101 (5.2)
Nous n'en parlons pas tout le trajet à en parler, mais je sens bien que nous y pensons toutes les deux, où alors je suis tellement obsédée par ce qui s'est passé, que je ne peux pas passer à autre chose. C'est possible aussi. En attendant, je ne pense même pas à la prévenir par rapport à la thèse que je vais devoir faire. Et je ne le fais qu'en arrivant quand je demande à Fauve de descendre maintenant, puisque je ne reste pas.
— Pourquoi ? s'exclame-t-elle ne comprenant pas.
— Je dois aller chez Elijah...
— Tu sais, ce matin, je t'ai dit de te calmer un peu, pas de commettre un meurtre.
Bien évidemment, elle ne me connaît pas du tout, ce n'est pas une envie qui me démange ni même une idée qui m'a traversé l'esprit, au contraire même. Je n'ai même pas encore plusieurs plans en tête pour ce qui est de cacher le cadavre. Je suis juste parfaitement prête en cas de besoin, comme n'importe quelle personne sensée face à un quelconque danger, je crois même que ça a un nom : l'instinct de survie.
— C'est que cet idiot veut que l'on fasse une thèse ensemble, moi, si j'avais vraiment le choix, il ne serait plus dans la fac.
— Bon, au pire si tu passes l'éternité en prison, tu vas survivre, amuse-toi bien dans tous les cas et tu trouveras bien un moyen de sortir et de me rejoindre, j'ai confiance en toi.
— Allez, dégage de là au lieu de dire des conneries et de me donner des idées.
Elle sort en rigolant, je souris, avant de repartir et je vais chez Elijah, avec un taux de motivation assez bas. J'y serai en avance très largement, avec presque trente minutes de rab, mais ça me permet non seulement de m'y préparer mentalement, mais aussi de faire un peu de route pour me détendre. Ce serait encore plus efficace si je courais, mais malheureusement, je ne peux pas arriver sans voiture. Je m'amuse donc sur l'autoroute une petite demi-heure à rouler à toute vitesse avant de me rapprocher de la ville et donc de l'adresse d'Elijah.
J'arrive tout pile à l'heure, presque à la perfection. Comme prévu, il vit dans une petite maison en périphérie de Berkeley, au moins, il n'y a rien d'anormal là-dedans. Quand je sonne, très précisément à seize heures, à la seconde près, la porte s'ouvre très vite sur une fille, un peu plus grande que moi, aux cheveux multicolores, ou plutôt parsemés de mèches arc-en-ciel et aux mêmes yeux bleu glacé que ceux d'Elijah, mais sans la lueur malsaine, ce qui les rend presque affectueux. Même sans avoir vu sa photo ni avoir fait de reconnaissance faciale, j'aurai su que c'est sa grande sœur, Charlotte, la ressemblance saute aux yeux.
— Bonjours, tu viens voir Elijah ? vérifie-t-elle souriante.
Elle est définitivement beaucoup plus aimable que son frère, ça fait plaisir à voir. Rien que pour ça, je ne l'agresse pas en lui disant que je viens voir Phœnix, même si ça m'aurait plu de voir sa réaction, elle l'aurait sans doute moins bien cachée que son frère.
— C'est ça. Je peux rentrer ?
— Oui, vas-y, m'invite-t-elle semblant amusée par une information que je n'ai pas.
Elle se retourne et ajoute en criant :
— Bon, Eli, tu bouges ton cul, c'est pour toi !
Apparemment, l'amabilité n'est qu'une façade... D'un autre côté, peu de personnes s'entendent aussi bien avec leur fratrie que Fauve et moi.
— Oui, j'arrive. C'est bon, tu es contente ? ajoute-t-il en arrivant dans la pièce. Oh... Tu es déjà là ? Tu es drôlement ponctuelle comme fille.
— Je suis ponctuelle et je n'ai pas de temps à perdre, alors on s'y met ? J'aimerais bien avoir fini cette thèse le plus vite possible, râlé-je presque, n'ayant pas du tout envie d'être rien qu'aimable avec lui.
