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— Tu m'as fait une de ces peurs ! s'exclame-t-il définitivement soulagé.
J'ai une chance phénoménale, ça se passe décidément beaucoup mieux que ce que j'aurai pu penser, j'ai dû mal interpréter les signes, ce ne serait pas la première fois depuis que je bugue. Mais tant mieux, c'est top qu'il réagisse aussi bien, ça m'arrange, il ne peut pas savoir à quel point.
— Quand tu m'as dit « salut », j'ai vraiment cru que c'était uniquement de la politesse et que tu ne te souvenais plus de rien, Fauve m'a dit que tu risquais de le faire vu tout ce qu'il s'est passé.
— Elle a dit ça ? m'énervé-je n'en revenant pas qu'elle est osée dire une chose pareille et surtout qu'elle ne m'est pas prévenue, tout à l'heure elle va m'entendre, ça, c'est certain.
— Euh oui... Mais c'était pour mon bien. Et je suis sûr qu'elle ne m'en aurait pas parlé si elle ne s'inquiétait pas pour toi.
Mais elle est de quel côté au juste, de celui d'Elijah ou du mien ?
— Eh bien, pour ton information, je ne l'ai pas fait, je me suis dégonflée avant. Mais sache que j'aurai dû le faire, ça, c'est certain.
Mais aussi pourquoi je le rassure moi ? Je suis un peu stupide sur les bords quand même. Surtout que mon but n'est pas du tout ça, au contraire même. Je suis censée le faire sortir définitivement de ma vie pour que ce soit plus simple pour nous deux. Je ne devrai pas du tout le rassurer, au contraire, je devrais le contrarier.
Heureusement, il a réussi à m'énerver, ce qui me permet d'être quand même un peu crédible, mais ce n'est pas non plus le top. En plus, ce n'est quand même pas la première fois que je prends cette résolution, je devrai quand même apprendre de mes erreurs à un moment ou un autre. À vue d'œil, ça ne fonctionne pas du tout, au contraire, à chaque fois que je prends mes distances avec Elijah, j'empire la situation. Et je ne parle même pas du fait de m'y tenir, je suis nulle pour ça, rien que là, dès le premier jour, je parle déjà avec lui comme s'il n'y avait aucun problème. Pourtant, mes raisons sont de plus en plus sensées, mais ça ne change apparemment rien du tout.
Avant d'empirer encore plus la situation, je ferme mon casier et je pars en cours, mieux vaut arrêter la discussion dès maintenant.
— Qu'est-ce qu'il sait passer hier ? m'interroge-t-il, ne faisant apparemment pas du tout attention à ce que j'ai dit.
Pareil, le fait que je me sois barrée ne lui pose pas le moindre problème, il est habitué, il me suit. Qu'il lâche l'affaire aussi vite aurait été beaucoup trop beau. Dire que j'ai caressé le doux espoir qu'il accepte sans problème d'ignorer la journée de la veille, qu'est-ce que je suis stupide par moment.
— Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans « ça te dirait qu'on ne parle pas du tout de ce qu'il s'est passé » ? remarqué-je tentant d'être la plus venimeuse possible.
— C'était une question, non ? Du coup, j'y apporte une réponse : je n'en ai pas envie et je veux qu'on parle.
— Tu ne lâcheras pas l'affaire, je parie ?
— Tout juste, du moins je ne laisserai pas tomber avant de savoir pourquoi tu m'as embrassé. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je ne supporte pas qu'on m'évite pour ensuite me sauter dessus et se barrer en courant, j'aime bien comprendre ce qu'il se passe.
— Dans deux secondes, tu vas me dire que je t'ai agressé. Et sache que je peux t'assurer que je ne t'ai pas volontairement embrassé et je ne compte pas recommencer, d'ailleurs, ça m'arrangerait de juste t'éviter enfaîte. Ça te va comme explication ?
Il me regarde étonner, ne s'attendant sûrement pas à ce que je lui dise ça et je suis presque certaine de l'avoir vexé. Mais ce n'est absolument pas efficace contre lui puisqu'il continue d'insister, même s'il doit deviner que ce que je vais lui dire ensuite ne lui plaira pas.
— Tu ne peux pas juste me balancer ça à la gueule ! J'ai des sentiments, je te signale !
— Ah bah ça, j'avais remarqué, ne t'en fait pas. Mais moi, je ne suis pas censée en avoir, alors on a comme qui dirait un léger problème.
— Tu n'es pas censée être créative non plus et ça ne t'a pas empêché de faire mon portrait ! s'agace-t-il franchement. Et honnêtement, tu ne m'as peut-être pas volontairement embrassé, mais tu es quand même un peu consciente de ce que tu fais et je ne t'y ai sûrement pas forcé, ce n'est même pas moi qui aie commencé !
Il a de bons arguments en plus, il ne fait définitivement rien pour m'aider.
— Comme si ça ne faisait pas des mois que tu n'attendais plus que ça ! Et tu ne m'as pas repoussé non plus. Et oui Elijah, j'ai bien compris pourquoi tu étais venu tout particulièrement me parler le premier jour et pourquoi tu t'es tant intéressé à moi au début, je ne suis pas complètement stupide, ajouté-je face à son air étonné, il ne s'attendait sans doute pas à ce que je lui dise ça.
