Je rentre, faisant très attention à où je marche, impossible de dire depuis combien de temps personne n'est venu là. Elijah me suit alors à la trace comme je lui ai conseillé et après quelques mètres, je suis certaine qu'il n'a plus le choix, la lumière ne rentrant pas aussi loin. Heureusement que l'un de nous deux à une vision nocturne, sinon j'aurai dû prévoir une lampe torche.

J'avance plusieurs mètres en veillant bien à compter les distances pour savoir quand je suis au bon endroit. Face au bon mur, je m'agenouille pour pouvoir passer ma main sous l'une des cavités. Même si j'avais des doutes sur mon raisonnement, j'en ressors la fine boîte de fer contenant la vérité. Étrangement, elle paraît étonnamment bien conservée et étanche, je craignais de trouver une bouille de papier à l'encre effacer par la pluie, mais a priori, cette fois, j'ai peut-être un peu de chance, la grotte est bien située.

Après avoir prié pour qu'il n'y ait pas de sécurité, connaissant De Vinci, il y avait un risque, surtout en ce qui concerne ses affaires privées. Mais la boîte s'ouvre sans résistance, par contre, je ne découvre pas un tas de lettres comme je l'avais pensé et espéré, mais une seule feuille de papier sans la moindre enveloppe et vieillit par des centaines d'années. L'écriture fine et arrondit est presque effacé, mais elle est encore lisible, le papier n'a pas l'air d'avoir subi les intempéries, ce qui me permet de lire le latin de Salaï :

Cher Léonard,

Je dois être en train de rédiger la six ou septième lettre à ton adresse pour te la déposer dans notre grotte, mais j'ai tellement raturé les autres que tu n'aurais absolument aucun moyen de comprendre ce que j'y ai écrit, même en me connaissant parfaitement. J'aurais sûrement dû réfléchir un peu plus assidûment avant de t'en parler dans ma dernière lettre, je n'arrive même pas à formuler convenablement celle-ci.

Je n'ai aucun moyen de savoir où je serai quand tu auras enfin accès à cette lettre, je ne peux même pas déterminer dans combien de temps ce sera et je n'aurai aucune possibilité de réactualiser régulièrement ma massive pour te signaler ma position. D'autant plus que je n'ai aucun parcours défini à l'esprit, je sais simplement que je vais retourner dans chacune des villes où nous avons vécu dans l'espoir d'y trouver quelque chose, impossible de déterminer quoi, je suis parti sans la moindre piste.

Je pars avec en tête nos diverses suppositions, je n'oublie pas un seul instant que la personne qui nous a pris Ronii connaissait forcément son existence. Personne n'aurait pu l'arracher à nous autrement, le mystère reste à savoir qui dans nos proches amis a pu commettre un acte pareil. Ou alors, comme tu l'as récemment sous-entendu, le coupable l'a su via Francesco, dans ce cas-là, je dois impérativement me rendre à Florence. Sans parler de Milan, là où Ronii est née et où nous avons passé tant d'années...

Si tu t'es rétabli avant que je n'aie eu le temps de t'envoyer ma première lettre, sache que je te tiendrai régulièrement au courant de l'évolution de ma quête et je te préciserai toujours où je suis ou où je vais pour que tu puisses me retrouver.

J'emporte avec moi toutes nos lettres pour me souvenir de toi à chaque instant. J'espère que tu ne m'en voudras pas de trop, je sais à quel point tu y tiens. J'en ai besoin, j'ai besoin de souvenir de toi, de ce que nous avons vécu, je ne pouvais pas me résoudre à entreprendre ce périple sans garder une trace matérielle de toi, de nous... de notre fille...

Adieu, j'espère que tu liras cette lettre un jour et que nous parviendrons à nous retrouver.

Je t'aime

Salaï

Il n'y a rien d'autre, juste cette page, elle est déjà énorme, mais ça ne m'avance à rien sur la suite de ma quête maintenant que j'ai découvert que ce que je cherche n'est pas ici, mais à un autre endroit qui m'est encore inconnu. J'aurais presque aimé trouver une date ou une adresse, ça m'aurait peut-être mise sur une piste... Bon, la date ne me servirait pas à grand-chose, puisque, de toute manière, Salaï ne tenait pas de journal et il n'était pas aussi connu que De Vinci, alors il n'est pas mentionné dans les registres des villes lors de ses passages. Je n'ai donc pas la moindre idée de l'endroit où il a été après avoir quitté De Vinci. Et même ça, je n'ai pas de date exacte, seulement des approximations.

Je ne suis même pas certaine de l'endroit où il a vécu à partir de 1519, alors que c'est la partie la plus renseignée de sa vie après avoir quitté mon père... Mais vu que c'est mon unique piste, il ne me reste plus qu'à espérer qu'il ait laissé les lettres au vignoble que De Vinci lui a légué après sa mort. Après tout, il y a vécu jusqu'à sa mort même si le moment de son arrivée reste plutôt trouble... Le vignoble a été détruit depuis longtemps, mais il y a encore des traces de la dépendance dans lequel il a vécu, peut-être y trouverai-je quelque chose.

