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 Si j'en étais capable, je sais que je serais en train de pleurer, là maintenant... Je suis peut-être trop sensible, mais ça me fait vraiment du mal de savoir que Francesco a fait une telle demande à Salaï et qu'il était déjà trop tard... Si ça tombe, quand la lettre lui est parvenue, son amant, mon père, était déjà mort... C'est tellement dur... En plus de la quête désespérée qu'il faisait par rapport à moi... C'est trop. Je voudrais remonter le temps et me faire passer pour une humaine de quinze ans pour aider mes parents... Si seulement, c'était possible... Et c'est à cet instant que je réalise que quoiqu'il se soit passé par rapport à moi, les recherches, aussi bien faites soient-elles, n'aboutiront à rien... Voilà sept mois que j'ai disparu et Salaï n'a pas la moindre piste, pas le moindre suspect, tout ça ne mène nulle part. L'histoire est finie et elle se termine mal...

Malgré tout, une nouvelle fois, je me saisis d'une nouvelle feuille, voulant au moins lire les quelques qu'il me reste, même si je ne vois absolument pas qu'est-ce que je pourrais en tirer de positif. Je ne comprends même pas comment il peut encore m'en rester six... Et en voyant la date de celle-ci, j'hésite vraiment à la lire... Elle est du lendemain de la mort de De Vinci et je me doute bien que ce n'est pas un hasard, Salaï a appris la nouvelle...

Je suis peut-être devenue un petit peu trop sensible, mais je ne me sens pas vraiment capable de lire une lettre pareille... C'est beaucoup trop triste... Je me ressaisis tout de même, il ne faut pas que je me laisse envahir par mes émotions, ce n'est pas bien. Et c'est la vie, des personnes meurent tous les jours, surtout que mon père était déjà vieux, il avait soixante-sept ans, il ne pouvait pas vivre éternellement. En plus, je le sais depuis toujours que De Vinci était mort avant Salaï, ça n'a rien de nouveau et j'ai aussi toujours eu conscience qu'il était mort sans être au côté de son amant, je le savais même très bien.

Cher Léonard,

Parfois, nous faisons des choix que nous pensons juste fonder, qui n'ont pas la moindre raison d'être des erreurs... Et après, arrivent les regrets, les remords... J'ai pris de mauvaises décisions régulièrement, mais les pires furent récentes. Je n'aurais jamais dû partir seul à la recherche de notre fille... J'aurais dû me débrouiller pour que tu m'accompagnes, que nous fassions le voyage tous les deux malgré tout. Nous n'aurions peut-être pas pu aller loin, mais au moins nous aurions été ensemble...

Et ma seconde faute est encore plus récente... Francesco m'a avoué ton état de santé... J'ai décidé de revenir sans répondre à ta lettre, sans te prévenir... Ça n'aurait peut-être rien changé, mais tu aurais au moins pu découvrir une dernière fois l'une de mes lettres... Alors que là... tu es mort sans même penser que je puisse être en route, que je venais une dernière fois vers toi... Que j'allais tout faire pour arriver à temps... Mais je suis arrivée un jour trop tard... Si tu savais à quel point je regrette... J'aurais voulu être à tes côtés au moins dans tes dernières minutes...

Je sais ce que tu me dirais si tu pouvais me parler de là où tu te trouves... Tu m'affirmerais que ce n'est pas ma faute, que ce n'est de la faute de personne, que j'ai pris les bonnes décisions et que le destin n'était seulement pas de mon côté. Mais je sais bien que ce n'est pas complètement vrai... J'aurais pu changer les choses, j'avais toutes les cartes en main, je n'ai juste pas pris les bonnes décisions... Tu ne peux même pas savoir à quel point je regrette de t'avoir laissé seul alors que tu allais pourtant si mal... J'ai fait une terrible erreur en partant, même si c'était pour rechercher notre fille, j'aurais tout de même dû rester à tes côtés ou faire en sorte que tu m'accompagnes... Je ne pourrais jamais revenir en arrière, mais c'est la pire faute de ma vie, jamais je ne me pardonnerai...

Maintenant, je t'ai perdu à jamais, jamais je ne me pardonnerai... J'aurais dû essayer t'emmener avec moi ou au moins en discuter longuement au lieu de partir tel un voleur... Quoi que tu penses, j'aimerais sincèrement que tu me pardonnes réellement pour toutes les erreurs que j'ai commises... je n'ai jamais eu l'intention de ne pas être à tes côtés au moment de ta mort, je te l'avais promis et j'ai enfreint ma promesse, je suis horrible. Je m'en veux tellement... Le pire, c'est que nous ne nous reverrons plus jamais vraiment...

Tu ne pourras jamais être en colère contre moi alors que je le mérite, tu ne pourras plus m'assurer que tu ne m'en veux pas après coup... Parce qu'il faut avouer que tout le monde rompt des promesses, tout le monde fait des erreurs, tout particulièrement moi parce que je suis jeune et idiot... Ça fait des années que je ne t'ai plus entendu dire ça et voilà que j'en meurs d'envie alors que tu m'énervais encore plus quand tu disais ses mots... Qu'est-ce que j'aimerais que tu sois là pour me dire tout ça...

