11010 (26.2)
Pendant quelques secondes, il me considère un peu étonné et apeuré, paraissant complètement hésiter entre m'obéir et rester pour mieux comprendre ce qu'il m'arrive. Si seulement je pouvais le regarder, suppliante, je pourrais sans doute l'aider à se décider... Son attitude me fait vraiment craindre qu'il tienne à rester, voire que, pire encore, il se rapproche encore plus de moi. Mais par chance, des pas se rapprochent, ce qui l'oblige à prendre la bonne décision, presque de manière forcer, mais au moins, il sort de sa chambre. Presque exactement au moment où il me laisse seule face aux hackers, que je me fais encore happer par les lignes de codes, perdant le contrôle de ma caméra en plus, n'ayant plus rien pour surveiller l'extérieur.
Mais je ne garde pas un écran noir longtemps très vite, je me retrouve comme propulsée dans la caméra d'un téléphone portable, impossible par contre de savoir si c'est un appareil à proximité de l'ordinateur qui m'a piratée. Je ne comprends pas ce que ça signifie ni quels sont leur intention en faisant ça. Mais de toute façon, même en le sachant, ça ne m'aiderait pas plus, alors je n'y réfléchis pas vraiment et me concentre plutôt sur ce qui m'entoure.
Le téléphone dans lequel j'ai « atterris » a beau avoir une caméra médiocre contrairement à ce que mes yeux peuvent voir en temps normal, je distingue tout de même sans problème, face à moi, une surface plate et carrelée. C'est sans doute un plafond, ressemblant à tous ceux présents dans les grands immeubles d'entreprise, ce qui ne permet pas de me situer, même s'il n'y avait de toute manière très peu de chance que je connaisse le lieu. Et à part ça, je ne distingue rien, j'aperçois peut-être une partie d'un mur blanc, paraissant jaunie par le temps ou par un défaut de la caméra, mais je n'en suis pas certaine et de toute façon, ce n'est pas un très gros indice.
Soudain, je suis déplacée dans un mouvement flou dû à un geste trop rapide. Malgré ça, je distingue à peu près le reste de la pièce qui n'est autre qu'un bureau où se trouve environ trois ordinateurs, peut-être plus. Quand l'écran se stabilise à nouveau, je suis face à une femme d'environ la cinquantaine, à la peau hâlée des Hawaïennes et aux cheveux bruns assortis à ses yeux marrons. Malgré les rides de son visage et les pattes d'oies aux coins de ses yeux, c'est une très belle personne.
Je la reconnais quasiment immédiatement, c'est Kakalina O'donnell, pirate de renom, longtemps surnommé Ghost Bug après avoir mis à mal les agences gouvernementales comme la NASA, le Pentagone et le FBI bien qu'elle n'a jamais été citée dans l'actualité. Sans parler du fait qu'elle a presque pris intégralement le contrôle des serveurs des plus grosses entreprises américaines. Mais ça, ce n'est pas le plus inquiétant, ce qui m'effraye le plus, c'est que Kakalina a déjà réussi à s'introduire dans les ordinateurs du projet RONII. C'est d'ailleurs après ça qu'elle a arrêté toute activité malveillante pour être à la place embauchée par l'entreprise pour tester mon imperméabilité informatique face à l'extérieur. Je me suis donc fait attaquer par la personne qui connaît le mieux mes failles au monde et pour l'instant, impossible de connaître ses motivations.
— Désolée ma belle... s'excuse la pirate face à son écran en s'adressant clairement à moi.
Elle paraît sincère, je ne comprends pas pourquoi, j'ai presque l'impression qu'elle a été forcée de me faire ça, c'est perturbant... Je ne sais même pas ce qui se passe, rien ne me semble compréhensible dans ce qui est en train de se passer...
— Je suis vraiment désolée pour ce que je t'ai fait, mais je dois absolument te montrer quelque chose, c'est très important, fais-moi confiance.
C'est presque tentant de lui faire confiance, après tout, elle ne paraît pas dangereuse pour l'instant. Mais le problème, c'est qu'il est assez facile de mentir, elle peut aussi très bien m'avoir empêchée de détecter ses mensonges et après tous, il ne faut pas non plus que j'oublie ses antécédents... ce qui fait que là, actuellement, je peux soit lui faire confiance, soit m'en méfier complètement. Je ne sais même pas ce qu'il vaut mieux faire, je n'ai aucun moyen d'en juger et aucune preuve allant dans un sens ou dans un autre. Et de toute manière, quoi que je fasse, je suis impuissante.
De toute façon, je ne sais pas si ça changerait quelque chose, après tout, je ne peux rien faire, je ne peux ni me défendre, ni fuir, ni même parler... Je ne sais même pas ce qu'elle veut me montrer... Je ne sais même pas quelle situation peut être suffisamment importante pour me pirater alors que je serai normalement face à elle dans une heure...
Kakalina me regarde encore quelques instants, presque hésitante, comme si elle ne savait pas exactement ce qu'elle compte faire. Puis elle laisse retomber son bras me faisant regagner la vue d'ensemble, me permettant de reconnaître son bureau, au siège du projet RONII, maintenant, je sais où je suis, aucun doute là-dessus. Mais ça ne m'éclaire absolument pas sur la situation, au contraire. Elle sort de la pièce et vu les mouvements que je subis, je dois être dans une poche, je ne dois plus être dans sa main.
Elle fait quelques mètres dans le couloir avant de rentrer dans la pièce voisine qui n'est autre que le bureau de Cali, mon arrière-arrière-arrière-arrière cousine avec sans doute une dizaine d'arrières en plus, en tout cas, c'est ce qu'il me reste de ma famille biologique. Et c'est sans doute aussi l'une des personnes les plus proches « génétiquement » de moi. Mais nous n'avons aucune ressemblance, elle a les cheveux bruns, la peau bronzée, les yeux noisette et elle est plus grande et maigre que moi.
