Chapitre 22 : Namjoon

Ces forums étaient de misérables places publiques destinées à un lynchage collectif. C'était pour cette raison que Namjoon, peu intéressé par l'opinion des autres à son sujet, ne s'y était encore pas rendu. Pourtant, la question posée quelques heures plutôt, bien qu'adressée à Jimin, lui avait serré le cœur. Tout ce qu'il savait de ce beau danseur, c'était qu'il possédait un corps de dieu, et qu'au détour de leur conversation qui avait suivi, Taehyung avait indiqué que c'était quelqu'un de passionné et de très sensible derrière son air glacial.

Ces commentaires immondes avaient profondément blessé le jeune homme qui s'était donné sans relâche pour perdre du poids, Namjoon en était convaincu.

Et des sujets de forums aussi laids que celui qui avait tant attiré l'attention, il en existait à foison : des critiques sur le physique de certains participants, des critiques sur leur voix, leurs entraînements, leur façon de s'habiller, et il y en avait même pour se permettre de prétendre que Taehyung était naïf et probablement stupide.

Taehyung... naïf... Au contraire, ce gamin de dix-neuf ans s'avérait sans aucun doute mille fois plus mature que ceux qui le jugeaient, mais il savait parfaitement qu'un garçon attachant et affectueux serait bien plus apprécié du public. Il voulait simplement, à sa manière, montrer le meilleur de lui-même.

Personne ici n'était stupide. Fou, sans doute, mais pas stupide. Car ils savaient qu'ils allaient mourir, même celui qui survivrait. Ils savaient. Ils n'étaient pas naïfs.

« Hyung... ?

— Ces gens me dégoûtent, murmura Namjoon. Regarde ça. »

Il lui montra son écran, mais Jungkook eut à peine compris de quoi il s'agissait que déjà il repoussait son appareil en grimaçant.

« Je veux pas savoir, marmonna-t-il, j'ai toujours détesté ces forums.

— Y a que les fous et les haters pour aimer ça.

— Sur terre, y a que des fous et des haters. Sinon ces saloperies existeraient pas. »

Namjoon tourna la tête vers son cadet, dont le visage exprimait à la fois l'inquiétude et l'écœurement.

Il songea que finalement, il n'y avait peut-être aucun fou dans cette villa... et que Jungkook n'était peut-être pas si aveugle qu'il l'avait d'abord cru.

« Viens là, gamin. »

Namjoon tendit la main à son camarade qui, sans hésiter, s'en saisit et le laissa l'attirer à lui. Il se trouvait par terre, en tailleur, et jusque-là Jungkook était agenouillé auprès de lui. Il prit cependant la même position que son aîné et accepta son étreinte ; il abandonna la tête contre son cou dans un geste qui le réconforta, et qui tira à Namjoon un soupir.

« Comment ça va se passer... quand le premier mourra ? murmura Jungkook.

— Je me pose aussi la question... Dans tous les cas, faudra rien montrer aux caméras, mais... j'aimerais qu'on reste soudés.

— Tu crois qu'on pourra l'être ?

— Je me pose aussi la question.

— Et nous deux, au moins, on pourra ?

— Si t'es sincère avec moi, je le serai avec toi. Tu peux me faire confiance.

— Ici, j'ai l'impression qu'on nous a volé jusqu'à notre intimité, admit le benjamin, mais je perdrai pas mes valeurs. Je ne veux pas ressembler... à mes parents. Je veux rester quelqu'un de bien.

— Tes parents sont pas des gens bien ?

— Mon père était un opposant au régime.

— C'est vraiment une si mauvaise chose ?

— Quand on a un enfant, oui. Ma mère l'a assassiné froidement sous mes yeux quand j'avais sept ans. »

Namjoon le serra plus fort de manière pourtant inconsciente. Il peinait à se figurer le traumatisme subi par ce pauvre enfant forcé d'assister à la mise à mort d'un parent par un autre. Il n'osa pas demander au jeune homme si sa mère avait été punie pour son crime, car la réponse paraissait évidente : le régime avait couvert le meurtre, et sans doute avait-il même discrètement félicité cette femme pour son acte.

Un monde fou.

« Je commence à avoir peur, avoua encore Jungkook, la fin de la première semaine se rapproche...

— Tout ira bien pour toi : t'as un visage d'ange et une voix divine, tu feras sûrement partie des chouchous. »

Ce fut au tour du cadet de se serrer un peu plus contre son ami, et ce dernier lui frotta délicatement le dos. Il profitait de cette étreinte, geste auquel il avait bien rarement le droit. Namjoon, en effet, avait quitté sa famille à l'âge de quinze ans pour vivre de sa passion pour le rap. Le pari avait été risqué, certes, mais ça avait fonctionné.