Mais j'ai gâché nos derniers moments ensemble... Je n'ai pas pu entendre tes dernières paroles, te tenir la main dans tes derniers instants, être là... À la place de tout ça, je suis parti dans une quête désespérée, que je ne voulais surtout pas laisser tomber, en te laissant seul au côté de Francesco... Tout ça pourquoi ? Pour rien, absolument rien, je n'ai rien trouvé, rien gagné, je t'ai laissé pour courir après une chimère et j'ai tout perdu définitivement... À jamais, je m'en voudrai... je n'aurais jamais dû faire ça...

J'espère que tu m'aimes encore

Je t'aime

Salaï

C'est pire que ce que je pensais, en fait... Je n'aurais jamais dû lire cette lettre, je n'ai pas les épaules pour, je suis sûre que si je n'étais pas un robot, j'aurais commencé à pleurer dès la deuxième phrase, alors qu'il n'y avait encore rien d'exceptionnel... Je suis vraiment beaucoup plus faible que ce que je veux montrer, je ne sais pas depuis combien de temps j'ai cette caractéristique, mais je l'ai, c'est indéniable.

Je ne suis même plus certaine de pouvoir mettre ma sensibilité sur le compte de mes dysfonctionnements. Je ne suis même plus sûre de pouvoir mettre quoi que ce soit de mes sentiments sur le compte de mes bugs, j'en ai, c'est certain, mais ce ne sont pas eu qui cause l'amour que je porte à Elijah, c'est autre chose, quelque chose qui me semble beaucoup plus puissant, bien moins contrôlable. Je ne sais pas si je déraille complètement ou si j'ai raison, mais pour moi, la base de ce problème ne se trouve pas dans mes lignes de codes.

En attendant, je regrette presque d'avoir lu cette lettre qui est pourtant si personnelle et directement adressée à De Vinci, elle ne me regarde pas du tout et surtout ne m'apprend rien, j'aurais très bien pu l'éviter et passer à la suivante, si j'avais été intelligente, c'est sans doute ce que j'aurais dû faire. Je suis même surprise qu'elle n'ait pas fini dans la tombe de De Vinci, Salaï a dû penser que ça ne servait à rien. Quoi qu'il en soit, c'est trop tard de toute manière et je suis assez intriguée de connaître le contenu des futures lettres. La suivante a été écrite bien plus tard, le 13 juin 1522, plus de trois ans après la mort de De Vinci, mais elle lui est tout de même adressée et de la main de Salaï.

Cher Léonard,

Je reconnais que ça fait une éternité que je ne t'ai pas écrit. Si ma mémoire est exacte, il me semble que la dernière lettre que je t'ai adressée doit dater du lendemain de ta mort, lorsque je t'ai demandé de me pardonner de t'avoir abandonné... Je crois même que depuis, je n'ai plus écrit la moindre lettre à qui que ce soit... C'est presque triste de l'avouer, mais c'est la pure et simple vérité. Je dois faire pitié à écrire une lettre pour un mort si longtemps après son décès...

Je dois te donner l'impression depuis là-haut que je n'ai toujours pas fait mon deuil... Ce qui n'est pas complètement faux, je reconnais que je pleure encore ta perte et que je ne t'ai pas vraiment laissé partir... Je ne suis pas malheureux pour autant, mais je tâche de faire mon maximum pour faire perdurer ta mémoire. Et tu vas peut-être me prendre pour un fou, mais parfois, je ressens ta présence près de moi... Et à cet instant précis, j'ai l'impression que tu es juste derrière moi... c'est vraiment perturbant, mais je me rattache beaucoup à ces illusions, ça me plaît de croire que tu veilles sur moi depuis là où tu es maintenant... Je suis sans doute plus proche de la folie que du deuil, je le crains.

Pour tout te dire, je te confie tous ceux-ci pour perdre du temps, il faut bien que je le reconnaisse. Je suis certain que je n'ai pas vraiment besoin de te rappeler tout ça, si tu as vu ce que j'ai écrit la dernière fois, tu dois bien t'en souvenir et sinon tu ne dois même pas voir celle-ci. Et je ne suis pas certain que tu veuilles réellement savoir à quel point je te pleure...

Je pense cependant que tu mérites de connaître la raison qui m'a empêché de t'écrire plus tôt alors que j'en mourrai d'envie, même si je n'avais rien d'important à te raconter...

Pour une fois, la raison est plutôt simple, je craignais la douleur que je ressentais suite à ton décès, je la ressens encore, mais maintenant, elle fait partie de ma vie, je me suis habitué à évoluer avec elle. Je craignais aussi de ne pas t'avoir suffisamment aimé, de ne pas être légitime de te pleurer. Peur de t'avoir vraiment abandonné, que rien n'y changerait quoi que ce soit. Peur que tu ne me pardonnes jamais, que je ne ferais que renforcer ta colère. Peur de te décevoir à nouveau, comme je l'ai déjà fait si souvent. Et plus que tout, je craignais de t'avoir perdu à jamais, peur de m'accrocher à un souvenir dont il ne reste plus rien...

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