Chapitre 93 : Jimin - 91%
Le cœur de Jimin se souleva dans sa poitrine au point de lui en donner la nausée : il se rebellait comme jamais il ne l'avait fait avant. Il osait embrasser, sous l'œil du monde entier, celui qu'il aimait – du moins celui qu'il croyait aimer, mais s'il le croyait, alors il partait du principe que ça signifiait qu'il l'aimait bel et bien. Yoongi lui plaisait.
Jimin plaqua les mains sur les joues de son ami tandis qu'il approfondissait le baiser qu'il lui offrait, et ça provoqua en lui quelque chose d'indescriptible – est-ce que c'était ça, la satisfaction ? Il l'ignorait. Mais il se régalait d'imaginer les spectateurs bouche bée face à leur écran, stupéfait de ce revirement de situation qui, si certains s'en doutaient vaguement, demeurait une immense surprise pour la plupart. Les langues jouèrent, et il méprisait les idiots qui s'abrutissaient devant cette émission de voyeurs déments. Ces porcs qui avaient voulu regarder Jungkook et Taehyung coucher ensemble, qu'ils apprécient ce baiser qui avait au moins le mérite d'être sincère.
Jimin songea que Yoongi l'avait peut-être influencé plus qu'il ne se l'était figuré, car il lui semblait entendre une colère sourdre en lui, la même dont Yoongi avait parlé quelques instants plus tôt. La frustration de se cacher, mais pas seulement. Toutes ses frustrations s'exprimaient à travers ce baiser passionné – et il en terrait un bon paquet au fond de son cœur.
Yoongi embrassait comme un dieu – ou bien peut-être embrassait-il comme n'importe qui, mais puisque Jimin n'avait jamais reçu de baiser, il l'ignorait et appréciait ceux que son amant lui offrait.
Enlacés, profitant de cette position pour caresser tantôt le torse, tantôt le dos de celui qu'ils désiraient, les deux garçons ne laissaient aucune crainte, aucune inquiétude, les couper dans leur délicieux élan. Jimin éprouvait la sensation de se libérer d'un fardeau qu'il ne supportait plus, quant à Yoongi il jurerait qu'il venait de verser une larme – mais si c'était pour Jimin, alors il n'avait pas honte de se montrer émotif.
Enfin les bracelets s'éteignirent au bout d'une longue et intense minute qu'ils avaient passée à se dévorer la bouche. De nouveau seuls, ils s'écartèrent pour se regarder dans les yeux. Un rictus naquit sur les lèvres de Yoongi.
« Quel courage, mon Jimin, susurra-t-il en caressant sa joue creusée.
— C'est plutôt moi qui devrai dire ça, c'est toi qui as initié ça.
— J'aurais pas cru que t'accepterais de me suivre.
— Peut-être que pour une fois, moi aussi j'avais envie d'envoyer les gens se faire foutre.
— Mais tu pourrais gagner les jeux, alors que là...
— Je suis pas venu pour gagner, je te l'ai déjà dit, répliqua Jimin dans un haussement d'épaules. Donc peu importe, au contraire ça m'arrange.
— Oui, mais j'aurais voulu que tu gagnes.
— Alors pourquoi m'avoir embrassé ?
— Je crois que j'ai pas réfléchi... mais tu peux toujours gagner.
— J'en doute.
— Moi j'y crois. »
Et sur ces mots, Yoongi lui offrit un nouveau baiser, un baiser surfacique et délicat, bien plus tendre que ceux partagés quelques instants plus tôt sous les yeux avides des caméras.
« De toute façon, avec mon score, reprit-il, c'est moi qui crèverai en premier. La finale, ça se jouera entre Tae et toi.
— Alors Taehyung gagnera, répliqua Jimin.
— Va savoir... »
Un frisson courut le long de la colonne vertébrale de Jimin qui ne répondit pas et préféra quitter la pièce, comme chaque fois qu'il considérait que la discussion était achevée. Ça laissait toujours Yoongi coi.
Semaine 3 – Jour 7.
Jimin, la veille, avait passé le reste de son temps à s'entraîner. Il avait été filmé une bonne partie de l'après-midi. Il ne s'inquiétait pas de sa popularité, pour l'instant, puisque les scores étaient gelés pour encore une journée. En revanche, dès lors que le public voterait de nouveau, il savait qu'il paierait cher son geste... et Yoongi aussi. Or, Yoongi et lui avaient près de vingt points d'écart. Parce que l'aîné s'avérait en plus avoir initié leur baiser, Jimin ne doutait pas que ce serait lui le plus sévèrement puni.
Ainsi, après quelques heures de sommeil, les idées claires, Jimin poussa un soupir : si Yoongi disposait de plus de quarante-huit heures à vivre une fois les votes ouverts, il pourrait s'estimer chanceux. Quant à lui, Jimin jugeait bénéficier de quarante-huit heures supplémentaires – à moins que le scandale se tasse un peu, auquel cas il fallait rajouter vingt-quatre heures de plus. Autrement dit, avec la latence de trois jours, le danseur ne pensait pas survivre plus d'une semaine à son compagnon.
Son amant. Celui qu'il aimait.
