Chapitre 12 : Yoongi
Semaine 1 – Jour 2.
Seul avec lui-même et sa musique, Yoongi se trouvait depuis plusieurs heures déjà dans son studio. Bon, il ne s'agissait pas tout à fait de son studio, néanmoins il le considérait comme tel. Il avait d'emblée décidé qu'il y élirait domicile chaque nuit, et ça ne semblait déranger aucun autre membre de leur petit groupe, puisque chacun dormait.
La nuit, pourtant, révélait aux yeux humains les beautés les plus insaisissables. La lumière du jour aveuglait, tandis que celle, douce, de la lune, rendait l'invisible tout à coup évident. La perception que Yoongi avait des ténèbres paraissait peut-être spéciale à certains, quoi qu'il en soit, il se sentait beaucoup plus inspiré une fois le soleil couché.
La musique lui apparaissait de manière plus claire, les notes chantaient avec plus de grâce, et le monde lui-même témoignait d'une harmonie plus délicate.
Un jour, il avait écrit quelque chose comme ça dans une de ses rédactions. Son professeur lui avait fait remarquer qu'il montrait là une vision profondément romantique de l'univers. Il n'avait pas très bien compris. Il n'était toujours pas tout à fait sûr de comprendre.
Tout à ses compositions et à l'avancée de sa mixtape, il ne s'octroya une pause qu'aux alentours de deux heures et demie. Assoiffé, il fila à la cuisine se servir un verre d'eau qu'il avala d'une traite. Or, à son retour, il se rendit compte que la salle de danse la plus proche de son sanctuaire – oui, il désignait ainsi son studio – était occupée. Le voyant rouge berçait de sa lumière faible le couloir obscur.
Il hésita un instant avant de se raviser : il se moquait bien de savoir quel autre garçon vivait à la manière d'un oiseau de nuit. Il n'était pas venu ici nouer le moindre lien, il était venu ici pour la musique, et pour prouver à ses haters que ses morceaux pouvaient plaire et lui attirer le soutien du public. Un soutien qu'il espérait vivement recevoir une fois qu'il dévoilerait son travail acharné.
De retour à son ordinateur, Yoongi se remit à l'œuvre avec une ardeur nouvelle, comme saisi tout à coup par un regain d'énergie. Le simple fait de penser à ceux qui le méprisaient lui redonnait la force de se dépasser. Il était animé d'une hargne féroce, sentiment qui contrastait profondément avec l'allure tranquille qu'il montrait toujours et que la nuit paisible lui inspirait.
C'était cette dualité que ses fans adoraient chez lui : tantôt il était une flamme qui brûlait doucement, tantôt il se changeait en un brasier dévastateur qui hurlait sa fureur. Ses chansons portaient en elles ce combat permanent qui se jouait en son âme, et ses mixtapes exprimaient des émotions si honnêtes – si brutes – qu'elles avaient souvent su séduire un large public, même si Yoongi ne demeurait connu que des amateurs de rap.
Lorsque l'heure affichée sur son écran lui indiqua que sa muse était désormais couchée, Yoongi referma ses fichiers, les sauvegarda et quitta la pièce. Parce que son ventre criait famine, il alla mollement à la cuisine réchauffer un peu de riz qu'il accompagna d'un simple bouillon. Épuisé chaque fois qu'il faisait fonctionner son cerveau pendant une nuit entière – car il comptait parmi ces rares personnes capables de se concentrer pendant sept à huit heures –, il mangea sans entrain. Il se tenait affalé sur la table et ses yeux se fermaient presque.
Alors qu'il s'attelait à la vaisselle, quelqu'un entra. Un garçon de sa taille (le seul, à vrai dire, qui n'était pas plus grand que lui), l'air absent et le teint blafard, qui se dirigea mécaniquement vers le frigo pour en tirer une bouteille d'eau.
« Jimin ? »
Yoongi crut s'être trompé de nom, or l'appelé releva la tête dans sa direction. Ses cheveux dégoulinaient de transpiration alors même qu'il n'y avait sur son visage pas la moindre trace d'un quelconque effort.
« Tu dansais ? demanda Yoongi.
— Oui. Tu composais ?
— Oui. »
Parce que chacun était peu habitué à la conversation, ils se contentèrent d'acquiescer et se souhaitèrent une bonne journée avant de se séparer. Yoongi se rendit à son dortoir. Hoseok et Namjoon dormaient encore, quant à Seokjin, le rappeur se souvenait de l'avoir vu, par la fenêtre de la cuisine : il était allé prendre l'air à l'occasion d'une promenade matinale.
Yoongi s'allongea, un léger sourire aux lèvres : une nouvelle nuit s'achevait, une nuit à l'occasion de laquelle le travail qu'il avait fourni le satisfaisait. Il aimait cette sensation de ne pas avoir perdu son temps. Rentabiliser la vie. Drôle d'idée, quand même. En vérité, il souhaitait laisser une trace de son passage à l'humanité. Sans doute cette prétention venait-elle de sa vanité, mais il songeait qu'au moins, lui y parviendrait peut-être. Chacun espérait ne pas vivre en vain. Yoongi comptait bien y arriver.
