1101 (13.1)

 Nous continuons à jouer ainsi pendant trois périodes, profitant du beau temps. Fauve mène 93 à 84 depuis qu'elle a fait un splendide tir arrière à trois points qui lui auraient valu une ovation durant un match. J'ai de nouveau le ballon, ne criant pas encore défaite, il nous reste encore quelques minutes de jeu, tout peut arriver. Il faut juste que j'égalise, ce qui n'est pas gagné, ma sœur a encore progressé depuis la dernière fois que nous avons jouée l'une contre l'autre. Mais alors que j'allais tenter un panier à trois points, j'entends une voiture se rapprocher de chez nous, ce qui est plutôt rare, nous sommes isolées. Le truc, c'est que ce n'est pas tout à fait une voiture inconnue, je reconnais le moteur, c'est celle d'Elijah, je suis prête à le parier. Qu'est-ce qu'il vient faire ici au juste ?

Cette simple question suffit à me déconcentrer assez longtemps pour que Fauve récupère le ballon et l'avantage puisqu'elle n'a même pas dû entendre le moteur. Je m'empresse de me remettre dans le jeu, si c'est bien lui et qu'il veut venir, qu'il vienne, mais il verra bien qu'il dérange très sérieusement. Je réussis alors à récupérer le ballon avant que Fauve n'ait marqué, tenant tout de même à remonter mon score. Ayant une bonne occasion, je fais un tir à trois points réussi et l'instant d'après, ma sœur se fige en entendant une voiture s'engager dans l'allée.

— Qu'est-ce que c'est ? m'interroge-t-elle en ne comprenant pas la situation.

— Rien d'important, on joue, répliqué-je sans appel en rattrapant la balle qui rebondit avant qu'elle ne sorte du terrain.

Elle n'est plus tout à fait dans le match, mais son esprit de compétition l'empêche de me laisser faire une autre action sans intervenir. De mon côté non plus, je ne suis pas aussi concentrée que ce que je voudrai, j'écoute attentivement ce qu'il se passe et tandis que je dribble, j'entends Elijah sortir de sa voiture et avancer dans le sable. Fauve, étant attentive aux agissements d'Elijah elle aussi, me laisse faire un Free Throw Dunk. Et je la vois être à deux doigts de me féliciter, mais quelqu'un le fait avant.

— Jolie, remarque Elijah en ayant fait le tour de la maison.

— Temps mort, annoncé-je à Fauve qui avait repris le ballon à ma place.

Elle a déjà l'air bien décidée à mettre le jeu en pause, mais je préfère préciser tout de même. Elle vient se placer juste derrière moi, le ballon sous le bras et là, si Elijah ne comprend pas qu'il est de trop, je ne sais plus quoi faire pour lui. Toutes les deux comme ça, nous pouvons paraître très légèrement menaçantes entre moi qui n'aie pas du tout envie de voir Elijah et Fauve qui le dépasse presque d'une tête.

— Qu'est-ce que tu veux, Elijah ? l'interrogé-je insistant bien sur son prénom.

Dans d'autres circonstances, j'aurai sans doute été un peu plus aimable avec lui, mais là, vraiment, il me dérange. Je me doutais bien qu'il voulait me parler, ça se voyait, mais au point de venir jusque chez moi, c'est presque abuser. Surtout que par certain côté, la semaine dernière, je lui ai donné mon numéro de « téléphone », il aurait quand même pu avoir la décence de s'en servir au lieu de débarquer à l'improviste.

— Tu m'évites... et je voudrais te parler, alors je suis venu... explique-t-il en semblant beaucoup moins confiant qu'en temps normal. Ce n'était peut-être pas une si bonne idée que ça, mais au moins on est face-à-face.

— C'est certain même que ce n'était pas une si bonne idée que ça. Tu as conscience que nous sommes dans la même promo ? Ce n'est pas compliqué de me parler, affirmé-je en sachant bien que je ne lui ai pas vraiment laissé l'occasion de le faire.

— Tu as l'art de disparaître, je ne sais pas si tu en as conscience.

Wouah, grande nouvelle, je ne l'aurai jamais su sans toi. J'espère bien, par contre, que toi, tu as conscience que c'est volontaire et contre toi, ni plus ni moins.

— De quoi veux-tu parler ? soupiré-je tenant à en finir au plus vite. J'ai un match à terminer, je ne sais pas si tu avais remarqué.

— Non, c'est bon finalement, je pense que je vais rentrer... déclare-t-il en regardant fixement ma sœur juste derrière moi.

— Tu me fais perdre mon temps c'est ça ? Tu as conscience que tu peux à peu près tout me dire face à Fauve ? Je n'ai absolument rien à lui cacher me concernant.

Et même si tout de suite, maintenant, elle fait un peu cerbère, elle est gentille, ce n'est sûrement pas elle qui te fera du mal en premier.

