11010 (26.1)

 Je ne ferais pas en sorte d'arriver en retard, bien sûr, même si ce n'est pas l'envie qui me manque. Ça ne sert à rien de repousser l'inévitable, à un certain stade... quand il faut y aller, il faut y aller. Il n'y a plus vraiment le choix. J'ai déjà eu de la chance d'avoir une aussi grosse marge, je ne vais pas abuser en plus. C'est la fin, c'est la fin, point, ça ne se discute pas. J'espère qu'Elijah ne va pas trop me retenir ni m'en vouloir de ne pas lui en avoir parlé... Hier, j'aurais vraiment dû le faire, mais je n'ai pas eu le courage, il était si heureux...

Il ne me reste plus qu'à attendre qu'il se réveille en tâchant de ne pas trop réfléchir à ce que je vais lui dire. Je préfère profiter du peu de temps que j'ai encore à ma disposition, calmement, en ne pensant à rien de « mauvais », juste en le regardant une dernière fois avec mes yeux de fille amoureuse.

Bien sûr, le temps passe vite, beaucoup trop vite, et, en ce qui me semble être à peine un claquement de doigts, les dix minutes disparaissent sonnées par le gong. Ou plutôt le réveil d'Elijah. Il ouvre les yeux, un sourire déjà sur ses lèvres, ne s'attendant pas à me voir encore dans sa chambre et ne sachant pas encore que la journée ne sera pas belle et heureuse. Ma présence aurait quand même dû lui mettre la puce à l'oreille, mais pour lui, ça doit au contraire être une bonne chose, alors que l'heure de la mauvaise nouvelle a sonné.

C'est vraiment atroce, je n'ai pas envie de lui dire, je n'ai pas envie de gâcher ce sourire, je n'ai pas envie... Je sais bien qu'il faut le faire, mais je n'ai tellement pas envie, c'est presque au-dessus de mes forces. Mais ce serait lâche et injuste de partir sans le prévenir et de revenir en étant de nouveau moi-même, celle qui ne peut pas l'aimer...

Lui, toujours inconscient de ce qui va arriver, arrête son réveil avant de se retourner vers moi et de murmurer :

— Bon anniversaire...

Il y a presque qu'une chose à ne pas faire, c'est de me rappeler cette foutue date, j'ai envie de tous, sauf qu'il me rappelle mon anniversaire. J'ai juste envie qu'il n'arrive pas et que nous soyons éternellement bloqués au 7 décembre, c'est un bon jour après tous...

— Merci... répondé-je en tâchant de cacher ma tristesse, mais c'est un échec lamentable, l'émotion me domine beaucoup trop pour que je puisse vraiment le contrôler, je n'ai pas non plus la motivation de le faire.

— Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiète-t-il presque instantanément en se redressant, ayant très bien conscience que c'est anormal de ma part de laisser paraître une émotion comme la peine.

Je me doute bien qu'il sait que j'ai eu des nouvelles par rapport à mon rendez-vous, mais je sais aussi qu'il ne pense pas une seule seconde que c'est aujourd'hui. Je ne me doutais vraiment pas que ce serait si dur de lui faire mes adieux définitifs...

Je me lève et respire profondément, comme pour me donner du courage, même si pour moi, ça ne change rien, j'ai besoin de ça, comme pour me sentir un peu humaine, avec des réactions humaines, des réflexes humains, ce serait tellement bien...

— Je t'aime... hésité-je même si je me doute bien que ce n'est pas forcément la chose à dire vu les circonstances, mais je veux qu'il l'entende au moins une fois.

— Je sais, mais... commence-t-il sans comprendre ce qui est en train de se passer.

— Chute, laisse-moi parler, s'il te plaît. Sache que je t'aime et que je t'aimerai toujours, quoi que je dise, quoi que je fasse...

— Tu as la date de... devine-t-il la gorge serrée, ne semblant pas capable de continuer.

J'acquiesce n'arrivant pas à sortir un mot.

— C'est... C'est pour quand ? demande-t-il d'une voix tremblante.

— Aujourd'hui... Je dois partir dans vingt minutes max...

Je suis sûre et certaine que si j'étais humaine, ma phrase se serait fait accompagner par des larmes, voire peut-être même ma toute première phrase en aurait déjà eu. Mais je suis un robot et même si je dois perdre mes sentiments dans très peu de temps, ça ne change rien, je n'ai jamais été capable de les extérioriser...

Au lieu de me demander pourquoi je ne lui avais pas dit avant et de me couvrir de reproche, il se lève et me rejoint avant de m'embrasser. Un baiser grisant mélangeant toute notre tristesse, toute notre peine, je le ressens vraiment. Un baiser auquel je me laisse entièrement aller. Je profite de la moindre caresse de ses doigts, la moindre pression de ses lèvres, le moindre picotement qui me traverse, le moindre de ses souffles sur ma peau. Je les savoure jusqu'à la dernière goutte sachant très bien que ce sera notre dernier baiser... que je ne revivrais plus jamais ça... Quand je finis par m'écarter très légèrement de lui pour y mettre fin, j'imprègne une dernière fois toute la perfection de ses traits, les moindres détails de son visage, l'éclat dans ses yeux bleus, le rouge qui lui colore les joues, la larme qui coule sur sa pommette... Savourant au maximum l'instant pour l'imprégner tout entier dans ma mémoire.

— Je t... commence-t-il après que je me suis écartée légèrement de lui.

