae Hayes ! dit-elle d'un ton sévère. Faites un effort ! Cette question est totalement pertinente ! Répondez ou vous aurez affaire à moi !

Je pousse un soupir, réalisant que je n'échapperai pas à ce petit interrogatoire. Lily, avec son air résolu, n'abandonnera pas. Elle me scrute comme si ma réponse allait déterminer l'avenir de notre amitié.

- Bon d'accord, laisse-moi réfléchir... concède-je en levant les mains en signe de reddition. Je dirais que ma plus grande source d'inspiration, c'est la nature — les jardins botaniques et les paysages sauvages en particulier. J'aime la façon dont la flore combine fragilité et puissance, et j'essaie de capturer cette dualité dans mes créations. Il y a une sorte de poésie dans la manière dont les plantes s'épanouissent, se fanent, puis renaissent à chaque saison. Ce cycle incessant... il m'obsède, et il me donne toujours de nouvelles idées. Voilà, tu es contente ?

Lily se détend un peu, un sourire triomphant se dessinant sur son visage. Elle reprend son stylo et note méticuleusement ce que je viens de dire. Son enthousiasme pour ce que je considère comme une simple formalité me surprend toujours, mais je dois avouer que son énergie est contagieuse.

- Tu vois, ce n'était pas si difficile ! s'exclame-t-elle. Et puis, c'est fascinant, la façon dont tu vois les choses. Je suis certaine que Luccini va adorer ! Peut-être qu'il t'emmènera flâner au Jardin des Plantes pour stimuler ta créativité...!

- Tu t'arrêtes vraiment jamais ? je demande, en me cachant les yeux, sentant le rouge me monter aux joues.

- Ja-mais, affirme-t-elle, en faisant claquer les deux syllabes avec sa langue. Si je te fatigue déjà, tu ferais mieux de te trouver un autre logement, car cela ne risque pas de s'arranger.

Elle me fait un clin d'œil taquin avant de reporter ses yeux sur la fiche de renseignement encore bien trop vide à son goût.

- Bon, on enchaîne, parce qu'on ne va pas y passer la nuit, déclare Lily, prenant une voix de répondeur téléphonique automatique pour lire la question suivante : Avez-vous déjà travaillé dans l'industrie de la mode ? Si oui, où et dans quel domaine ?

- Tu plaisantes ? m'étonné-je. Luccini a déjà ces infos, elles figurent dans nos dossiers !

Lily bascule la tête en arrière, la reposant sur le canapé, l'air exténué.

- Tu ne vas quand même pas râler à chaque question, sérieux ! Peut-être qu'il veut condenser toutes les données au même endroit, sur cette fiche recto-verso. Sois-un peu coopérative, non ?

- Je crois surtout que Luccini cherche à nous épuiser ! Cela fait seulement quelques jours que la rentrée a eu lieu, et je suis déjà à bout de forces.

- Je vois ça ! Mais plus vite tu répondras, plus vite tu pourras aller te reposer.

Je soupire, avant de finalement céder à la demande de Lily :

- Au cours de mon bachelor, j'ai réalisé un stage de six mois dans une petite maison de couture de Seattle, qui s'appelle LMC. Et sinon, cela fait deux ans que je collabore avec Valery Taylor, la propriétaire de The Originals, une boutique de prêt-à-porter très branchée à Londres.

- Magnifique ! On continue. Quel est ton objectif principal pour ce cours ?

- Je pense un peu le même que tout le monde. Pousser mes limites créatives et techniques tout en affinant ma vision artistique. Je veux aussi apprendre à mieux gérer les aspects commerciaux, comme la présentation des collections et la compréhension des tendances actuelles du marché.

- Excellent, vous vous débrouillez à merveille, Gemma Mae Hayes, plaisante Lily, tandis qu'elle note scrupuleusement chacun de mes mots. Maintenant, plus compliqué : comment décrirais-tu ton esthétique personnelle ?

Ma coloc' pose des yeux pétillants de curiosité sur moi, impatiente de découvrir ma réponse.

- Je dirai... un mélange de romantisme et d'avant-garde. J'aime créer des pièces délicates et poétiques, mais qui ont aussi une force intérieure. Chaque création raconte une transformation. Je les vois un peu comme des chrysalides, qui nous permettent de nous magnifier, d'atteindre notre plus haut potentiel...

Je m'interromps soudain, réalisant que je me suis peut-être un peu trop livrée sur ma vision de mon art. Je ne veux pas que Luccini en sache autant.

