Chapitre 96 : Yoongi - 62%

Yoongi gloussa devant la fureur de ses haters, qui lui avaient fait perdre cinq points en l'espace d'à peine une heure. À ce rythme-là, il mourrait avant la tombée de la nuit. Réfugié dans son studio après sa retentissante provocation, il jubilait en dépit de son score qui s'effondrait.

Quitte à crever comme une merde, autant crever comme une merde qui enragerait le monde entier.

« Pourquoi t'as fait ça ? »

Yoongi esquissa un rictus et fit tourner son siège pour faire face à Jimin. Dans l'encadrement de la porte, le corps pourtant relâché, son amant lui semblait tendu. Il ignorait ce qui lui renvoyait cette impression, mais si Jimin demeurait aussi impassible qu'à l'accoutumée, aujourd'hui Yoongi jurerait qu'il s'inquiétait – et il ne pouvait pas lui donner tort.

« Parce que j'en avais envie, répliqua le rappeur dans un haussement d'épaules.

— Je croyais que tu voulais rester aussi longtemps que possible avec moi.

— T'aurais voulu que je leur donne la bonne réponse ?

— J'ai pas dit ça.

— Tu l'as insinué.

— Non. J'ai juste formulé un constat : tu prétendais vouloir rester ici le plus longtemps possible, et comme moi tu sais que cette provocation risque de raccourcir ton séjour à la villa.

— Peut-être que j'en avais vraiment marre de ces bâtards.

— C'est à cause de Tae et Jungkook ?

— Je sais pas. Peut-être, répondit Yoongi d'un ton évasif. Le public a été horriblement cruel, j'avais pas envie de leur faire plaisir. Ils méritent rien de plus que mon mépris.

— T'es en colère ?

— Ouais, et triste pour Tae, aussi, je crois.

— Il savait à quoi s'attendre, et toi aussi.

— Faut croire qu'on n'est pas aussi blindés que toi.

— Je ne pense pas que l'incapacité à montrer la moindre émotion soit quelque chose de positif.

— Ici, si. Imagine si dès le début on avait tous été comme toi... ça aurait été moins sensationnel pour les spectateurs, mais beaucoup plus simple pour nous. Aucune larme, on ne s'inquièterait pas du sort des autres, on ne serait même pas devenus amis avec eux, on...

— C'est pas parce que je montre rien que je ressens rien. C'est confus, mais c'est bien là. Je pensais que tu l'avais compris, ou bien est-ce que tu me crois pas quand je te dis que je t'aime ? »

Sur ces mots, Jimin tourna le dos et s'apprêtait à partir lorsque Yoongi bondit de son siège pour le retenir par l'épaule. Il l'attira à l'intérieur de la pièce dont il referma la porte. Jimin le toisa sans prononcer le moindre reproche.

« Eh, attends, je... j'ai été maladroit, concéda Yoongi, excuse-moi. Je voulais pas te faire passer pour un sans cœur, c'était pas mon but.

— J'avais bien compris, mais j'imagine que t'as pas tout à fait tort. Je suis incapable de mettre un mot sur ce que je ressens, c'est vrai.

— Peu importe, j'ai fait erreur, j'en suis désolé. Moi aussi je t'aime. Tu me laisserais t'embrasser ?

— Si tu veux.

— T'en as envie, toi ?

— Oui. »

Yoongi lui adressa un sourire furtif avant d'enrouler les bras autour de sa taille pour lier leurs lèvres avec tendresse. Ils partagèrent un moment d'une délicatesse enivrante, et de longues minutes durant, les bouches et les langues exprimèrent ce que les mots ne suffisaient plus à avouer. Une affection qu'ils n'expliquaient pas, une passion qu'ils ne contrôlaient pas.

« Merde, tu viens de me rappeler pourquoi je voulais pas clamser tout de suite, râla Yoongi en posant le front contre celui de son compagnon. Putain je veux t'embrasser pour toujours, petite luciole...

— Luciole ? »

Ah, effectivement, Yoongi n'avait encore jamais employé ce surnom devant lui, même s'il y avait souvent songé.

« Ma seule lumière, susurra l'aîné en lui embrassant la tempe. Celle qui me montre le chemin, me fascine et me rassure. Ma luciole. »

Comme à son habitude, Jimin ne réagit pas. Yoongi sentit son ventre se nouer à l'idée qu'il se rie de ce sobriquet, ou bien qu'il lui interdise de l'utiliser, tout comme il avait refusé quand Yoongi lui avait demandé s'il pouvait en utiliser un.

« Je crois que j'aime bien, affirma cependant Jimin.

— J'en suis heureux. »

Le silence revint alors qu'ils se fixaient, les yeux plongés dans ceux de l'autre.

« Ton épaule va mieux ? demanda Jimin.

— J'ai encore mal, mais c'est supportable.