— Non, vraiment, je vais y aller, je n'aurai pas dû venir, je me suis complètement trompé, mieux vaut que je rentre chez moi, affirme-t-il en commençant à partir.

Moi je le regarde choquer, qu'est-ce qu'il s'est passé là au juste ? Il est vraiment sérieusement en train de partir ? Sans rien avoir dit ? Mais pourquoi est-il venu alors ? C'est vraiment beaucoup trop bizarre. Je regarde ma sœur, qui ne comprend absolument pas non plus.

— Tu as compris quelque chose toi ? l'interrogé-je dès qu'Elijah est retourné dans sa voiture.

— Bah non. Tu crois qu'il a eu peur de moi ?

— Ce serait con quand même. Mais je ne l'ai jamais vu agir comme ça. Il est bizarre, ça, c'est indéniable, mais jamais à ce point.

Dès notre premier cours, il s'est remis à me fixer, comme avant quand il cherchait à comprendre ce que j'étais. Mais à part s'il souffre d'une amnésie brutale, ça n'a absolument aucun sens. Et il passe vraiment la journée à faire ça. En plus, contrairement à avant, quelque chose a changé dans son regard, ce qui me rend encore plus perplexe. Déjà avant, il n'était pas très normal, mais vraiment là, je n'arrive même pas à deviner ses raisons.

Je ne peux même pas avoir de l'aide de la part de ma sœur, cette feignasse n'a pas cours de la journée, elle ne peut même pas voir le comportement d'Elijah et m'aider à le déchiffrer.

Heureusement, pour tirer un microavantage de cette journée, je n'ai que la matinée de travail, ce qui me permet d'être débarrassée de lui vite. Dès l'instant où mon cours est fini, je sors de la salle rejoindre ma voiture, prête à déguerpir très vite. Je retire ce que j'ai dit, c'est pourri de finir tôt, il y a un monde de fou sur le parking, à croire que tous les étudiants finissent précisément à cette heure-là. En plus, vu que notre prof nous a un peu retenus à la fin de l'heure, des dizaines de jeunes ont atteint leur voiture avant moi et je me retrouve dans les bouchons à la sortie. Moi qui voulais partir vite, voilà qui est raté.

Et là, je me rends compte que vraiment, ce n'est pas ma journée, la voiture juste derrière moi, c'est celle d'Elijah ! Comme par hasard ! Lui aussi a très bien compris que j'étais juste devant vu son regard triste, je n'arrive vraiment pas à comprendre ce qui lui arrive. S'il y a bien quelque chose qui a une fâcheuse tendance à m'énerver, c'est quand je ne comprends pas. Actuellement, non seulement je ne comprends pas, mais en plus, la situation générale me frustre au plus haut point. Et je dois avouer que l'occasion est belle, ça ne m'aide pas à être raisonnable, il y a quatorze voitures à l'arrêt devant moi, aucune d'elle n'avance et quand bien même c'était le cas, j'ai largement trois minutes avant que ce soit à mon tour de m'engager sur la route.

Je pose ma main sur la poignée de ma porte, j'hésite, je ne veux pas faire de connerie, mais je veux finir cette histoire. Je commets peut-être une erreur, mais tant pis, c'est comme ça qu'on évolue, j'ouvre ma portière, ne prenant même pas la peine de la refermer, le premier malin qui tente de me la voler va avoir le droit à la peur de sa vie. Non sans un sourire à cette perspective, je suis à peu près certaine que je m'éclaterai à prendre le contrôle de ma voiture pour faire peur à un voleur, j'avance jusqu'à Elijah qui me regarde surpris, ne semblant pas comprendre ce qu'il se passe. Je toque à sa fenêtre, ne voulant pas perdre de temps, il la baisse alors, de plus en plus intrigué.

— Retrouve-moi sur la plage du lac Anza à quinze heures trente, soit à l'heure, déclaré-je dès que je suis certaine qu'il m'entend.

Je ne prends pas la peine de préciser que c'est dans le parc Tilden, s'il ne connaît pas, il n'a qu'à effectuer des recherches. Dès que je finis ma phrase, je repars dans ma voiture, soulagée, voilà une bonne chose de faite. Maintenant, il ne me reste plus qu'à espérer que je ne le regrette pas, ce qui n'est pas garanti, mais tant pis pour moi. Elijah, quant à lui, n'a toujours pas compris ce qui venait de se passer, je le vois, dans mon rétro, me regarder avec de gros yeux, cherchant certainement un sens à cette scène.

Ayant un peu de temps, je prends la route jusque chez moi, comme ça, je peux prévenir ma sœur en direct et si elle considère que vraiment, je fais une énorme connerie, elle m'en empêchera. Je ne sais même pas ce que je fais, je ne sais ni ce que je vais lui dire ni ce que je recherche à savoir, c'est vraiment de l'improvisation totale qui ne me ressemble pas du tout.

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