10111 (23.2)

 Dès que nous sommes prêtes, nous partons pour le lycée Arrivé là-bas, Elijah m'attend déjà, adossé à sa voiture, près de notre premier cours. Moi, je me gare tout de même loin, mais pour une fois, ce n'est pas pour le fuir, c'est plutôt pour être proche de la sortie et pouvoir partir plus vite à la fin des cours.

— Je te laisse seule ou je te kidnappe ? rigole Fauve en le voyant.

Je crois qu'elle a remarqué que j'avais un comportement légèrement bipolaire avec lui et que je pouvais très bien avoir changé radicalement d'avis en une nuit. Pour le coup, ce n'est pas encore le cas, j'attendrai d'avoir fini de dysfonctionner pour ça.

— Comme tu veux.

— Alors je t'abandonne, très peu pour moi de tenir la chandelle.

Un de ces quatre, il faudrait qu'elle trouve quelqu'un, ça l'aidera peut-être à plus se moquer de tous les couples.

— Ce n'est pas mon copain, affirmé-je voyant très bien ce qu'elle sous-entend.

Bon, c'est presque mon copain, ça y ressemble fortement même, mais je ne suis pas prête mentalement à me l'avouer, alors pour l'officialiser, ce n'est pas demain que je le ferais. Je reconnais qu'il y a eu un rapprochement entre nous, mais c'est tout.

— À qui tu veux faire croire ça ? Regarde-le et regarde-toi, tu verras que ton mensonge ne tient pas la route, surtout avec ta virée nocturne. Et entre nous, je te connais trop pour que tu me mentes sur une chose pareille, remarque-t-elle en sortant de la voiture, histoire que je ne puisse rien répondre de manière discrète, elle sait bien que je n'irais pas lui courir après pour insister.

— À ce midi, dit-elle quand je sors à mon tour, avant de partir.

— Salut, glissé-je en me rejoignant Elijah.

— Salut, alors comme ça tu n'es pas restée toute la nuit ?

N'insiste pas s'il te plaît, j'en ai assez honte comme ça, inutile d'enfoncer le clou.

— Presque quand même, je suis partie un peu avant sept heures.

— En vrai, j'aurais été toi, je serais parti bien avant, genre tu as fait quoi de ta nuit ? demande-t-il au moment où nous arrivons devant notre salle. C'est long quand même.

Il a conscience que ça fait presque dix-neuf ans que je passe toutes mes nuits toute seule ? Et que je suis donc habituée. En plus, j'ai largement de quoi m'occuper vu toutes les nouveautés qu'il y a rien qu'en une journée. Bon, là pour le coup, je n'ai pas regardé l'actualité, mais ça ne change rien au fait que j'avais de quoi faire.

— Ne t'inquiète pas, je m'en sors bien.

— En vrai, tu fais quoi la nuit ? m'interroge-t-il en me suivant quand je rentre dans la salle.

— Je te l'expliquerais plus tard, affirmé-je en le laissant pour gagner ma place, juste après avoir effleuré sa main.

Il me suit du regard, paraissant ne pas en revenir que je le laisse comme ça sans lui répondre. Surtout que j'aurais très bien pu rester un peu discuter, il reste encore quelques minutes avant le début du cours. Mais je ne suis pas motivée et je suis presque certaine qu'il y aurait des oreilles indiscrètes qui trouveront notre discussion très étrange et je préférerais qu'elles n'entendent pas nos paroles. On ne sait jamais, on est aux États-Unis, les personnes ont une imagination débordante et raffolent de théories du complot, je ne vais pas les aider à se faire des scénarios catastrophes, même si avec moi, ils auraient des raisons de crier au scandale. C'est définitivement la pire excuse au monde, mais on va dire que ça passe et qu'hier, vu comme nous nous sommes disputés et que tous les étudiants auraient pu trouver notre discussion étrange, ne compte absolument pas comme un argument contraire.

Pendant quelques secondes, Elijah ne me lâche pas des yeux jusqu'à ce qu'il se ressaisisse et sort ses affaires. Je le vois alors écrire quelque chose sur son cahier, mais je suis bien incapable de deviner ce qu'il dit, je ne suis même pas sûre qu'il écrive quelque chose d'important, ce n'est pas la première fois qu'il écrit avant un cours, je l'ai déjà vu faire ça plusieurs fois. Mais pas cette fois, et je le découvre juste avant que le prof ne rentre dans la salle, il déchire sa page et se lève pour la déposer, sur ma table, plier en deux, sans dire un mot.

Qu'est-ce qu'il fait encore lui ?

