10 (2.2)

 — On va où aujourd'hui, dans la forêt ou à la Creek ? demandé-je ne sachant pas bien lequel de nos endroits préférés elle a en vue.

— Euh à la Creek. Non dans la forêt, ça fait longtemps. Ou peut-être quand même à la Creek, il fait beau et j'aurai presque envie de me baigner... hésitera-t-elle comme souvent, elle ne sait que rarement prendre une décision et la plupart du temps, je finis par adjuger à sa place en fonction de la dernière fois.

— Décide-toi, fais ton choix ! Je suis une femme très occupée et je n'y passerai pas la journée, chanté-je amusée, la charriant un peu.

— Ça ne te coûtera... que ta voix ! continue-t-elle avant de s'interrompre dans un fou rire contagieux. Brefouille, j'ai signé le contrat et mis mon nom, je choisis la forêt, finit-elle par décider après notre crise.

Nous nous dirigeons alors vers le bosquet à gauche de notre maison, séparé par un simple muret de pierre. Notre mère nous voit passées depuis son bureau, dont la baie vitrée donne sur l'extérieur, et nous fait un petit signe.

De base, elle ne savait pas que nous sortions de la maison après nos cours et me faisait bêtement confiance pour surveiller ma sœur, même quand nous étions toutes petites. Dans les faits, je n'ai jamais été imprudente, ayant toujours été assez intelligente et mature, par contre, Fauve a toujours été attirée par l'extérieur. Ce qui fait que lorsqu'elle avait trois ans, j'ai fini par céder et la faire sortir en douce par la fenêtre. Il ne s'est rien passé de mal. Au contraire, nous avons juste fini par nous faire surprendre par notre père qui rentrait plus tôt que prévu du travail et nos parents n'ont pas apprécié d'apprendre que leur fille de cinq ans sortait déjà en douce de chez eux.

Nous ne leur avons jamais dit que ça faisait déjà deux ans que nous le faisions... Et la petite punition mise par nos parents ne nous a pas empêchés de recommencer quelques jours plus tard. Mais maintenant, ils ont tous les deux lâché l'affaire, surtout depuis que nous sommes toutes les deux adultes. Nous pourrions donc sortir par la porte d'entrée, surtout que nous ne nous cachons plus et que nos parents nous remarquent régulièrement, mais c'est quand même beaucoup moins amusant.

Nous enjambons donc le tas de pierres, avant de nous faufiler entre les arbres jusqu'à une toute petite clairière, encadrée de bois, à peine éclairée par le soleil. Nous sortons des couvertures de notre rondin et les installons au sol avant de nous y asseoir. Nous venons tellement souvent ici que nous y avons vraiment toutes nos habitudes. Même l'hiver ne nous empêche pas de sortir. Il faut quand même avouer que nous sommes bien mieux dehors à faire nos devoirs qu'à l'intérieur. Là aujourd'hui, nous n'avons pas de travail à rendre, mais nous sommes quand même mieux pour lire et écouter de la musique ici que chez nous.

— Quel répertoire aujourd'hui ? Je te laisse choisir, bien que j'aie une grosse envie de Disney, glissé-je.

C'est toujours moi qui m'occupe de la musique et elle n'a jamais rien à redire puisqu'elle choisit systématiquement ce que nous mettons.

— En gros, je n'ai pas vraiment le choix. Alors je choisis... c'est compliqué comme choix ! Il y a trop de Disney, allez les musiques de Rebelle et leurs reprises, je n'ai pas envie d'avoir de la variété, juste un Disney.

Elle est un peu incorrigible quand même. Dès que je parle de Disney, elle pense à Rebelle, alors qu'il y en a beaucoup d'autres. Mais je ne conteste pas son choix, aimant beaucoup ces musiques moi aussi. Après tout, ce n'est pas pour rien que ma sœur a à elle seule fondé ma culture musicale, cinématographique et artistique moderne, réussissant à me les faire autant adorer que les grands classiques. Souvent, je me dis que je ne serais pas la personne que je suis sans Fauve et je pense sincèrement que c'est la vérité.

Je me mets à diffuser les musiques de Rebelle. Elle sourit très satisfaite de la première musique, sa préférée. Elle a quand même de la chance que sa grande sœur soit un robot, elle aurait beaucoup moins d'avantages avec des playlists classiques. Non seulement j'organise tout moi-même. Mais en plus, je fais en sorte que le tout ne soit pas trop répétitif, ce qui n'est pas une mince affaire. Je ne pense pas qu'elle puisse en demander autant à un téléphone ou un ordinateur.

