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Je prends une nouvelle lettre pour savoir ce qu'il s'est réellement passé. Elle est du 21 décembre, soit plusieurs jours après ma naissance. Ce qui ne m'inspire pas confiance, c'est sans doute un signe me montrant que mes parents ont échoué, qu'ils ne m'ont pas sauvée et que depuis, ils ne se sont plus reparlé en voulant sans doute à l'autre de ce qu'il s'est passé... J'aurais vraiment aimé que ce ne soit pas le cas, mais malheureusement, il y a de moins en moins d'espoir...
Cher Léonard,
Je sais que tu m'en veux pour toute cette histoire et c'est parfaitement compréhensible, je dois avouer que je m'en suis tenu personnellement responsable et que je m'en suis voulu également dans les moments de doutes. Mais il faut bien avouer que même si ça fut compliqué, même si nous n'y sommes pas tout de suite arrivés, même si nous avons failli échouer, nous allons récupérer notre fille. Au fond, j'ai eu raison de m'accrocher à ce fol espoir, aussi insensé soit-il, parce que nos efforts ont payé, je te l'avais bien dit que nous réussirions, qu'Angelina allait nous la laisser.
Je dois avouer que j'avais pensé que ce serait bien plus simple, mais ça a tout de même été possible, il lui fallait juste un peu de temps pour profiter de notre fille. Je reconnais que tes inquiétudes étaient fondées, mais tu aurais pu m'accorder un peu plus confiance, je connais tout de même suffisamment ma sœur pour la faire céder, surtout quand elle sait pertinemment que j'ai raison. Je dois reconnaître que j'ai dû lui promettre qu'elle verra notre enfant de temps en temps et que nous lui donnerions des nouvelles, mais il me semble que c'est bien peu et que nous n'aurons aucun mal à remplir cette condition.
Et maintenant, tout est arrangé, nous avons récupéré notre petite Ronii, qui pourra passer son premier Noël à nos côtés. Dorénavant, comme je te l'avais prédit, nous pouvons accueillir notre fille chez nous, la prendre dans nos bras et nous allons pouvoir fonder notre famille, sans problème et loin de toutes tes inquiétudes.
Je t'aime
Salaï
P.-S. Ne t'en fais pas autant la prochaine fois que nous avons un problème, nous trouverons toujours une solution, quoiqu'il arrive, parce que nous serons ensemble.
J'ai presque envie de rire, je suis tellement soulagée, c'est impressionnant, je ne m'attendais plus à un revirement de situation, je m'imaginais déjà morte ! Mais non, je ne me transformerais pas en robot cette fois-ci ! J'ai au moins vécu au côté de mes parents, tout semble s'arranger. Ce n'est sans doute que pour un temps puisqu'il faudra bien un jour que mes pères fassent mes plans et De Vinci n'est pas éternel, mais nous avons un moment de répit et comme l'avait dit Salaï, maintenant, ils ont au moins pu fonder une famille.
C'est tellement un soulagement d'avoir vécu un peu plus longtemps, ça aurait été dramatique autrement et j'ai commencé à ne plus croire en un quelconque revirement de situation. Finalement, c'est bien aussi d'être optimiste de temps en temps, tout n'est pas toujours perdu, même si tout montre le contraire. Et c'est tellement satisfaisant de lire quelque chose d'aussi incroyable que ça. J'ai vraiment envie d'enchaîner les lettres pour voir jusqu'à où tout ça va me mener, j'espère le plus loin possible.
J'aurais volontiers lu une nouvelle lettre, je l'ai même sorti et je l'aurais sans doute commencé si au même moment, il n'y avait pas eu enfin une voiture qui daigne s'arrêter pour nous prendre en stop, ce n'est pas peu d'avoir tenté plusieurs fois sans le moindre résultat. Je vois clairement à la tête d'Elijah qu'il est soulagé, il n'en pouvait plus d'attendre.
— Où allez-vous ? demandé-je en allemand à la conductrice quand elle ouvre sa fenêtre.
— À Lucerne, je vous emmène ?
— Ce serait parfait, merci beaucoup, nous attendons depuis longtemps qu'une voiture s'arrête, affirmé-je en récupérant une partie de nos affaires.
Je monte côté passager et Elijah va à l'arrière.
— C'est sûr qu'il n'y a pas beaucoup de passage par ici, remarque-t-elle en semblant méfiante.
Elle est méfiante, mais elle nous conduit tout de même jusqu'à la ville. Pendant le trajet, je lui raconte plusieurs mensonges pour expliquer notre situation et faire un peu la conversation. La conductrice va même jusqu'à nous déposer devant une agence de location de voiture. À partir de là, c'est tout de suite beaucoup plus simple, l'agence de location est ouverte, je n'ai qu'à présenter « mes » papiers d'identité ainsi que payer la caution. Dans les faits, je ne fais ni l'un ni l'autre, puisque les papiers d'identité sont des photographies de faux et que le paiement est anonymisé. Mais je fais quand même quelque chose à peu près dans les règles. J'aurais pu faire pire franchement, vu la situation, je suis presque sympa et dans les règles.