Il aurait souhaité pouvoir compter sur l'indulgence et la tolérance du public. Or, si une partie se montrerait sans doute ouverte d'esprit, une majorité, en revanche, n'attendait qu'un dérapage pour le condamner, lui que les fans soutenaient depuis le début. Et Yoongi, s'il collectionnait déjà les haters, venait de faire basculer les avis positifs qui le maintenaient à flot depuis le commencement des jeux.
Les plus populaires étaient toujours ceux sur qui les haters préféraient cracher à la moindre occasion, et d'emblée Jimin savait qu'il risquait de recevoir des litres de venin à la figure.
Jimin alla s'entraîner. Il s'entraînait pour oublier, pour échapper à ce qui l'effrayait. La danse, synonyme de libération, ne lui avait jamais plu qu'en tant que remède à ses maux. Avant qu'elle ne lui permette de fuir ses parents, il n'avait pas envisagé une seconde de pratiquer ce sport. Néanmoins, les horaires des autres clubs de son lycée étaient calés sur ceux de la pause déjeuner, qu'il passait déjà à la cantine. Seule la danse se déroulait après les cours.
En début d'après-midi, chacun présenta son avancée de la semaine. Jimin put montrer deux chorégraphies et un cover de chant, Yoongi avait terminé une chanson et un avait repris un morceau qui lui plaisait pour en produire un cover également, quant à Taehyung... il interpréta la chanson que Jungkook et lui avaient travaillée, et il avait proposé une chorégraphie sur celle écrite par Namjoon et Jungkook quelques semaines auparavant.
Jimin n'avait pas témoigné de la moindre émotion. Il ignorait ce qu'il éprouvait devant cet hommage à leurs deux compagnons.
Le danseur, par la suite, ne sortit de sa salle que pour aller boire, et il s'aperçut par la même occasion que le réfrigérateur et les placards se vidaient peu à peu, maintenant que Namjoon avait disparu ; il savait qu'il devait attribuer l'abondance de leurs vivres à leur ancien concurrent. Yoongi et Jimin mangeant peu, il ne leur viendrait pas à l'esprit de réclamer quoi que ce soit, quant à Taehyung, il se laissait ronger par le remords et la mélancolie, si bien que Jimin n'était pas convaincu qu'il se soit nourri la veille.
En début de soirée, l'alarme retentit, signal qui indiquait que les votes étaient de nouveau ouverts. Jimin frémit et, sans jeter le moindre regard à son bracelet, reprit la chanson qu'il avait entamée quelques heures plus tôt, après son passage à la cuisine.
Il se coucha mais ne trouva pas le sommeil, il resta silencieux jusqu'à ce que Yoongi entre dans le dortoir à son tour.
« Bonsoir, lâcha Jimin.
— Tu dormais ? Je t'ai réveillé ?
— Non. J'ai trop de trucs dans la tête, ça me perturbe.
— Ah ? Du genre ?
— Je sais pas. C'est emmêlé. Un nœud d'angoisses.
— T'as perdu beaucoup de popularité ? s'inquiéta aussitôt son amant.
— Je sais pas, j'ai pas osé regarder.
— Moi non plus. Faut croire qu'on aime se faire des surprises.
— Dos aux tireurs, on attend sans savoir quand ils feront feu, résuma Jimin.
— Ouais... demain matin j'aurai sans doute le courage de regarder. S'il me reste plus grand-chose, je veux pouvoir t'embrasser avant de partir.
— Et si c'est moi qui dois partir le premier ?
— Alors j'espère que tu me laisseras goûter une dernière fois à tes lèvres avant qu'elles ne me soient arrachées. Mais je partirai avant toi.
— Sois pas pessimiste.
— Je le suis pas. Je suis réaliste.
— La réalité est trop pessimiste pour moi, répliqua Jimin.
— Pour une fois qu'elle l'est plus que toi...
— Tu me trouves pessimiste ?
— Un peu trop terre à terre, disons. C'est pour ça que je comprends pas que t'envisages de mourir avant moi. Les chiffres le prouvent : c'est toi le chouchou. Et c'est pas surprenant. T'as vraiment l'étoffe de l'idol parfait.
— Ils aiment tuer les « chouchous », rétorqua Jimin en mimant des guillemets en l'air.
— Pas faux. Plus on a de fans, plus on a de haters. L'amour attire la haine.
— Faut croire.
— Je peux dormir avec toi ?
— C'est pas une très bonne idée.
— Comme tu veux. »
Yoongi, dans un haussement d'épaules indifférent, regagna donc son lit sans insister, quant à Jimin il remonta sa couette jusqu'à son nez, frustré, d'une certaine manière, que son amant n'ait pas réclamé avec un peu plus d'ardeur. Il avait affirmé que l'idée n'était pas très bonne, pas qu'elle lui déplaisait. Il ne savait pas non plus si elle lui plaisait. Il savait uniquement qu'il aurait bien voulu essayer, conscient néanmoins que du fait de son habitude à dormir seul, il peinerait sans doute à trouver le sommeil auprès d'un autre. Et un mauvais sommeil signifiait de mauvaises performances, ce qu'il ne pouvait pas se permettre s'il ne souhaitait pas décevoir encore son public.
Juste un peu d'attention de leur part, et un peu d'amour.
Il s'assoupit, esseulé dans un lit qui ne lui avait jamais paru si grand pour une personne.
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