Chapitre 36 : Yoongi - 82%

On va faire comme si j'avais pas oublié qu'aujourd'hui, on était mardi... T-T

Ouais, on va dire que c'est un chapitre pour l'anniversaire de Yoongi, puisqu'il en est le héros :3

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Lorsque Taehyung lui annonça la triste nouvelle, Yoongi conserva un air neutre et ne prononça rien d'autre qu'un « désolé » à peine murmuré.

Il s'en doutait, de toute façon, que Seokjin partirait le premier. Ce n'était pas son visage qui le sauverait : ils n'étaient pas sur Instagram, mais aux Rookie Games. Les cadets avaient une voix plus appréciée du public, ils dansaient mieux que lui, et Seokjin avait cet énorme handicap d'être le plus vieux. Trop vieux aux yeux de ceux pour qui un Rookie ne pouvait pas avoir plus de quinze ou seize ans. Ici, chacun avait dépassé les dix-huit ans, certes, pour autant plusieurs étaient déjà professionnels, ou du moins ils gagnaient beaucoup avec les réseaux, les concours ou leurs productions personnelles. Ils étaient appelés « rookies » simplement parce qu'ils n'appartenaient à aucune agence.

Seokjin était trop âgé pour faire ses débuts dans une agence. Yoongi considérait ainsi sa mort : elle apparaissait comme le résultat logique et attendu non d'une participation à un jeu mais d'un suicide assisté. Il n'avait jamais eu la moindre chance d'en réchapper. Les trois maknaes avaient un charme beaucoup trop prononcé pour ça. Yoongi lui-même avait conscience que malgré son score honorable, il y passerait aussi.

Il crèverait, tout comme Hoseok, probablement le prochain, ainsi que Namjoon. Et s'il continuait ainsi, Jungkook l'emporterait après une finale haletante contre Jimin. Il suffisait qu'il ne commette pas la moindre faute. Difficile, mais pas impossible.

Le jeune rappeur avait passé sa nuit dans son studio, comme à l'accoutumée. Il avait avancé sur plusieurs morceaux, dont un qui lui était inspiré par sa luciole. Oui, une luciole. C'était de cette manière qu'il percevait Jimin. Il ne le voyait pas comme une étoile. D'une part, c'était trop banal de considérer quelqu'un qu'on admirait comme une étoile, et d'autre part il y avait quelque chose avec les étoiles qui inspirait un flot de mélancolie à Yoongi : elles étaient inatteignables. Personne ne pouvait les toucher, les frôler, ou bien les admirer de près. Jimin, il était plutôt comme une luciole : quand la nuit tombait, il se faufilait dans sa salle de danse et par ses mouvements, il se mettait à briller. Il était près, tout près de Yoongi, mais ce dernier n'osait pas le toucher, même s'il pouvait. Car une luciole, c'était un petit être si fragile, et il éprouvait la sensation que le toucher reviendrait à le blesser, à éteindre sa lumière.

Jimin, par conséquent, était devenu non seulement sa luciole, mais avant tout sa muse. Yoongi ne saurait pas décrire de quelle manière cette perception de son cadet lui était venue, mais elle était venue. D'une grâce ensorcelante, les traits marqués par un passé difficile, l'air éternellement ailleurs, Jimin représentait aux yeux de Yoongi ce garçon rêveur qui ne savait pas s'exprimer autrement qu'avec son corps. Son visage ne disait rien, sa voix non plus, mais son corps parlait, ses pas trahissaient la moindre de ses émotions. Et ça, ça rendait Jimin absolument sublime. Il ressemblait à une statue grecque qui, lorsque la musique s'élevait, s'animait et perdait tout de cette froideur de pierre.

Yoongi, après de longues nuits d'hésitation, avait donc décidé que Jimin était sa luciole. Longue réflexion pour une conclusion si médiocre, pourtant il trouvait ça beau quand même. La beauté pouvait parfaitement résider dans un petit insecte brillant.

Cette nuit encore, Yoongi était allé voir son danseur favori. Il l'avait regardé pendant plusieurs minutes, peut-être un quart d'heure, et puis il était reparti sans dire un mot. Un peu avant le lever du jour, on avait frappé à la porte du studio. Jimin était entré sans attendre son approbation – ça ne gênait pas Yoongi, lui-même agissait ainsi – et il s'était assis sur un tabouret près de Yoongi. Ce dernier avait retiré puis débranché son casque. Jimin était parti après une demi-heure, précisément.

En près de trois quarts d'heure ensemble cette nuit-là, ils n'avaient pas échangé un seul mot, mais il leur semblait avoir partagé bien plus que ça, à l'un comme à l'autre. Jimin parlait avec son corps, Yoongi avec sa musique. Les conversations, ça ne signifiait rien pour eux.

Son court échange avec Taehyung terminé, Yoongi put enfin aller se coucher. Il avait tenté de réconforter son cadet d'une étreinte, mais il savait que le jeune garçon avait compris que ça lui faisait, pour ainsi dire, ni chaud ni froid. Il n'avait pas insisté, il lui avait souhaité de bien se reposer et s'était excusé de l'avoir dérangé. Yoongi lui avait répondu qu'il ne l'avait pas dérangé. Ce n'était pas complètement vrai.

Ravi d'avoir enfin regagné son lit, le rappeur ferma les yeux, soulagé de constater que personne ne se trouvait au dortoir ce matin-là. Il allait pouvoir se reposer paisiblement, comme il en rêvait chaque fois qu'il passait une nuit entière à travailler. Épuisé, il trouva rapidement le sommeil.