Je récupère les clefs de notre nouvelle voiture et nous suivons l'agent de location jusqu'au garage où il nous explique les dernières petites spécificités. Je suis certaine que j'aurai trouvé une bien meilleure voiture moi-même, mais celle-ci n'est pas une si grosse catastrophe, une Audi A3, c'est acceptable, ce n'est pas une R8, mais ça reste une Audi et après tout, je n'aurai pas besoin d'une voiture de course a priori.
— Ça te dit qu'on se pose quelque part et qu'on puisse être ailleurs que dehors ou dans une voiture ? vérifié-je une fois dans le véhicule, auprès d'Elijah en devinant que trop bien la réponse.
— Clairement partant, affirme-t-il quand je prends la route.
— Par contre, ne m'en veut pas, mais on ne loura pas quoi que ce soit cette fois, la voiture je tolère parce que je ne prends pas un très gros risque, mais un logement, c'est beaucoup trop fixe et facilement retrouvable.
— Tu n'en seras pas à ton premier délit franchement. Si tu penses qu'on ne prend pas trop de risque, je n'ai rien contre.
— Parfait.
Je ne mets que quelques minutes à repérer ce qui m'intéresse : du très isolé, loin des caméras de surveillances et dont j'ai la preuve qu'il est vide. Pour le coup, je suis très sûre de moi, c'est un chalet de vacances appartenant à des Anglais qui travaillent actuellement à New York et vivent dans le Maryland, et dont la maison est entièrement vide. Ça nous fera une cachette parfaite et elle est presque à équidistance de toutes les frontières qui touchent le pays, nous pourrons donc changer de lieu très facilement en cas de problème. En plus, elle est en plein milieu des Alpes suisses, je peux difficilement faire plus reculer et jamais personne ne pensera nous chercher ici, surtout que pour l'heure, personne ne nous cherche, du moins pas dans ce pays.
Je reconnais que c'est un peu loin de notre point de départ, mais à un certain stade, nous sommes plus à une heure près.
Elijah est clairement soulagé lorsque nous nous garons devant, je ne sais pas si c'est l'optique de se poser pendant plusieurs heures qui le réjouit ou s'il est plus heureux de bientôt avoir l'occasion de dormir dans un lit au lieu d'en voiture. C'est donc avec soulagement que nous entrons par effraction dans le chalet qui est luxueux, entièrement équipé, immense, c'est le genre d'endroit où l'on se perd facilement, il y a même six chambres différentes et le même nombre de salles de bain. J'ai vraiment fait le bon choix en venant ici, nous allons être tranquilles.
Nous nous installons dans le salon, ayant largement la place, je vais pouvoir m'étaler pour lire toutes les lettres qui me restent. Je me pose dans l'un des fauteuils de la pièce et pose la boîte aux lettres en face de moi. La première feuille que je récupère date du début de l'année 1504, quelques dizaines de jours après ma naissance et elle parle de moi ou du moins en partie. Elle ressemble beaucoup aux lettres qu'avait l'habitude d'échanger mes parents, elle n'avait donc rien d'exceptionnel. Elle ne m'apprend rien de vraiment nouveau, même si c'est assez marrant de lire à quel point la Ronii humaine me ressemble, bien que ce soit un tout petit bébé, elle semblait déjà se comporter comme je m'étais comporté au même âge pour faire croire que j'étais un enfant normal. C'est donc assez réconfortant, ça veut dire que mes créateurs n'ont pas fait n'importe quoi avec moi.
Ensuite, mes parents relatent mon existence et au passage la leur, c'est assez étrange de se découvrir ainsi. Je suis juste assez déçue de voir que les lettres sont bien moins régulières qu'avant ma naissance et qu'il est de plus en plus courant pour mes parents de finir leur discussion à l'oral. Mais je ne vais tout de même pas me plaindre, je me vois évoluée, c'est déjà énorme. Assez vite, je dis mes premiers mots, je fais mes premiers pas, grâce à l'éducation de mes pères, j'ai été une enfant assez précoce, apprenant à écrire à cinq ans, sur le dos d'une de leurs lettres justement, une simple phrase griffonnée avec hésitation : « Je veux être un oiseau ».
Au passage dans les lettres, je découvre plus mes parents aussi, comprenant mieux certains événements de leur vie, ce qui explique beaucoup de mystère qui ne m'avait pas du tout intriguée jusqu'alors. C'est assez étrange comme « découverte », mais je n'ai jamais autant apprécié quelque chose.
Je finis par trouver une lettre très intéressante, voire passionnante, du moins de mon point de vue puisque c'est une massive écrite par ma propre main. Cette fois, l'écriture est beaucoup moins hésitante, j'ai déjà sept ans et ça fait plusieurs mois que je devais écrire régulièrement, même s'il n'y a plus de traces des cours que me donnaient mes parents. Contrairement à Salaï dans sa première lettre, je semble déjà connaître les règles de présentation, même s'il me manque encore un peu de rigueur.
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