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 Je finis par tomber sur la page où il relate sa rencontre avec le jeune Gian qu'il appellera plus tard Salaï. Même si la police n'est plus qu'à une petite dizaine de minutes de nous, je la lis tout de même et j'y prête une attention toute particulière. Je sais bien que je n'y apprendrai rien sur moi, mais je sais aussi que c'est à partir de là que je découvrirais vraiment mes parents, ce qui m'intéresse étrangement comme un besoin soudain de mieux les connaître et découvrir la partie d'eux qui n'est pas retranscrite dans les livres d'histoires. La lettre en question date du 31 août 1485, ce qui est avant la date officielle du début de l'apprentissage de Salaï au côté de De Vinci, mais je sais que c'est à ce moment-là qu'ils se sont croisés pour la première fois.

Aujourd'hui encore, je me suis rendu à la cour des Sforza à leur demande pour exécuter une nouvelle commande en plus de la statue équine réclamée par le duc François Sforza, cette fois-ci, ce sera une fête grandiose sur le thème du Paradis. Mais là n'est pas le sujet pour lequel j'écris dans mon journal en ce jour, il est même bien différant. Je revenais donc de la maison des Sforza en pleine après-midi pour regagner la bâtisse que m'a confiée le duc lorsqu'il m'a fait venir à Milan pour obtenir mes services. Et je suis tombé nez à nez avec un jeune voleur, de peut-être six ans, tout au plus, qui était en sur le point de sortir de chez moi avec une de mes toiles dans les mains, le portrait de Cecilia Gallerani pour être plus précis.

J'ai été choqué que quelqu'un me vole ainsi dans ma propre maison, surtout de la part d'un si jeune enfant qui avait déjà appris à chaparder allant a contrario de tous les bons principes qu'un futur homme est censé maîtriser, même à un âge si précoce. Mais je n'ai même pas eu le temps de réagir et de gronder l'enfant, que son père est venu pour le punir, après tout c'est tout à fait normal, n'importe qui aurait réagi de même dans une situation semblable.

Mais l'homme était d'une telle violence contre cet enfant encore très jeune, qui recevait les coups sans rien dire, sans même crier alors que sa peau était rougie par le coup. Je me suis senti obligé d'intervenir, je ne pouvais pas rester là à laisser un enfant se faire battre comme ça. Je sais que je n'aurais pas dû, qu'un père éduque comme il le souhaite son fils et que c'est normal de punir un voleur de cette manière, mais je n'avais pas le cœur de le laisser agir ainsi, pas aussi violemment et encore moi par ma faute. Je suis donc intervenue pour les séparer et protéger le petit, mais avant même que je n'aie pu faire la moindre remarque. Le père m'a dit que si j'étais plus compétent que lui dans l'éducation des enfants, j'avais qu'à m'occuper du sien et il est parti sans son fils avant que je n'aie pu le retenir.

Par chance, je suis parvenu à retrouver l'homme en question, grâce à son fils, il s'avère être l'un des employés de mon vignoble. Mais même si je suis parvenu à retrouver sa trace, ça n'a rien changé, malgré toutes mes bonnes paroles et tous mes efforts, il ne veut pas récupérer Gian. Je dois m'avouer désarmer face à la situation, je n'ai plus la moindre idée de ce que je dois faire, je suis complètement désarçonné. J'espère sincèrement que demain, j'arriverai à convaincre le père de reprendre son enfant, sinon je n'ai pas la moindre idée de ce que je pourrai faire.

Et dorénavant, l'heure se fait trop tardive pour que je puisse me permettre de retourner sur la propriété une seconde fois, je crains d'envenimer la situation plus qu'autre chose. Déjà que la première fois, il était furieux, l'alcool ne devait pas améliorer son humeur et je doute qu'il soit plus sobre actuellement. Quant à son fils, il ne semble pas perturbé par la situation, je le soupçonne même d'y être habitué. Et étant donné qu'il ne réclame rien en particulier, sa présence ne me pose pas de problème particulier et je devrai être capable de le garder une nuit, d'autant plus que je ne l'ai pas surpris à chaparder de nouveau.

Je connais maintenant la véritable histoire de leur rencontre, je n'aurais pas cru qu'elle avait été si chaotique, les livres d'Histoire n'en parlent pas du tout et les rares explications que j'avais n'étaient pas aussi complètes, ni aussi précises. Je n'avais même pas conscience que le père de Salaï pouvait être plus qu'un simple vigneron sans histoire ni problème. Surtout qu'il était uniquement dit qu'il avait confié Salaï à Léonard pour que son fils reçoive une bonne éducation, ce qui semble assez loin de la vérité. Pourtant ça aurait pu me paraître évident que le monde n'est pas tout rose, j'aurais dû me douter que c'était trop beau pour être vrai. Après c'est compliqué de juger avec une simple lettre, je fais peut-être de conclusion hâtive, surtout que les normes ne sont plus les mêmes qu'aujourd'hui. D'un autre côté, le père de Salaï a choqué quelqu'un d'habitué ces normes alors... je ne vais pas insinuer que c'était du sérieux, mais presque.

Même si j'aurais voulu sortir une nouvelle lettre, la situation actuelle ne me le permet pas, une ribambelle de voitures de police se viennent de quitter l'autoroute et ne sont plus qu'à quelques minutes de nous. Si nous ne voulons pas être encerclés, il faut que nous bougions, je ne vais pas prendre les flics pour des idiots au point de croire qu'ils ne sont pas au courant des deux routes pour mener jusqu'à nous. En plus, je ne suis pas convaincue que ce soit le moment idéal pour se faire arrêter, surtout en possession des lettres, elles risqueraient de finir dans des pièces à conviction ou pire encore, entre les mains d'un membre du projet RONII.