Ça n'avait simplement pas fonctionné comme il l'avait espéré, et désormais il en était là. Solitaire, sans doute en grand manque d'affection. Jungkook, parce qu'ils s'étaient beaucoup rapprochés, lui avait permis d'éprouver cette agréable sensation d'avoir quelqu'un sur qui veiller, un petit frère, en quelques sortes. Il s'était rapidement attaché au maknae de leur groupe, et il était touché que son camarade admette ainsi ses craintes.

« T'as des frères et sœurs ? demanda Namjoon.

— Non. Et toi ?

— Non plus. »

Les deux garçons demeurèrent silencieux. Namjoon s'apprêtait à reprendre la parole quand il sentit un pincement au niveau de son poignet. Il faillit protester lorsque son cadet le coupa d'un chuchotement qu'il ne perçut que parce qu'il fut soufflé près de son oreille : « Bracelet. »

Le second clignotement intervint à l'exact moment où Namjoon dirigea son regard sur son bras, après quoi la lumière se figea. Un instant, le jeune homme se demanda pourquoi il l'avait prévenu, toutefois il en comprit la raison quand l'étreinte se relâcha et que Jungkook parut plus détendu.

« Hyung, dit-il en esquissant une moue adorable, je suis content qu'on soit amis. On continuera de faire des collaborations, hein ?

— Ouais, si tu veux.

— Toi, t'en auras envie ?

— Oui, j'aimerais beaucoup : tu chantes tellement bien, Kook-ah. »

Jungkook s'écarta de lui pour lui offrir un sourire d'une douceur rassurante et, tandis qu'il le prenait une dernière fois dans ses bras, il murmura d'une voix étranglée par la détresse.

« S'il te plaît, sois mon grand frère. »

Il recula, lui offrit un dernier sourire, et s'apprêtait à repartir quand son aîné lui attrapa l'avant-bras de manière délicate. Il resta muet ; Jungkook se retourna et l'interrogea du regard – celui de Namjoon demeurait si mystérieux.

Le jeune rappeur déglutit et, avec un rictus mal assuré mais qui se voulait sincère, il acquiesça, les prunelles plantées dans celles de son camarade. Une puissante émotion traversa alors le visage du garçon dans les yeux de qui son ami put lire toute la reconnaissance qu'il éprouvait désormais.

Jungkook parti, Namjoon songea que la chaleur de son étreinte lui manquait déjà, mais une autre chaleur l'avait envahi à l'idée qu'il avait trouvé quelqu'un qui comptait sur lui, qui désirait se fier à lui, qui lui avait accordé sa confiance. Il avait trouvé quelqu'un qui aurait souhaité l'avoir comme frère et que lui-même aurait voulu qualifier de cette manière. Il lui semblait que Jungkook réclamait sans le dire non de l'attention, mais de l'affection, et une certaine forme de protection – raison pour laquelle, s'il s'était rapproché de Taehyung, c'était pourtant à Namjoon, un peu plus vieux que lui, qu'il était allé demander ça.

Il ignorait pourquoi, mais Namjoon sentait au plus profond de son être que Jungkook ne le trahirait pas, qu'il se montrerait honnête avec lui. Peut-être était-ce faux, peut-être avait-il simplement besoin d'y croire, et peut-être était-il fou d'y croire, mais ça importait peu.

Ils étaient tous fous, après tout. Et ils étaient tous là. Pourquoi s'être inscrits ? Namjoon s'avouait curieux, et sans doute oserait-il poser cette question qui lui brûlait les lèvres, mais pas maintenant. Il craindrait de froisser ses camarades, de faire remonter à leur mémoire de bien trop douloureux souvenirs. Il savait que parce qu'ils venaient de se rencontrer, ils voulaient tout connaître les uns des autres, et parce qu'ils avaient décidé de participer à un jeu pareil, c'était leur raison de mourir qu'ils voulaient connaître. Ils n'ignoraient pas les risques, ils les acceptaient.

On ne pouvait pas avoir la rage de vivre en s'inscrivant aux Rookie Games, ou bien il fallait être le plus fou parmi les fous.

Namjoon quitta la pièce à son tour, l'air songeur. En chemin, il croisa Seokjin qui se rendait au dortoir avec au visage une expression similaire à la sienne. Il paraissait dans la lune, presque soucieux, et le rappeur se demanda si lui aussi s'interrogeait au sujet des jours à venir, du premier décès qui ne tarderait plus, ou bien au sujet des secrets qui seraient tôt ou tard révélés, soit par la volonté des candidats eux-mêmes, soit par celle des spectateurs qui les obligeraient à parler.

Car ils savaient, également, que les concurrents étaient moins des garçons avides de gloire que des désespérés qui n'avaient pas trouvé le courage de se suicider et comptaient sur les autres pour mettre fin à leurs souffrances. C'était peut-être pour ça qu'ils n'éprouvaient aucun scrupule à les détruire.

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