Alors, je me hâte de corriger le tir :

- N'écris pas ça ! Mets simplement : "un mélange de romantisme et d'avant-garde." Ça suffira..

- T'es sûre ? C'était super intéressant ! Je suis certaine que Luccini serait ravi de savoir tout ça. Qui sait, peut-être que ça lui donnerait l'idée de devenir ta chrysalide personnelle...

- Lily Bennett ! m'écrié-je, les joues en feu. Arrête ça tout de suite sinon je te jure que je ne réponds plus à aucune de tes questions !

- Ok, ok, je te laisse tranquille... pour l'instant, dit-elle avec un clin d'œil complice. Puis, d'un geste presque désinvolte, elle revient à la fiche, mais je peux voir dans son regard qu'elle n'a pas renoncé à me taquiner. Alors... Quels designers émergents suis-tu avec intérêt ?

Je me frotte le menton. Il y en a un tas, à vrai dire. J'ai tendance à préférer les nouveaux designers à ceux qui sont déjà établis depuis longtemps. Je les trouve inspirants, plus innovants. Ils n'ont pas peur de prendre des risques, et c'est ça qui me plait. Ils me donnent envie de me surpasser, de faire aussi bien qu'eux.

Je n'hésite donc pas une seconde avant de répondre :

- Je suis avec intérêt le travail de Marine Serre et de Richard Quinn. Ils ont une façon unique de réinventer les motifs classiques et d'expérimenter avec des matériaux non conventionnels, tout en restant ancrés dans une esthétique forte. Mais ma styliste émergente favorite, et de loin, est Stella Cadente. Ses pièces sont... Indescriptibles. Si puissantes et si délicates à la fois. Je dois avouer qu'elle m'inspire beaucoup.

Lily lève un sourcil, intriguée.

- Stella Cadente ? Ça me dit quelque chose, mais que vaguement. Qu'est-ce qui te plait chez elle ?

Je prends un moment pour réfléchir, cherchant les mots justes pour décrire l'aura particulière que dégagent les créations de Stella Cadente.

- Ses pièces sont presque... mystiques. Elles ont toutes pour objectif de représenter quelque chose, que ce soit des éléments de la nature comme un coucher de soleil, ou des émotions fortes, tels qu'un chagrin d'amour. Sincèrement... ses vêtements sont des œuvres d'art vivantes.

Je note que Lily a totalement détourné son attention de la fiche de renseignement pour me fixer, captivée. Je poursuis, essayant de partager l'émerveillement que je ressens face à l'une des créations de Cadente.

- Par exemple, imagine un manteau en velours noir orné de broderies en fil d'or qui représentent des constellations. Tout est si finement exécuté que tu as l'impression de porter le ciel nocturne sur tes épaules. Cette pièce s'appelle Notte Stellata — Nuit Étoilée. C'est ma préférée.

Les yeux de Lily s'élargissent comme si une évidence venait de la frapper.

- Ah mais attends, ça me dit quelque chose ! Je crois bien en avoir entendu parler !

- C'est plus que probable, oui. Stella Cadente a beaucoup fait parler d'elle avec sa première collection. J'attends avec impatience d'en voir plus, mais cela fait un moment qu'elle n'a rien sorti.

Lily retourne son attention vers la fiche, un sourire satisfait sur les lèvres.

- Je suis certaine que cette réponse va te faire sortir du lot, en tout cas. Je doute que beaucoup d'étudiants aient pensé à mentionner cette styliste. Pour une dernière question, tu as frappé fort.

Je me redresse, surprise.

- Tu as bien dit "dernière question" ?

Lily hoche la tête, levant les yeux au ciel avec une pointe de moquerie.

- Ouep, Tigresse. Tu vois, ce n'était pas si horrible ! Espèce de râleuse...

Je m'effondre sur le canapé, laissant échapper un long soupir de soulagement.

- C'est vrai que je m'attendais à pire. Venant de Luccini, il aurait pu nous cuisinier pendant des dizaines et des dizaines de questions...

Lily, le coude posé sur la table basse, me fixe avec un regard malicieux. Un petit sourire se dessine sur ses lèvres, comme si elle venait de remporter une victoire silencieuse.

Je la scrute, perplexe, me demandant ce qui peut bien l'amuser autant. Elle n'attend pas pour répondre, une étincelle de malice dans les yeux.