— Pourquoi avoir retiré l'écharpe que je t'avais passée ? »

Il l'avait enlevée dès le jour qui avait suivi celui où il l'avait enfilée.

« Elle me gênait, admit Yoongi. Je préfère avoir un peu mal que de pas être libre de mes mouvements quand je veux bosser. Je l'ai rangée dans ton armoire.

— Je vois...

— De toute façon, que je claque avec l'épaule douloureuse ou non, le résultat sera le même. »

Les deux garçons, peu inquiets de leur bracelet allumé, poursuivirent leur conversation sur des sujets plus légers, et notamment sur ce qu'ils comptaient dîner. Les restes du déjeuner suffiraient à les nourrir tous, et Yoongi avait préparé une liste de courses à envoyer à leurs managers.

« Je sais pas si j'ouvrirai les yeux demain, confia Yoongi une fois la lueur éteinte. Et je crois que j'ai peur de te laisser, même si je sais que tu crains rien, parce que t'es fort.

— Je suis pas fort.

— On se connaît depuis même pas un mois. Tu seras pas triste – ou pas trop.

— Tes bras me réchauffent.

— Y aura ceux de Taehyung.

— Il m'a jamais pris dans ses bras.

— Il en crève d'envie, ne serait-ce que pour trouver du réconfort auprès de toi. Il est juste intimidé.

— Taehyung est capable d'être intimidé ? s'étonna Jimin d'un ton monocorde.

— Tu l'impressionnes sans doute bien plus que ce que t'imagines.

— En quoi je l'impressionne ?

— C'est à lui que tu devrais le demander. »

Jimin haussa les épaules.

« Lui aussi, il t'intimide, c'est ça ? sourit Yoongi avec une tendresse qu'il ne parvint pas à cacher.

— Non.

— Je pense que si. C'est un garçon extraverti, enjoué et bruyant – tout ton contraire. Ça a dû te faire bizarre qu'il vienne discuter avec toi et essayer de faire ami-ami, et t'as jamais su comment réagir devant ce comportement que t'avais jamais connu. Alors t'as préféré faire ce que tu savais le mieux faire : l'ignorer, peut-être même avec l'espoir qu'il te laisserait tranquille.

— Il est sur mon dos depuis des années.

— Et est-ce que ça te gêne ?

— Tu l'as dit, il est bruyant.

— Et ça te gêne ?

— J'aime bien le calme. »

Yoongi esquissa un rictus mais ne répliqua pas. Il abandonna un ultime baiser sur le front de son amant.

« Quand j'arriverai vers cinquante-trois pour cent, je viendrai te voir. J'ai envie d'emporter avec moi le goût de tes baisers.

— Tu voudrais pas plutôt m'emporter, moi ?

— T'as encore beaucoup à accomplir. Et j'ai entendu la chanson que t'as commencée il y a quelques jours, elle est vraiment top, continue et ce sera un hit.

— T'as fini, toi, ta mixtape ?

— Oui.

— Tu me la feras écouter ?

— Le CD est dans le premier tiroir du bureau, tu pourras l'écouter quand tu veux. Une des chansons t'est adressée.

— Ah ?

— Ouais... »

Quelques instants plus tard, son amant parti s'entraîner, Yoongi jeta un regard à son bracelet. Il avait perdu un nouveau point. Il déglutit et, plutôt que de reprendre son travail, il préféra quitter la pièce. Il se rendit au jardin, s'assit sur la balancelle et ferma les yeux, laissant les rayons du jour lui caresser le visage. Il se sentit aussitôt apaisé en même temps qu'il lui sembla que son cœur s'alourdissait de manière brutale.

C'était sans doute une des dernières fois... une des dernières fois qu'il profitait du soleil sur sa peau, de cet atmosphère enfin pure qu'il pouvait respirer, de la présence de Jimin à ses côtés. Une des dernières fois qu'il écoutait le murmure du vent, le bruissement des feuilles, le chant des oiseaux et celui de sa luciole.

L'air qui emplissait ses poumons, les couleurs éclatantes du monde, l'odeur fraîche d'un matin de printemps...

Yoongi inspira un souffle tremblant, posa une main sur son cœur qui palpitait et y enfouit sa douleur le plus profondément possible. Même s'il haïssait l'univers, il n'était pas prêt à partir. Lui qui avait toujours cru détester son existence au point de vouloir mourir, plus le moment approchait, plus il prenait conscience de ce qu'il allait quitter.

Sa passion pour la musique lui revint en pleine figure. La délicatesse d'un air de piano, la douceur caressante d'un violon, la puissance des percussions. C'était toute sa vie. Et Jimin, merde, Jimin !

La gorge serrée par la peine, il rouvrit les paupières. Le soleil brillait de mille feux sur la surface de la rivière, le paysage était baigné d'une lumière chaleureuse. Yoongi n'en fut que plus mélancolique.

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