Chapitre 32 : Jungkook - 96%
Par un réflexe qu'il ne chercha pas à expliquer, Jungkook prit la main de Taehyung, assis à ses côtés. Ce dernier, plutôt que de la repousser, la serra dans la sienne en en caressant le dos à l'aide du pouce. Le plus jeune ferma les yeux, tant pour se laisser bercer par cette douceur que pour éviter de regarder l'aiguille de sa jauge dégringoler. C'était si stressant !
« Ça y est, murmura Seokjin installé à sa gauche, c'est parti. »
Jungkook rouvrit aussitôt les yeux pour les fixer sur son bracelet. Ça allait chuter, chuter, puis se stopper. Ensuite, ça ne cesserait plus d'osciller selon ses actions, et jour après jour ce maudit tracker ne cesserait plus de l'obséder.
100.
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Quatre-vingt-seize. Immobile. L'aiguille ne bougeait plus. Son bracelet avait retrouvé l'éclat habituel qui indiquait qu'il était filmé. Jungkook retint un sanglot ému : à moins d'une énorme bêtise qui pousserait chacun à se retourner contre lui, il était sauvé ! Il n'avait rien à craindre au moins pour la semaine à venir !
Lorsqu'il releva les yeux pour observer ses aînés, en revanche, il constata que plusieurs surveillaient encore leur poignet... peut-être parce que l'aiguille n'avait pas fini sa course.
« Quatre-vingt-sept, soupira Taehyung, je m'en sors bien. Et vous ?
— Quatre-vingt-deux, déclara Yoongi, je suis plutôt satisfait.
— Soixante-neuf, murmura Namjoon d'un ton neutre, j'aurais juste dû m'y attendre. »
Jimin se leva sans un mot et s'apprêtait à quitter la salle quand Yoongi lui demanda sa popularité. Le danseur se tourna, le fixa un court instant sans mot dire, avant d'annoncer son pourcentage : quatre-vingt-quatorze.
« Wow, on n'est pas loin du meilleur score des jeux ! commenta Taehyung admiratif. Je savais que les gens allaient t'adorer ! »
Jimin le remercia d'un ton parfaitement monocorde et indiqua qu'il allait s'entraîner. Peu importait le nombre, tout ce qu'il désirait, c'était rendre ses fans heureux.
« Et toi, Jungkook ? s'enquit Taehyung.
— Quatre-vingt-seize.
— T'es sérieux ? Fais voir ! »
Taehyung lui lâcha la main pour lui attraper le poignet, curieux. Lorsqu'il constata que l'aiguille s'était bien stoppée sur une valeur aussi élevée, il poussa une nouvelle exclamation surprise.
« Je savais que Chim et toi seriez adorés, mais à ce point ! C'est dingue !
— Et toi, hyung ? s'enquit Jungkook en se tournant vers Seokjin qui n'avait toujours pas pipé mot. T'es à combien ? »
Seokjin parut sortir de sa torpeur. Il dirigea ses prunelles vers son cadet qui y vit briller alors une détresse telle qu'il perdit le peu de bonne humeur et de soulagement que son bracelet avait fait naître en lui.
« Cinquante-sept, susurra-t-il. Je suis à cinquante-sept pour cent. »
Un lourd silence s'abattit sur la pièce. Les garçons échangèrent quelques regards discrets, mais déjà Seokjin se levait et quittait le salon, le pas lent, similaire à celui d'un véritable zombie. Vivant, il se savait bientôt mort. Jungkook souhaita le rejoindre, lui prouver son soutien, toutefois il ignorait comment agir en de pareils cas.
« Je vais aller voir Hoseok-hyung, annonça-t-il donc d'une petite voix en se redressant. Bonne nuit. »
Ses concurrents le lui rendirent, et le maknae se hâta. Au dortoir, il retrouva son ami, toujours allongé sur son lit dans l'obscurité, les yeux clos. Jungkook hésita, peu désireux de le déranger, malgré tout il approcha et s'assit au bord du matelas. Il craignit un instant de réveiller Hoseok... puis ce dernier hoqueta, et le cadet remarqua les sillons humides sur ses joues : il ne dormait pas, il pleurait.
« Hyung, souffla-t-il en posant la main sur son épaule, ça va pas ?
— Soixante, sanglota Hoseok d'une voix faible et éraillée, je suis à soixante. Kook-ah... je vais pas tarder de clamser.
— T'es pas le plus bas, tu sais ?
— Ah bon ? T'es à combien, toi ?
— C'est pas le sujet.
— Ça veut dire que t'es haut, hein ? C'est ça ? Forcément : t'as eu la chance de naître avec une gueule d'ange, un talent fou et j'en passe. Putain, je vais faire quoi ? Ils vont dire quoi, mes amis ? Kook... ils me manquent tellement... »
Et sur ces mots, les sanglots de Hoseok redoublèrent. Un clignotement attira l'attention de Jungkook sur leurs deux poignets : ils se trouvaient désormais en direct.
« Hyung, du calme, lui chuchota Jungkook en décidant de l'enlacer dans l'espoir de le consoler. Chut, respire. Ça va aller, je te le promets.
