Chapitre 16 : Seokjin

L'aîné du groupe était occupé à faire la vaisselle quand la sonnerie retentit, indiquant qu'une nouvelle mission allait être confiée. Ce jour-là, c'était au tour de Hoseok. Seokjin en avait entendu beaucoup de bien – de très nombreux éloges, même – mais jusque-là, le danseur était resté dans une salle, soit seul soit avec Jungkook qu'il coachait. Sans doute préférait-il s'entraîner sans personne autour...

Au salon, plusieurs garçons étaient déjà arrivés et patientaient sagement, assis sur le canapé. Lorsqu'ils furent réunis, le court suspens prit fin sous les regards de chacun – regards qui se voulaient neutres mais qui ne parvenaient pas à dissimuler leur nervosité. Ils se détendirent cependant lorsqu'apparut l'épreuve de leur camarade :

S'il te plaît, montre-nous comment tu danses.

Une question, pourtant, s'empara aussitôt de l'aîné : si le public voulait absolument le voir danser, ça signifiait que, comme lui, il n'avait toujours pas montré ses talents. Alors... dans ce cas, que faisait-il en salle de danse ? S'il avait dansé, il aurait forcément été filmé, même quelques instants. Est-ce que ça avait été le cas ? Avait-il dansé ? Non, sinon il n'aurait pas reçu une telle mission. Si la majorité des spectateurs désiraient le voir danser, ça signifiait bien qu'ils ne l'avaient encore jamais vu... non ?

Hoseok, l'air plus concentré que jamais, se redressa et se planta au milieu de la pièce, là où il avait assez de place pour une courte chorégraphie. Il avait laissé son portable à Jungkook qui démarra à son signal la lecture d'une chanson aux sonorités hip-hop. Aussitôt, le jeune danseur se révéla : des mouvements hachés, parfaitement en rythme et qui marquaient durement chaque temps de la chanson. Hoseok dansait divinement bien, il ne se contentait pas d'accompagner la musique, il semblait la guider.

Jungkook le regardait avec de grands yeux admirateurs et un large sourire innocent. Quelle douceur de voir ce jeune garçon apprécier autant le talent de son aîné, Seokjin éprouvait la sensation de retrouver la foi en cette humanité depuis trop longtemps perdue. La pureté existait encore...

La chorégraphie dura une petite minute, une minute durant laquelle pas une erreur ne fut commise, au plus grand soulagement de chacun. Du moins, c'était là ce que Seokjin avait cru, car lorsque, heureux à son tour, il tourna les yeux vers Jungkook, il constata que ce dernier ne souriait plus. Une ombre semblait s'être emparée de son âme pour ternir le bonheur enfantin jusque-là imprimé sur ses traits.

Seokjin voulut lui demander ce qui s'était passé, mais déjà chacun se séparait, si bien qu'il fut perdu par le flot de mouvements que ça engendra. Il sortit cependant et repéra Jungkook se diriger à la salle de bains, sans Hoseok. En pyjama, le maknae avait pourtant pris une douche à peine quelques heures plus tôt, justement après avoir passé un moment avec son ami. Ainsi, sa curiosité piquée au vif, Seokjin se décida à aller lui demander si tout allait bien.

Il avait changé d'expression beaucoup trop vite.

Seokjin se posta un instant devant la porte de la pièce à laquelle il hésitait à toquer. Les voix qui s'en élevèrent le convainquirent cependant de frapper : c'était les voix de Jungkook... et Hoseok.

« Occupé, » lança Jungkook d'un ton agacé.

L'aîné entra.

« Hyung, soupira l'autre, j'ai dit que c'était occupé. Qu'est-ce que tu fais ?

- Qu'est-ce qui s'est passé ? »

La question du jeune homme ne sembla pas désarçonner les deux participants qui échangèrent un regard. Hoseok, assis sur le rebord d'un lavabo, esquissa un faible acquiescement en poussant un soupir de dépit. Jungkook hésita, mais finit par avouer :

« Il est bien assez professionnel pour que ça passe inaperçu aux yeux de presque tout le monde, mais pas aux miens – et sûrement pas à ceux de Jimin non plus. Hoseok a dansé... avec une cheville foulée. »

Il acheva sa phrase avec une moue peinée et un regard pour son ami.

« T'aurais dû me le dire, lui reprocha-t-il, je croyais qu'on commençait à être proches.

- Justement, rétorqua le danseur, tu croyais que j'allais dire quoi ? « Salut Jungkook, ravi de te rencontrer, t'attache pas trop à moi parce que j'ai une cheville pétée et que je vais sûrement crever en premier. » Aucun doute, on serait devenus de super potes.

