Chapitre 91 : Taehyung - 86%
Il connaissait Jimin, pourtant. Il savait que son aîné pouvait se montrer un peu rude sans le vouloir – ou peut-être le voulait-il, comment Taehyung pourrait-il affirmer l'inverse, lui à qui il parlait si peu ?
Le jeune homme s'était isolé dans un studio, celui que n'occupait pas Yoongi. Il s'assit sur le fauteuil après avoir tourné en rond un long moment, et il poussa un soupir tremblant, preuve de ses pleurs imminents. Il ne désirait pas paraître faible devant les spectateurs qui le lui feraient payer, mais il ne pouvait pas retenir sans cesse ses émotions au fond de son cœur.
Il déglutit, puis, alors qu'il baissait les yeux sur le bureau face à lui, les mots de Jungkook lui revinrent en tête, pareils à un flash : dans un tiroir... C'est dans un tiroir... Pris d'un sursaut, Taehyung ouvrit le premier tiroir et se mit à y fouiller. De quel studio Jungkook parlait-il ? Et que devait-il chercher exactement ? Une clé USB ? Un carnet ? Un papier ?
Pour le studio, c'était simple : Yoongi passait la journée dans celui que tous avaient fini par considérer comme le sien, donc Jungkook avait sûrement laissé ça ici. Le bureau, bien que long, ne comptait que six tiroirs. Taehyung les fouilla un à un... sans succès. Songeant qu'il avait probablement raté quelque chose, il remua de nouveau chaque endroit, en sortit tout ce qu'ils contenaient, et repéra enfin dans l'un d'eux une feuille pliée en quatre, discrète, qu'il n'avait pas remarquée jusqu'à présent.
Le cœur battant, il la déplia : des lignes rédigées à la va-vite et d'une main tremblante – mais pas de doutes, il connaissait désormais assez l'écriture de Jungkook pour deviner qu'elle lui appartenait... et il sentit tout à coup une émotion indescriptible le submerger. Jungkook... c'était les mots de Jungkook, l'écriture de Jungkook, les sentiments de Jungkook. C'était Jungkook, juste une ultime trace de lui, un petit morceau de son âme qu'il lui avait laissée en guise d'adieux.
Il lut.
Les larmes coulèrent seules. Jungkook y avouait sa peur monstrueuse qu'on découvre « ses plus noirs secrets » et qu'il en soit puni. Il y confiait ses doutes, et il s'exprimait à cœur ouvert comme jamais auparavant il ne l'avait fait.
Arrivé au dernier paragraphe – car le texte n'avait rien d'une chanson, il s'agissait plutôt d'une confession –, Taehyung ne retint plus ses sanglots. Jungkook y parlait de lui, son hyung, son meilleur ami, celui qui l'avait épaulé, celui avec lequel il avait passé des nuits paisibles (et c'était si rare, pour lui !). Il y décrivait sa détresse depuis la soirée fatidique, et il y exprimait tout son désarroi à l'idée de blesser Taehyung sans le vouloir, juste à cause d'un foutu traumatisme duquel de parfaits inconnus étaient à l'origine.
« J'aurais voulu pouvoir te tendre la main, hyung, mais je craignais qu'avant même que tu la saisisses, un serpent ne la morde. »
Cette phrase soulagea Taehyung autant qu'elle l'accabla : la peur et la souffrance de Jungkook lui comprimaient la poitrine en même temps que le seul fait de savoir qu'il n'en était en vérité pas à l'origine allégeait son cœur tourmenté. Jungkook craignait le public. Pas lui. Il craignait le regard du public sur eux. Taehyung avait envisagé cette éventualité, mais le lire, noir sur blanc, preuve indestructible et irréfutable, ça le rassurait plus que de raison.
Jungkook lui avouait, à travers ce texte, qu'ils étaient toujours meilleurs amis malgré tout.
Puis il y eut ces mots, les derniers du long paragraphe qui évoquait leur lien. Sans doute les plus beaux.
« T'as rien à te faire pardonner, hyung, mais si t'as besoin de l'entendre, alors je l'affirme en toute sincérité : je te pardonne. »
Une épée dans le cœur, Taehyung fondit en larmes alors qu'il replaçait le papier sur le bureau face à lui. Il était anéanti. Le public lui avait volé son meilleur ami, le seul à lui avoir souri et à s'être amusé avec lui.
Il lui fallut un long moment avant de se calmer, et sa détresse le laissa épuisé, incapable de produire quoi que ce soit. De toute façon, l'heure de sa mission approchait – il n'avait pas déjeuné – alors autant qu'il se repose un peu en attendant. Il traîna le poids de ses malheurs jusqu'au salon, s'affala sur un canapé et s'endormit presque aussitôt, les yeux toujours rouges.
Sans surprise, il fut réveillé peu après par le son strident de l'alarme. Quatorze heures, déjà. Aujourd'hui, Taehyung n'avait pas peur, il ne craignait plus la froideur d'âme du public ni son avidité malsaine. L'affliction qui le rongeait reléguait au second plan le souci de sa propre survie. Est-ce qu'il voulait survivre, même ? Il ne supporterait pas que Jimin meure, et si Yoongi périssait, il savait que son amant en serait meurtri.
Peut-être qu'il espérait y passer le prochain. Il avait atteint le podium, il se sentait déjà si fier.