— J-J'ai... j'ai tellement peur. Je veux pas partir, il reste tellement de choses dont je rêve ! La vie est pas parfaite, mais la mienne me rendait heureux ! Kook... je voudrais juste leur dire à quel point je les aime, à quel point ils comptent pour moi ! »
De plus belle, Hoseok fut coupé par ses sanglots qu'il ne chercha pas à retenir. Les bracelets brillaient toujours, avides de larmes et d'émotions. Sous les effets conjugués de la douleur physique et de la nostalgie, Jungkook sentait son aîné perdre le contrôle de lui-même. Il se laissait ronger, il sombrait, et ce fut le cœur serré que la maknae songea qu'il n'en aurait plus pour très longtemps : à peine une semaine s'était écoulée, craquer était normal... mais quand on s'apercevrait que Hoseok était handicapé par une blessure, le public ne s'apitoierait pas une seconde sur son sort. Jungkook doutait qu'il survive sept jours de plus, et Hoseok lui-même, en dépit de son habituel optimisme, ne se faisait aucune illusion.
Le jeune homme en effet était à bout : sa cheville lui causait une souffrance exponentielle, il ne pourrait pas la cacher indéfiniment. Le seul fait de demeurer immobile provoquait des sensations proches de celles éprouvées si une lame chauffée à blanc lui traversait la chair de part en part, en passant par l'os. C'était atroce, et aucun médicament ici ne se révélait assez puissant pour atténuer la douleur. Chaque minute de vie supplémentaire était pareille à un combat contre lui-même, combat qu'il savait perdu d'avance mais qu'il continuait de mener. C'était ses dernières forces qu'il mobilisait dans l'espoir de garder encore secret son état, ne serait-ce qu'une journée de plus.
Surtout maintenant que Jungkook venait lui apprendre que quelqu'un avait obtenu un score de popularité plus bas que le sien. C'était probablement sa performance qui l'avait sauvé, il avait bien fait de lutter, il s'en félicitait, même si elle avait signé le début de sa fin : avoir ainsi forcé sur sa jambe l'empêchait définitivement de s'accorder le moindre pas. Il n'en pouvait plus, il avait atteint son point de rupture et l'avait volontairement ignoré pour achever sa chorégraphie.
Même s'il s'en mordait les doigts, même si la folie de la douleur l'aveuglait, il restait en lui une petite part de fierté qui se réjouissait d'avoir triomphé.
« J-Hope... »
Ce ne fut qu'un murmure, si bas que Jungkook douta de l'avoir entendu.
« Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il en s'écartant légèrement de lui.
— J-Hope... c'est mon nom de scène. C'est... le nom qu'on me donne dans mon groupe de danse. Je suis J-Hope, celui qui a toujours le sourire, qui croit en l'avenir, qui ne cesse jamais d'espérer. »
Jungkook fut bouleversé de voir dans les prunelles de son aîné briller une telle émotion. Il parlait avec un bonheur mêlé de regret qui brisa définitivement le cœur du maknae. Sans cette blessure qui le réduisait peu à peu à néant, J-Hope aurait pu aller loin, vraiment loin. Jungkook en était convaincu : son talent en danse aurait ébloui le public, de sorte que sa beauté qu'il jugeait nulle n'aurait plus compté. Jungkook en était convaincu, car lui le trouvait sublime. Hoseok était magnifique, et il l'était plus encore dès lors qu'il se mettait à bouger. Son corps dégageait quelque chose d'inexplicable, même lorsqu'il se contentait de marcher.
Sans cette blessure, Hoseok aurait brillé, tel le soleil qu'il représentait aux yeux de son cadet, étoile resplendissante qui aurait dû rayonner bien plus longtemps. Le pauvre avait tout tenté, absolument tout, dans l'espoir de tenir autant que possible... mais ça n'avait pas suffi. Une nuit de sommeil n'y changerait rien. Il le sentait, au plus profond de lui il le sentait : il avait atteint puis repoussé ses limites, le voilà incapable d'aller plus loin. Le chemin s'achevait ici, et malgré toute la peine qu'il éprouvait, une part de lui était soulagée d'imaginer que la douleur arrivait bientôt à son terme.
Jungkook le reprit dans ses bras, le serra plus fort et, tout bas, le supplia de tenir bon encore un peu, juste un peu plus longtemps.
« À quoi ça servirait ? souffla Hoseok. J'en peux plus...
— Ça ira.
— Je peux même pas me mettre debout, je risquerais de hurler tellement j'ai mal.
— Hyung, on...
— Je bouge pas et je souffre le martyre, je peux vraiment plus rien faire. Je te l'ai dit, ma cheville me fait si mal que ça me rend fou, je...
— Hyung, le coupa Jungkook sur le visage de qui se peignait une pressante détresse, on est en direct. »
Hoseok se tut immédiatement ; il avait parlé trop fort pour que les micros ultra-perfectionnés qui fourmillaient un peu partout n'aient pas capté ces quelques secondes de discussion... des secondes suffisantes à dévoiler son secret et à le condamner.
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