Chapitre 80 : Namjoon - 61%
Il baissait inéluctablement. Plus que onze pour cent avant la fin. Plus le chiffre chutait, plus le stress montait. Or, en dépit du stress, Namjoon éprouvait une certaine sérénité : la mort l'angoissait autant qu'elle le rassurait. Il ne voulait pas partir sans que son message soit entendu, mais une part de lui murmurait qu'il n'avait pas à s'inquiéter, que de toute façon on l'entendrait.
Une révolution ne se mettait pas en route en trois jours, il faudrait du temps. Pourtant, le rappeur en demeurait convaincu : tôt ou tard, lorsqu'il n'appartiendrait plus à ce monde, le peuple se soulèverait. Le peuple entendrait, verrait, et se révolterait. Il y croyait dur comme fer, et il était déterminé à compter parmi ces voix qui réveilleraient les gens de leur torpeur.
Namjoon composait dans un studio. Il avait lu sur le forum de nombreux sujets où il était question de lui et de sa misérable production de la semaine précédente. Il aurait dû s'en douter : une seule chanson, en sept jours, ça ne suffisait pas. Les internautes estimaient qu'il ne travaillait pas assez, qu'il ne devrait pas passer autant de temps à cuisiner ou bien à flâner. Il devait travailler. Non-stop. Comme Jimin, par exemple, dont les réseaux encensaient l'acharnement et la passion dévorante.
Jimin s'épuisait, se mourait presque sous leurs yeux, et ils le vénéraient comme un dieu, jugeant là qu'il s'agissait de la meilleure attitude à adopter. Un véritable idol devait se comporter ainsi. Il devait vivre pour son métier et ses fans.
Namjoon frémit et continua son travail. Il avait bientôt terminé sa mixtape, encore deux morceaux seulement devaient y apparaître pour la compléter, après quoi il aurait achevé l'œuvre de sa vie et pourrait partir en paix. Il était trop jeune pour périr, mais depuis qu'on l'avait invité (si le verbe convenait) à participer, il savait que son tour viendrait tôt ou tard. Il se sentait même privilégié, lui qui avait eu la chance de vivre si longtemps.
Lorsque l'alarme indiqua l'heure de la mission de Yoongi, Namjoon se leva dans un soupir. Il quitta le studio, une petite ombre sur ses traces : Jungkook, s'il avait passé une partie de la matinée à travailler avec Taehyung, l'avait rejoint pour voir comment il avançait. Le maknae en profitait pour essayer d'écrire et composer, s'inspirant de ce que son aîné lui expliquait pendant que lui-même progressait de son côté. Il n'expliquait pas ses textes, il préférait ne pas compromettre la vie de Jungkook qui, lui, n'éprouvait aucune envie de révolution. Si ce garçon aux airs angélique gagnait les Rookie Games, Namjoon ne voulait pas prendre le risque que le gouvernement s'en mêle. Jungkook affronterait déjà bien assez d'ennuis comme ça – pour les gagnants, les Rookie Games n'étaient pas la fin du cauchemar, mais le début d'un enfer.
Les deux amis rejoignirent le salon, bien vite imités par les autres candidats. Yoongi paraissait serein, et pour avoir traîné sur le forum récemment, Namjoon comprenait sa tranquillité : entre la mission de Taehyung avec Jungkook qui avait provoqué un tollé et la « fainéantise » de Namjoon, peu de monde s'intéressait à Yoongi en ce moment. Calme et discret, le rappeur passait inaperçu, de sorte que ce qui lui avait été le plus demandé, ça avait été une performance live d'un de ses anciens morceaux.
Après quelques minutes, donc, le groupe se dissipa, et chacun retourna à ses activités. Jungkook suivit Namjoon qui repartait à son studio.
« Hyung, ça a pas l'air d'aller, fit remarquer le maknae. Il s'est passé quelque chose ?
— Non, Kook, tout va bien, répliqua l'autre d'un ton morne.
— On dirait pas.
— Je suis juste fatigué. »
Et pour prouver ses dires, le rappeur se laissa tomber sur son siège puis s'y affala. Il ferma les yeux dans un soupir. Jungkook quant à lui préféra s'installer non sur le tabouret auprès de lui, mais en tailleur dans un coin.
« Moi je sais que tu mens, affirma Jungkook. T'es pas obligé de mentir, pourtant. Il se passe quoi ? »
Il s'en doutait, bien évidemment, mais il savait que Namjoon désirerait sans doute en parler pour soulager son cœur.
« Je vais bientôt mourir, Jungkook...
— N'y pense pas, soupira le cadet en se redressant pour le rejoindre. On va tous mourir tôt ou tard.
— Toi, tu vas sûrement survivre.
