Chapitre 31 : Seokjin
Seokjin prit une moue pensive. Peur de mourir ?
« Non, répondit-il. Enfin... si, j'ai peur de mourir, mais pas parce que je suis ici. Juste... en général, j'ai peur de mourir.
— Alors pourquoi tu restes ici ? s'enquit encore Hoseok.
— Parce que je préfère mourir en sachant que j'ai obéi à mes valeurs plutôt que de vivre avec l'impression d'avoir abandonné quelqu'un qui ne le méritait pas.
— On se connaît à peine, comment tu peux affirmer ça ?
— Parce que même si je sais pas pourquoi t'es blessé, je sais au moins une chose : pour participer à un jeu pareil alors qu'on a une cheville foutue, soit faut avoir envie de crever tout de suite, soit faut avoir une raison en rapport avec quelqu'un d'autre. Et toi, t'as pas envie de crever tout de suite.
— Qu'est-ce que t'en sais ?
— T'as l'air de souffrir le martyre. Tu te donnerais pas à fond si tu voulais réellement claquer, tu te contenterais d'en faire le moins possible. Mais toi tu danses, tu fais pression sur ta cheville, t'acceptes la torture de la douleur. Jamais quiconque serait assez fort mentalement pour accepter ça, pas sans une raison qui ne dépend pas de lui. Tu cherches forcément à prouver quelque chose à quelqu'un, ou... à protéger quelqu'un. J'ai entendu dire que parfois, les producteurs des Rookie Games monnayaient la participation d'un garçon qui leur semblait particulièrement intéressant. Garder ses proches loin du besoin pour toujours, ça fait envie, non ? Mais seul quelqu'un de sincèrement altruiste accepterait, surtout s'il a une cheville cassée.
— Foulée, susurra Hoseok avec émotion, elle est juste foulée... Merci beaucoup, ça me touche énormément, ce que tu dis.
— Ah ? C'est juste la vérité : t'es taré, pas con, faut pas confondre. »
Le cadet pouffa, non parce que la réplique était particulièrement amusante, mais parce qu'il devait absolument évacuer son stress et sa peine.
« De toute façon, j'imagine que ça sert pas à grand-chose de lutter, soupira Seokjin après lui avoir accordé un sourire. Je suis le plus vieux, je vais forcément être éjecté parmi les premiers. Autant partir avec dignité, non ?
— Tu pensais pas être le plus vieux à participer ?
— J'ai même pas vingt-trois ans...
— Une année, le hyung en avait vingt-et-un.
— Seule année où l'aîné a gagné, d'ailleurs, nota Seokjin. Mais tant pis. J'ai joué, j'ai perdu, c'est comme ça. Ouais, je croyais qu'il y aurait quelqu'un de plus vieux que moi. C'est con, hein ?
— Pourquoi t'as voulu participer ?
— Pour fuir.
— Fuir ? Le régime ?
— Mes parents, clarifia Seokjin d'un ton songeur.
— Je peux savoir pourquoi ?
— Parce que mes parents refusaient que je m'épanouisse dans le monde de l'art... et parce que mes parents, c'est le régime. Je me suis inscrit il y a quelques semaines... quand j'ai appris qu'ils jouaient au sein du régime le rôle de chefs des épurateurs. Ils ont fait torturer et exécuter des milliers d'opposants, sans la moindre pitié. Et ils espéraient que je suive la même voie. J'ai commencé à avoir peur d'eux, je sentais qu'ils auraient pas hésité à me faire passer pour un opposant et se débarrasser de moi si je commençais à les gêner. Ce sont de vulgaires assassins.
— Oh, je... tu ferais mieux de pas en parler aux autres, conseilla Hoseok.
— Pourquoi ? se vexa son aîné. Tu penses que je suis comme mes parents ? Que je...
— Les parents d'un des candidats ont été assassinés par le régime alors qu'il était enfant, révéla-t-il. J'ai entendu ça sur internet, mais les faits, même non officiels, semblent confirmés.
— I-Ils... »
Seokjin sentit tout à coup sa gorge se serrer : alors... son père et sa mère avaient réellement gâché la vie d'un de ces garçons ? Jimin, peut-être : il se mettait toujours en retrait, se nourrissait-il de l'amour des fans pour remplacer celui qu'il n'aurait pas pu avoir de sa famille ? Ou bien Jungkook, si effrayé, avait-il assisté à cette exécution atroce ?
« Je suis tellement désolé, souffla-t-il dans un murmure étranglé, j'ai jamais voulu ça...
— Je sais bien, approuva Hoseok, ce serait honteux de te faire porter un fardeau dont t'es pas responsable... mais quand on a perdu si brutalement ses parents, je pense qu'on est pas forcément enclin à penser avec la raison à ce sujet, plutôt avec le cœur.
— Dis...
— Oui ?
— Je... non, laisse tomber. »
Finalement, ce fut Hoseok qui s'exprima : à son tour il donna la raison de sa venue ici, et tandis qu'il parlait, son émotion grandissait. Il éprouvait la sensation d'abandonner son groupe en agissant de la sorte, pourtant il savait que c'était un geste juste, qu'il n'avait pas à regretter ses proches, et surtout pas son cadet qu'il avait guéri en signant non un contrat, mais un véritable arrêt de mort.