Sa sœur lui lance un regard entendu comme lorsqu'elle m'a fait rentrer. Son frère le voit, mais il l'ignore volontairement, il n'est pas aussi doué qu'il ne le pense pour cacher ses émotions.
— T'en fais pas, je ne t'ai pas fait venir pour rien. On va monter, on sera plus tranquille.
Encore heureux qu'il ne m'ait pas fait venir pour rien, sinon j'aurais pété un câble. Je monte les escaliers à sa suite et il ouvre une porte au fin fond du petit couloir avant de me faire rentrer. Sa chambre est assez simple, petite et il n'y a pas la moindre décoration... Pas la moindre vie non plus, elle est parfaitement rangée, il n'y a pas de photo, rien n'est désorganisé, ça ne fait pas naturel, personne ne vit dans une chambre aussi impersonnelle. Le seul truc qui prouve que quelqu'un y loge, ce sont les livres et les manuels dans les étagères et l'ordinateur sur le bureau, qui lui aussi est parfaitement organisé. Incroyable.
Je crois que je n'ai jamais vu une chambre aussi artificielle à part dans les films. Même ma pièce, qui pourtant ne me sert à rien à part avoir un espace « privé » pour ranger mes affaires, n'est pas aussi bien organisée que ça, alors que j'ai l'occasion de remettre de l'ordre toutes les nuits.
— On commence par quoi ? demandé-je sachant pertinemment que si je lui ponds un exposé complet sans faire la moindre recherche, il va trouver ça étrange, alors qu'en soi, c'est presque ce que je fais à chaque fois.
— Peut-être par les utilisations possibles et par la découverte
Ça peut être utile, oui, j'aurai peut-être même approfondi directement avec les principales intégrales connues et leurs inventeurs, mais si tu veux y aller mollo, pas de problèmes, il faudra juste absolument tout mettre. Et tu as intérêt à savoir rédiger, je ne vais pas m'occuper de tout.
Je sens par contre que si je lui sors ça, notre entente pour ce travail va être encore plus animée alors je vais tenter d'être quand même cordial, après tout, je n'ai plus le choix... Sauf si à mon plus grand regret, il meurt d'une mort tragique dans la nuit et que je me retrouve à travailler seule. Paix à son âme. Allez, je vais être sympa, je vais attendre encore un peu pour avoir des circonstances idéales, abattues dans un lit, c'est forcément suspect. Dommage que la saison de chasse à l'ours ne soit pas ouverte cette année, après tout, un accident est vite fait. Mais je trouverai bien un autre accident facile, l'actualité me donnera vite des idées. Au pire, il va à la fac en voiture. Seul.
— Bonne idée. Tu as internet ? le questionné-je en le prenant peut-être un peu pour un con, mais en soi, je serai humaine, je ne sentirai pas des réseaux internet à proximité, alors elle n'est peut-être pas aussi débile que ça.
— Oui, tu veux que je fasse une recherche ? m'interroge-t-il en arrivant quand même à être étonnement gentil avec une personne qui le déteste.
Non, c'était une question rhétorique, je vais m'en occuper avec mon téléphone imaginaire, c'est tellement plus pratique qu'un ordinateur, ça semble si logique.
Moi par contre, vraiment je n'arrive pas à faire semblant d'être sympa, je réfléchis juste assez pour ne pas lui cracher des saloperies à la gueule.
— Si tu veux bien oui. De toute manière, là, on fait juste des recherches pour structurer notre thèse, j'amènerai mon ordinateur quand il faudra rédiger.
Heureusement que j'en ai acheté un pour la fac, sinon je devrai prendre celui de ma sœur, ce qui serait quand même beaucoup moins pratique
Il hoche la tête, acceptant visiblement sa mission. Et il s'installe au bureau avant d'allumer l'ordinateur. C'est tellement cliché mon dieu, il ne peut donc pas agir normalement. En plus, il n'est même pas galant, il aurait quand même pu me proposer une chaise, c'est un minimum. Je n'en ai pas besoin, mais un peu de politesse quand même, c'est la moindre des choses. Je ne vais rien dire, mais il a intérêt à s'en rendre compte.