Ses deux concurrents entrèrent dans la pièce et s'installèrent. Yoongi lui jeta un regard qui prouvait qu'il avait sans doute remarqué les traces de ses sanglots, mais il s'en moquait. Plus rien n'importait.
L'écran indiqua la mission de Taehyung, en qui se mêlèrent alors la peine et la fureur.
Dis-nous qui de Jimin ou de Jungkook tu préfères, s'il te plaît.
Qui il préférait... est-ce que ces pourritures avaient bel et bien osé lui demander ce qu'il lisait ? Est-ce qu'ils n'avaient donc aucune âme, aucun respect pour un jeune homme mort si récemment ? Leur culot sidéra Taehyung qui en demeura coi tandis que ses prunelles s'humidifiaient de nouveau. Réclamer une comparaison entre ses deux meilleurs amis... quelle idée sordide !
« Tae, ça va ? s'enquit Yoongi d'un ton hésitant.
— T'es pas obligé de répondre tout de suite, lui rappela Jimin. Tu devrais prendre quelques minutes. »
Yoongi approuva d'un acquiescement que son amant ne remarqua pas, le regard rivé sur Taehyung.
« Je préfère ni l'un ni l'autre, vociféra Taehyung en tentant de garder une voix calme malgré sa colère. Jimin est celui sur lequel je me suis appuyé pendant des années pour pas flancher. Rester auprès de lui me permettait de me sentir bien, j'existais grâce à lui. Jungkook en revanche, je l'ai connu ici, ça fait moins d'un mois qu'on s'est rencontrés. Ouais, on se connaissait sans se connaître. Ensemble, on n'avait plus de passé, seulement un présent dont on profitait à fond parce qu'on savait que le futur tarderait pas à nous rattraper. Si avec Jimin je me sens exister, avec Jungkook, je me sentais vivre, pour de vrai. Quand je riais à gorge déployée, je me forçais jamais. Quand je... »
Taehyung fut interrompu par un hoquet qui l'étrangla tandis que déjà les larmes coulaient en abondance sur ses joues. Les souvenirs lui revenaient en plein visage, pareils à une violente claque qu'il acceptait malgré tout. S'il pouvait rendre ainsi hommage à Jungkook, alors soit, il parlerait de lui comme il méritait qu'on parle de lui : non en le comparant avec un autre, mais en montrant à quel point il était unique et demeurerait irremplaçable.
« Quand j'étais triste, quand j'avais peur, il me réconfortait, il me serrait dans ses bras – et comme ils me manquent, ses bras ! Jungkook, c'était le maknae rêvé, celui qui est mignon, adorable, attachant, et en même temps espiègle. C'est celui dont vous aimez qu'il vous fasse tourner en bourrique. Jungkook, c'était... c-c'était mon meilleur ami, pleura Taehyung. J'aimais tout chez lui, depuis son rire jusqu'aux matins où il me réveillait. Parce que je me réveillais dans son étreinte, je m'y sentais bien, elle formait une bulle autour de nous. Et quand c'était à moi de le serrer dans mes bras, j'avais tout à coup l'impression que je devenais un bouclier impénétrable. En le protégeant, je me protégeais, et ça me faisait un bien fou.
« C'était la première fois que j'éprouvais ça, la première fois que j'avais le droit d'être tactile avec quelqu'un. J'avais pas à me forcer, c'était naturel entre nous. On s'appréciait sincèrement, on mentait pas sur ce qui nous liait. Jungkook, c'était une boule d'amour et de bienveillance, toujours à veiller sur ses hyungs alors même que c'est nous qui aurions dû veiller sur lui. On... j-je... j'aurais jamais dû le laisser s'infliger ce qu'il a finalement décidé de s'infliger. Je me dis que j'aurais dû l'en empêcher, mais... si j'avais pu, est-ce que je l'aurais fait ? Cet acte, c'était sa dernière liberté, et je crois que j'aurais pas pu la lui arracher, même si c'est mon cœur que ça a fini par arracher.
« J'ai mal, j'ai tellement mal, et je sais que je continuerai d'avoir si mal ! Y a pas une seconde où je pense pas à lui, où je regrette pas la façon dont notre amitié s'est éteinte ! Ça me bouffe, putain, et savoir que j'ai ma part de responsabilité dans son malheur, ça m'anéantit chaque fois que j'y pense ! Je m'en veux tellement... et je vous en veux tellement ! J'avais enfin cru trouver un soupçon de bonheur dans ce monde de merde, et on l'a déchiré comme un vulgaire morceau de papier ! Je me suis senti dépouillé de ce que la vie avait enfin décidé de m'offrir, et quel cadeau ! Jungkook, vraiment, c'était un ange, un ange qui est mort bien avant qu'il ne décide de périr, parce que cette foutue mission a tué quelque chose en lui, et en moi.
« Jimin, c'est mon meilleur ami, et Jungkook, c'est mon meilleur ami aussi. Mais maintenant, Jungkook, c'est rien d'autre qu'une voix, un texte, et des souvenirs. C'est un ange qui a décidé de s'envoler pour éviter de sombrer jusqu'aux profondeurs abyssales du tombeau que votre folie lui avait creusé. »
Le corps frémissant de tristesse et de rage, Taehyung se redressa et quitta la pièce, essuyant d'un geste furieux les larmes qui n'avaient pas cessé tout au long de sa tirade.
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