Je range donc les lettres que je lus sans les remettre à leur place et je dépose précautionneusement la boîte sur la banquette arrière.

— Qu'est-ce que tu as vu ? demande Elijah en me voyant m'agiter pour la première fois depuis plusieurs minutes.

— Les flics sont là ou presque, il faut qu'on décampe avant de se retrouver dans une course-poursuite, remarqué-je en desserrant le frein à main.

Elijah semble un peu désespérer, mais ne fait pas plus de commentaires que ça. Une fois que j'ai démarré, il reste encore un point à éclaircir : laquelle des deux routes est-elle la plus prudente à prendre ? Je finis par me décider sur celle qui nous éloigne de l'autoroute. Les policiers sont peut-être proches, mais pas suffisamment pour que je ne puisse pas rejoindre la nationale et partir en sens inverse sans qu'ils se doutent de quoi que ce soit avant plusieurs minutes. Et ils ne retrouveront pas non plus notre piste avant de regarder les images de surveillance, ce qui va nous faire encore gagner du temps.

D'ici là, nous aurons déjà pu nous éloigner de beaucoup, peut-être même qu'avec de la chance, ils ne nous retrouveront pas avant la frontière suisse, ce qui nous donnera encore une fois un délai supplémentaire, nous après tout, nous ne demandons rien de plus qu'un peu de temps. Mais avant tout chose, il faut changer de voiture, celle-là est lente et en plus, elle est repérée, avec ça, nous allons être suivies à la trace sans le moindre problème.

— Ils nous ont retrouvés comment ?

— Les caméras bien sûr, sur les routes, c'est impossible de les éviter, surtout pour quitter Milan.

— Et ils sont loin de nous ?

— Pour l'instant oui, mais on se rapproche d'eux, reste à voir si l'on pourra s'en éloigner de nouveau ou si l'on sera suivi directement.

— C'est quoi cette stratégie à la con ?

— On n'est pas dans un film d'action, tout n'est pas aussi simple. Dans la vraie vie, les flics aussi sont malins en plus d'être préparés, alors ce n'est pas aussi simple de les semer, surtout que je ne veux tuer personne.

— Depuis quand tu ne veux tuer personne ? s'étonne-t-il en ne comprenant vraiment pas comment c'est possible que je pense comme ça.

C'est moi ou il s'est fait à l'idée que je suis super dangereuse justement au moment où je le suis de moins en moins ? Et malheureusement, moi non plus je ne comprends pas quand j'ai commencé à penser comme ça, en tout cas, c'est vraiment handicapant d'être ainsi. Ce serait beaucoup plus simple de faire exploser les voitures de flics et ça nous ferait gagner un temps monstrueux par certain côté. Mais je ne sais pas pourquoi, mon éthique m'en empêche. Je regrette presque le temps où je n'avais pas le moindre problème avec le fait de regarder l'humanité mourir.

— Je n'en sais rien, maintenant, laisse-moi me concentrer, je ne veux négliger aucun détail.

Je le sens bien mourir d'envie de me poser des questions, mais il se retient, il doit commencer à s'être habitué à moi au fil du temps, c'est d'autant mieux honnêtement.

En soi, je n'ai pas vraiment besoin de silence pour me concentrer, je peux même parler en me concentrant, mais là, j'ai vraiment envie qu'il n'y ait pas de bruit pendant quelques secondes, la situation est déjà assez stressante comme ça. Et je ne veux surtout pas subir un interrogatoire au passage, je me sens déjà bien assez bête comme ça avec mes nouveaux principes foireux. Je ne suis même pas sûre de pouvoir réellement les attribuer à mes bugs, j'ai presque l'impression que je commence à développer ma propre personnalité, c'est assez perturbant de se dire ça, surtout en tant que robot, mais je me sens vraiment changer.

Je profite du silence pour écouter le signal radio de la police, j'y étais déjà connectée, mais maintenant, j'y prête une attention toute particulière, notre fuite déprend de ça, c'est non négligeable. Un instant, j'hésite à transférer le signal sur la radio de la voiture, après tout, Elijah aussi a le droit d'être au courant, mais je n'ai pas envie de laisser une trace de ma connexion et je perdrai trop de temps à réinitialiser le système en partant.

Surtout que ce serait suspect et que je ne suis pas certaine de la fiabilité de la réinitialisation que propose le véhicule, ce serait trop bête de créer une si belle trace de mon passage pour si peu. Sans compter que si je réfléchis plus de deux secondes, je peux réagir qu'Elijah ne parle pas italien... Et à ma connaissance, il n'a pas de dictionnaire multilingue intégré, alors même si je lui faisais écouter les conversations de polices, il n'y comprendrait strictement rien.

Je finis par enfin atteindre la nationale et il n'y a pas la moindre trace de voiture de police, ils ne pourront donc pas nous voir partir sauf en regardant les vidéos de surveillance. Et quand je passe le premier virage, ils n'ont toujours pas atteint la même ligne droite que nous, ils ne pourront même pas nous voir de loin et avoir des soupçons. Je continue donc de rouler, veillant par contre à rester dans les limitations de vitesse, ce n'est pas le moment de se faire flasher en pleine fuite dans une voiture volée, avec une preuve pareille, je ne leur laisserais même pas le temps de se rendre compte que nous ne nous trouvons nulle part sur la route de campagne et ses alentours.

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