— Je ne me serai jamais permis de t'embrasser sans t'en demander la permission ! Si tu ne m'avais pas embrassé, je n'aurais jamais rien fait, je pensais que tu étais à peu près consciente de tes actes !
Il m'agace quand il met systématiquement le doigt sur ce que je veux lui cacher, c'est vraiment le truc qui m'horripile le plus chez lui. Et là, il arrive à me mettre remarquablement bien au pied du mur, à cause de lui, soit je lui parle de mes dysfonctionnements, soit je reconnais qu'il y avait une part de moi très bien consciente de ce qu'elle était en train de faire. Quelles options réjouissantes.
— Et bien si tu veux vraiment tout savoir, soupiré-je résignée, je bugue, je t'ai embrassé à cause d'un bug. Soit dit en passant, je suis à peu près certaine que sans ce joli petit bug, je ne t'aurai même pas laissé m'approcher. Alors maintenant, si ça ne te gêne pas, je préférerais qu'on arrête de se voir, rien que pour éviter que je te fasse sauter la cervelle par erreur.
— Mais ce n'est pas grave si tu as des bugs, non ?
— Mais tu es con ma parole ! Heureusement que tu es en génie informatique, sinon je ne te raconte même pas ! Un ordinateur qui bugue, est-ce grave ? Un centre de data qui bugue, est-ce grave ? Alors tente de deviner, un robot ultra perfectionné, dangereux et lourdement armé qui bugue, est-ce grave ? remarqué-je en arrivant enfin devant notre salle de cours.
Je pourrais rentrer dans la pièce, comme ça, je mettrai un terme à notre conversation, mais il faut que je règle cette histoire. Alors je reste à l'entrée en attendant d'avoir mis les choses au clair avec Elijah, ce qui ne peut qu'être utile.
— Entre nous, si ton seul bug c'est de m'avoir embrassé, il y a pire.
— Mais tu n'es pas le centre du monde, mec, tu ne sais pas tout de moi non plus, si ça tombe, j'ai déjà tué quelqu'un à cause de ça.
— Mais tu ne l'as pas fait, sinon, tu ne parlerais pas au conditionnel.
— Oh tu m'énerves ! J'espère que tu en as conscience ? Pourquoi cherches-tu toujours à tout comprendre ? Si tu veux vraiment tout savoir, oui effectivement, pour l'instant, mes bugs sont mineurs. Mais ça peut changer et je vais encore devoir passer un moment avec mes bugs avant d'en être débarrassée. Alors désolée de ne pas être ravi de cette perspective, surtout que, je ne sais pas si tu as écouté en cours, la plupart des bugs ont une fâcheuse tendance à s'aggraver avec le temps.
Ma patience atteint possiblement ses limites, je suis peut-être de plus en plus sèche avec lui, mais il m'agace à comprendre les choses à moitié.
— Pour l'instant, tu n'es pas sûr que les bugs vont empirer, alors tout va bien, souligne-t-il me tendant le bâton pour se faire battre.
Malgré tout, ma colère commence à retomber, plus notre conversation avance, plus j'ai l'impression qu'il cherche plus à se rassurer qu'à me contredire.
— Tu te rends compte de ce que ça veut dire au moins j'espère ? Vraiment, parfois j'ai l'impression que tu ne comprends pas ce que je dis.
— Si, je comprends très bien, promis. T'inquiète pas, je comprends dans très peu de temps, tu seras comme en début d'année. Ce que je cherche à comprendre, c'est ce qu'il va se passer entre les deux. Ce sera dans combien de temps à peu près ton rendez-vous ? demande-t-il avec désinvolture, mais j'entends bien qu'il attend impatiemment ma réponse.
— J'espère que ce sera à Thanksgiving, mais je n'ai pas encore de date. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que ce sera dans maximum un mois.
— Entre deux et trente jours, ce n'est pas trop vague comme créneau. Mais un mois, c'est déjà bien...
Il ne s'inquiète pas du tout pour ce que je pourrai faire, c'est impressionnant, il espère presque uniquement pouvoir passer du temps avec moi. Quand j'y pense, c'est triste pour lui, il mériterait d'être amoureux de quelqu'un d'autre. Maintenant que je bugue et que je ressens des sentiments pour lui, je ne le supporterai pas, mais avant, ce fameux premier jour de cours, il aurait pu remarquer n'importe quelle autre fille...
— Je ne devrai rien ressentir pour toi et tu sais aussi bien que moi qu'on ferait mieux de faire comme si de rien été, ça nous fera moins de mal. Je sais que tu n'es pas d'accord, mais avoues que j'ai raison. Là, tu es en train de t'accrocher à un espoir vain, il faut que tu en aies conscience... Un mois, tu te rends compte ? Que 30 jours, 720 heures, 43 200 minutes, 2 592 000 secondes. Et ça, c'est que dans le meilleur des cas, ça peut très bien être beaucoup moins et toi, tu t'accroches à cet espoir. Enfin, réagis, dans une vie, ce n'est rien du tout. C'est presque qu'un millième de ta vie, est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Et imagine pour moi qui peux vivre des milliards d'années ce que représente un mois ! Ce n'est rien ?! À quoi bon ? Pour toi comme pour moi. Autant que je rentre dans cette salle et qu'on ne se reparle plus, ce sera mieux pour nous deux, ça fera bien moins mal.
— Ronii...
— Je suis désolée, Elijah... affirmé-je sincère en le laissant comme un idiot devant la porte.
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