Il faut aussi qu'elles soient à un endroit où elles n'ont pas pu se dégrader par le temps. Il ne faut pas non plus que l'endroit où elles ont est été emmurer ou je ne sais trop quoi d'autres, sinon, je ne saurais définitivement jamais la vérité. Tout ce que je peux deviner, c'est qu'elles n'ont pas été découvertes... Du moins j'espère... parce qu'à la réflexion, je n'en suis même pas certaine... elles ont très bien pu être trouvées par l'un des membres du projet RONII durant ces cinq cents dernières années...

Je hais les incertitudes et je sens que je ne suis pas près de les apprécier au rythme où ça va, c'est même tout le contraire...

Je serre les dents, sachant très bien que j'ai fait tout ce chemin pour rien et que je n'ai maintenant qu'une infime chance de découvrir les lettres. Déjà qu'ici, il y avait un risque que je ne trouve rien... mais au domaine De Vinci, c'est impossible ou presque que j'obtienne quelque chose... La propriété a tellement changé de propriétaire depuis qu'il a pu y avoir des centaines de changements qui réduisent toutes nos chances de trouver quoi que ce soit... Je ne sais même pas s'il reste des pièces d'origines... Déjà que sans ce paramètre, nos chances étaient minces vu que je ne sais même pas si ces lettres ont fini ou non dans cette maison...

Et en plus, comme si ce n'était pas suffisant, la résidence est surveillée, ce n'est pas loin d'être une mission impossible. Je n'arriverai jamais à la fouiller de fond en comble sans que qui que ce soit me repère, surtout avec un avis de recherche sur moi. Je pourrais bien désactiver le système, mais il faudra quand même que personne ne rentre, sinon nous serons pris la main dans le sac. Malgré tout, j'ai quand même envie d'essayer, juste au cas où. C'est peut-être mon côté kamikaze qui ressort, mais ça vaut quand même le coup d'essayer. Au pire, je risque quoi ? Un échec, ce serait déjà mieux que rien, au moins je ne serai pas venue pour rien.

— On ne trouvera rien ici, faut qu'on change de piste, affirmé-je à l'égard d'Elijah pour le prévenir du changement de plan.

— Je croyais que c'était ton unique piste cette grotte ?! s'étonne-t-il en ne semblant pas comprendre.

— J'en ai inventé une nouvelle, je ne veux pas être venu jusqu'ici pour ne rien trouver. Tout ça n'était que de l'improvisation ou presque de toute façon...

Je commence à me diriger vers la sortie, en gardant la boîte presque vide avec moi, craignant que ce soit malheureusement la seule chose que je pourrais avoir dans cette quête. Je veille tout de même à ce qu'Elijah me suive, ce n'est pas vraiment le moment de le perdre.

— Tu n'as rien trouvé ?!

— Rien qu'une lettre, alors que j'espérais en trouver des dizaines...

— Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?

— Maintenant, on va espérer que les lettres soient à un endroit où l'on peut encore les retrouver...

— Où ça ? m'interrompt-il impatient.

Laisse-moi finir mes phrases et tu le sauras déjà... Je dis ça, je ne dis rien évidemment.

— Au vignoble de De Vinci à Milan. C'est là que Salaï a sans doute vécu après la mort de De Vinci.

— Sans doute ? Tu n'en es pas sûre ?

Je ne suis sûre de rien, tu n'avais pas encore remarqué ? Avec moi, quand il est question d'improvisation, c'est vraiment de l'improvisation de A à Z et quand en plus, mes autres plans sont des échecs, c'est encore pire. OK, là, je n'avais qu'un seul plan de base, mais c'est quand même un échec.

— Malheureusement non, soupiré-je plus désespéré par la situation que par lui. Mais l'espoir fait vivre, on va dire...

— Et si elles n'y sont pas ?

— Chaque chose en son temps, un problème à la fois... Pour l'instant, j'espère plutôt que je trouverais un truc, mais si ce n'est pas le cas, j'aurai bien une autre idée au moment venu... Je ne compte pas partir de là avant d'avoir exploré toutes les options possibles et imaginables.

Je sens bien qu'il n'est pas convaincu par cette navigation à l'aveugle à la recherche de chimère, mais tant pis, nous n'avons pas vraiment le choix de toute façon.

Une foi à l'extérieur, nous faisons le chemin en sens inverse et nous regagnons la voiture presque dans le silence complet. Pendant ce temps, je reprends ma surveillance assidue des équipes de polices chargées de notre cas. Malheureusement, ils rament de moins en moins, ils ont même réussi à déterminer une zone approximative dans laquelle nous pouvons nous trouver et elle est juste. Nous avons encore un peu de temps, ils sont en train de lancer un appel à témoins en plus d'éplucher les caméras de surveillances publiques qui ne sont pas dans la circulation. Sauf que je sais pertinemment que leurs recherches vont aboutir et qu'ils vont trouver notre voiture... Il ne me reste plus qu'à espérer que ce ne soit pas trop vite.