Pendant que la machine charge, avec une lenteur de l'extrême, je sors un stylo de mon sac et une petite feuille, devinant à quel point je vais me faire chier à écrire, alors que c'est inutile et que je ne peux même pas avoir de table sous peine de devoir me rapprocher de lui. C'est si pratique ce bordel. Vivement que nous ayons fini de le faire, je ne tiendrai pas longtemps. Occupée à faire une présentation à peu près correcte, je ne me rends pas tout de suite compte qu'il ouvre la page Wikipédia concernant les intégrales et la page a déjà chargé, je ne peux donc pas l'aménager à ma sauce. Bonjour la fiabilité en plus, à quel moment tu fais une thèse à partir de Wikipédia alors que je ne connais pas la personne qui l'a rédigée.
— Tu utilises sérieusement Wikipédia ? remarqué-je presque moqueuse pour lui faire comprendre que ce n'est pas le bon choix.
— Faut bien commencer quelque part.
— Il y a quand même mieux qu'une encyclopédie libre que le monde entier peut modifier à tout moment.
— Alors qu'est-ce que tu préconises puisque tu es si maligne ?
Voilà, je le préfère désagréable, au moins, je n'ai pas l'impression d'être la seule conne mal lunée.
— Je ne sais pas, des cours de facs, des thèses, des encyclopédies fiables, n'importe quoi, mais pas ça.
Il soupire, paraissant à la fois désespéré et résigné.
C'est quand même beaucoup plus tranquille de travailler toute seule, c'est un gain de temps incroyable. En plus, je n'ai pas besoin de me casser la tête avec tout ça et surtout, je peux le faire quand je veux, alors que là, il y a beaucoup trop de contraintes. Les idiots de ma classe ont intérêt à travailler correctement la prochaine fois, je ne travaillerai pas en duo pour le restant de l'année.
Au moins, Elijah est peut-être soûlé, mais il revient en arrière et cherche mieux, c'est déjà bien, nous ne sommes pas en deuxième année du pôle de génie informatique à Berkeley pour fonder notre thèse sur le site plus populaire du monde.
— Je regarde sur quoi du coup ? m'interroge-t-il en semblant penser qu'il vaut mieux laisser sa chieuse de coéquipière choisir.
Sage décision.
Juste, il m'oblige à me rapprocher, mais bon... Je ne peux pas tout avoir. Je regarde vite fait ce qu'il y a et finis par décider l'une des thèses d'un scientifique connu et fiable, j'aurais vraiment dû réaménager la page Wikipédia, ça aurait été plus simple. Enfin pas vraiment en fait, ça aurait été plus simple pour lui, pour moi, ça ne change rien, je n'ai dans tous les cas pas vraiment besoin de lire ce qu'il y a d'écrit. Et puis lui, il faut bien qu'il apprenne quelque chose un jour, je ne vais pas non plus avoir pitié pour lui, faut pas déconner.
En attendant, le temps qu'il lise les quarante-cinq pages et que je note au même rythme les informations intéressantes, ça nous prend plus de deux heures et il est déjà temps que je rentre. Il me raccompagne jusqu'en bas, même si c'est très clairement inutile et que je préférerai qu'il s'en dispense, mais bon. Vivement que je fuie.
Dès que je suis sortie, je monte en voiture et je prends la route vers chez moi, cinq minutes plus tard, je suis déjà sur place, impatiente de retrouver ma famille. Ils m'attendent, surtout Fauve que j'ai prévenue de mon arrivée imminente. Même si mon père n'est pas encore rentré, nous passons toutes les trois à table, son vol a pris du retard au décollage et il est encore entre Washington et San Francisco, presque au-dessus de Denver pour être plus précise, mais ça, sans moi, nous ne pourrions pas le savoir.
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