Chapitre 44 : Namjoon - 68%
Lorsque la mélodie débuta, Namjoon éprouva un douloureux pincement au cœur devant l'air désespéré qu'arborait Jungkook derrière le faux sourire qui ne servait à rien d'autre qu'à prouver qu'il ignorait comment cacher son mal-être.
Puis les paroles frappèrent Namjoon, et la chanson captiva toute son attention. La détresse de Jimin dissimulée derrière son amour inconditionnel pour ceux qui le soutenaient, la haine de Yoongi à l'encontre de ses harceleurs ainsi que sa reconnaissance envers ceux qui l'avaient défendu, puis ce dialogue tandis que la cadence accélérait, pareille aux palpitations d'un cœur auquel on permettait enfin de hurler ses émotions les plus secrètes. La délicatesse de la voix angélique de Jimin se mêlait magnifiquement avec la dureté du rap de son aîné. C'était envoûtant, et la puissance qui se dégageait de leur chanson lui apparaissait comme une tempête dévastatrice. Les deux artistes formaient un duo très particulier en ce sens que, s'ils ne donnaient pas l'impression de chercher à comprendre le point de vue de l'autre, on sentait malgré tout une véritable alchimie entre eux. Namjoon en demeura coi, de même que les autres garçons.
Yoongi et Jimin se turent, l'écran s'éteignit une fois leur mission validée, et un étrange silence s'abattit sur la pièce.
« C'était incroyable, déclara finalement Taehyung d'une voix émue, je me doutais que vous feriez un travail formidable ensemble. »
Il les applaudit, les prunelles débordantes d'une touchante fierté, et chacun l'imita. Peu après, Jungkook quitta le canapé en marmonnant qu'il avait besoin de prendre l'air. Les autres le regardèrent partir sans chercher à le retenir, conscients qu'il valait mieux le laisser à ses pensées pour le moment. Namjoon, cependant, hésita à le suivre... et finit par obéir à cette pulsion qui l'incita à sortir à son tour en coup de vent.
Il retrouva son cadet rapidement, sur la terrasse malgré l'heure avancée. Minuit n'allait plus tarder, après tout. Le benjamin était assis au bord de l'herbe, à ce point accablé de souffrances qu'il était courbé, le menton sur les genoux, le bras autour de ses jambes et l'autre main occupée à cueillir de petits brins d'herbe, une moue peinée au visage.
« Jungkook, tu veux en parler ? s'enquit Namjoon en approchant prudemment.
— À ton avis ? »
Le rappeur, pourtant, s'installa auprès de lui. Il chercha ses mots, craignant la moindre maladresse.
« Hoseok va vraiment si mal ?
— La production refuse de lui donner des médicaments efficaces, et il aura pas non plus droit à une équipe médicale.
— T'aurais dû t'en douter, c'est marqué dans le contrat, et en rouge.
— Je sais, mais j'avais cru qu'on m'écouterait, je pensais que je... laisse tomber, soupira-t-il finalement.
— T'as beau être le chouchou du public, t'auras pas de faveurs de la production pour autant.
— C'est pas ce que je voulais dire, j'aurais jamais eu de telles prétentions. Mais t'as raison, j'ai été naïf. Au moins j'ai essayé. Et... Hoseok souffre tellement... ça me tue de rien pouvoir faire pour lui. »
Sa gorge se serra, son cœur lui fit mal, et il déglutit tant bien que mal pour ravaler son chagrin.
« Il est beaucoup plus solide qu'il peut en avoir l'air actuellement, je suis certain que demain il se sentira mieux, lui assura Namjoon. Vous avez pensé à mettre du froid sur sa cheville ?
— On a mis une poche de glace au congélateur, opina Jungkook, mais... il a tellement mal que je ne peux même plus lui bander le pied. Je me sens impuissant.
— On l'est tous, affirma Namjoon en posant une main réconfortante sur son épaule, mais tu sais ce qui est dingue ? C'est que là où d'autres le laisseraient souffrir comme un chien, là où d'autres préfèreraient le regarder en espérant qu'il soit le prochain à crever, toi, t'es pas comme ça. Toi, tu t'inquiètes pour lui, tu pleures avec lui, tu souffres avec lui, tu fais tout pour le soutenir sans te soucier de ta propre place ici... et ça, c'est magnifique. C'est pas seulement magnifique parce que tu prouves que t'as un cœur immense, Jungkook, c'est magnifique parce que quand on te voit te donner à ce point pour Hoseok, on sent cette émotion, ce truc que tu dégages, et on a envie de vous soutenir aussi, on a envie que Hoseok se rétablisse et on a envie que vous retrouviez le sourire. Parce que te voir témoigner d'une telle grandeur d'âme, ça fait brûler en nous cette même ardeur. Ta générosité, je pense, est une des raisons pour lesquelles on s'entend bien et on se soutient tous. Ta générosité nous enjoint à donner le meilleur de nous-mêmes, tu nous inspires et on t'admire, alors que c'est toi le plus jeune. On devrait veiller sur toi, mais c'est toi qui t'en fais le plus pour nous.