Plusieurs élèves me regardent bizarrement, se demandant sans doute qu'est-ce que dit le papier, après tout, ce n'est pas du tout discret comme expédition de feuilles, tout le monde l'a remarqué. Même le prof qui est rentré au même moment l'a vu, mais lui, il a plutôt l'air de se demander pourquoi un élève était encore debout, ne l'ayant pas vu faire l'aller-retour, ce n'est pas plus mal, au moins, ça ne donne pas envie au prof de venir réclamer la feuille avant de commencer son cours. Je ne lui aurai jamais passé, mais ça évite quand même d'avoir plusieurs petits problèmes.

Profitant de ne pas m'être fait prendre le mot, je le déplie discrètement sous la table. Dessus, il y a une simple question « Que fais-tu de tes nuits ? ».

Il n'est définitivement pas croyable ! Sérieusement, il ne lâche jamais l'affaire quand il a quelque chose en tête ? Il ne va pas me dire que c'est une information hyper intéressante sur moi, il peut largement s'en passer ! Ce n'est clairement pas la chose la plus intéressante au monde en plus. Et s'il voulait vraiment le savoir, il aurait tout simplement pu me le redemander à la pause midi, je lui aurais répondu puisque ce coup-ci, il y aurait eu beaucoup moins d'oreille indiscrète, surtout beaucoup moins d'oreille attentive vu le brouhaha qu'il y a dans le restaurant.

Même s'il me désespère clairement, j'écris quand même une réponse, je ne sais pas vraiment à quel moment je vais lui rendre le papier, mais je le fais. Je me vois très mal la faire passer à travers toute la salle ou presque, à chaque fois que je vois des personnes le faire, je ne trouve pas ça vraiment discret, je n'ai pas envie de me rabaisser à leur niveau. Je trouverais une meilleure idée, peut-être une meilleure idée avant la fin du cours ou sinon, je lui donnerais à la pause, ce sera tout aussi bien s'il tient tant à savoir ce que je fais la nuit dans le plus bref délai.

Finalement, l'occasion se présente quand le prof demande à un élève de venir au tableau. J'ai toujours trouvé que les professeurs de mathématique étaient passablement agaçants avec cette fâcheuse manie d'obliger des personnes à donner leur réponse au tableau, mais pour le coup, c'est une bonne chose. Je dois reconnaître que je n'ai absolument rien fait, mais je devrai tout de même être capable d'improviser une réponse sur un problème de mathématique discret. Et il faut bien reconnaître que c'est le moment idéal pour passer la feuille à Elijah de manière discrète.

Le prof ne le remarque même pas puisque j'embarque une seconde feuille, vierge cette fois, spécialement pour la parade. Par contre, le calcul est tellement désespérément long que je pourrai même récupérer une réponse aussi longue que la mienne au retour... C'est pour ça que je déteste passer au tableau, ça prend toujours un temps monstrueusement long de faire correctement pour la rédaction. Bien sûr, Elijah n'a aucune raison de me rendre quoi que ce soit, mais si nous étions en train de poursuivre notre discussion, ce serait extrêmement simple.

À moins que, apparemment, il a tout de même trouvé un moyen de me rendre quelque chose vu son regard. Je passe donc de nouveau à côté de lui pour récupérer la feuille. Dès que je m'assis, je la déplie et y lis « Mais c'est trop bien en vrai de ne pas dormir, tu as le temps de faire tout ce que tu veux ! Je voudrais pouvoir faire la même chose, ce serait tellement pratique ». Il change d'avis comme de chemises cet homme-là, c'est une catastrophe, un véritable fléau, il y a deux minutes, il me plaignait et maintenant, il m'envie. J'ai presque envie d'en rire, il est toujours aussi incroyable, dans un sens, ça me désespère, mais ça m'éclate aussi, au moins avec lui, j'ai toujours de quoi m'occuper, il n'y a aucun problème avec ça.

— Tu viendras chez moi ce soir ? demande-t-il à la fin des cours, semblant vraiment tenir à ce que ce soit le cas.

Il tient vraiment beaucoup trop à moi, c'est effrayant. Mais surtout, ça me fait peur par rapport à ce qu'il va se passer après... J'espère qu'il va réussir à m'abandonner.

— Je n'ai aucune raison de m'en dispenser. Par contre, la famille de mon père arrive cet après-midi pour fêter Thanksgiving avec nous, alors je ne te promets pas d'être là avant minuit passé.

— Pas de problème. Par contre, ton rendez-vous... hésite-t-il n'osant pas tout à fait formuler sa question.

— Mon rendez-vous n'est pas demain, nous avons encore quelques jours, alors tu peux dormir à mon arrivée, tu ne rateras rien et je ne t'en voudrai sûrement pas. Et ne t'en fais pas, je te préviendrai en avance quand j'aurai une date.

Il sourit, rassurer par la nouvelle, craignant vraisemblablement l'échéance et plus le temps passe, plus je le comprends.

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