Il ne se rappela pas ce dont il avait rêvé.
« Hyung... hyung, réveille-toi. J'ai besoin de ton aide... Yoongi-hyung.
— Quoi... ? grommela-t-il alors qu'il ignorait à qui appartenait cette voix qui le dérangeait.
— Je voudrais apprendre le rap, tu peux m'aider ? »
Ah, si, il remettait enfin un nom dessus : Taehyung. Euh... oui, si, c'était lui le garçon qui collait tout le temps Jimin, et qui arborait toujours un large sourire. Ouais, Taehyung.
« Pourquoi le rap ? grogna Yoongi. Tu sais chanter, non ?
— Ouais, mais faut que je fasse mieux si je veux avoir une chance de l'emporter, s'il te plaît, hyung. Je t'aiderai à chanter, et toi tu m'apprends le rap. On pourra écrire ensemble, même. Allez, dis oui ! »
Yoongi râla, enfonça la tête dans son oreiller, allongé sur le ventre, mais finit par tourner le visage pour observer son cadet qui le fixait avec un regard suppliant et débordant d'espoir. Yoongi ne résistait jamais longtemps à ça : voir quelqu'un de passionné par la musique constituait probablement sa plus grande faiblesse. Impossible de ne pas céder à cette petite bouille qui réclamait son aide.
Et puis... après tout, il pouvait bien aider un jeune à entrer dans le rap. De cette manière, si Taehyung l'emportait, il incarnerait les valeurs qu'il lui aurait transmises. De cette manière, l'esprit de révolte qu'il tentait d'exprimer dans ses chansons ne se perdrait pas – du moins pas tout de suite.
« Ça marche, acquiesça-t-il donc. Mais laisse-moi un peu de temps pour me réveiller. Il est quelle heure ?
— Bientôt midi, Jin-hyung est occupé à faire un bon déjeuner pour tout le monde.
— Jin ? Seokjin, tu veux dire ?
— Oui, il a dit de le surnommer Jin. Namjoon l'a même appelé Jinnie, c'était mignon.
— Moi je préfère Seokjin.
— Peu importe, tu fais comme tu veux, tu sais...
— Laisse-moi me reposer encore un peu, j'arrive.
— D'accord, merci ! »
Taehyung fila, ravi. Il lui fallait absolument aller le plus loin possible dans l'aventure, parce qu'il lui fallait absolument demeurer auprès de Jimin le plus longtemps possible – et son ami serait le chouchou du public, il compterait probablement parmi les finalistes. Il devait rester à ses côtés. Pourquoi ? Aucune idée, mais Taehyung désirait plus que tout obtenir le privilège d'être dans son ombre jusqu'à ce que son heure vienne. Il partirait heureux s'il pouvait partir le cœur léger, en sachant que Jimin vivrait – que Jimin lui survivrait.
Pour cela, cependant, il devait plaire au public, et pour plaire au public, mieux valait assurer ses arrières. S'il apprenait le rap en plus du chant et de la danse, il pourrait peut-être s'en sortir un moment.
Et puis... il avait toujours admiré les rappeurs, il avait entendu parler de Yoongi quelques mois plus tôt et dès les premiers morceaux, il l'avait adoré. Sa vitesse impressionnait et de ses textes émanait une touchante sincérité ainsi qu'une brutalité sans nom.
Si quelqu'un devait lui apprendre le rap, il fallait que ce soit Yoongi. C'était son style qu'il préférait par-dessus tout, c'était avec lui qu'il se sentirait le plus à l'aise, qu'il pourrait s'épanouir. Il avait écouté la veille des chansons de Hoseok, de Namjoon, et s'ils avaient un talent indéniable, Taehyung éprouvait simplement une attirance particulière pour l'œuvre de Yoongi.
Les goûts et les couleurs...
Yoongi, en tout cas, finit par se redresser, parfaitement inconscient de l'émerveillement qu'il provoquait chez ce jeune admirateur qu'il retrouva à la cuisine quelques instants plus tard. Il n'avait pas le courage de manger quoi que ce soit, surtout pas au réveil, si bien qu'il proposa à son cadet de le rejoindre dans un des studios une fois qu'il aurait terminé son déjeuner. Sans un mot de plus, il s'en retourna là où il avait pris l'habitude de passer ses nuits, et ce fut au terme d'une longue demi-heure qu'il entendit frapper à la porte et que son ami – il pouvait le considérer comme tel, à présent – entra.
« Désolé, s'excusa Taehyung, j'aidais Jin-hyung à la vaisselle. »
Chacun remarqua le signal lumineux de leur bracelet : leur duo était filmé. Sans doute les régisseurs estimaient-ils que les téléspectateurs pourraient apprécier de les voir s'entraider. Difficile de rester naturel, dans un pareil cas. Crispé alors qu'il essayait de se détendre, Taehyung referma la porte avant de prendre une chaise qui traînait dans un coin. Il s'installa auprès de son ami et lui accorda un regard timide mais heureux.
« Je suis prêt, affirma-t-il, apprends-moi. »
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