Chapitre 53 : Taehyung - 88%

La popularité de chacun demeura relativement constante ce jour-là. Seul Hoseok avait perdu un maigre point, revenant au chiffre de cinquante-quatre, quant à Namjoon, sa prestation lui avait fait gagner un pour cent. Haut dans le classement, Taehyung ne s'inquiétait pas particulièrement pour lui-même, si bien qu'il avait tranquillement passé son temps à composer et s'entraîner, tentant d'oublier la menace qui pesait sur lui.

Un artiste plus détendu avait une voix plus stable, et la sérénité permettait la création. Ainsi, avant de commencer sa journée, il s'était octroyé une demi-heure de méditation, ce qui l'avait plus encore apaisé et l'avait motivé à se donner corps et âme pour sa musique, sans songer aux lendemains.

Le décès de Seokjin avait également un rôle à jouer dans ce comportement : cette tragédie avait amené Taehyung à comprendre que quoi qu'il fasse, il verrait tous ses nouveaux amis mourir, ou bien il mourrait avant eux, et il s'était fait une raison : la finalité même de la vie, c'était le trépas. Mieux valait l'accepter que lutter contre.

Ce jour-là, Jimin avait brillamment réussi sa tâche, rien d'étonnant aux yeux de Taehyung qui avait conscience que son aîné ne reculerait devant aucun sacrifice pour ses fans.

Lorsqu'il alla se coucher ce soir-là, comme les autres nuits il trouva du réconfort dans les bras de Jungkook avec qui il avait pris l'habitude de dormir. Il n'imaginait déjà plus se passer de sa présence à ses côtés, rassuré de sentir dans son sommeil la chaleur et les battements de cœur de son cadet auprès de lui. Il le sentait vivre, tout simplement, et jamais il n'aurait cru que cela puisse être aussi agréable.

La vie dans ce qu'elle avait de plus banal.



Semaine 2 – Jour 6

En ouvrant les yeux ce matin-là, Taehyung sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine à l'idée que ça allait être à son tour de satisfaire les attentes du public. Pour autant, contrairement à la semaine précédente, il n'en montra rien, pas même à Jungkook de l'étreinte de qui il s'extirpa avant de sortir de la chambre. Il alla au jardin s'accorder une demi-heure de méditation devant le fleuve qui avait emporté Seokjin, et une fois son esprit plus tranquille, il se rendit en salle de danse avec la ferme intention de travailler ses mouvements et de ne se laisser déconcentrer par rien ni personne.

L'objectif fut atteint : à midi exactement, Taehyung quitta la pièce couvert de transpiration mais satisfait de lui-même. Malgré tout, satisfaction ne signifiait pas bonheur : le jeune garçon éprouvait la désagréable impression qu'il lui manquait quelque chose. Il lui semblait... que cet accomplissement ne lui avait pas apporté la moindre once de joie. Il était content, certes, mais impossible de ressentir un quelconque plaisir.

La satisfaction fit place à la remise en question, et la remise en question le mena à la déception : il n'avait probablement pas fourni tous les efforts nécessaires, et s'il aimait la danse, il préférait pourtant le chant, l'écriture et la composition. Ça expliquait pourquoi, en dépit de son travail, il n'éprouvait pas le même plaisir que lorsqu'il composait avec Jungkook ou s'entraînait avec Seokjin.

Après une douche prise en vitesse, Taehyung se rendit mollement à la cuisine, traînant des pieds, preuve de son manque d'enthousiasme.

« Bah alors, ça va pas ? s'enquit Jungkook qui préparait le déjeuner.

— Si, et toi ?

— Ça va. T'as fait quoi, ce matin ?

— Danse, et toi ?

— Rap avec Namjoon-hyung.

— Oh, c'est cool. »

Un léger sourire s'était dessiné sur son visage, et malgré l'absence de son habituel enjouement dans sa voix, ses mots paraissaient sincères. Jungkook, surpris par sa réaction, délaissa ses casseroles quelques instants pour se rendre auprès de son aîné. Ce dernier, installé sur sa chaise, coudes sur la table, sentit son cœur se réchauffer lorsque le maknae enroula les bras autour de son cou, penché sur lui, et déposa un innocent petit baiser sur sa nuque.

« Qu'est-ce qui t'arrive ? souffla-t-il. Tu veux en parler ?

— Je sais pas.

— Qu'est-ce qui va pas ? C'est parce que tu passes cet après-midi ?

— Je sais pas non plus, soupira Taehyung. J'ai pourtant l'impression que tout va bien : je me sens moins angoissé, vraiment serein... mais pas heureux.

— Comment ça ?

— Je me sens... vide.

— Vide ?

