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 Je crois que De Vinci avait sous-estimé les problèmes que pouvait lui causer malgré tout Salaï avec sa sale manie de voler tout et n'importe quoi. Il s'en rend d'ailleurs vite compte vu le nombre de pages de son journal qui relate les exploits du petit Gian qui se fait très vite surnommer Salaï tant il fait facilement des bêtises à tout-va. Il avait vraiment de très sérieux problèmes avec l'autorité, ce qui le rend assez diabolique à la longe. Les pauvres, ils auront tous vu, Salaï aura tout tenté, toutes les conneries faisables ont été accomplies d'après De Vinci. Au moins, même si je suis moins atroce, je sais de qui tenir. Bien que, moins atroce est une question de point de vue, je me transforme quand même en cleptomane avec le temps.

En attendant, aussi chaotique soit leur début, ils ont fini par s'en sortir, ça n'a pas dû être facile, mais ils l'ont fait. Et à ce que j'ai compris dans les livres d'histoires, c'est que Salaï a fini par ne presque plus voler ou du moins seulement à bon escient. Je verrais bien si c'est la vérité ou non. En tout cas, la première lettre écrite par Salaï est au sujet de ses chapardages incessants, reste à savoir si c'est une lettre dont il a pris l'initiative ou si c'est une lettre que Léonard l'a poussé à faire. Les deux sont envisageables. Elle avait été écrite presque six mois après son entrée dans la Bottega de De Vinci. L'écriture encore hésitante, l'orthographe est à revoir et le vieil italien montre bien que Salaï était illettré à son arrivée.

Bonjour, maître De Vinci,

Je ne sais pas comment démarrer une lettre et vous m'en excuserez, je ne sais même pas réellement comment je devrais l'écrire pour qu'elle soit correcte. Aujourd'hui, vous m'avez une nouvelle fois surpris à voler et j'en suis désolé, j'ai conscience que je ne devrais pas, mais j'adore la sensation lorsque je vole des objets, je sais que c'est mal et que je pèche en agissant comme ça... Mais s'il vous plaît, ne me renvoyez pas de la Bottega, j'aime cet endroit et je ne veux pas rentrer chez moi, je suis mieux ici.

Pardonnez-moi encore une fois

Gian

J'ai oublié de dire que s'il le fallait absolument pour rester, je tâcherais d'arrêter de voler...

Mon père devait être incroyable, peut-être désespérant, mais incroyable. Je pense qu'il a aussi mérité son surnom de Salaï, même à l'écrit, il paraît espiègle. De Vinci a vraiment dû être patient avec lui pour qu'il craigne son renvoi seulement après six mois, parce que Gian est vraiment toujours décrit comment étant un voleur, il y a même des textes pour le décrire comme tel, dont certains qui sont écrits par ces personnes extérieures.

Avec la lettre d'après, j'avais espéré le retour de Léonard, mais malheureusement, la conversation a dû se terminer à l'oral, je n'ai donc pas la suite, même si je sais bien que Salaï a continué son apprentissage. Les lettres qui suivent sont de simples échanges entre mes pères, mis en place par De Vinci pour que Salaï ne vienne pas lui poser certaines questions pendant qu'il était occupé avec d'autres élèves.

Par la suite, ses lettres ont plutôt servi à cacher leur relation et pouvoir quand même avoir des échanges personnels pendant leurs longues journées de travail durant lesquelles ils étaient en permanence entourés de monde pouvant les écouter.

Je lis ainsi plusieurs lettres, jusqu'à ce qu'Elijah commence à se plaindre, ayant apparemment très envie que je vole une voiture finalement. Mais ce serait idiot, surtout qu'il fait presque jour. Je lui promets tout de même que si d'ici dix heures, nous ne sommes toujours pas sur la route, je m'en occuperai.

En tout cas, au cours de ma lecture, j'espérais voir à quel moment il y a commencé à y avoir de véritables sentiments entre eux, mais je n'arrive pas à repérer le moment. Les choses ont dû se faire trop graduellement pour qu'il y ait vraiment quelque chose de remarquable. Ou alors le début de leur relation était trop peu prémédité pour qu'il y ait une lettre de déclaration. Je vois seulement le moment où ils commencent à s'appeler par leur « prénom » ainsi que le passage du vouvoiement au tutoiement, mais ce n'est sûrement pas un signe, surtout que ça me semble tôt, même si Salaï a quinze ans. Et quand arrivent les « Je t'aime » à la fin de leur lettre, leur relation semble déjà sérieuse et bien engagé, mais une fois de plus, c'est difficile d'en être certaine.

Après que la chute des Sfarza, le couple change plus souvent d'endroits, mais Salaï suit toujours De Vinci. Ils reviennent seulement de temps en temps à Milan. Et Salaï en profite toujours pour rendre visite à l'une de ses sœurs aînées, la plus jeune des deux, Angelina, la plus grande, Lorenziola semble avoir disparu, en tout cas, il n'en a fait aucune mention et les livres d'Histoire n'en parlent jamais. C'est d'ailleurs après l'une de ces visites que je trouve une des lettres de nouveau intéressante, surtout qu'elle est du 24 juin 1503, soit quelques mois avant mon invention, alors la massive représente sans doute les prémisses de ce qui les a conduits à créer mes plans.