En fin de matinée, il quitta son lit pour aller déjeuner. Étrangement, si la disparition de Seokjin l'affectait peu, il ne souhaitait pourtant pas manger seul ce midi-là. Il avait entendu dire que c'était une réaction normale aux Rookie Games et, s'il n'y avait jamais prêté attention, il était vrai, pourtant, que les candidats avaient tendance à se réunir plus régulièrement une fois le premier garçon mort. Certains prétendaient que les candidats ne souhaitaient pas affronter ça seuls, d'autres murmuraient que c'était pour mieux cerner l'ennemi maintenant que le jeu commençait. Pour ce qui était de Yoongi, ce n'était ni l'un ni l'autre. La mort de Seokjin le renvoyait à sa propre mort qu'il savait proche, et passer du temps avec les autres l'aidait simplement à penser à autre chose qu'à lui s'effondrant, sans vie.

Tant que nous existons nous-mêmes, la mort n'est pas, et quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n'existe ni pour les vivants, ni pour les morts, puisqu'elle n'a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus.

Qui avait écrit ça, déjà ? Aucune idée, Yoongi l'avait entendu, une fois, et il avait bien aimé. Sa mort ne serait pas douloureuse, elle serait rapide, que demander de plus ? Pas besoin de s'inquiéter. Son seul désir, c'était de ne pas mourir avant la fin de sa mixtape. Enfin... peut-être pas son seul désir. Jimin après tout... Jimin quoi, au juste ? Yoongi l'ignorait, mais quand il pensait à ce qu'il souhaitait, il imaginait Jimin. Juste Jimin. Son visage, ses mouvements. Il ne savait pas vraiment pourquoi. Bof, peu importait.

Dans l'après-midi, Yoongi retourna en studio. En chemin, il remarqua que le soleil brillait dehors, et il songea que s'il avait été un garçon un peu plus fainéant, il aurait peut-être aussi été un garçon un peu plus bronzé. Beaucoup lui enviaient sa peau blanche comme le lys, mais tous ignoraient à quoi il la devait : des heures passées à composer, à travailler avec acharnement. Il ne voyait jamais le soleil, raison pour laquelle le soleil ne marquait pas son épiderme. Il vivait avec la lune, astre duquel il tenait sa pâleur – et probablement aussi son caractère d'éternel solitaire qui regardait les autres de loin sans jamais oser les approcher. Un satellite perdu en plein ciel...

Yoongi ne regrettait rien de sa vie. Il avait fait le point avant d'arriver aux Rookie Games. Il s'était demandé s'il avait gâché son existence, ou bien s'il avait connu tout ce qu'il y avait à connaître. Dans le cas de la première proposition, il aurait renoncé à sa participation. Mais il avait estimé que c'était la seconde : il avait vécu pleinement, il aimait sa vie, mais il n'imaginait pas ce qu'il pourrait apprendre de plus d'elle, et il n'était pas certain de vouloir le savoir.

Sans doute parce qu'il lui semblait avoir appris tout le positif, de sorte qu'il préférait mourir maintenant, au beau milieu de ce cadre enchanteur qui représentait l'apogée de sa brève carrière. Yoongi savait que, malgré ce que prétendaient les haters depuis ses débuts, il pouvait être fier de lui et de ce qu'il avait accompli. Lui au moins, il ne se contentait pas de rester comme un con, le cul dans son canapé, à cracher son venin sur les réseaux. Ce n'est sûrement pas ces abruties de langues de vipères qui auraient réussi à intégrer les Rookies Games, et chaque jour de plus qu'il passait ici, Yoongi savourait l'idée que partout dans le monde, ses haters les plus virulents le haïssaient avec plus de verve encore, verts de rage à l'idée qu'il participe à ce jeu où les candidats étaient réputés pour avoir un talent fou.

« Vous avez vu, bande de connards, moi je fais quelque chose de ma vie, et elle aura beau être beaucoup plus courte que la vôtre, elle marquera des centaines de millions de personnes. »

C'était quand il marmonnait ces mots, assis devant son ordinateur, que Yoongi songeait que Jimin avait complètement raison : il débordait de haine.

Depuis toujours on le rabaissait : sa famille ne croyait pas en lui, il n'avait aucun ami, ses camarades de classe se moquaient de sa crainte des autres, et quand il avait commencé la musique, alors qu'enfin il apprenait ce que signifiait le mot « encouragements », les haters étaient arrivés. Yoongi les percevait comme des loups atteints de rage : de leur bouche écumaient les insultes, leurs yeux fous n'exprimaient rien d'autre qu'un désir avide de le voir souffrir... en revanche, jamais la morsure de leur méchanceté n'avait atteint le jeune rappeur. Ça ne lui faisait pas mal, ça l'énervait, tout simplement, mais il n'en avait jamais pleuré.

Parce qu'il savait que derrière cette apparence monstrueuse, le loup n'était qu'un louveteau effrayé et jaloux, maudissant ceux qui parvenaient à obtenir ce dont il rêvait lui-même. Des misérables, en somme. Des misérables sur lesquels Yoongi se faisait un plaisir de se défouler dans ses chansons.

Sa famille, pathétique.

Ses camarades, pathétiques.

Ses haters, pathétiques.

Tous des minables. Jamais on ne connaîtrait leurs noms comme on connaissait désormais le sien. Jamais en un siècle de vie sur cette planète essoufflée ils ne connaîtraient le luxe dans lequel il vivait aujourd'hui et mourrait bientôt.

Mourir, ça n'effrayait pas Yoongi. Pas s'il mourait en ayant définitivement pris sa revanche. Mourir, c'était tellement moins effrayant que vivre.

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