11001 (25.2)
Comme si j'avais besoin de qui que ce soit pour rentrer. Je m'introduis même dans sa chambre en même temps que de le dire. Par contre, je ne sais pas comment il est censé le prendre le fait que je le considère plutôt comme Juliette. Aussi, niveau caractère, c'est quand même un peu plus juste, je ne le vois pas très bien se battre à mort contre Tybalt pour venger Mercutio. Je serai tout de même un peu plus prompte à la bataille et même sans sous-estimer les capacités d'Elijah, je pense quand même qu'il n'est pas capable de tuer quelqu'un, même dans un élan de désespoir.
En tout cas, il est surpris par ma remarque, mais impossible de déterminer si c'est à cause de mon trait d'humour ou si c'est plutôt par rapport à mes mots en eux-mêmes. De toute manière, je suis prête à parier qu'il n'aurait pas espéré avoir une réponse de ma part, ça se voit clairement. Il met d'ailleurs quelques secondes avant de vraiment réagir et d'exploser de rire, mais vraiment le genre de rire incontrôlable et pas du tout discret, il manque même de s'étouffer en cours de route.
Honnêtement, en d'autres circonstances, ça ne m'aurait posé aucun problème, je me serai même jointe à lui. Mais en venant, j'ai bien vu qu'il y avait de la lumière dans la pièce juste à côté et maintenant, j'entends vraiment un cœur. Ce qui signifie qu'une de ses sœurs doit très clairement l'entendre alors qu'il rit comme un fou en étant censé être seul dans cette foutue chambre. Question discrétion, on repassera.
— Elijah ? Qu'est-ce que tu fais ? s'étonne la voix de Charlotte depuis la pièce d'à côté.
Je confirme du coup, il n'était pas discret... Et malheureusement, ça ne fait pas non plus partie de ses habitudes de rigoler comme un idiot sans aucune raison. Maintenant, il ne reste plus qu'à espérer qu'il ne vienne pas à l'esprit de sa sœur de rentrer dans la chambre de son frère sans prévenir. J'aurais sans doute le temps de me cacher, je ne m'inquiète pas trop pour ça, mais quand même, ce n'est pas l'idéal et Elijah risque légèrement de se faire un coup de stress qui ne passerait pas inaperçu.
— Je regarde une vidéo sur YouTube, normalement ce n'est pas interdit ? souligne Elijah de manière plutôt naturelle, même si ce n'est pas non plus la meilleure excuse du monde, ça fonctionne quand même.
C'est déjà bien, il arrive à mentir vite et de manière spontanée, ça aurait pu être pire. Tant mieux, je préfère me faire des films plutôt que de me faire avoir bêtement.
— Alors essaye de rire moins fort, s'il te plaît, je voudrais dormir ! se plaint-elle ne paraissant rien trouver d'étrange.
Apparemment, je suis quand même amoureuse d'un mec assez bizarre dans la vie de tous les jours
— Tu es un boulet, remarqué-je doucement, juste au cas où sa sœur tende encore l'oreille, normalement il n'y a pas de problème si nous ne parlons ou nous ne rions pas trop fort, mais dans le doute.
— Aussi, j'étais surpris, je ne m'y attendais pas !
— Ce n'est pas une excuse !
— Tu n'es quand même pas très marrante.
— Tu viens de me prouver le contraire à l'instant.
Et il explose de rire, il est désespérant, je ne sais même pas pourquoi je l'aime.
— Elijah ! Tu me soûles ! Demain, je suis censée me lever à cinq heures et demie, alors maintenant, laisse-moi dormir ! s'agace sérieusement sa sœur.
— Elijah, tu me fais chier ! maugréé-je en même temps.
— Désolé...
— Je vais finir par repartir si tu continues comme ça, on va se faire choper. Tu es désespérant aujourd'hui ma parole ! Ça fait plus de deux semaines que je viens ici tous les soirs et c'est aujourd'hui que tu décides de laisser tomber la discrétion !
Il pourrait quand même faire comme moi et être capable de s'énerver sans jamais dépasser les 25 Hz, c'est tout de même à la portée de n'importe qui de régulier aussi parfaitement sa voix, je ne vois pas bien le problème.
— C'est bon, je vais faire attention, je suis juste crevé.
— Alors dors.
Bien sûr, il ne veut pas, ça n'a absolument rien d'étonnant et nous discutons tout de même un peu, mais moins longtemps que d'habitude, il doit vraiment commencer à être sérieusement fatigué à force. J'occupe ma nuit comme d'habitude, mais à minuit tout pile, je reçois une notification du projet RONII. C'est très étrange d'en avoir une à une heure pareille, normalement, ce genre de chose arrive en journée, en matinée ou en début d'après-midi, mais jamais, au grand jamais aussi tard que ça, c'est totalement exclu. Je ne serais même pas surprise que ce soit une erreur de la programmation de l'envoi automatique, parce qu'il n'y a littéralement aucune autre raison sinon.
Je n'ai même pas besoin de l'ouvrir pour savoir qu'une date de rendez-vous a été fixée et qu'elle est très prochainement. Plus précisément jeudi 8 décembre... dans moins de dix jours, le jour de mon dix-neuvième anniversaire... Je savais bien que ce moment-là n'allait plus tarder à arriver, ça semblait évident, je n'allais pas être épargnée éternellement. Mais j'avais presque envie de repousser l'inévitable, j'avais presque envie de ne pas être mise au courant avant le jour fatidique, comme ça, je n'aurais pas eu le temps de me poser de questions et de me défiler pour une raison ou une autre.