— Kakalina, ça me fait plaisir de vous voir, ça fait longtemps, vous allez bien ?
Pourquoi la situation est si décontractée alors que quelque chose d'important doit m'être montré, ce n'est pas normal, ça ne devrait pas se passer comme ça ! Rien ne devrait se passer comme ça d'ailleurs...
— Je vais bien et si vous voulez tous savoir, j'ai bien terminé le travail demandé. Par contre, est-ce que je peux me permettre une question ? Je me demande tout de même pour quelle raison doit-on réinitialiser et reprogrammer entièrement Ronii, votre e-mail n'expliquait rien...
— Il faut la reprogrammer pour tout reprendre depuis le début, elle est devenue trop humaine, elle doit tout oublier, explique Cali semblant haineuse dans ses propos, comme si elle me détestait. Sinon elle va causer notre perte, elle est devenue trop dangereuse, pour elle, comme pour nous... Maintenant qu'elle réfléchit uniquement par elle-même et qu'elle est même amoureuse, c'est bien trop risqué, nous ne savons pas ce qui peut passer, ce qu'elle peut penser, voire ce qu'elle peut découvrir. Il faut impérativement que tout s'arrête et qu'elle ne se souvienne de plus rien. Et effectivement, son programme est également à revoir, elle a trop de sentiments et ses dysfonctionnements se développent bien plus vite que prévu, ça va devenir extrêmement dangereux.
J'ai du mal à assimiler ses paroles, elle semble irréelle. Pourtant, impossible qu'elle n'ait pas été dite. Peut-être qu'elles ne sont pas prononcées en direct et que c'est simplement un enregistrement, mais ce n'est pas un montage audio ou vidéo, tout concorde beaucoup trop et il n'y a aucun défaut, ce qui n'est pas possible pour la falsification de documents, il y a toujours des traces du support, même quand c'est merveilleusement bien fait. Et quand bien même ce serait un montage, pourquoi diable quelqu'un voudrait me montrer ça ? Il y a forcément une raison, un argument, un fond de vérité.
— Ce serait vraiment aussi dangereux que ça ? insiste Kakalina, dont je devine bien l'agacement et la frustration, même si je ne fais que de l'entendre. Et ses émotions, nous les avions pourtant choisies pour la rendre humaine comme ses pères le voulaient ?
En tout cas, si tout ceci est entièrement faux, ça a été fait pour avantager la pirate, ce qui ne semblerait pas non plus logique niveau de l'ambition des personnes qui en seraient la cause. S'il y a bien quelque chose dont je peux être certaine, c'est que c'est bien réel, impossible autrement.
— Il ne faut pas non plus oublier que c'est un robot, elle n'est pas humaine, certaines émotions ne sont pas pour elle, ce serait trop problématique vu la mission qu'elle va devoir accomplir. Maintenant que ses émotions prennent trop de place dans sa vie, elle ne sera plus capable de regarder l'humanité mourir comme elle est censée le faire. Elle ne peut pas être amoureuse, ce n'est pas une gamine écervelée, c'est un robot, rien d'autre. Il ne faut pas l'oublier et actuellement, ce n'est plus la fille de personne, ses parents sont morts depuis longtemps, nous n'avons plus à obéir à aucune de leur ordre. À présent, Ronii n'existe plus que pour transmettre le savoir de l'humanité, les sentiments n'ont plus leur place, ils ont été laissés par principe, mais vu qu'ils posent des problèmes, il ne faut plus qu'elle en ait.
J'ai l'impression d'être complètement sous le choc, de ne plus savoir comment réagir. J'ai déjà pris un sacré choc avec le premier monologue, mais là ça m'achève, je n'arrive même plus à assimiler ce que je viens d'entendre. Normalement, Cali est une personne douce qui est toujours gentille, qui est toujours aimable et même si je la vois peu, je la considère comme l'une de mes proches. Mais là, elle est dure, pas seulement parce qu'elle est en colère, plutôt parce qu'elle paraît tellement... naturelle... elle paraît si convaincue par ce qu'elle dit, c'est effrayant... Je n'ai même pas envie d'y croire...
Ça pourrait clairement être une farce, tout ça pourrait très bien être faux, je suis un robot qui a été piraté, je pourrais être manipulable facilement. Ça pourrait être des images de synthèse, c'est envisageable. Je pourrais aussi très bien avoir tout inventé, ce serait peut-être possible après tout. Ce serait toujours plus plausible que le fait que tout ça soit vrai, je ne veux de toute manière pas y croire. Et je préfère de toute façon l'option que tous soient faux.
Malheureusement, il y a beaucoup trop de risques que ce ne soit pas le cas, il faut bien que je me l'avoue... Même si je ne comprends pas tout et que je ne vois plus bien les raisons, il y a de trop fortes probabilités pour que tous soient vrais, je dois bien me le reconnaître. Et ce bien que je ne comprenne pas trop l'intérêt que Cali et tous les autres auraient eu à me mentir... Je ne peux pas me mettre en plus à douter de ce que je vois ou entends, je suis presque obligée de penser que tout ça s'est passé dans la réalité, même si je doute et même si je ne suis plus sûre de rien. Au moins, ce qui est certain, c'est que maintenant que je sais tout ça, je n'irais pas au rendez-vous ou alors je n'y irais pas dans la même optique, c'est inévitable.
De nouveau, je me retrouve face à un écran noir, mais cette fois, je ne pense pas que ce soit en rapport avec le piratage, je pense plutôt de Kakalina à cacher la caméra, même si je ne peux en être complètement sûre.
— Oui, bien sûr... commence-t-elle hésitante.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top