Je sais très bien ce qu'il veut dire, mais là, je n'ai vraiment pas envie de l'entendre m'affirmer qu'il m'aime, je ne suis pas d'humeur à ça. En plus, je n'ai pas envie que l'une des dernières paroles sorties de sa bouche soit ça, j'ai peur de trop regretter de ne pas pouvoir l'aimer en retour – il me l'a déjà dit assez souvent comme ça, ça sera largement suffisant pour avoir des remords pas la peine d'en rajouter.

Ce n'est sûrement pas la meilleure idée que j'ai eue, mais pour l'interrompre, je l'embrasse de nouveau, on va dire que c'est la bonne excuse, alors que dans les faits, j'en profite plus qu'autre chose. J'abandonne toutes pensées, toute attention du monde extérieur, c'est seulement Elijah et moi au milieu du vide.

Et si je ne m'étais pas abandonnée à ses bras, j'aurais sans doute remarqué plus tôt les milliards de lignes de codes qui sont en train de me pirater.

Dès que je m'en aperçois, je me fige pour pouvoir déployer toute mon énergie à contrer le·s pirate·s. Mais impossibles, ils sont beaucoup plus forts que moi, beaucoup trop fort pour moi, surtout que je ne suis pas censée avoir à faire face à ce genre de problème, je devrais être trop protégée pour ça, mais mon dysfonctionnement réduit sûrement mes protections et il est exactement en train de se produire ce que je craignais. J'ai bien sûr beaucoup de connaissances en informatique, mais rien de suffisant pour contrer des pirates aussi forts, ni aussi rapides... Je ne sais pas comment ils font, à croire qu'ils sont super organisés pour envoyer un seul et même programme en simultané, alors qu'il est fait par plusieurs personnes. Ou alors c'est un programme préconçu géré par une autre entité informatique. Mais dans tous les cas, c'est super bien organisé, beaucoup trop bien.

J'essaye tout de même d'empêcher les hackers d'agir, mais c'est impossible, ils sont beaucoup plus avancés que moi... Et ils paraissent tout anticiper, ils annulent toutes les lignes que je crée pour les contrecarrer, je suis incapable de changer quoi que ce soit... Ils sont extrêmement forts, ils savent exactement ce qu'ils font. Pire encore, ils paraissent me connaître à la perfection, comme s'ils savent exactement à quoi ils ont à faire, ils savent exactement que je suis un robot et tout ce dont je suis capable dans les moindres détails. C'est à la fois hallucinant et effrayant.

En quelques secondes à peine, ils ont déjà pris le contrôle de mes jambes, mais pas seulement, ils ont également la maîtrise de mes réacteurs à propulsion laser, et ce, quasiment immédiatement après. Aucun doute, ils avaient largement conscience de leurs présences, impossible autrement, sinon, ils n'auraient jamais pu être si rapides que ça, ils auraient forcément eu besoin d'au moins plusieurs minutes pour savoir comment en prendre le contrôle. Je suis presque prête à parier qu'ils m'ont piratée depuis très longtemps sans que je ne m'en rende compte. Je ne sais même pas comment c'est possible, mais c'est forcément ça, sinon ils ne pourraient pas en savoir autant sur moi, autrement, ce serait complètement impossible, je suis beaucoup trop confidentielle et secrète. Ils savent tout, ce que je suis, ce que je contiens, mes défauts, mes dysfonctionnements, mes failles, mes faiblesses, comment me contrôler, tout...

Dans un dernier élan de désespoir, je tente de pirater leur réseau ou même de me déconnecter du monde, mais ce n'est pas possible, ils l'ont déjà prévu et c'est beaucoup trop tard. De toute façon, je n'arrive pas à trouver le réseau d'où ils viennent, ils sont vraiment trop bien protégés de leur côté, ils ont définitivement tout anticipé, je n'ai aucune chance face à eux, c'est fini...

Et même si je ne peux plus rien faire pour moi, j'ai tout de même encore la possibilité de protéger Elijah, juste au cas où. Après tout, je ne sais pas ce que les pirates veulent faire et si jamais ils veulent tester leur œuvre avant d'attaquer une base militaire ou quelque chose du type, ils peuvent très facilement s'en prendre à lui pour avoir le résultat sous leurs yeux... à travers les miens. Et, quel que soit le moyen qu'ils décident d'utiliser, Elijah n'aura aucune chance, je ne sais même pas ce que je préférerais pour lui entre l'empoisonnement, l'intoxication ou l'assassinat...

Si je ne veux pas prendre le risque que l'un de ses cas de figure se produise, il faut que j'agisse vite, très vite. Sans plus réfléchir, je repousse Elijah, je ne prends même pas la peine d'être délicate, je n'ai pas le temps pour ça. Il tombe déséquilibrer à cause de moi, mais c'est bien le cadet de mes soucis.

— Dégage ! crié-je avec le peu de contrôle qu'il me reste encore et n'étant de toute manière pas certaine d'avoir en champs d'action infinis avant qu'ils ne m'empêchent de faire quoi que ce soit. Pars ! Pars loin ! Vi...

Je ne peux rien dire de plus, ils m'ont déjà coupé le contrôle intégral de mes mouvements, je n'ai plus aucune maîtrise de moi-même. Ça ne leur a même pas pris une minute... Tout ce qu'il me reste à faire, c'est attendre en espérant qu'il m'écoute. Au moins, je peux le voir et j'ai la possibilité d'avoir la preuve de l'obéissance d'Elijah. Ce n'est pas forcément un avantage, je peux aussi avoir conscience du mal que je lui fais si jamais il ne fuit pas assez rapidement. Mais j'ai aussi le droit de ne pas avoir de doute.

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