Chapitre 13 : Jungkook

Après un regard pour Namjoon qu'il n'avait toujours pas osé aborder, Jungkook vira au rouge et fila au salon. Taehyung avait passé la matinée avec lui, ils avaient chanté ensemble, et Jungkook lui avait montré quelques pas de danse qu'il aimait beaucoup. Le jeune garçon se sentait soulagé de constater que pour le moment, aucune rivalité ne les opposait : au contraire, ils s'entraidaient, s'apprenaient ce qu'ils savaient pour s'améliorer.

Mais combien de temps cela durerait-il ? Jungkook ignorait si, une fois la semaine achevée et les enjeux réels, chacun continuerait d'agir en faisant preuve d'une telle honnêteté. Sans doute les vraies personnalités se révéleraient-elles à cette occasion – et il espérait que ces personnalités soient celles qu'il avait déjà sous les yeux.

Ainsi, alors que sa matinée lui avait paru sensationnelle – décidément, il s'entendait bien avec Taehyung qui lui témoignait toujours énormément d'affection et le traitait comme son petit frère –, son après-midi cependant était ennuyeux. Taehyung se trouvait avec Yoongi depuis une bonne heure, quant à Hoseok il se reposait et Jungkook craignait de le déranger. Les autres garçons, soit ils s'occupaient de leur côté, soit le benjamin n'osait pas aller leur parler.

Il s'installa donc au salon : l'horloge indiquait deux heures moins dix, la deuxième mission allait bientôt être annoncée. C'était au tour de Yoongi. Une curiosité malsaine poussa Jungkook à se demander comment le rappeur réagirait s'il venait à échouer devant un défi trop complexe – ou qui ne s'avérerait tout simplement pas adapté à lui. En effet, Jimin et lui paraissaient très détachés. Jungkook se sentait incapable de décrire exactement la raison pour laquelle il éprouvait une telle sensation, mais ces deux garçons semblaient déconnectés du monde réel.

Ils donnaient même l'impression de se moquer de la faucheuse elle-même.

Tout à ses songes, les dix minutes passèrent vite pour Jungkook qui sursauta lorsque sonna l'alarme indiquant une nouvelle mission. Il fut rejoint par ses six concurrents qui, tous, lui adressèrent un geste poli en arrivant. Tendu, il retrouva le sourire quand Taehyung prit place auprès de lui et posa par réflexe une main sur sa cuisse.

« Ça va ? demanda-t-il. T'as l'air ailleurs.

— Non, ça va, ça va. J'étais juste... perdu dans mes pensées. On pourra encore faire des trucs ensemble, après ?

— Désolé mon Kook-ah, l'alerte nous a coupés dans notre travail, Yoongi et moi on a encore beaucoup à faire.

— Oh... ce soir, alors ?

— Ouais, on dînera ensemble, ça marche ?

— Ça marche ! Je pourrai demander à Hoseok-hyung de se joindre à nous ?

— Carrément !

— Je marche, indiqua Hoseok – lui qui était assis au bout du canapé, il avait entendu toute la conversation.

— Cool ! »

Ravi de constater qu'il s'entourait, Jungkook se sentit rassuré et laissa poindre sur son visage un large sourire. La paume appuyée sur sa cuisse lui réchauffait le cœur bien plus que la jambe.

Le nom de Yoongi apparaissait sur l'écran, accompagné de l'habituelle icône de chargement. Chacun se tut, et bientôt une phrase remplaça cette image.

Yoongi,

Montre-nous à quel point ton rap est rapide, s'il te plaît.

Un rictus naquit sur les lèvres du jeune homme que les six autres regardaient désormais avec curiosité. Il se redressa et quitta la pièce, sous les yeux surpris des garçons qui ne comprenaient pas sa réaction.

« Il va quand même pas planter les téléspectateurs, hein ? murmura Hoseok.

— T'es fou, rétorqua Taehyung, il est pas suicidaire.

— Alors il fout quoi ?

— Je suis sûr qu'il va revenir. Si ça se trouve, il est allé se changer pour faire plus « rappeur », là il était en pyjama...

— Euh... tu crois ?

— Aucune idée, mais au moins je propose des trucs. »

Jungkook leva les yeux au ciel devant la conversation de ses aînés. Le suspens, par chance, ne dura que quelques instants : au terme d'une courte minute, Yoongi était de retour, avec entre les mains un micro et une petite enceinte, deux objets empruntés au studio dans lequel il composait un peu plus tôt en compagnie de Taehyung.

Il connecta son portable à l'enceinte puis alluma le micro. Une musique s'éleva, bientôt Yoongi fit entendre sa voix. La chanson, si elle ne démarrait pas particulièrement vite, s'accéléra soudainement au point que Jungkook éprouvait la sensation de ne plus avoir le temps de comprendre ce que son aîné disait. Pourtant, la prononciation du rappeur méritait toutes les louanges du monde tant elle se révélait claire en dépit de la rapidité exigée par le morceau. Il articulait parfaitement, mais son allure, elle, était trop importante. Il fallait à ses camarades un moment de réflexion pour saisir les paroles, et ça les fascinait.

