110 (6.2)

 Je passe ainsi le reste de la journée à éviter Elijah, heureusement, ce n'est pas très difficile puisqu'il ne vient pas me parler. En rentrant des cours, je vais à la Creek près que chez moi, avec Fauve. Je suis bien contente qu'Elijah n'ait pas voulu que nous continuions l'exposé aujourd'hui encore. Ça m'aurait légèrement embêtée, déjà que je vais sans doute retourner chez lui cette nuit, je n'ai pas envie d'y aller quatre fois en quarante-huit heures, c'est beaucoup trop. Je peux donc rester à discuter avec ma sœur et lui expliquer mes récentes découvertes. Elle est aussi étonnée que moi par le fait qu'il est réussi à couvrir sa trace internet, sachant très bien la difficulté de la chose, puisque je lui ai expliqué comment faire et qu'elle n'y est absolument jamais complètement parvenue bien qu'elle soit déjà bonne en informatique.

Quand j'ai tout fini d'expliquer, il est déjà l'heure de rentrer chez nous pour manger.

Après le repas, je vais me coucher en même temps que Fauve et attends qu'il soit minuit pour partir de chez moi et retourner chez Elijah. Avant de retourner dans la maison, j'ouvre la voiture d'Elijah, me disant que vu que je recherche des cartes de membres à des médiathèques, l'endroit le plus stratégique pour les ranger, c'est dans un portefeuille. Et comme il est majeur et qu'il a le permis, son porte-monnaie doit possiblement être dans sa voiture. Sinon il est dans son sac de cours, ce qui ne m'arrangerait pas du tout.

Sa voiture est d'ailleurs horriblement en bazar, c'est monstrueux. Sa chambre est parfaitement rangée, mais sa voiture c'est tout le contraire, c'est à peine si c'est possible d'y être deux vu comme le siège passager est envahi. C'est même étonnant que je ne l'aie jamais remarqué, je dois tellement éviter sa voiture que je n'ai pas fait attention à d'autres détails que l'extérieur. Pourtant, l'intérieur est impressionnant, il y a vraiment de tout et c'est même surprenant qu'il ne se soit pas déjà fait voler son appareil photo, bien en vue sur le pare-brise. Juste pour voir, je prends l'objet et j'analyse chacune d'elle, au cas où il n'ait pas enregistré sur son ordinateur les photos compromettantes, mais ce sont exactement les mêmes, j'ai presque même la preuve qu'il ne recadre aucune de ses photos.

En attendant, ce n'est pas mon but premier. Devant bien commencer quelque part, je fouille d'abord la boîte à gant, qui est bien remplie, mais ne contient que les papiers du véhicule et des dizaines de fiches de révision. Sur la banquette arrière, il n'y a rien non plus, du moins rien de plus intéressant que des vieux emballages. C'est pareil sur le sol, dans un dernier espoir, je regarde au cas où dans le coffre, même si c'est plutôt improbable, et il y a effectivement toujours que des déchets. À tous les coups, son portefeuille est dans son sac de cours, ce que j'ai fait ne sert donc absolument à rien, à part apprendre qu'au fond de lui, il est affreusement bordélique.

Génial, me voilà obliger de rentrer dans la maison, heureusement qu'il est deux heures du matin et que c'est une heure où la plupart des personnes normalement constituées dorment à poings fermés.

Après avoir vérifié que la voiture était de nouveau verrouillée, j'ouvre l'une des fenêtres de la maison, la même que la veille. À l'intérieur, je cherche le sac, qui n'est malheureusement pas à l'entrée, ni où que ce soit au rez-de-chaussée, ce serait trop beau sinon. Il doit bien sûr être dans la chambre d'Elijah, ce ne serait pas marrant si je n'étais pas obligée de monter !