« Ça, c'est courageux, admit Seokjin. Moi j'ai participé pour sauver ma peau, en me disant que soit je crèverai pour mon art, soit je gagnais et je pouvais profiter d'une vie d'artiste, mais toi... waouh, je sais même pas quoi dire. Ce garçon a une chance folle que tu sois aussi généreux.
— Je sais pas...
— Crois-moi. Tôt ou tard il le saura, ou bien il le devinera. Et ce jour-là, il te sera reconnaissant autant qu'il s'en voudra. Parce qu'il s'en voudra. Il pensera que c'est sa faute, que cette chute était sa faute, que sa blessure et la tienne étaient sa faute. Pense à lui adresser un mot si tu dois partir. »
Hoseok opina, le cœur lourd. Effectivement, son petit protégé s'en voudrait probablement longtemps s'il apprenait l'origine de la participation de son aîné aux jeux, et malgré les mensonges de la production qui prétendrait qu'il a été intégré au programme d'une association, Hoseok savait que son cadet se douterait de la provenance de l'argent qui l'avait soigné.
Il ferma les yeux dans un soupir. D'interminables minutes passèrent sans qu'il prononce le moindre mot. Seokjin le crut sans doute endormi, car il s'en alla discrètement. L'autre ne bougea pas, préférant rester un peu seul pour le moment. L'heure avançait, et il savait se rapprocher lentement de sa fin. L'heure avançait inexorablement.
Minuit arrivait, et Hoseok se sentait de plus en plus nerveux, alors même qu'aucune surprise ne découlerait de l'ouverture des votes : des fans et des haters, luttant les uns contre les autres pour sauver ou exécuter celui qu'ils avaient dans le viseur. Rien de plus naturel. Les règles des Rookie Games, en somme.
Hoseok sursauta lorsqu'un signal sonore fut émis, similaire à celui qui leur indiquait de se réunir pour les missions quotidiennes. Simultanément, les sept bracelets se mirent à briller, et par réflexe, Hoseok s'assit. Il avait remonté son drap jusqu'à sa taille, si bien que son pied bandé passait inaperçu et qu'il pouvait apparaître à l'écran. Muet, immobile, il baissa les yeux sur son poignet auquel était accroché ce bracelet de l'enfer. Il ignorait s'il désirait réellement voir les chiffres s'égrainer lentement.
Seokjin pour sa part se tenait au salon, où il avait rejoint les autres candidats pour attendre minuits à leurs côtés et tenter de trouver auprès d'eux un peu de réconfort. Namjoon et Yoongi s'étaient révélés particulièrement apaisants, quant aux deux maknaes, Jungkook et Taehyung, leurs chamailleries (qui leur permettaient essentiellement de dissimuler leur angoisse, bien évidemment) avaient eu le don de faire oublier à l'aîné ses tracas. Il avait même souri en les observant, touché par cette naïveté qui se dégageait de leurs gloussements.
À présent, toutefois, impossible de cacher la tension qui régnait. Tous installés sur le canapé et les fauteuils, ils se tenaient droits, le visage fermé, conscients que ça ne servait plus à rien de cacher leur anxiété. Ça ne servait jamais à rien d'essayer, chaque année l'ouverture des votes empêchait les recrues de dormir, et chaque année c'était la même inquiétude qu'on lisait sur leurs traits.
Une sorte de rituel dont se réjouissaient probablement les haters.
Seokjin posa une main réconfortante sur la cuisse de son voisin, Jungkook, de qui la jambe tressaillait. Ce dernier tourna son attention et son regard vers son aîné qui lui adressa un sourire bienveillant.
« T'inquiète pas, lui dit-il, toi t'as vraiment rien à craindre. Je sais que t'iras loin. »
Jungkook lui offrit un sourire timide malgré son haussement d'épaules. Il paraissait n'avoir aucune confiance en lui : s'il y avait bien un garçon qui survivrait au moins jusqu'à la finale, Seokjin était convaincu que ce serait Jungkook. Mignon, gentil, doué d'une multitude de talents... chacun avait beau le lui répéter, il demeurait le seul à ne pas croire en ses capacités.
Finalement, l'alarme retentit, les bracelets, jusque-là allumés, prirent un éclat différent, plus vif. Seokjin remarqua, à cause de la main toujours posée sur sa jambe, que Jungkook avait sursauté. Les autres n'avaient peut-être pas esquissé le moindre mouvement, mais il était évident que ça n'avait pas empêché leur cœur de bondir.
« Ça va aller, » murmura Seokjin.
Pourtant, lui-même était terrifié, et déjà son nez le piquait comme s'il s'apprêtait à pleurer.
Son père, sa mère, les meurtres... Quitte ou double : soit il mourait ici, soit il parvenait à leur échapper en devenant une immense star.
C'était les seuls moyens de fuir.
La gloire ou la mort
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