— Je crois que c'est d'avoir pris conscience qu'on va presque tous mourir dans les semaines qui viennent. J'ai fini par l'accepter, alors d'un côté ça me laisse indifférent et... de l'autre... je sais pas, ça me donne la sensation que... ça sert à rien.

— Qu'est-ce qui sert à rien ?

— Tout ce qu'on fait : pourquoi on lutte alors que le public a déjà décidé que le grand gagnant, ce serait Jimin ou toi ? Pourquoi on persiste à se rapprocher les uns des autres alors que ça ne nous fera que plus souffrir encore chaque fois que quelqu'un mourra ? Pourquoi on n'en finit pas maintenant, plutôt que de s'épuiser à stresser et souffrir ? »

Jungkook demeura muet de longues secondes durant, laissant s'installer dans la pièce un lourd silence.

« Tu savais qu'avant de mourir, les cygnes chantent une dernière fois ? répondit-il finalement.

— Hein ?

— Il paraît que ce chant-là est différent de tous les autres, beaucoup plus beau, unique.

— Où est-ce que tu veux en venir ?

— Je crois que c'est pour ça qu'on est là : avec la menace perpétuelle de la mort, on est là pour faire entendre notre dernier chant, là pour produire les mélodies les plus bouleversantes et vraies. Le gagnant lui-même ne sera ensuite plus en mesure de laisser entendre quelque chose d'aussi parfait que ce qu'il avait proposé lors de cette émission... parce qu'il était convaincu de mourir, comme le cygne. Et je crois que sans le savoir, on en a tous conscience, et c'est pour ça qu'on s'est inscrits. Parce qu'on voulait donner le meilleur de nous-mêmes, pour tirer ensuite notre révérence de manière magistrale. C'est pour ça qu'on est là, c'est pour ça qu'on ne compte pas survivre : faire atteindre à l'art son apogée, c'est se sacrifier pour lui. On est là pour l'art, on est là pour lui donner nos tripes avant de lui donner nos vies.

— Tu crois ?

— Je crois en tout cas que c'est pour montrer à tous notre talent qu'on est ici, et cette deadline, au sens propre du terme, nous pousse à nous dépasser comme jamais. Demande à chacun d'entre nous : aucun ne pense gagner. À la rigueur, ils l'espèrent, mais ils n'en sont eux-mêmes pas convaincus. Hyung, on est tous ici pour mourir.

— Ça va contre l'instinct.

— T'en es bien sûr ? »

Taehyung ferma les paupières, retraça en un clin d'œil son existence jusque-là, et rouvrit les yeux.

« Non, t'as raison... Mais ça change rien, je me sens toujours aussi vide. C'est comme si je comprenais que la vie n'avait aucune saveur.

— C'est peut-être bien le cas, concéda Jungkook. Mais c'est comme un plat : ça n'a aucune saveur en soi, c'est nous qui devons lui en donner une. Un plat aura besoin d'un peu de sel, une vie aura besoin d'amitié, d'amour, de rire et de tendresse. En acceptant la mort et le destin, peut-être qu'inconsciemment, tu remets en question ta proximité avec tout le monde ici, et t'essaies de t'éloigner – t'as passé ta matinée seul, après tout. Faut trouver un compromis entre le refus de mourir et la résignation.

— Qu'est-ce que tu me proposes, du coup ?

— Je sais pas trop, ça c'est à toi de voir. Accepter ce qui va nous arriver est une chose, mais t'en fais pas une force pour avancer, au contraire ça t'empêche de continuer ton chemin parce que tu n'en vois plus l'intérêt. À toi de réfléchir pour retrouver ce goût de la vie tout en gardant à l'esprit qu'elle va se terminer rapidement.

— Ouais... t'es grave intelligent pour un gamin de dix-huit ans, tu sais ?

— Tu trouves ? rit Jungkook en retournant aux fourneaux.

— Un vrai philosophe ! lança Taehyung avec humour. Tout comme Namjoon ! »

Son cadet lui adressa un regard malicieux et termina le déjeuner qu'il servit ensuite. Taehyung lui sembla plus avenant et souriant que lorsqu'il avait franchi le seuil de la pièce, ce qui le rassura. À peine les plats furent-il installés sur la table que les garçons arrivèrent un à un pour en profiter. C'était devenu une habitude, ça aussi : celui qui en avait le temps cuisinait pour tout le monde. Il était de plus en plus rare qu'un candidat déjeune sans rien préparer pour les autres, et il en allait de même pour le dîner. Il n'y avait que les collations qu'ils ne prenaient pas en commun.

Contemplant ses amis, Taehyung éprouva tout à coup un sentiment d'appartenance : il était membre d'un groupe. C'était peut-être eux, finalement, qui lui permettaient de combler le vide qu'il ressentait, eux et leur sourire.

Il se sentit plus serein.

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