Ayant au moins l'avantage de savoir où se trouve sa pièce, je monte les escaliers discrètement et rentre dans la deuxième chambre sans avoir à vérifier dans les autres pièces. Elle est d'ailleurs beaucoup plus en bazar qu'hier après-midi. Épatant, ce mec est clairement bordélique. Il avait dû tout ranger avant que je vienne, voilà déjà qui est un peu plus normal. Heureusement, son sac est posé en vue près de l'entrée, déjà pas mal, je l'ouvre rapidement et il y a bien le porte-monnaie dedans. Je récupère l'objet et l'ouvre. Il est horriblement chargé, il y a des dizaines de tickets de caisse, définitivement, il a un cruel manque d'organisation, c'est même surprenant que rien n'ait dépassé hier.

Après avoir écarté tous les papiers, je peux enfin voir les cartes, qui sont aussi en surnombre. Parmi tous les rectangles de plastique, je constate avec effroi qu'il a une fausse carte d'identité et un faux permis de conduit au nom d'Elijah Stone, alors que ce n'est pas son nom de naissance. Il n'a même pas changé légalement de nom, je suis sûre de moi, sinon le changement se serait enregistré et j'aurai directement trouvé le bon Elijah Stone à la rentrée. Le plus énervant, c'est qu'il a très bien fait les choses, il a dû mettre une somme monstrueuse, je ne suis même pas sûre d'être capable de faire la différence entre ces papiers d'identité et des vrais, sans connaître le vrai nom d'Elijah, je n'y aurai vu que du feu.

Après avoir regardé une bonne moitié des cartes, je finis par tomber sur celle correspondant à la bibliothèque des Congres. Je découvre très vite pourquoi je n'avais pas trouvé Elijah avant dans leur base de données, il a pris un faux nom : Johnie Tales. C'est une bête anagramme, tout ce qu'il y a de plus basique, mais suffisant pour cacher ses traces, puisque le nom correspond à celui de quelqu'un qui existe vraiment et qui, par chance, vit à Washington.

Même si je meurs d'envie de voir ce qu'il a recherché sous ce nom, je profite de l'occasion d'être dans sa chambre pendant qu'il dort, pour tenter de trouver le taser qu'il a utilisé contre moi. J'ouvre alors un premier tiroir et fouille le contenu, je ne prends même pas vraiment la peine de tout remettre en place, c'est tellement bordélique qu'il n'est pas près de voir la différence. Je réitère l'opération pour tous les placards de la pièce, essayant désespérément de trouver quelque chose. Mais ça ne donne rien. Mais alors rien du tout. J'ai regardé absolument partout j'ai même regardé sous son lit et inspecter le plancher, ainsi que le plafond. Pourtant il n'y a aucune trace de taser ou le moindre objet du type. Il doit bien en avoir un, aucun doute là-dessus, mais il est mieux caché que ce que j'aurais pensé.

J'hésite à chercher partout dans la maison, mais ce serait beaucoup trop long, même pour moi et j'ai déjà perdu beaucoup de temps, si je reste plus, je risque de me faire repérer, déjà que j'entends une respiration s'accélérer dans une pièce adjacente, indiquant le réveil de quelqu'un. Je sors alors du bâtiment par la fenêtre de la chambre d'Elijah, je prends un risque en faisant ça, mais c'est sans doute beaucoup moins qu'en repassant par le couloir alors qu'une personne est éveillée.

Dès que je suis de retour chez moi, je peux enfin regarder précisément l'activité internet d'Elijah sous le nom de Johnie Tales. Je découvre sans étonnement que toute l'activité internet provient de bibliothèque et de médiathèque et qu'actuellement toutes les recherches proviennent de la bibliothèque publique de Berkeley, qui est à seulement dix minutes à pied de chez les Stone.

Et quand j'inspecte les sujets des recherches, je remarque avec effroi que ce sont principalement au sujet des armes à feu, des bombes nucléaires, de la torture, des biographies des dictateurs les plus connus, leur manière de procéder. Il y a aussi des recherches de plans de bâtiment public ou secret, sur les zones confidentielles des États-Unis, sur le pentagone et sur les principaux attentats ayant eu lieu dans le monde ainsi que sur les manières de procéder des terroristes.