— Que je survive ou non, je mourrai aussi.
— Viens là. »
Namjoon lui ouvrit les bras, et Jungkook s'y abandonna. Leur étreinte demeura brève, mais elle leur procura un bien fou. Le cœur du plus jeune bondit contre ses côtes : chaque accolade lui prouvait à quel point le contact physique lui plaisait. Il adorait serrer ses amis contre lui. Jamais il n'avait compris ce qu'était la chaleur humaine, et maintenant qu'il la découvrait, il ne pouvait plus s'en passer.
« Je crois que... j'ai un peu peur, admit Namjoon.
— Dans tous les cas, ce sera pas douloureux. T'as pas à flipper.
— Tu peux pas comprendre...
— Comment ça ?
— Ce sera douloureux, vraiment douloureux.
— Hyung...
— Jungkook, je... en fait... Non, rien, laisse tomber.
— Tu voulais dire quoi ?
— Rien d'essentiel.
— Tu me cacherais rien, hein ? murmura Jungkook tout à coup inquiet.
— Non, pourquoi ?
— Je sais pas. Mon imagination, sans doute... »
Jungkook savait que ce n'était pas son imagination, et Namjoon aussi, mais ni l'un ni l'autre n'osa l'avouer à voix haute. Peut-être parce que tous deux avait quelque chose à cacher, quelque chose qui pouvait les mettre en grand danger. Les téléspectateurs n'aimaient pas qu'on leur mente, et la production encore moins.
Semaine 4 – Jour 3.
Deux points de moins. Ce lourd constat fit palpiter le cœur de Namjoon : moins de dix pour cent avant de mourir. Il était passé sous la barre fatidique du soixante.
Sans perdre de temps, il quitta le lit et l'étreinte de Jungkook pour filer à la hâte à son studio. Tant pis pour le petit déjeuner, il ne pouvait plus de s'occuper des repas. Désormais et s'il se fiait aux statistiques qu'il avait pu trouver avant son entrée ici, il lui restait environ deux jours à vivre – trois s'il avait un peu de chance.
Il devait absolument terminer sa mixtape.
Le morceau entamé la veille avait bien avancé, encore quelques arrangements et il obtiendrait un résultat satisfaisant à défaut d'être parfait. Pour ce qui était du dernier qu'il voulait incorporer, il en avait déjà les paroles depuis bien longtemps, et il avait enregistré également quelques pistes pour la composition. S'il se focalisait sur son travail, il pouvait y arriver. Il pouvait finaliser son œuvre avant que ce ne soit sa vie qui prenne fin.
La porte de la pièce s'ouvrit de façon discrète alors que le rappeur, concentré sur son écran, écoutait avec attention son morceau.
« Hyung ? »
Namjoon sursauta avant de se retourner vers Jungkook.
« Désolé, s'excusa ce dernier, je voulais pas te faire peur...
— C'est rien, Kook-ah. Tu veux quelque chose ?
— T-T'es pas venu préparer le petit déjeuner ce matin... alors j'ai pensé que ça te ferait plaisir. »
Le maknae tendit ce qu'il gardait jusque-là derrière son dos : une boîte de plastique dans laquelle il avait rangé de petits beignets à la dorure parfaite.
« Ils sont fourrés à la pâte de haricots rouges, indiqua Jungkook. C'est moi qui les ai faits, alors j'espère qu'ils te plairont.
— Tu... tu les as faits seul ? s'enquit Namjoon sans pouvoir détacher son regard de ces petits délices.
— Oui. D'habitude, t'es là, mais... je sais que t'as du travail. »
Les bracelets brillaient, de sorte que ni l'un ni l'autre n'osa en dire plus à ce sujet. Il y avait des choses que le public n'appréciait pas, et entendre un candidat le blâmer pour ses votes négatifs en faisait partie.
Namjoon donc se contenta de remercier de façon chaleureuse son cadet, touché par son attention.
« Je t'en prie, sourit Jungkook qui déposa d'un geste timide sa boîte sur le bureau de son ami. Je vais te laisser tranquille.
— Tu comptes faire quoi, aujourd'hui ?
— Répéter une chorée, sans doute, et si j'en ai le courage, terminer un morceau que j'avais commencé. »
Le rappeur aurait voulu qu'il reste avec lui, sa présence le rassurait.
« C'est un beau programme, opina-t-il néanmoins.
— Oui, à voir si je le tiendrai. À plus, et bon appétit.
— Merci encore, Kook-ah. »
Le plus jeune lui offrit un sourire d'une rare douceur et quitta la pièce. Avec lui, ce fut le regard du public qui s'en alla, car aussitôt son bracelet s'éteignit. Il se sentit seul, tout à coup, dans cette pièce étriquée.
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