« Taehyung agit un peu de la même manière vis-à-vis de Jimin, et... j'ai l'impression que vous êtes le ciment de cette camaraderie qui est rapidement née entre nous. Quoi qu'il arrive, donc, t'en veux surtout pas : Hoseok est venu avec cette blessure, il savait ce qu'il risquait, et c'est la production qu'il faut tenir responsable du fait qu'on ne peut rien faire pour lui ; toi au contraire, tu donnes tout pour l'aider à se sentir mieux.
— T'abuses à peine, rétorqua Jungkook avec un sourire peiné.
— Crois ce que tu veux, mais je sais ce que je dis, et je sais que je le dis honnêtement. On a la chance de tous s'entendre bien parce qu'aucun n'a encore fait preuve de malveillance, et si j'ai envie de croire que la raison en est qu'on est simplement tous de bonnes personnes, je pense aussi que l'excès de bonté dont Taehyung et toi faites preuve en est une autre cause. Je sais pas si vous le faites pour l'écran, ou bien si c'est parce que vous êtes un peu plus jeunes et plus ouvertement émotifs que les autres, mais... vous voir vous soucier autant du groupe, c'est précieux. Je suis heureux d'avoir eu l'honneur de vous rencontrer, tu sais. »
Namjoon enroula son bras autour des épaules de son ami lorsque le premier sanglot fit trembler son corps encore frêle. Jungkook étouffa un hoquet, et le rappeur l'enlaça puissamment en lui murmurant avec tendresse que tout irait bien. Il savait que c'était faux, ils le savaient tous les deux, mais... peut-être voulaient-ils y croire, tout simplement.
En arrivant ici, Namjoon avait pensé qu'il découvrirait toute la saleté du monde, alors même qu'il en redécouvrait les plus grandes beautés. Il avait pensé rencontrer les bas-fonds de l'âme humaine alors qu'il en côtoyait les sommets auprès de garçons comme lui.
Si cette villa était une arène, eux en revanche n'avaient rien de combattants, du moins ils ne luttaient pas les uns contre les autres. Ils luttaient ensemble pour avancer. Probablement parce qu'ils n'attendaient plus rien de la vie, ils ne cherchaient pas à la défendre à tout prix, ils se savaient perdus mais refusaient de perdre leurs concurrents.
Plutôt que de se réjouir de la faiblesse de Jungkook, en train de pleurer dans ses bras, Namjoon compatissait à sa peine et lui caressait affectueusement le dos en espérant que tout s'arrangerait.
« Merci, murmura le cadet. Ça me touche énormément... t'imagines même pas à quel point ça compte pour moi d'entendre ça venant de toi. »
Venant de lui, le rappeur qu'il admirait depuis des années... Jungkook ne pourrait pas décrire ce sentiment étrange de soulagement auquel se mêlaient pourtant toujours ses tourments. Tout ce qu'il savait, c'était que depuis la mort de son père, il ne s'était jamais senti valorisé ni intéressant. Il avait cherché du réconfort sur les réseaux où il s'était créé un compte, mais... en dépit des abonnés, des vues, des messages reçus, jamais la blessure n'avait pu se refermer. Aujourd'hui encore ouverte, la plaie ne le faisait plus souffrir, car... d'une certaine manière, Namjoon venait de lui expliquer qu'il n'était pas responsable de toute la misère du monde.
Il était trop jeune quand il avait dit à maman qu'il aimait beaucoup la fleur violette dessinée sur la pochette que papa cachait derrière le réfrigérateur. Et aujourd'hui qu'il s'en voulait de ne pouvoir pas soutenir de manière plus appuyée le danseur, Jungkook comprenait qu'il n'avait aucun moyen de lui offrir le matériel nécessaire à sa guérison. Il n'était pas fautif. Tout ce qu'il avait toujours pu faire, c'était regarder. Regarder sa mère attraper un flingue pour descendre son époux, regarder Hoseok sombrer dans la folie sous l'effet de la douleur.
Il était simplement témoin d'atrocités qui n'avaient jamais dépendu de lui.
Le garçon qu'il admirait le plus venait de lui prouver qu'il pouvait se libérer de ses tourments, qu'il ne devait pas éprouver la moindre culpabilité. Namjoon ignorait probablement le service qu'il lui avait rendu, mais... grâce à lui, Jungkook se sentait infiniment plus léger.
Il craignait encore que certains secrets soient révélés, toutefois il lui semblait que ces considérations étaient bien trop éloignées pour qu'il ait à s'en soucier. Il pouvait tenter de poursuivre l'aventure plus serein, et continuer de soutenir ses amis sans se tenir pour autant responsable de leurs maux.
Malgré tout, il ne pouvait pas s'empêcher de se dire que s'il avait insisté auprès de la production, peut-être que... Non, il devait être stupide. Namjoon avait raison.
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