« Hyung, c'était incroyable ! s'émerveilla Taehyung une fois la chanson terminée. Ouah, j'adorerais tellement savoir faire tout comme toi !

— Merci, Tae. »

Le message sur l'écran disparut, chacun pouvait retourner à ses occupations. Le duo repartit à son studio, quant à Jungkook il alla au dortoir, songeant aux missions quotidiennes : les premières s'axaient en général sur les compétences, les talents cachés. Bien sûr, il s'agissait là de ce qui intéressait d'abord le public. Or, il savait que ça changerait. Certaines tâches s'étaient révélées atroces, et d'emblée le jeune garçon sentait son estomac se nouer chaque fois que tournait cette icône de chargement.

Quand est-ce que les spectateurs iraient trop loin ? Quand demanderaient-ils ce qu'ils n'étaient pas supposés demander à de simples trainees ?

Perds deux kilos, s'il te plaît.

Raconte-nous pourquoi ta mère est morte, s'il te plaît.

Dis-nous si tu as déjà été arrêté, s'il te plaît.

Des actions infaisables, des souvenirs invivables, des secrets inavouables. Ce n'était pas sept êtres humains que le public regardait, c'était sept robots qui, pour survivre, étaient prêts à se plier au moindre de leurs ordres, aussi fou soit-il. Combien de garçons avaient été détruits par les missions quotidiennes...

Ça expliquait le haut taux de suicide parmi les gagnants. Mieux valait laisser son âme à l'extérieur de la villa... et mieux valait, surtout, ne pas la récupérer si on en sortait vivant.

Jungkook attrapa son portable et, pour la première fois depuis son arrivée ici, il se connecta à internet. Le seul site disponible était celui des Rookie Games. Le jeune homme l'ouvrit et appuya sur la rubrique dédiée aux forums. Chacun était libre d'y poster tout et n'importe quoi, tant que ça se rapportait aux jeux. Et les spectateurs savaient que les participants pouvaient parfaitement lire leurs messages.

Mais là encore, ça n'arrêtait pas même les moins téméraires qui, sous couvert de l'anonymat, devenaient des serpents au venin aussi puissant que les pires langues de vipère. Il ne s'y trompa pas : si, pour le moment, la plupart des conversations se centraient sur les premières impressions laissées par la villa et les candidats – impressions positives, dans l'ensemble –, déjà certaines discussions souhaitaient la mort d'untel ou untel, tandis que d'autres pointaient chez tel participant un défaut imaginaire.

Défaut réel : sa gueule me revient juste pas, qu'il crève.

C'était l'idée. Il ne mentait pas, de pareils messages apparaissaient parfois. Pas souvent les premiers jours, c'était encore trop tôt, mais peu à peu la haine finissait par s'imposer dans les cœurs et les mots. L'Antiquité avait eu sa gladiature, le présent avait ses Rookie Games. Pas besoin de s'entretuer, les votes s'en chargeaient. Et pas un votant ne se sentait coupable, car ils étaient après tout si nombreux à contribuer à la mort d'un garçon : ils n'étaient qu'une poussière, ce n'était pas leur faute. Si tous les autres n'avaient pas voté contre ce même candidat, ce dernier ne serait pas mort.

Au lieu de songer que c'était une faute partagée, il leur semblait que ce n'était la faute de personne. De cette manière, ils n'avaient pas à supporter le fardeau du décès d'un jeune homme. Ils n'y pouvaient rien.

« Jungkook-ah, tu rêvasses ? »

L'appelé haussa les épaules en détournant les yeux. C'était Namjoon. Même pas besoin de le regarder pour le reconnaître. Sa voix de velours était si particulière qu'il ne pouvait pas le confondre.

« Pourquoi tu me parles jamais, à moi ? s'enquit le rappeur en venant s'asseoir au bord du lit de son cadet. J'ai l'impression que tu m'évites. Toi aussi tu me trouves moche, comme tous ceux qui me haïssent ?

— Moche ? s'insurgea tout à coup Jungkook. Mais qu'est-ce que tu racontes ! T'es magnifique ! Et quand bien même tu le serais pas, ta voix, tes textes, ton talent... ils te rendent encore plus beau que tu l'es déjà, tu... euh... e-enfin, je veux dire... t'inquiète, non, j-je te trouve pas moche.

— Tu connais mes textes ? s'étonna-t-il.

— Ouais, enfin... possible.

— Alors c'est pour ça que tu venais jamais me parler ? En fait, t'osais pas ? »

Namjoon avait si souvent affronté des critiques au sujet de son physique qu'il avait sincèrement cru que Jungkook cherchait à l'éviter à cause de ça, alors qu'en vérité... ce gamin l'adorait et ne souhaitait tout simplement pas le montrer ?

Les rougeurs sur les joues de son cadet trahirent la réponse qu'il refusait de donner.

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