Dix jours, ce n'est rien et tout à la fois.
Et savoir qu'il me reste dix minuscules jours à profiter de mes sentiments pour Elijah, ça me désole... Et surtout pourquoi ce jour-là précisément ? À croire qu'ils veulent que ce soit symbolique : « Dix-neuf ans jour pour jour après sa mise en marche officielle, nous éradiquons définitivement les tout premiers dysfonctionnements du robot RONII ».
Mais à part ça, je ne vois aucune autre raison valable. En tout cas, mon côté complotiste trouve ça extrêmement louche et suspect, après tout ils n'ont absolument jamais donné de rendez-vous les jours d'anniversaire pour ma famille et ils ont toujours fait en sorte que ça tombe en dehors des temps de cours, jamais en pleine semaine, au maximum pendant les jours fériés et sinon le week-end. Et là, ça enfreint littéralement toutes les règles. Il est vrai qu'elles n'ont jamais été écrites officiellement, mais en 228 rendez-vous, elles n'ont jamais été transgressées, pas une seule fois.
Je veux bien être un produit marketing, mais j'aurais tout de même cru qu'il y avait des limites. Honnêtement, j'ai presque envie de leur envoyer un message pour contester. À tous les coups, ils s'y attendaient et c'est pour ça qu'ils ont envoyé la date aussi tardivement, pour que je ne puisse pas contester directement et avoir un retour immédiat. Mais de toute manière, je ne vais pas le faire, ça serait complètement inutile et ça n'aurait pas beaucoup de sens, je ne peux rien leur reprocher, ils tentent sûrement de faire au mieux.
Dès que j'ai pris la décision de ne pas demander à changer la date et de ne pas non plus la contester, j'ai vraiment envie de l'annoncer à Elijah. Ou de m'en plaindre, dur à dire. Mais pour le coup, ce serait un peu compliqué étant donné qu'il est en train de dormir profondément. Je ne vais quand même pas le réveiller pour ça, il risque de ne pas trop apprécier, je vais devoir attendre le lendemain pour le prévenir et c'est sûrement mieux ainsi, ça me permet de réfléchir à la manière dont je vais m'y prendre.
Et je ne change pas non plus quoi que ce soit à nos habitudes, je passe quand même toute la semaine avec lui, le voyant pendant les cours et restant avec lui la nuit. Je passe aussi une partie de mon week-end chez lui, à discuter encore et toujours, à dessiner, profitant d'être capable de créer une œuvre tant que ça m'est toujours possible, me doutant bien que je vais perdre cette faculté au même moment que mes sentiments...
C'est sans doute, de l'extérieur, un tableau parfait d'un beau couple heureux qui rit ensemble que je suis en train de vivre. Mais moi, je vois très bien l'ombre qui gâche la scène, j'ai le droit à la scène dans sa globalité. Surtout que l'ombre est là par ma faute, je n'arrive pas à cesser de penser à la date fatidique, elle est toujours là dans un coin de ma tête et quand elle n'y est pas, je réfléchis à tout ce que je vais perdre après ma reprogrammation. Heureusement, Elijah ne s'aperçoit bien sûr de rien, je peux très facilement penser à plusieurs choses à la fois tout en gardant une bonne couverture... c'est l'avantage d'être un robot, ça peut être le chaos dans mes pensées, en apparence, ça ne se verra jamais si je veux le cacher.
Mais même sans le montrer, ce foutu jour m'obsède. Impossible de m'en détacher, ni de cette fichue date, ni même de l'envie redoutable de ne pas aller à ce rendez-vous. Rien n'y fait, quoi que je me dise, j'ai toujours cette envie de ne pas quitter Elijah, l'envie d'écouter cette petite voix au fond de moi qui me murmure de rester et de sortir l'une des milliers d'excuses j'ai trouvé en dix jours...
C'est tellement tentant, surtout là, à admirer Elijah, allongée à ses côtés pendant qu'il dort. Ça donne terriblement envie, surtout maintenant que l'échéance ne se compte plus en jours, mais en heures, même en minutes pour ce qui est de mes adieux à Elijah... Je sais que c'est mal, mais je n'ai toujours pas eu le courage de lui annoncer la date du rendez-vous, alors qu'il doit se réveiller dans dix minutes et que je dois partir dans vingt minutes tout au plus, une demi-heure si je traîne beaucoup, mais ça commencera à être vraiment juste.
Bien que ce ne serait peut-être pas une si mauvaise chose si je me retrouve coincer dans les bouchons, ça me fournirait un bon prétexte au moins pour quelques minutes de rab. Maintenant, je ne peux guère en demander plus. Peut-être même plus si le programme de certains scientifiques du projet RONII est extrêmement chargé aujourd'hui et qu'ils se retrouvent obliger de reporter le rendez-vous. Mais il ne faut pas trop rêver, il faudrait vraiment que la nationale 880 soit complètement fermée devant moi et qu'il y ait du monde derrière moi pour que j'aie suffisamment de retard sans que ce soit trop suspect. J'ai bien pensé à la possibilité d'avoir un accident, mais ce serait quand même très très louche.
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