Avec tout ça, Elijah peut très largement faire un attentat ou préparer un nouveau régime totalitaire. Maintenant, plus aucun doute, ce mec est un fou et j'ai très largement eu raison de m'en méfier, je suis juste dégoûtée d'avoir mis presque deux mois à trouver pourquoi il était dangereux et de n'avoir toujours aucune idée de ce qu'il va faire, ni même ses motivations.

Je n'ai pour l'instant aucune idée de la manière dont je vais me prendre pour savoir ce qu'il a en tête, mais je vais trouver, je le sens, il me faut juste un peu plus de temps.

— Tu as eu besoin de prendre l'air ? questionne alors Fauve en rentrant dans ma chambre.

J'ai quelques secondes où je me demande ce qu'elle fait déjà là, mais il est sept heures, j'étais tellement dans mes recherches que je n'ai même pas fait attention à l'heure ni même à l'activité de la maison. Bravo à moi, heureusement que je suis perfectionnée, sinon qu'est-ce que ça serait. Mais bon, je ne me serai sans doute pas autant déconnecter si jamais je ne me savais pas en sécurité. En attendant, je remercie la présence de ma sœur, au moins, je vais arrêter de me torturer l'esprit.

— Oui, j'avais les circuits qui ont chauffé, affirmé-je, sachant très bien qu'elle ne me croira pas si elle ne réfléchit rien qu'un peu à la logique de ma phrase.

Aussi, vu que la surchauffe est quasiment impossible pour moi, je peux difficilement trouver une excuse pire. Surtout que Fauve en a conscience et qu'en plus, elle connaît mon obsession pour Elijah.

— Tu es parti un moment, non ? m'interroge-t-elle suspicieuse, ce doutant bien de quelque chose.

— Je ne sais pas, je n'ai pas fait gaffe au temps qui passe.

— Papa affirme que quand il est rentré à trois heures du matin, tu n'étais pas là.

J'étais tellement impatiente de retourner faire mes recherches que je n'ai même pas pris en compte ce paramètre, je commence vraiment à m'inquiéter pour moi-même, depuis quand j'anticipe aussi peu que ça. Déjà que je n'ai pas vu l'heure, c'est une chose, mais que je n'ai même pas réagit que mon père risquait de voir mon absence, c'en est vraiment une tout autre.

— J'ai continué mes recherches, c'est un crime ?

À peu de chose près oui, tu t'es un peu introduit par effraction dans une voiture et deux fois dans la même maison, c'est légèrement puni par la loi.

— Non, non, loin de là, à ta place, je partirais toutes les nuits. Mais prochain coup, laisse un mot à papa que je ne me fasse pas réveiller à trois heures du mat, tu sais bien qu'il flippe facilement.

— J'y veillerai promis, dis-je en m'en voulant presque.

Dès que Fauve ressort de ma chambre, sans doute pour prendre son petit déjeuner, je me prépare rapidement pour les cours. Quand je descends, je ne prends rien à manger, même si j'ai encore un peu de temps, ça ne sert pas à grand-chose et je n'en ai de toute façon pas vraiment besoin. J'attends alors que ma sœur soit prête et nous partons pour le lycée.

Je commence ma journée normalement, mais à midi, en sortant du dernier cours, Elijah vient me voir pour me dire qu'il faudrait travailler de nouveau sur la thèse ce soir. Et honnêtement, je ne suis pas loin de lui dire qu'il est hors de question que je continue à faire cette foutue thèse avec lui, mais je me retiens, peut-être que comme ça, je vais pouvoir savoir ce qu'il trame. C'est sûr que ce n'est clairement pas de ma responsabilité, mais je suis la seule à en avoir conscience alors si je ne m'en occupe pas, personne ne le fera.

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