- Ta voix s'est radoucie, tu sais, assure-t-elle, alors.

- Comment ça ?

- Quand tu parles de Luccini, ta voix a changé. Elle est moins tranchante, plus douce. On dirait... que ton opinion a quelque peu changé à son sujet ?

Je sens la chaleur me monter aux joues et, par réflexe, j'attrape un autre coussin pour me cacher, espérant dissimuler mon embarras derrière cette barrière de tissu.

- Mon opinion n'a pas changé, répliqué-je un peu trop rapidement. Enfin, pas vraiment... Disons juste que j'ai peut-être jugé Luccini un peu trop vite quant à sa légitimité à nous enseigner...

Lily me lance un regard amusé, visiblement peu convaincue.

- Ah oui, bien sûr. C'est juste sa légitimité, hein ?

Elle éclate alors de rire, et je comprends que si Luccini ne m'a pas cuisiné avec ses questions, ce ne sera pas son cas à elle. Lily est encore plus déterminée qu'un prédateur ayant repéré sa proie : elle ne lâchera pas le morceau tant qu'elle n'aura pas obtenu ce qu'elle veut.

- Bon, je crois qu'on a terminé, affirmé-je en me levant du canapé d'un bond, sentant le besoin urgent de m'échapper avant qu'elle ne me pousse à admettre quoi que ce soit d'autre. Merci pour ton aide, vraiment. Je vais aller me reposer un peu maintenant.

J'attrape la fiche de renseignement des mains de Lily avant de l'enjamber pour m'éloigner du canapé avec vitesse. Mais avant d'avoir pu atteindre la porte du couloir, la voix de ma coloc' me retient :

- Gemma, attends ! Tu sais déjà ce que tu vas porter ?

Je me retourne, confuse.

- Porter pour quoi ?

Lily me lance un regard teinté d'un mélange de surprise et de reproche, comme si j'étais irrattrapable.

- Le cocktail de l'IELC, bien sûr ! C'est demain soir, tu n'as pas quand même oublié ?

Je reste figée, sentant la panique monter en moi. Luccini n'a finalement peut-être pas totalement tort — je commence moi aussi à percevoir le Casse-tête que je suis.

Comment ai-je pu oublier le cocktail de rentrée ?

C'est un événement immanquable, où une grande partie de l'industrie se réunit chaque année. Tous les professeurs de l'IELC seront là, mais aussi des représentants de grandes maisons de couture, venus repérer les talents prêts à entrer sur le marché.

Bref, c'est une occasion en or pour se faire remarquer et surtout pour m'adonner à une activité que je déteste autant qu'elle ne m'est indispensable : networker.

- Je... euh... balbutié-je, tentant de me ressaisir. Non, bien sûr que je n'ai pas oublié. J'y pensais tout à l'heure justement...

Lily éclate de rire, secouant la tête avec amusement.

- J'arrive pas à croire que tu aies oublié ! Heureusement que ta super coloc' est là pour te remettre dans le droit chemin... T'es vraiment pas croyable, Gemma Mae Hayes.

- Je suis un peu dépassée par les événements, avoué-je.

- Ah vraiment, je n'avais pas remarqué ! Mais bon, ne t'inquiète pas, ça ne doit être que l'effet Luccini, ça devrait s'estomper avec le temps...

- Lily !

Elle souffle un "oups" tout sauf sincère et fait papillonner ses paupières pour se faire passer pour la créature la plus mignonne de cette Terre, alors qu'elle est en réalité l'incarnation parfaite du Diable habillé en Prada.

Je laisse échapper un grognement animal avant de tourner les talons pour m'éclipser dans ma chambre, mon esprit maintenant entièrement accaparé par une seule question : qu'est-ce que je vais bien pouvoir porter pour ne pas passer inaperçue ?

Hello les Amours ! Comment allez-vous ? Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Avez-vous hâte de voir ce que réserve le cocktail de rentrée à nos personnages ? 🥂

Et sinon, comment s'est passée votre rentrée ???

La suite sera postée quand le chapitre aura atteint les 100 likes ! Alors, à vos votes les Roomers 🙈💕

Si vous aimez Room 424, n'oubliez pas de LIKER ce chapitre, de le COMMENTER et de le PARTAGER à vos amis ! Ça m'aiderait énormément et ça me ferait vraiment super plaisir ! 💕 Merci d'ores-et-déjà pour tous vos retours adorables.

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Love,

Morgane 💖