- Tu crois que j'aurais pas osé me rapprocher de toi en sachant ça ?

- Faudrait être fou pour s'attacher à un condamné. »

Jungkook râla tout bas avant de se diriger vers une petite armoire. Il l'ouvrit et en tira des antidouleurs ainsi que de quoi bander son pied.

« En serrant bien, indiqua-t-il, ça empêchera ton pied de trop bouger. Ça t'empêchera pas de danser, mais au moins ça t'obligera à te ménager le reste du temps. »

Hoseok opina sans répliquer. Ça se voyait que ça ne lui plaisait pas beaucoup, pour autant il comprenait que le bandage se révélait nécessaire à ce stade. Il souffrait de plus en plus à mesure que passaient les jours et les semaines, ça en devenait insupportable. Alors si ses mouvements pouvaient être limités, ça lui ferait sans doute du bien.

Jungkook s'appliqua à bander sa cheville nue, incorporant son talon également pour en limiter les mouvements. Ce fut alors qu'il terminait sa tâche que son aîné eut une révélation.

« Mais attends, comprit-il, ça veut dire que t'es venu ici alors que t'avais une cheville abîmée ? Déjà que nous on est pas nets, mais toi t'es un grand malade...

- J'avais pas le choix, répliqua simplement Hoseok en haussant les épaules.

- Bien sûr que si. Tu peux abandonner jusqu'au moment où t'arrives dans la villa. T'as pas lu le contrat ?

- On avait pas le même contrat, rit-il amèrement en se redressant avant de se tourner vers son cadet. Merci, Jungkook. Je vais aller m'allonger.

- Hoseok, les coupa Seokjin, qu'est-ce que tu voulais dire ? On a pourtant tous le même contrat, non ? »

Le jeune homme lui accorda un regard dénué d'émotions, un regard qui signifiait qu'il ne répondrait pas. Il s'en alla sans un mot de plus, laissant un Seokjin complètement perdu et un Jungkook dubitatif.

« Tu crois qu'il avait une clause particulière dans son contrat ? marmonna l'aîné. C'est suspect, non ?

- Je sais pas...

- Comment ça ?

- J'ai entendu dire que certains garçons talentueux acceptaient de participer aux Rookie Games à condition que leur famille touche une forte somme d'argent tout au long de leur vie. Il paraît que c'est arrivé juste deux ou trois fois, pour des participants vraiment exceptionnels que la production voulait voir dans l'émission.

- Ah bon ?

- C'est juste des rumeurs.

- Alors tu penses que la famille de Hoseok est pauvre au point qu'il a accepté de se sacrifier pour eux ?

- Je pense que beaucoup d'entre nous, de toute façon, sont bien assez malheureux pour se sacrifier, même sans contrepartie.

- T'es un gosse déprimant, Kook.

- Je sais. »

Sans doute parce qu'il était également un gosse déprimé, mais Seokjin n'osa pas le lui dire. Ici, ils avaient très probablement tous de bonnes raisons d'être déprimés.

Le plus vieux des candidats quitta la salle de bain en même temps que son cadet, lorsque ce dernier eut terminé de ranger le matériel de premiers secours. Chacun paraissait pensif, et chacun l'était : qu'un danseur participe aux Rookie Games avec une cheville foulée, c'était comme un chanteur qui décidait de s'inscrire malgré une extinction de voix : c'était une folie. C'était du suicide.

Alors qu'est-ce qui l'avait empêché d'abandonner ?

Ni l'un ni l'autre n'aurait l'indélicatesse de lui poser la question, mais sans doute Hoseok se doutait-il qu'il avait éveillé la curiosité de ses amis avec ces paroles énigmatiques...

« C'est bizarre, hein, reprit Seokjin, parce que j'ai l'impression qu'il est loin d'être le seul à nous cacher quelque chose d'important. »

Jungkook haussa les épaules avant de s'éloigner sans un mot de plus – il se montrait plus bavard avec Hoseok, et beaucoup plus amical avec Taehyung. Avec une moue boudeuse sur le visage, Seokjin regagna le jardin, endroit où il adorait chanter. Là où la villa se trouvait, en effet, les parois des montagnes alentour offraient un écho divin qui répercutait de manière envoûtante le son de sa voix. S'il poussait suffisamment sur ses cordes vocales, son chant pouvait devenir aussi hypnotisant que celui des sirènes.

C'était une sensation qu'il adorait.

Étrange, d'ailleurs, de songer qu'il ne s'était jamais senti aussi à son aise que dans ce couloir de la mort qui n'attendait qu'une faute de sa part pour le faire passer dans l'au-delà...

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