Cher Léonard,

Avant toute chose, je tiens à dire que j'ai conscience que ce n'est pas possible, alors inutile de me le faire remarquer, j'écris cette lettre dans l'unique but de te faire part de mon idée, rien de plus. Je dois avouer que j'avais aussi envie de t'en parler, puisque nous ne nous cachons rien.

Pour revenir au sujet de ma lettre, j'aurais envie que l'on ait un enfant, je t'aime et tu m'aimes également, ça me paraît être la suite logique des choses, surtout après la bague que tu m'as fabriquée. Je dois avouer que j'y pense depuis longtemps déjà et que la grossesse de ma sœur m'en a donné encore plus envie. Je sais bien que ça peut être très compliqué pour nous d'élever un enfant, surtout que personne, même les gens les plus ouverts d'esprit, ne l'acceptera et que nous serons obligés de le cacher, comme nous cachons notre relation en beaucoup plus difficile.

Mais, même si c'est à l'opposer de la raison, j'ai envie d'élever un enfant avec toi, aussi fou que ça puisse paraître, et je devais te l'avouer. Je te promets une nouvelle fois que j'ai conscience que c'est très compliqué, mais tu sais aussi bien que moi qu'il y a un nombre effrayant d'orphelins qui errent dans les rues sans famille et si ça t'embête d'obliger un enfant à vivre avec nous, il y a toujours les fermes à bébé ou les tours d'abandonne grâce auquel nous pourrons en adopter un en toute discrétion, tout particulièrement si seulement l'un de nous deux s'y présente.

Tu as le droit d'être contre mon idée

Je t'aime

Salaï

Mes parents, ou du moins Salaï, ont donc eu l'idée d'avoir un enfant en juin, c'est marrant à savoir, j'ai même envie de lire la réaction de De Vinci face à des informations pareilles. En tout cas, même si je ne sais pas encore qu'elle allait être sa réponse, je lui donne déjà raison par rapport au côté déraisonnable de Salaï. En soi, c'était presque une bonne idée, mais je pense qu'il ne mesurait pas complètement la complexité de l'éducation d'un enfant, surtout en bas âge.

Et ce n'était qu'une des difficultés parmi beaucoup d'autres, rien que leur couple pose des problèmes, la célébrité de De Vinci n'aidait sans doute pas non plus à passer inaperçu et ce n'était pas vraiment une vie pour un enfant, même dès tout petit, de vivre cacher. Mais au moins, il en avait conscience, il savait déjà que ce n'était et que ça resterait sûrement au stade d'idée. Il n'avait pas l'air de miser beaucoup d'espoir, même s'il semble y tenir.

Quand même, mes pauvres parents n'étaient pas gâtés, ils n'ont jamais eu la chance de m'avoir, je suis restée au stade de projet, ça n'a jamais été plus loin avant leur mort.

Cette fois, la réponse était aussi écrite et elle était du même jour, elle avait sans doute été écrite tout de suite après avoir été lue. Ça m'arrange bien d'avoir le retour écrit puisque j'allais sans doute pouvoir voir les prémisses de ce que je serais si Léonard n'était pas complètement opposer l'idée.

Cher Salaï,

Je comprends parfaitement ton envie, il m'arrive régulièrement de rêver d'avoir un enfant, ce serait une expérience exceptionnelle à vivre tous les deux. Mais comme tu l'as si bien fait remarquer, c'est impossible, quoi que nous fassions, ce ne pourra pas être réalisable, un couple d'hommes ne peut avoir d'enfant et même si s'occuper d'un jeune abandonné pourrait être une solution, c'est interdit et nous y risquerions plus que ce que nous y gagnerions.

Si jamais par malheur qui que ce soit apprenait que nous élevions un bébé, nous pourrons être emprisonnés ou condamnés à l'exil et nous nous ferions retirer l'enfant alors que nous nous y serions attachés, ça serait pire que tout et ça risquerait de nous détruire plus que de nous faire grandir. Nous sommes donc obligés de laisser notre rêve commun au stade d'idée ou d'illusion, sauf si nous trouvons une solution miracle, ce dont je doute fortement.

Il est donc inutile de se torturer avec un espoir déçu, il vaut mieux tenter de continuer d'être heureux sans pour autant construire une famille comme nous l'avons déjà fait ces dernières années.

Je t'aime

Léonard

En lisant la lettre de De Vinci, c'est presque à se demander comment il a pu faire mes plans moins de six mois plus tard, ça me paraît presque impossible vu sa position réfléchie sur la question et son avis quasiment catégoriques. Je me demande presque s'il n'y aurait pas eu un événement entre les deux qui lui aurait fait changer radicalement d'avis. Ou alors peut-être qu'ils ont continué d'en parler et qu'il a fini par être suffisamment tenté par la question pour chercher une alternative qui ne sera autre que mes plans. Les deux sont possibles en tout cas.

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