Sous ses supplications, ou réalistement, sa demande, je finis par lui raconter ce que je sais déjà sur ce fameux Elijah Stone. Je suis assez soulagée de pouvoir me confier, je déteste lui cacher quoi que ce soit et pendant le trajet du retour, je ne voulais pas lui en parler en pensant bêtement qu'elle n'avait rien remarqué. Maintenant au moins, je n'aurai pas à lui dissimuler quoi que ce soit. Je préfère largement. Je ne supporte pas quand je ne peux pas tout dire à ma sœur, ça a le don de m'énerver, surtout qu'en temps normal, je n'ai absolument aucune raison de ne pas tout lui dire.

Ensuite, nous parlons de tout et de rien, comme souvent lorsque nous n'avons ni devoir, ni envie de lire. Nous ne restons qu'une heure et demie, nous ne pouvons pas vraiment rester beaucoup plus longtemps puisque nous devons quand même nous laver et manger. Nous rentrons donc ni vu ni connu chez nous, par la porte d'entrée, n'ayant pas la moindre raison de nous cacher et ayant surtout la flemme d'escalader le mur de ma chambre. Rectification, elle n'a pas envie de monter sur mon dos pendant que j'escalade le mur de ma chambre, mais ça revient un peu au même, il faut bien le reconnaître.

Devant la maison, nous voyons la voiture de notre père et sans même regarder Fauve, je sais que ses yeux s'illuminent de bonheur. Il ne devait pas rentrer avant tard ce soir, je sais très bien que ça fait toujours plaisir à ma sœur quand il rentre plus tôt. J'aime bien aussi, mais j'ai un peu plus de problèmes qu'elle avec ses absences longues et répétées dans le cadre de son travail, puisqu'il est pilote de ligne.

En plus, je le trouve trop peu présent pour sa famille et je sais bien à quel point sa fille biologique en souffre souvent. Et je me rends bien compte de la peine de ma sœur lorsqu'il rentre trop tard pour qu'elle le voie après deux jours d'absence et qu'il repart dès le lendemain sans qu'elle ait pu profiter de lui. Ce qui a l'art de me mettre en colère, je déteste voir ma sœur souffrir, heureusement que notre mère travail depuis la maison, sinon ça ferait longtemps que Fauve n'aurait plus vraiment de parents.

— Non, Fauve, je ne te prêterai pas ma voiture, répété-je pour la énième fois en une demi-heure.

Elle a un peu l'art d'être têtue quand elle s'y met... Pourtant, pour le coup, j'ai été très claire, je ne veux pas lui laisser ma voiture.

— Allez tu m'avais promis, insiste-t-elle ne lâchant définitivement pas l'affaire, surtout maintenant que nous sommes à l'extérieur, prêtes à partir pour la fac.

Je la regarde avec de gros yeux, elle déraille complètement ! Elle conduit peut-être de manière correcte, mais c'est ma voiture, mon bijou, je ne vais pas lui prêter comme ça, même en étant juste à côté. En plus, je suis certaine d'avoir jamais dit une chose pareille, surtout vue comme j'adore mon véhicule, certaines promesses ne sont pas à faire. Si, il y en a bien une qui est à faire : promettre de ne jamais lui prêter ma voiture, mais celle-ci non plus je ne l'ai jamais fait...

— Jamais de la vie, j'ai juste dit à papa et maman que je te la prêterai peut-être de temps en temps. Mais je parle d'un moment lointain, pas dès l'instant que tu aurais ton permis, remarqué-je en m'installant à côté de la porte conductrice pour l'empêcher de prendre le volant.

Avec ma mémoire, elle ne peut pas m'arnaquer et je compte bien m'en servir pour ne pas lui laisser les clefs de ma voiture, enfin plutôt pour récupérer les clefs de ma voiture maintenant qu'elle me les a volées avant que je m'en méfie. Je me demande si la police traite les cas comme ça, je n'irai pas jusqu'à les prévenir, mais elle est quand même en train de commettre un crime. Doubler de chantage affectif et de déformation de propos.

Surtout que la promesse imaginaire dont elle parle n'en est même pas une puisque c'est une simple phrase en l'air, suggérant une possible éventualité, mais elle a été dite sous la contrainte et je ne le pensais pas vraiment, évidemment que je ne vais pas lui prêté. En plus, elle sait bien que je ne laisse personne s'approcher de mon véhicule, je ne confirai ma Chevrolet Corvette sous aucun prétexte, je ne la laisserai même pas à un garagiste ou un voiturier. Alors à une personne normale, même pas en rêve, même quand cette personne est ma sœur. Surtout qu'elle a elle-même une voiture, elle peut très bien s'en contenter, je n'aurai même pas pitié d'elle avec sa Coccinelle dont elle a toujours rêvé. En plus, c'est presque grâce à moi qu'elle l'a, alors il ne faut pas qu'elle abuse.

— Allez pour me faire plaisir une fois par mois.

Elle déraille... Genre ma voiture, ma voiture, mon cadeau.

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